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off-shore - Page 42

  • T...

    Tirer un trait ou sa révérence... Tout un art...

  • L'indignation épicière

    Pour avoir écumé les librairies depuis près de quarante ans, je trouve fort drolatique la soudaine indignation de certains libraires (mais il est vrai que c'est un gimmick de ce début de siècle, la hesselisation de la pensée...) à l'endroit du livre commis par Valérie Treirweiler. Que cet ouvrage soit puéril, mesquin ou ridicule, qu'il fasse l'amalgame du privé et du public, qu'il soit un brûlot de jalousie, qu'il soit d'une médiocre écriture et fruit d'un petit esprit (il ne fallait pas attendre grand chose d'une journaliste, et moins encore d'une journaliste de Paris-Match...), qu'il soit mensonger en partie (je n'en sais rien), tous ces griefs ne peuvent en faire un ouvrage mis à l'index commercial. C'est, pour tout dire, fort étrange.

    Et plus singulier encore, ce besoin d'afficher qu'on ne le vendra pas, comme s'il fallait à tout prix se faire un peu de publicité, en signant un refus au vu et su de tous. Les révoltés se devaient de le faire savoir. Dont acte. Quant à leurs motifs, pour ce que j'ai pu en deviner, ce serait, pour faire simple, la condamnation d'une littérature de caniveau, alors même que nous sommes en pleine rentrée littéraire justement.

    Pour pouvoir tenir une telle ligne, il faudrait a minima que la librairie ne se soit pas fourvoyée depuis longtemps, que la médiocrité de ces épiciers du livre (un peu comme les pharmaciens sont les épiciers du médicament. Monsieur Homais n'est pas loin), et l'inculture qui l'accompagne, n'aient pas fait des bonds vertigineux en quarante ans. Qu'à Lille on ne connaisse pas José Donoso, qu'à Dijon on ignore les Garnier Classique, qu'en Lozère, on en trouve pas Peggy (sic) dans la base de données, ces quelques exemples (1) vécus suffisent à mettre un bémol le sort fait au livre de Valérie Treirweiler. 

    Pour donne un poids à cette exclusion, il faudrait que ces mousquetaires à peu de frais aient depuis longtemps banni de leurs rayonnages Virginie Despentes et Guillaume Musso, Marc Lévy et Katherine Pancol, ainsi toute l'engeance des journalistes scribouillards (dont la spécialité est de proposer des biographies plates et faussement surprenantes), toute cette production qui ferait d'excellents torche-cul (pour reprendre Rabelais). Du temps de ma jeunesse, quand j'allais visiter mes nourricières, il eût été impensable que celles-ci s'abaissassent à vendre de telles engeances. Elles se fussent senties comme des receleuses, refourguant de la fausse monnaie, celle dont Baudelaire a si bien su parler.

    Mais les temps ont changé et il faut bien vivre. Je vois beaucoup de médiocrité dans les rayonnages des librairies : un recul progressif de la littérature, une place quasiment inexistante pour le théâtre et la poésie, la confidentialité des ouvrages critiques. En revanche, des livres avec des bandeaux où l'on vous montre des visages qui peuvent être vendeurs, comme sur les pochettes de disque, il y en a à foison. Je repère beaucoup de libraires qui ne lisent pas, ou si peu. Les exceptions sont de plus en plus rares...

    Dès lors, la réaction autour de Valérie Treirweiler (pour qui je n'ai aucune sympathie et qui a usurpé une place à laquelle elle n'avait pas droit. Une première dame de France est mariée, sans quoi c'est une concubine (2)) est une parade facile qui coûtera peu à ceux qui en usent. Ils auraient pu d'ailleurs le faire discrètement. Que nenni ! La publicité était nécessaire. L'affichage, dans les deux sens du terme, était une condition sine qua non. Tout cela est un peu ridicule et, dans le fond, n'est que le pendant épicier de la débâcle présidentielle. L'ère du faux brille de mille feux et le moindre quidam, dès qu'il le peut, cherche la lumière. Aujourd'hui des vendeurs de livres. Demain qui ?

     

    (1)Je ne parle pas des libraires qui ne lisent pas, ni de ceux qui font mine de lire et vous recommandent chaudement Anna Gavalda et Laurent Gaudé

    (2)Est-ce d'ailleurs pour cela que, concernant sa séparation d'avec Moi je, le mot répudiation revient sans cesse ? Étrange confusion qui nous ferait penser que dans ce pays c'est le droit islamique qui fait référence...

  • Sehnsucht (I)

     

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    Tous les documents n'y peuvent rien. Ils taisent immanquablement une part de celui qui les produit, et au bout de la chaîne, encagoulent l'autre, destinataire heureux ou craintif.

    On accumule les preuves, faute de pouvoir connaître le profond de la décision, et l'intime du coup reçu.

    En tout, il y a un filigrane impossible à obtenir, une couleur derrière laquelle on court. Se voir (le clin d'œil), se lire (silencieusement), s'entendre (à mi-voix) ; jamais rien de ces interstices ne s'archive. Nulle part.

    Aucun motif ne peut se fredonner vraiment : la partition est un reste, le moindre-bien qui nourrit son monde.

    Tous les documents pour une glose aussi filée qu'une métaphore, en l'attente d'un train déjà passé.

     

    Photo : Patrick Bailly-Maître-Grand

     

  • Réellement

     

    Cet après-midi, les nuages ont d'abord ressemblé à du Magritte : un air de papier peint ou de publicité. L'idéal récuré.

    Mais le vent, très lent, les a déplacés. Il se sont chargés de salissures, ont paru plus chiffonnés, comme chez Van Goyen : c'était infiniment plus beau, et personne n'était triste quand il s'est mis à pleuvoir, si fort pourtant que nul n'avançait plus au milieu des cordes et des hallebardes, sauf les chats et les chiens qui donnaient de la voix.

     

  • Miroirs (V) : Hippolyte Bayard, allégorique

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    Hippolyte Bayard, Autoportrait en noyé, 1840

    Lorsque, dans l'histoire de la photographie, il devint patent que le procédé de Daguerre, sur métal, l'emporterait, son concurrent, promoteur du support papier, Hippolyte Bayard comprit qu'il finirait dans les greniers (ou les caves) de l'Histoire. Pressentant que l'ère industrielle donnerait aux seuls triomphants le droit au souvenir, il se photographia en noyé. Autoportrait en mort, d'une certaine manière. Cette première mise en scène de soi n'est pas sans rapport avec l'analyse courante reliant la photographie et la mort. Il faut rappeler la tradition du XIXe pour le portrait des morts sur le lit (Hugo, Ibsen, Proust...) et relire, évidemment, Bazin et Barthes.

    Pour revenir à ce pauvre Bayard, outre le caractère morbide dans la théâtralisation de l'échec, il y a un je ne sais quoi de mélancolique, à penser que toute l'énergie de cet homme se sera convertie en un acte symbolique où l'invention sert en propre à se nier. Voilà qui est terrible : se battre, concentrer volonté et intelligence pour n'être plus qu'une ombre. On imagine Bayard cherchant une formule adéquate pour signifier son désarroi et trouvant, d'un coup, ce subterfuge morbide grâce auquel il devient le premier acteur de l'épopée photographique. La machine sacrifie, et doublement, la vie de son inventeur. 

    Que pouvait signifier, pour un homme de cette époque, de se voir mort ? Les peintres avaient déjà joué avec le feu mais la technique, la distance même de l'art les protégeaient. Ils étaient eux et quelqu'un d'autre. Bayard, lui, se lance brutalement dans la disparition vivante. Il est le premier à se voir mort, à pouvoir s'en faire une idée... Que devint cet autoportrait, pour lui, tout le restant de ses jours, puisqu'il ne mourut qu'en 1887, alors que la photographie triomphait auprès du bourgeois, fasciné et ému. Comment vécut-il de se regarder mort, et pourtant vivant. Vivant mais oublié. Oublié jusqu'à sa résurrection en noyé, dans l'histoire de la photographie ; retour dont on doutera qu'il ait pu la croire possible...

  • Le droit (jusqu') à la folie

    S'il devait y avoir un trait caractéristique de la social-démocratie libérale (1), ce serait sans nul doute l'hypocrisie. Elle a un côté moraliste de bas-étage : on dirait les Flamandes de Brel, mais dans une version progressiste. Le social-démocrate libéral français, le socialiste bon teint, vallso-hollandisé, reformaté à la manière de Blair est un bijou de saloperie satisfaite, qui se croît tellement intelligent qu'il ne peut douter de la bêtise des autres. Et si je passe par le détour blairiste, il n'y a pas de hasard. Nullement. On y trouve la rouerie assurée qui permettaient aux grandes oreilles du New Labour d'affirmer que l'invasion de l'Irak était une urgence et que les armes de destruction massive étaient un danger mondial, etc, etc, etc. On connaît la chanson : le mensonge est la ligne de conduite absolue. Le socialo lucide est un larbin du libéralisme mais il essaie de faire croire le contraire ; il est son sbire zélé et prétentieux, mais se promène avec ses breloques humanistes : les autres, l'écoute, la solidarité, l'amour, le respect, la différence et j'en passe... En clair, le socialo-libéral aime le monde, veut le bonheur du monde, le vôtre, le mien : il n'a d'ambition que de nous rendre heureux (2).

    C'est pour cette raison qu'il adhère si bien au credo libéral de la marchandisation de tout et de tous, du droit appliqué à toutes les formes de concepts, dans la perspective que les dits concepts permettront d'ouvrir de nouveaux services, de nouveaux besoins, de nouveaux flux, de nouveaux échanges, de nouveaux recours, parce que tout doit être négociable, monnayable, et ajustable en terme de contrat. 

    Nous n'avons eu de cesse d'expliquer combien les partisans nantis du mariage gay, suivis par la bigoterie alter-différentialiste des centres villes bobos, qui se la joue tolérance et ouverture, les partisans nantis, donc, visaient au delà du projet matrimonial l'élargissement du marché des naissances, et plus particulièrement la gestation par autrui (GPA), laquelle était assimilable à un acte banal. Le gauchiste rose Pierre Bergé n'y voyait, pour des femmes enfin tolérantes (ou dans le besoin ?) qu'une forme de location. Louer son ventre comme on loue ses bras. Le ventre comme force de travail. Ce genre de déclaration abjecte n'a pas fait grand bruit à gauche. Sans doute le fait de ne pas avoir commerce charnel avec les femmes autorise-t-il ce petit vendeur de tissu à les mépriser sans vergogne. Mais il avait au moins le mérite (indirect) de poser le cadre du débat : quid de l'argent et du rapport économique ?

    La GPA était donc la monstruosité au cœur du combat et rien n'y a fait ; les pourfendeurs de cette pratique n'ont pas eu gain de cause. NI les incertitudes dans la construction de l'identité infantile, ni les considérations économiques, justement, n'ont tenu et ses partisans, eux, ont avancé masqués, prétextant que la question ne se posait pas. Il y avait pourtant beaucoup à dire sur un point : le désir d'enfant transformé en un droit à l'enfant.

    Le droit à l'enfant. Autant l'écrire sans détour : il n'y a pas de droit à l'enfant. C'est une hérésie intellectuelle. L'enfant n'est pas un droit mais une possibilité physiologique que la nature valide ou non. Il n'est pas possible pour deux hommes ou pour deux femmes d'avoir un enfant. C'est ainsi et ce ne sont pas les progrès de la médecine qui changeront quoi que ce soit en ce domaine. Cela n'a rien à voir avec la stérilité (que des avancées thérapeutiques peuvent effectivement soigner). Et comme la nature est têtue, le droit est invoqué pour la faire plier. Il devient alors le bras séculier d'une aspiration narcissique pour quelques-un(e)s qui veulent à la fois conserver leur différence (pas question de renoncer à la gay pride et à ses cortèges grotesques, provocateurs et vulgaires) et satisfaire un besoin somme toute bien petit bourgeois (3). Le droit à l'enfant est la résultante d'une régression infantile et d'un mépris indispensable d'autrui. Le bonheur pour soi. La gestation par autrui... À moins que ce ne soit, dans le fond, la gestation pour autrui. Mais en changeant la préposition, je ramène à la surface les implications profondes de l'acte : il est nécessaire d'exclure et d'instrumentaliser. La mère ou le père sont passagers. Il s'éclipse le temps venu. C'est leur vocation. Il est indispensable que soit coupé en deux les temps de l'être, entre sa conception et son apparition. On le prépare à une seconde vie, en niant la première. Conçu (encore que...) à Bangkok, destiné à Melbourne. Pour le coup, on ne peut mieux concevoir la coupure du cordon. Enfin, cet autrui bénéficiaire qui réapparaît remet la grossesse dans le cadre économique d'une transaction.

    Ces problématiques ne sont pas nouvelles. Elles fondaient l'opposition intellectuelle et rationnelle au mariage gay, au delà des caricatures tournant elles autour des positions religieuses que les gauchistes avaient besoin d'activer, selon un manichéisme mainte fois utilisé : les Modernes contre les Rétrogrades, avec cette nuance quasi révolutionnaire dont la France a hérité, donnant d'un côté les Républicains, de l'autre les Cathos (ou les Ultras...). C'est donc avec un étonnement sensible que, le 14 juillet, on a vu paraître une tribune demandant à l'état de prendre ses responsabilités dont les trois premiers signataires étaient Jacques Delors, Lionel Jospin et Yvette Roudy, tribune justifiée par la décision de la Cour européenne des droits de l’homme obligeait la France à reconnaître des enfants issus de GPA nés à l'étranger. Cette indignation est soit sincère mais elle révèle une grande naïveté, parce que les opposants avaient depuis longtemps dénoncé ce genre de risques, et de facto, elle ridiculise ces politiques. Soit cette indignation est feinte. Elle est une posture et un moyen de détourner l'attention. Quelques socialos feignent l'inquiétude et on passe à autre chose.

    Entre l'honnêteté et l'écran de fumer, à chacun de choisir. Il est bon néanmoins de rappeler que ces trois premiers signataires sont des mondialistes patentés, qu'ils ont été des chevilles ouvrières d'une transformation de l'Europe en un vaste marché libéral. Et c'est alors que le doute s'installe. Il faudrait, en effet, pour être crédibles que ces politiques aient montré depuis fort longtemps leur opposition à la marchandisation des êtres et des corps, et ce n'est pas le cas. La lecture passionnante du Corps-Marché de Céline Lafontaine vous laisse sans illusion. À partir d'une analyse de la bioéconomie, et du dévoiement de ce concept posé par l'économiste Nicholas Georgescu-Rœgen, elle passe en revue cette transformation sociale/sociétale qui s'organise autour d'une redéfinition des usages du corps à des fins commerciales. Deux extraits significatifs.

    "D'une logique de décroissance prônée par le père de la bioéconomie, on passe avec le programme de l'OCDE à un bioéconomie de développement durable qui conçoit le vivant comme une nouvelle source de productivité. Dans son rapport La Bioéconomie à l'horizon 2030, l'organisation associe d'ailleurs très explicitement les innovations technologiques au développement durable. En plus d'être "plus vertes", les biotechnologies offrent, selon ce rapport, "des solutions techniques qui permettent de résoudre nombre de  problèmes de santé et de ressources auxquels le monde est confronté."

    En clair : le corps est un business et l'OCDE ne cache pas que c'est une de ces voies à exploiter dans la course à la croissance. Dès lors, les politique signataires cités plus haut ou ignorent les analyses de l'OCDE, dont ils appliquent pourtant les recommandations libérales en matière d'économie, ou trompent leur monde.

    Dans une partie consacrée à la procréation médicalement assistée, Céline Lafontaine rappelle cette évidence :

    "La normalisation et la démocratisation du recours à la procréation assistée ont eu pour conséquence le développement d'une libre concurrence de cette industrie à l'échelle internationale. Alimenté par la logique consumériste de la baisse des coûts et par la volonté de contourner les cadres juridiques nationaux limitant le "don" d'ovules, le commerce de ces précieuses cellules féminines s'est développé dans des zones plus permissives, telles que l'Espagne et Chypre (...)"

    Le corps féminin monétisé jusque dans ses entrailles : la PMA a favorisé ce dévoiement. Il n'y avait aucune raison qu'il n'en fût pas de même pour la GPA. S'en offusquer au milieu de l'été après tant de laisser-faire commercial (mais n'est-ce pas le fonds de la doctrine libérale, qui puise sa source en partie chez les partisans, aux XVIIIe et XIXe siècles, d'une liberté plus grande : de Voltaire à Frédéric Bastiat, en passant par les révolutionnaires). Pour trouver des ventres, ce n'est pas Chypre ou l'Espagne mais des contrées à ventres bon marché, où le droit (le vrai, celui-là, qui aurait pour vertu de réduire les inégalités et les injustices, et non de satisfaire les bien nourris) est une mascarade...

    Les jérémiades morales de Delors et Jospin sont donc une escroquerie. Leur position n'aurait pas été posture s'ils s'étaient démarqués du choix civilisationnel (pour parler comme la sinistre Taubira) qu'un président fantoche nous a imposés. Ce sont de telles attitudes qui font désespérer du politique, ou qui attisent les choix radicaux. S'il n'est pas sûr que Dieu existe, est-il nécessaire de substituer à cette putative absence l'outre-présence du désir des hommes, d'en faire le fondement d'un droit exorbitant et infantile par quoi rien ni personne ne doit s'interposer à une envie. 

    Le droit à l'enfant, répétons-le, est une monstruosité philosophique qui légitime et légalise la choséification du corps féminin (pourquoi alors s'être battu pour son émancipation ?) et la soumission de l'enfant à la loi pure du marché. La GPA procède de cette logique et est consubstantielle aux cadres du mariage gay. Les cris d'orfraie de Delors et Jospin sont, une fois de plus, des simagrées. Sur ce point crucial qui engage un virage de civilisation, il n'y a aucun doute : la gauche française est infiniment plus libérale que la droite...

     

    (1)Terminologie en soi assez discutable, quand le "social" est un produit d'appel, une tête de gondole pour électeur naïf.

    (2)Sur ce point, il faut lire Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche. De l'idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Climats, 2013.

    Le sous-titre est doublement intéressant. Il fait le point sur la soumission de la gauche à l'idéal libéral. Il renvoie à la généalogie de cette évolution. Le vers était dans le fruit et ce qu'on nous vend comme l'esprit éclairé du XVIIIe siècle n'est que l'étayage d'une logique politique qui met les individus en concurrence et rejette toute possibilité d'une vraie pensée sociale. Voltaire est un écrivain néfaste et ce n'est pas d'avoir défendu Jean Calas qui peut le sauver.

    (3)Ceci explique que, chez certains homosexuels, le mariage gay était une aberration, et le désir d'enfant une inconséquence. Faut-il alors placer ces récalcitrants de la modernité dans la catégorie des débiles qui ne comprennent rien, des réactionnaires ou des couards ?

    (4)Céline Lafontaine, Le Corps-Marché. La marchandisation de la vie humaine à l'ère de la bioéconomie, Seuil, 2014.

  • Petit Manuel pour la boucler

    Adoncques (comme dirait le Père Ubu, lequel s'y connaissait en matière de pompe à phynances et de décervelage), il y eut durant la semaine finissante, en quelque contrée dite démocratique, délices de grotesque et de fumisterie. Le politique et la pensée redorèrent, à coups sûrs, leur blason et le petit peuple, tout bête qu'il est, n'en crut pas ses yeux et ses oreilles. Qu'on en juge :

    Premier acte.

    À l'ère du pédagogisme à tous les étages réduisant l'enseignant (ne disons plus le maître, grand Dieu : oublions la Grèce antique et la philosophie) à n'être plus qu'un élève parmi les autres, sinon potache plus âgé, infantilisé, la contrée vit défiler es qualités d'avides maroquins chez le premier d'entre eux, pour passer un oral de belle orthodoxie, afin savoir, non s'ils étaient compétents, mais s'ils seraient serviles et silencieux. Un peu comme de mauvais garnements convoqués chez le directeur (en d'autres temps, le surveillant général) d'un collège rural. Tout le monde, en uniforme, le corps droit, la nuque raide, l'œil froid tendu vers l'horizon, et de n'être plus qu'un seconde classe. Chef, oui chef ! Alors, le peuple vit sortir ces fiers ministres, habituellement si méprisants et hautains, péteux d'avoir su bien répondre pour conserver leur poste. Tout un gouvernement réduit à n'être plus qu'une valetaille vulgaire et repue. C'était là un bel exemple de la respiration démocratique dont le Petit Caporal et son Maître au pouvoir se faisaient naguère les chantres.

    Second Acte :

    Devant des nominations et des évictions qui marquaient une claire orientation politique et économique, de soi-disant révoltés (ils n'en étaient pas à leurs premiers gargarismes de cons battus), promirent d'en découdre, tout en vouloir préserver l'unité et les intérêts (surtout électoraux) d'un pouvoir sournois et trompeur. Et d'entendre, dans une langue de bois classique, feintes colères et rodomontades. Un peu comme des vieux couples qui ne peuvent se résoudre à vendre la résidence en bord de mer et ratiocinent leur rancœur.

    Pendant ce temps, un citoyen anonyme, dans la veine des hommages à la Der des Ders (c'est de mode, l'hommage à ceux qui sont morts pour rien...), relisait Louis Pergaud, mort au front en 15,  et sa Guerre des boutons. D'un côté les Longeverne, de l'autre les Velrans, et leurs noms d'oiseaux. Les peigne-cul et les couilles molles. Et de rêver à leurs formes adultes. Le peigne-cul a le phrasé onctueux, la componction facile ; prêt à tout, sans amour-propre puisque tout en vanité. Quant au couilles molles, inutile d'épiloguer : velléitaire et bavard...

    Décidément, la littérature a du bon, éclairant le passé et permettant de chroniquer l'insignifiance de l'instant...

  • La Mare...

    Grenouilles et crapauds, verts et roses, ont joué leur partition ce week end. Il n'y avait, semble-t-il, rien d'autre à faire, tant la situation économique, sociale, politique et internationale est sereine. Cela entraîne une démission en bloc. L'autoritarisme niais à défaut de l'autorité.

    Inutile d'épiloguer. Retournons à notre Chateaubriand moquant, dans ses Mémoires, la monarchie de Juillet et "ce gouvernement prosterné qui chevrote la fierté des obéissances, la victoire des défaites et la gloire des humiliations de la patrie", alors que "l'État est devenu la proie des ministériels de profession et de cette classe qui voit la patrie dans son pot-au-feu, les affaires publiques dans son ménage."

    C'est sans doute là les promesses de la grandeur républicaine...

  • À la source

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    Il n'a rien dit, rien qui puisse se glisser dans un livre ou finir sur une pierre tombale. Il n'a pas cherché à se faire valoir ; il n'avait pas de crédit à demander, moins encore à proroger. Il n'avait pas l'âme d'un négociateur. 

    Il n'avait pas envie qu'on parle de lui vivant, ou si peu, alors, ensuite... Les commémorations le faisaient soupirer. Il est bien allé à quelques enterrements, par fidélité, mais il se tenait toujours à l'arrière de l'assistance, si bien que certains ont pris ombrage de ce qui semblait une distance, voire une absence, alors qu'il continuait seulement le dialogue avec l'ami, intimement. 

    Beaucoup ont passé du temps près de lui, voire chez lui. Le couvert était toujours mis et les draps toujours frais. Les plus hargneux ont gobé ses mots et les ont recraché en jouant les importants de-ci, de-là. Les plus francs l'ont tarabusté pour qu'il reste quelque chose. Quelque chose de toi. Parce qu'il ne peut se faire que tout se délite. Il faut un reste à tout cela.

    -Un reste ? Le reste, je le laisse aux cours sur les divisions, dans mon enfance...

     

     

    Photo : Joan Fontcuberta

  • Dindes et dindons (de la farce)

    Elle est un exemple parmi d'autres. On aurait pu prendre Pierre Servent, Jacques Attali, Gilles Kepel, Christophe Barbier,... Elle s'appelle Nicole Bacharan, enseigne à Science-Po et à Stanford. Elle fait partie de ces spécialistes, experts, penseurs, qui gangrènent le monde médiatique, venant se répandre sur ce qu'ils sont censés connaître quand l'accumulation de leurs déclarations creuses montre surtout qu'ils parlent dans le vide.

    Nicole Bacharan, qui avait déclaré le jour du 11 septembre que ce jour, "nous (étions) tous américains" (1), qui avait célébré la victoire d'Obama comme un signe de la vitalité américaine et une quasi révolution, est venue l'autre soir expliquer aux idiots que nous sommes le sens des affrontements de Ferguson. Et la pauvresse d'observer que dans cette histoire Obama était confronté aux difficultés d'une ère "post raciale". L'Amérique était dans le post racial et nous ne le savions pas. Au delà du fait que notre experte usait de la ficelle des pré- et des post- dont on peut discuter la pertinence, qu'elle analysait moins une situation qu'elle ne posait un concept pour définir l'autorité de son discours (c'est très efficace : de la rhétorique pure, du sophisme de bas étage...), elle laissait entendre que les États-Unis avaient donc subsumé ou, pour le moins, recomposé les rapports des conflits ethniques et raciaux qui la traversent. Le post signifiait-il le pire ou le meilleur ? Le temps médiatique ne permettait pas de le savoir. Seule la formule compte.

    Devant une telle absurdité, une mienne connaissance n'en croyait pas ses oreilles, qui a vécu dans ce pays (et pas dans les années 80, non, mais sous la présidence Obama) et eu l'occasion de voir combien le modèle américain était une catastrophe tant il sécrétait de ségrégations, de partitions, de communautarisme et d'exclusion. La vacuité du propos lui a fait lever les yeux au ciel. Et l'on aurait aimé que le journaliste qui l'interviewait demande des précisions, ait l'audace intellectuelle d'apporter la contradiction. Mais rien ne vint. L'Amérique est post raciale ! Cela ne veut rien dire, comme ne voulait rien dire, sauf à émouvoir les idiots, l'élection d'Obama, quant aux règles fondamentales du modèle américain, au regard que ce pays porte sur le monde, aux principes qui organisent sa politique extérieure. 

    Je me souviens que dans les années 90 Yves Keppel venait sur les plateaux expliquer que l'islam allait se tourner vers la démocratie, qu'il y a deux ans Jacques Attali prophétisait la mort de l'euro dans les trois mois, qu'à la même époque Patrick Artus annonçait pour 2014 un taux de la BCE entre 2 et 2,5 % (quand il est à 0,15 %). De la bêtise à revendre, mais un droit quasi aristocratique à revenir baver médiatiquement. 

    Il existe donc en ce pays une caste pour qui la rigueur et l'honnêteté intellectuelles n'existent pas. Ils sont au-dessus de ces principes qui ne sont bons que pour le petit peuple. À moins qu'ils s'en sentent exemptés puisque le même petit peuple n'est composé que de crétins.

    C'est sur ce même principe qu'Alain Juppé peut prétendre sans avoir peur du ridicule à la présidence française. Et d'entendre ces jours-ci les louanges diverses sur cet homme d'État. Un quasi visionnaire. Le même qui fut fracassé en 1997 par des législatives anticipées, qui fut condamné par la justice de ce pays pour les magouilles du RPR, qui dut démissionner de son pose de ministre d'État après avoir été battu sur son territoire par un inconnu aux législatives, qui s'est contenté des municipales bordelaises, mort de trouille qu'il est de se reprendre une veste. C'est ce qu'on appelle un homme de classe et d'envergure ! Il avait un jour dit qu'il était habité par la tentation de Venise : lâcher la politique et changer de vie. Qu'il n'hésite pas ! Qu'il aille noyer sa suffisance dans les venelles du Dorsoduro. Je suis pour ma part prêt à verser une obole pour un billet aller simple...

    Bacharan ou Juppé, c'est au fond la même boutique. Dindes et dindons d'un orgueil et d'une prétention sans bornes, installés dans un système médiatique d'une servilité pitoyable. La décadence de la France est aussi décelable par le biais de cette sclérose institutionnelle et intellectuelle. Plus la société se veut transparente, plus la République se veut exemplaire, plus ces deux pôles sécrètent le venin qui nous tue. Le pire n'est pas tant la médiocrité de ces gens que le fait que cette médiocrité dure et par un phénomène d'une grande perversité soit sanctifiée...

     

     

    (1)J'ai beaucoup de mal avec ces élans d'appartenance. Je n'aurais jamais été berlinois, ni juif allemand. De même que je ne suis ni Américain ni enfant de Gaza (c'est-à-dire enfant du Hamas...). Je n'essaie pas d'être ce que je ne serai jamais. Je n'emprunte pas des habits qui ne sont pas à ma taille et je ne parade pas pour faire genre...