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off-shore - Page 39

  • Le ridicule

    La déliquescence politique de l'heure et des deux années à venir n'incite pas à sourire. Quoique...

    L'appareillage médiatico-politique s'est mis en place pour préparer l'électeur au chevalier Juppé sauveur de la France. Le torchon des Inrocks fait sa une sur le bordelais. C'est dire que le moment est grave.

    La cinquième puissance mondiale n'a donc pas trouvé mieux que ce raté prétentieux sanctionné par la justice pour nous épargner le dragon lepéniste.

    Mon cynisme jubile, évidemment, en pensant à tous ces électeurs de gauche qui, nourris d'un anti-sarkozysme bas de plafond, ont été idiots jusqu'à voter Hollande, et seront lâches jusqu'à aller élire le meilleur d'entre nous au nom d'un républicanisme bidon dont ils sont, il est vrai, les promoteurs aphasiques. Après avoir été cocus, ils seront rampants.

    Tout compte fait, l'époque peut être drôle...

  • Chambre d'enfant

    On y installe le berceau, et la commode, où l'on glisse les vêtements si modestes des premiers mois. On a aussi la lampe douce qui constellera le plafond.

    Ainsi vient-il au monde, celui que l'on attend encore, précédé des histoires que l'on se raconte et qu'on lui murmure. C'est le prologue de l'à-venir et l'épopée du déjà-là.

    C'est la chambre. Le silence qui la sanctifie -on ouvre la porte sans brusquerie- est l'annonce des précautions que l'on prendra, à s'assurer de la quiétude de son sommeil...

  • Le pendule

     

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    Prendre le temps de s'oublier, certainement, et souvent nous nous abstenons de cet effort, parce que nous croyons que penser à celui ou à celle qui est sorti(e) de notre existence, c'est encore lui donner une place trop grande, alors qu'il n'en est rien : dans l'intervalle de ces retours se recompose une énergie qui amoindrit le souvenir, le décalcifie, le déclassifie, l'archive. Ce que nous refoulons ne finit jamais à la benne mais pourrit durablement. Il ne faut pas vider ses albums photos, ni éclaircir ses bibliothèques, moins encore alléger la boîte à bijoux, et surtout ne pas faire une croix sur la jetée ou la petite église au fond de la vallée.

     

    Photo : Mario Giacomelli

  • Éclairage

     

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    Une mienne connaissance moquait ces jours derniers les nouveaux lampadaires du quartier, leur esthétisme kitsch, qui rappelait et les fausses lanternes chinoises, et la maladresse des découpages enfantins. Ils sentent la volonté racoleuse de bien faire, sans le ravissement des anciennes œuvres forgées ; ils se veulent agréables à la vue sans la discrétion des banals éclairages angulaires hérités des années 70. Ils ont la laideur blafarde des aspirations décoratives grâce auxquelles les Homais municipaux pensent gagner la reconnaissance des administrés.

    C'est bien la pire des choses que le triomphe démocratique du mauvais goût, puisqu'on peut désormais se prévaloir de tout. Cette mienne connaissance s'en attriste et préférerait sans doute marcher dans des rues pleines d'obscurité.

    *

    Cette histoire de lampadaires ne peut être, dans le tracas qu'elle cause, anecdotique. Il y a tant d'horreurs qui nous agressent ! Ce mobilier urbain n'est pas pire que bien des artifices dits modernes. Mais il est, dans le fond, indissociable de ce triomphe de la ville tel qu'il se dessina au milieu du XIXe siècle. L'éclairage public signe l'établissement d'une métamorphose hideuse qui a fait croire à l'humanité que son bonheur tiendrait dans l'accumulation des trouvailles propres à épater sa curiosité. Le lampadaire (ou le réverbère...) est, d'une certaine manière, l'étoile de la modernité et Paris la nuit, le recueil de Brassaï, en fut, il y a près de quatre-vingts ans, l'illustration magistrale. Sa lumière blanche et/ou jaune est indissociable d'un imaginaire expressionniste dont la photographie a évidemment fait son miel.

    Mais, justement, ces nouvelles décorations ont abandonné cet héritage. On en trouve dans le quartier deux versions. Pour l'une, l'éclat est d'un rouge orangé qui donne au monde un air d'Halloween ; pour l'autre, c'est une nappe verdâtre, comme une absinthe diluée. C'est laid. On nous entoure de couleurs en croyant embellir le cadre. Belle illusion qui oublie simplement que tout se fait d'abord dans le regard des hommes...

     

    Photo : Brassaï

     

  • Ravel, conteur

    Ravel avait le goût de l'enfance. Sa musique a la générosité d'une promenade fureteuse. Ma Mère L'Oye a été composé pour deux enfants mais l'éternité en reçoit l'héritage ; c'est une magie qui touche nos vies adultes, précieusement. Et quand Martha Argerich et Lang Lang sont les semeurs de notes, le bonheur est parfait.


  • Simple

    Ce qui lui ferait peur n'est pas de perdre la main, mais de ne plus sentir la tienne, croisant la sienne, comme une tresse de chaque jour à vivre.

    Il y a l'âme de ces deux mains au-dessus de la porte que l'on ferme pour se prévaloir d'un droit au retranchement,

    retranchement des grands froids et des lourds soleils,

    et il ne s'en retourne jamais avec autant de ferveur que sachant ta main déjà posée sur la poignée de cette porte alors qu'il vient de caresser le lion du heurtoir...

  • Un certain ordre de l'histoire

    Un jour, tu saisis à quel point le renoncement a touché le monde et tes souvenirs, quand tu apprends que les nouvelles versions du Club des Cinq n'usent plus du passé simple mais du présent. Ce n'est rien, à l'échelle des malheurs du monde et de la rapidité de sa désagrégation. Rien. D'ailleurs, toi-même, quand tu écrivais encore des lettres, tu n'étais pas comme madame de Sévigné qui maniait selon l'éloignement de l'anecdote le présent ou le passé simple. Certes. Mais tu te souviens du ce qu'écrivait Harald Weinrich dans Le Temps, qui distinguait le présent figurant le commentaire et le passé (c'est-à-dire le fameux aoriste de Benvéniste, ou peu s'en faut) singularisant le récit. 

    Tel est bien le gouffre de la modernité. Il ne s'agit pas de simplifier la grammaire, et de plaire à des lecteurs de plus en plus éloignés de la langue (car, lorsqu'on est à ce point loin de sa langue, il est peu probable qu'on ait quelque passion pour le récit...). L'affaire est plus grave, dans le fond. L'effacement du passé simple est le signe de la linéarité des actions, de leur équivalence neutralisée, et par conséquent, de l'équanimité des personnages et de leurs relations. Sans passé simple, plus d'imparfait. Plus de nuances, plus d'effets. Moins encore de rebondissements. La tension est morte. 

    L'éviction du passé simple n'est pas seulement un jeu de simplification (comme il s'agirait en matière administrative). Le plus facile n'est pas le mieux en ce domaine. Il s'agit de broyer le passé, comme terreau de l'histoire. Coupé de l'énonciation, le passé simple était paradoxalement le sésame d'un autre monde, ce qui n'est pas le cas du présent. Au fond, rien d'étonnant, quand on considère les jeux modernes, étalonnés à l'indice de leur perfection technique et de leurs effets de réalisme. Le récit ne peut plus s'inscrire dans le temps, parce que l'effet de l'histoire doit être immédiat. Il n'est plus utile d'entrer doucement dans un univers. Il faut y être illico. La mise en place est une gaspillage. Les jeux vidéo le prouvent : l'important tient dans le saisissement, dans la captation instantané.

    Le passé simple est une porte par laquelle j'entre, en toute conscience, dans un univers avec lequel j'aurai à me battre, qui fera jeu avec moi, assis, conscient, sérieux. C'est l'élément de la confrontation entre le réel et la fiction, avec, toujours, ce degré nécessaire pour que je me fonde dans la seconde sans oublier la première. Le passé simple, c'est l'aspérité du réel et l'articulation de l'imaginaire. Sans lui, je suis dans l'indifférenciation, dans l'approximatif.

    La fin du passé simple, c'est le règne de l'uniformité et du lisse. Le présent, qui le supplante, est le dieu de notre époque. Il impose l'immédiat et la proximité et, par un effet pervers, il est justement ce qui neutralise la fiction, ce qui la vide de son contenu.

    Une littérature au présent est inutile. Mais n'est-ce pas là le rêve du marché-roi...

  • (céder) le passage

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    Il y a toujours un moment, une borne sans réelle consistance, où ce qui avait la forme, l'odeur, la tension d'une singularité plonge dans le commun. Saint Pancras serait, dit-on, la plus belle des gares. Atocha ne manque pas de charme, Grand Central a évidemment un parfum d'Hitchcock, la Bento de Porto fait rêver. Mais au-delà ? Au-delà de ce territoire habité et construit, de cette fourmilière plus ou moins souriante, de ces arches, arcades, volées de verre et de métal, balustrades en tous genres, ce sont les voies, les quais étirés, dans la rigueur du matin, dans l'abandon du soir. Pas encore des no man's land mais de singulières contrées froides, qui se ressemblent toutes, ayant en commun l'inhospitalité de la transition et le triomphe de la matière solide. 

    Même en ce grand désert où les lignes verticales et horizontales se battent (tout le contraire de l'autre désert, le vrai, l'unique), il n'est pas permis de traverser et l'on s'imagine aisément, alors que rien ne vient et que rien ne se passe, en plein désœuvrement. Sur le bord de la voie, loin en amont de ce qu'est la gare, l'errant qui ne voyage pas, près du précipice, est condamné à attendre. Ce n'est pas l'agitation du terminus, le brassage de Termini, pas même la torpeur d'Ostiense. C'est le pire de tout...

    Nous ne sommes nulle part et ne rêvons même pas.

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Moyen

     

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    Que puis-je être sinon un homme moyen, aspirant à la médiocrité dont les bornes sont définies par les mesures en tous genres, les évaluations les plus absurdes... Quoi que je fasse, où que j'aille, je ne vois que chiffres et estimations auxquels je dois consigner ma vie ou qui m'assignent là à l'effort, ici à la modération. Je suis, selon les cas, sous la barre, au-dessous de la ligne de flottaison.

    Je fais la comptabilité de mes contrôles. J'ai rempli les formulaires, répondu aux questionnaires, acquiescé aux sondages. Je n'ai pas à avoir d'idées mais à déterminer une plus ou moins grande conformité à l'air ambiant ; je n'ai pas à avoir d'envies mais à répondre aux lois du marché, à ses fluctuations stylistiques qui masquent le renouvellement comme moteur des profits.

    Je suis un homme moyen. L'essence de la démocratie libérale est justement de le promouvoir, d'en faire une classe à laquelle doit aspirer le plus grand nombre. La pondération des opinions et le conformisme des comportements sont mes impératifs. Je suis l'invisible apparu au tournant du XXe siècle, quand Quetelet voulait appliquer à mon existence et à mon devenir des critères chiffrés, pour que la société ait le moins à craindre possible. 

    Je suis l'homme indicé, enquêté et donc inquiété, parce que ce que je suis censé apprendre sur moi est destiné à se retourner contre moi. Le tir croisé et nourri des armes du confort m'amoindrit, le détournement assisté d'un socratisme à fins économiques me piège. Il ne s'agit plus que je me connaisse. Le but ultime est que je sois connu de qui me reste invisible.

    L'homme moyen que je suis n'est même pas une figure de cire, mais un intervalle capable de tout contenir d'un monde neutre (parce que neutralisé). Je suis le rêve éveillé d'un enregistrement de surveillance, le souvenir d'une bande passante ; j'ai la forme d'un hologramme bleuté 3x5 mètres, dans un musée d'art moderne ; j'ai la virtualité d'une option d'achat ; je suis une décote dans un imaginaire déclinable en cinquante versions.

    Ma médiocrité est celle de la terreur réinvestie en jeux du cirque. Je suis libre de croire ou de ne pas croire ; je cherche seulement à coller à mon environnement. 

    Je suis l'homme moyen attendu au columbarium, en cendres. Je suis sans terre, sans territoire, sans tombe...

     

     

     

    Photo : Klavdij Suban

  • La Fleur de l'ignorance

    Ses défenseurs disent qu'elle est brillante, intelligente, très diplômée. C'est une femme, qui plus est une image de la diversité française. Elle a tout pour elle. Elle est ministre de la Culture. Non pas qu'elle soit cultivée mais il faut des signaux forts, et la culture, la gauche en a fait depuis longtemps sa chasse gardée. Hors de ses jugements, de ses diktats, de ses préférences, de ses avant-gardes, point de salut. On se rappelle la France Jack Languisée, à coup de créateurs (1), de fêtes de la musique, de journée du patrimoine, de festivals divers, par monts et par vaux.

    Pour l'heure, la juge en chef est donc une femme, puisque l'avenir est artiste, féminin (2), open mind (comme on dit quand on a perdu la langue). Elle s'appelle Fleur Pellerin. Elle est nulle et technocrate ; elle avoue avec un aplomb certain avoir rencontré le dernier prix Nobel Patrick Modiano  et n'être pas capable de citer un seul titre de ses romans, ce qui laisse à penser qu'elle n'en a jamais lu une ligne. 

    Nonobstant la discussion sur la grandeur littéraire relative de Modiano (3) et le prestige encore plus relatif de la récompense (4), cet aveu assumé ne montre pas seulement l'inculture de la ministre ; il révèle son mépris patent pour ce qui touche à son domaine de compétence (mais, déjà, parler ainsi fait tomber l'art dans la bureaucratie). De la littérature, elle n'a que faire. La brillante n'a pas pris une heure ou deux (les livres de Modiano sont courts) pour faire illusion. Elle n'a pas à faire illusion. L'enjeu est ailleurs. Elle était, précédemment, en charge du numérique. Dans sa tête, les enjeux sont économiques. Le flux, les échanges, la sécurisation des données, le déversement en continu des informations comme matière monétisable, la transaction généralisée, voilà son domaine... Dans ce monde-là, Modiano, ou un autre, n'a pas sa place. Les livres sont morts, les écrivains sont des has-been. Modiano n'est qu'une rencontre, un dîner mondain, une inauguration de médiathèque. C'est un ruisseau. Ce n'est rien...

    Fleur Pellerin est bête. Elle n'est pas la première, mais, comme d'autres il est vrai, elle assume son ignorance, elle la revendique, à l'instar de cette jeunesse que l'on voudrait ouvrir à la culture et qui s'en moque (pour ne pas utiliser des formules plus crues). Les extrêmes se rejoignent. Le sommet de l'État méprise le savoir qui pourrait se retrancher du marché, ne pense qu'au fric, un peu comme la racaille de banlieue qui trafique ou rêve de foot. Dans les deux cas, l'idiotie triomphante se pavane...

    Il n'y a rien à espérer d'une telle évolution, sinon à prendre le parti de se retrancher dans le passé des Lettres, de la peinture et de la musique.

     

    (1)Il n'y a plus d'artistes, mais des créateurs, ce qui permet d'inclure tout et n'importe quoi, à commencer par des princes de la confection et autres dessinateurs de fringues.

    (2)Sans doute un souvenir mal digéré de la poésie d'Aragon (ou de sa version chantée, puisque les chanteurs valent les poètes...)

    (3)Modiano, c'est un peu comme Duras : trois livres intéressants (ou disons : pour le moins curieux) puis la répétition, le gimmick de la redite décalée, comme un papier peint qui jouerait sur une légère variation du motif. On ne peut pas dire que cela fasse style, sauf à mettre le décalage comme modèle esthétique absolu. Mais n'est-ce pas dans l'air du temps...

    En fait, Modiano plaît, comme Annie Ernaux, pour sa simplicité stylistique, ce qui le rend, sur un premier plan, facile à lire. Mais il réjouit aussi certains universitaires qui peut, comme avec Emmanuel Carrère, frôler l'interdit et l'embrouille, sans passer pour un esprit douteux. Il faut avoir les avoir vus et entendus se gausser des expériences narratives de Modiano pour éviter de parler du fond, de cette étrange tentation d'une réécriture ambiguë de l'histoire qui mérite, elle, un débat bien plus grave. Mais Modiano, c'est le Céline d'une recherche universitaire sans envergure...

    Quant à donner le Nobel à Modiano, c'est tout juste moins risible que de l'avoir filé à Le Clézio. Mais vraiment tout juste. Seuls les éditeurs et les libraires en tireront momentanément profit...

    (4)Les lumières du Nobel ont manqué Nabokov, Cohen et Borges. La liste pourrait être plus longue mais ces trois "oublis" suffisent pour leur retirer tout crédit.