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De la mélancolie - Page 7

  • La vue

    1-La lueur intermittente d'un phare

    2-Les photos noir et blanc dans les wagons des michelines

    3-La croix du grand Bé

    4-Le désordre dans la bibliothèque

    5-La statue de Giordano Bruno

    6-Une vieille page d'écriture, encre passée

    7-La Madone des Pèlerins

    8-L'entrebaillement d'une lourde porte sur un patio frais

    9-La buée au carreau (et l'envie d'y laisser une trace)

    10-Un visage perdu pour toujours dans la rame en sens inverse.

  • Le Bonheur de l'anamnèse

    Il faut persévérer dans ce qui n'a pas d'importance ou, pour plus d'exactitude, dans ce à quoi la légitimité ambiante n'accorde pas d'importance. C'est à ce prix que nous pouvons défigurer le monde, lui retirer ce masque sournois, mille fois vendu sur tous les canaux possibles, ce masque présent, trop présent.

    Le détail est une nourriture, une façon particulière et douce de reprendre les états éclatés du monde, tous ces descellés par quoi la puissance légitime cherche froidement à nous en priver justement, du monde, alors qu'il faut s'acharner à vouloir le recomposer.

    Je récupère les tessons de l'amphore et ce n'est pas son incomplétude qui me désolera. Il n'y a pas à rougir des failles et des manques. Il est plus regrettable d'être des rares que ces univers de terre cuite préoccupent.

  • Lapidaire

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    Tout est transparent, jusqu'à la falsification. Tu n'es pas sûr de ce que tu vois mais tu acquiesces à ce qu'on te montre.

    *

    Ce ne sont pas les fenêtres qui importent mais le sens de leur opacité.

    *

    Personne ne supporte plus le silence. Peut-être que ce silence renvoie au tien, à ce qui t'est propre, et sans murmure.

    *

    Tu requiers contre l'anecdotique et tu renonces sur l'essentiel.

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Carroussel

    Tu cherches quelque chose qui ne t'appartient pas, que tu ne veux pas posséder mais sans quoi tu te sens amputé. Ni rêve, ni cauchemar. C'est la geste souterraine de ta vie, geste sans fin qui te jette régulièrement au fossé...

  • Veille

    Se mettre au silence, comme on dit : se mettre au yoga, ou à la peinture sur soie... C'est ainsi qu'on en arrive à cette im-posture du retrait. Dans les hautes sphères, ils diront : faire une cure médiatique.

    Se mettre au silence, se mettre au régime : à quelque chose qui serait comme un affadissement de soi, une dimension, alors que, au contraire, il s'agit plutôt de retrouver de la matière, d'être consistant par le fait même de n'être plus là, plus autant là.

    Il n'est pas question de fuir, d'être en retrait (expression à la mode, pour signifier qu'on revient de suite. Un peu comme la concierge qui est dans l'escalier.), mais de respirer.

    -Tu ne dis rien ?

    -Pourquoi faudrait-il que je parle ? 

    Considérons que le silence n'est pas un état mais une recherche, une condition sine qua non pour agir et être, comme Nietzsche évoquait l'oubli.

  • Sans condition

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    Ce qu'il reste de l'été, ou du printemps, ou de n'importe quel jour. Les choses. Les apprêtés de nos conciliabules et des bouteilles vidées. Tout est léger, ainsi vu, de loin, de haut, à mille lieues (tu exagères) de ce qu'il a fallu comme énergie pour garder l'équilibre. Quand tout est ainsi, posé, fermé et comme appesanti du jour qui s'évanouit, il demeure en toi une ineffable musique que toutes les couleurs du monde ne pourraient jamais contenir....

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Miossec, inattendu

    Les reprises, en pop ou ailleurs, c'est souvent une vaste fumisterie, un ratage complet, sans parler d'une escroquerie morale et artistique (quand Bruel, par exemple, ose chanter Barbara. J'en connais que cela écœure au plus haut point et je les comprends). 

    Quand Miossec reprend Joe Dassin, c'est pour clore le  très beau film de Laurence Ferreira Barbosa, J'ai horreur de l'amour, sorti en 1997 dans lequel Jeanne Balibar en médecin généraliste séduit encore, Laurent Lucas, patient séropositif, montre la grandeur de son talent et Jean-Quentin Châtelain effraie de toute son hypocondrie. Certes il ne chante pas, le finistérien, (de toute manière, il n'a jamais vraiment chanté...), mais c'est justement dans l'impossibilité de placer sa voix, de la monter ou de la descendre qu'on sent qu'il colle au sujet...


     

  • Par défaut

    Il aimait bien cette idée de tout arrêter, de tourner la page, juste pour sentir l'effroi, ou le soulagement, qu'il y avait derrière, comme l'imaginaire d'un film ressemblant à s'y méprendre au scénario de Barbe-bleue.

    Ce n'était pas à proprement parler un désir, plutôt une tentation : d'en finir. Et pour plus d'exactitude, avec tout l'élan métaphorique qui sied, de mettre les voiles. Ne pas annoncer simplement qu'il baissait le rideau, mais qu'il allait voir ailleurs, dans un univers solitaire, pour se refaire une santé, anonyme et silencieux.

    L'usure : à la fois la fatigue, et le prix exorbitant que l'on paie

    et lui avait envie de perdre tout crédit, de ne plus circuler entre les rangs. Il n'y avait rien d'héroïque à être traversé d'une telle fébrilité.

    Il aimait bien cette mortalité soudaine de l'envie, en ces temps épuisants où il fallait être fort, lourd, énergique, affamé, etc., etc., etc.

    La volatilité est une propriété qui le faisait rêver, l'une des ultimes aventures contemporaines, comme le feu de l'orage cinglant le haut du mât, sans laisser de souvenirs, juste une impression, une sensation intime, pour laquelle on chercherait en vain le moindre mot...

  • En nous

    C'est bien l'altérité, celle dont parle si justement Lévinas, de ce visage qui continue de vivre en nous, malgré le lointain, le silence ou la disparition, de ce visage que le temps singulier n'altère pas, comme un suaire faisant encoches dans le présent.

    Elle arrache de la sollicitude affectée et de la comptabilité des rendez-vous, quand tant, au jour le jour, de masques nous entretiennent sans fond.

    Toutes les biométries du monde n'emporteront jamais la beauté sereine de ce visage, vivant dans le territoire entier de notre corps, se déplaçant du cœur de notre existence jusqu'à l'épiderme.

    Ce qui fait de toi une vérité. Alétheia : chez les Grecs, la suppression de l'oubli...

  • Au plus simple

    Pour celle sans qui Dostoïeski serait encore une contrée énigmatique

     

    Tu ne liras pas tout. Loin s'en faut. Et tu n'en prends pas ombrage. Tu as même perdu la terrible angoisse de ce qu'on appelle les années de formation, quand tu croyais que la littérature, les livres, seraient un sésame vers un monde autre et une ouverture, sans que tu saches toujours très bien ce que serait cette ouverture. Tu as essayé d'aborder ce monde avec un certain systématisme et tu ne t'y es pas tenu. Il fallait trop de rigueur, trop d'abnégation et, sans doute, un esprit trop carriériste. La bibliothèque était gigantesque et un jour, tu ne t'es pas vu lire des œuvres médiocres mais utiles. Tu as eu peur, puis la peur a reflué, parce que tu as compris que tu n'étais que toi et que les rayonnages du monde n'étaient pas là pour t'écraser mais pour t'inciter à vivre, à vivre en prenant le temps, à commencer par ce temps nécessaire où exister ne peut s'éprouver qu'en se retranchant du monde.

    Un jour, tu n'as plus craint d'être celui qui devait dire non ou je ne sais pas. Il fallait reconnaître que les livres étaient par essence une contrée plus infinie que le monde, plus riche aussi. Et ce serait toujours, d'une certaine façon, une odyssée sans retour. C'est justement ce vagabondage qui, dans le fond, t'aura plus, ce cabotage entre les îles des œuvres, un peu comme dans le Faustroll de Jarry. N'être jamais rétif devant l'inconnu, être insoucieux d'une cartographie organisée des lectures. Aimer les classiques, fureter vers l'Enfer, se réjouir des relégués, s'éblouir des indifférents à la gloire : tel est le bonheur de la littérature. Une peuplade d'énergumènes, une pérégrination au milieu des paysages les plus insolites et les moins raccordés parfois. La seule politique qui ne puisse pas t'aigrir ou te mécontenter. Il suffit d'une page, de quelques lignes pour que la médiocrité passe au second plan. Un écrivain ne compte pas pour tout ce qu'il a écrit, mais pour ces particules élémentaires dont la durée en nous est infinie, à la fois étrangères à ce que nous sommes et révélatrices de ce que nous voulions chercher sans s'avouer qu'on le cherchait.

    Voilà pourquoi les livres, dans l'étendue océanique qu'ils représentent, ne peuvent t'effrayer dans la petitesse qu'ils imposent à ce que tu es. La gratitude que tu leur dois n'est pas dans l'infini territoire qu'ils bornent mais dans la profondeur, elle aussi infinie, qu'ils ouvrent en toi.