usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

De la mélancolie - Page 10

  • À...

    À la vie, à la mort... en spéculant sur la vie, en hypothéquant la mort...

  • "Where have they been..."

    Il faut aussi fermer la porte à nos séances d'analyse, à nos heures à chercher de repos et mettre au tiroir nos gribouillis inachevés. Mais ce n'est pas si simple, et nous avons aussi nos mièvreries, je l'ai déjà écrit dans un billet, de même que certaines choses qui ne passent pas, qui ne passeront jamais, dans tous les sens possibles du verbe, entre douceur, ardeur et mélancolie. Elles ne s'oublient pas, jamais. Comme le Decades de Joy Division, avec la voix glacée de Ian Curtis...


  • Algorithmes

     

    19487148103_dc8f3db039_o.jpg

    Des nœuds, des carrefours ; le maillage et les réseaux ; service de nuit et trafic régulier ; vacances et jours fériés ; bus, trams et métros ; les échangeurs, les terminus et les arrêts ; les quais, les trottoirs, tunnels et escalators ; tout un jeu de correspondances

     

    sans que jamais nous ne nous croisions plus

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Sémaphores

    Elle est dans le vrai, celle qui écrit que « la nostalgie, c’est ce qui fait rentrer chez soi, quitte à y trouver le temps qui passe, la mort et, pire, la vieillesse, plutôt que l’immortalité ». Mille fois raison. Et qu’on ne fait pas retour pour ce qui nous a manqué mais pour aller bien au-delà du chemin parcouru. Il ne s’agit pas de retrouver les empreintes de nos anciennes pérégrinations, loin s’en faut. Plutôt : prendre la traverse, le fossé, charger dans le taillis et passer les murets. On ne revient jamais pour le même. On gravite autour du mystère qu’on a laissé et qui ne peut être mystère que parce qu’on l’a laissé mystère, et qu’on ne peut le savoir être là que parce que l’indicible nous manque.

    Vous découvrez Séville, ou Ely, ou le Bosphore. Figures étrangères. , c’est d’une envergure plus nette, et plus grave. Cet autre endroit vers lequel vous voulez revenir, vous en savez assez, et donc trop peu, pour espérer le redécouvrir. Une expérience différente, parce que différée. Le d’une musique intérieure qui ne vous a jamais quitté, alors que tous les nuages de tous les ciels sont en cohue dans votre mémoire…

     

  • Sine die

    Plus envie d'alimenter Off-Shore. Pour longtemps ou pas, définitivement ou pas, je n'en sais rien...

    Pour le moment, c'est off...

     

    Et donc un morceau de circonstance, le magnifique Let down de Radiohead

     


     

  • Se rendre (à l'évidence)

    Ils ne sont plus de notre temps, mais ailleurs, comme si les heures s'étaient converties dans l'espace ; ils sont partis, selon l'usage mou, parfois, de la langue. Et nous regrettons la ponctualité pointilleuse de l'une, ou les retards répétés de l'autre. Nous n'amoindrissons pas là leurs défauts, mais ces agaçantes manies qui étaient eux étaient aussi nôtres et c'est tardivement que nous le comprenons.

    Ils nous ont laissé tout le temps qu'il faut, désormais, c'est-à-dire plus que nécessaire. Nous n'avons plus à nous rendre dans telle rue, ou dans telle ville, puisque nous n'y connaissons plus personne. Au moins n'avons-nous pas à faire de pèlerinage ou à entretenir la flamme annuelle et singulièrement artificielle de la commémoration. C'est inutile : la mémoire roule sa bosse toute seule. Un jour, elle m'avait vertement tancé de ne pas avoir pris mes précautions et de l'avoir laisser se transir sur la place ; et lui, que je n'avais même pas attendu tant son retard était important, avec son histoire (ultérieurement racontée par téléphone) de bus coincé sous un pont, était peu crédible. 

    Eux deux furent les premiers, puis, petit à petit, d'autres, sur lesquels je pourrais médire tout autant, ont fait de même : prendre le large.

    J'ai désormais des heures infinies et à travers la fenêtre de mon bureau, je contemple le grand lac qui gèle tout l'hiver. Il abandonnera son masque au printemps, et ce n'est pas une consolation...

  • Polyptyque

    Le mur décrépi est un catalogue d'histoires, à bien y regarder...

     

    L'arbre frappé de la foudre ne bruisse plus mais il agite plus que les grands feuillages de l'allée tes rêves...

     

    Le reste de la nuit est dans la buée que tu essuies au carreau de la cuisine...

     

    La bassine d'eau croupissante, dans la cour, quantifie les précipitations mais ne dit rien de la violence des averses...

  • Le goût de l'aléatoire

    Kline_no2.jpg

    Franz Kline, Painting Number 2, 1954, MoMA 

     

    Vous étiez à Lisbonne et vous y avez croisé votre voisine ; dans les rues d'Ax-les-Thermes, c'était une relation professionnelle ; à Rome, la sympathique serveuse de votre bar préféré, et dernièrement, à Lavenham, vous avez eu la surprise de croiser votre coiffeur.

    À chaque fois, le même étonnement amusé et les mêmes échanges convenus sur le hasard. Faire autant de kilomètres pour se retrouver (presque) chez soi. C'est à ne pas y croire et pourtant rien de plus vrai, rien de plus réel. 

    Mais voilà qu'un jour, un esprit sérieux, fondant sa loi sur les probabilités et sans doute quelques honteux logarithmes, vient doucher votre béatitude en vous expliquant que ces hasards non seulement sont fréquents mais qu'il est statistiquement logique qu'ils se produisent plutôt que l'inverse. En clair : prenez l'avion pour Bamako, Brisbane ou Bangkok et vous y retrouverez à coup sûr une compagnie du coin de la rue. Bien sûr, vous n'y croyez pas. Vous faites la sourde oreille, jusqu'à cette occasion où, dans une assemblée d'une quinzaine de personnes, vous menez votre enquête et là, la rigueur mathématique vous enlève votre petit sourire ironique, puisque chacun (ou presque) a loisir de raconter la même histoire, de cette rencontre improbable, à N'djamena, à Valdagno, à Clovely, à Edimbourgh, à la pointe de la Torche, etc, etc, etc.

    Ainsi va le monde quantifié, statistifié, probabilisé. Il nous ramène à autant de lignes déjà écrites, de trajectoires déjà tracées. Ce n'est pas seulement que tout soit parcouru : il faut que le mystère de l'existence se plie à la raideur des évaluations. Du point de vue de la logique, la science a raison, terriblement raison, et nous, qui croyons encore aux aventures, même les plus minuscules, sommes de grands enfants un peu grotesques. Nous retrouvons Paul ou Jacques (perdus de vue depuis au moins cinq ans) devant un tableau au MoMA et ces retrouvailles impromptues sont aussi riches de souvenir que le Franz Kline dont nous admirions les gestes rageurs. Mais ce n'était rien que l'énième vérification d'une loi qui règle notre existence. 

    Sur ce plan, la science est sèche et obscène. Elle ne me dit rien sur la beauté et l'intensité des sentiments. Elle est froide, quand nos illusions et notre naïveté cherchent à nourrir la banalité de la vie d'un semblant de mystère. J'ai envie de croire à l'imprévu de ces trajectoires, parce que ce sont les œuvres de cet imprévu qui, entre autres, m'offre des souvenirs, me permet de broder sur la vie et me nourrit. Je n'ai pas et je n'aurai jamais la saveur des chiffres. Sans doute est-ce un tort, dans un monde qui rationalise le plus possible ? Mais je sais que la prochaine rencontre en un lieu incertain, à une heure improbable, dans l'élan même qu'elle engendrera, m'offrira étonnement et plaisir, balaiera sans coup férir la formule fatale qui est censée tout expliquer...

  • L'encombrement du virtuel

    Dernièrement, une mienne connaissance s'alarme. Son portable a rendu l'âme (en fait, il n'en sera rien. Il ressuscite le lendemain (1)) : elle n'avait pas sauvegardé des photos. Elle ne les avait pas exportées sur son cloud. Tel est l'indispensable de la communication actuelle : avoir son nuage (à défaut d'être sur un nuage, ou dans les nuages), où tout le précieux informatif de l'existence sera préservé. 

    Ainsi sommes-nous environnés sans le savoir d'une nébuleuse atmosphérique codée en je ne sais quel langage, une sorte de banque de données invisibles où je puis aller chercher ce que je ne veux pas perdre...

    Un nuage, donc. Un cloud. La métaphore ne manque pas de sel, si l'on veut représenter l'impalpable, mais c'est justement dans la facilité de la comparaison que naît la mélancolie. Triste nuage contemporain, en effet, que celui-ci, par quoi je deviens banquier d'une mémoire, la mienne, sans épaisseur, sans matière. Sinistre représentation que d'imaginer l'individu suivi comme son ombre par son nuage fourre-tout, dont il peut saisir à chaque instant une donnée, un élément, une information.

    L'étranger de Baudelaire, dans Les Petits Poèmes en prose, tirait sa singularité et son mystère de ce qu'il parcourait le monde en regardant les nuages, les vrais, avec leurs formes changeantes et rêveuses. Ce n'était pas un bagage que ces métamorphoses perpétuelles qui le faisaient lever les yeux mais une destination (pour ne pas dire : un destin). Ils étaient dans le monde et leur existence transitoire n'était pas vaine mais une manière de pénétrer dans ce monde. On y mélangeait l'improbable des correspondances et le libre vagabondage des coïncidences. Les nuages n'étaient pas rien : ils furent une des raisons d'être de la peinture, des Flamands tourmentés aux impressionnistes évanescents. Le nuage court devant les yeux ravis, comme un des rares plaisirs enfantins qui ait pu survivre à notre rigueur d'adulte. Il suffit de ne rien faire, d'être là, les bras croisés ou derrière la tête, à la proue d'un navire ou sur la grève, et de passer des heures à contempler la solitude d'une ouate dans un ciel très bleu, ou le vertige d'un ciel qui se noircit. Ce n'est pas rien faire que d'engranger une beauté furtive, parfois légère, parfois soucieuse. Ce sont les nuages qui articulent mieux que tout notre ébriété amoureuse et notre soif d'aventure. Le nuage est beau de la perte qu'il préfigure et de la liberté qu'il nous laisse. 

    Le cloud informatique et contemporain est la négation de tout cela. Il est une prothèse de notre assujettissement à l'immédiat. C'est une décharge, une poubelle. Une poubelle pour têtes cumulatives. C'est le capital du vide.

     

    (1)Il faut être moderne et mélanger les références et, en l'espèce, le portable est une transcendance du contemporain. 

  • En retrait


    matthew-pillsbury-102.jpg

     

    Je suis le sujet isolé, dans l'angle, là.

    Non celui qu'on a écarté, ou qui se serait écarté, pour faire bande à part.

    Rien de tout cela,

    mais dans le second (voire le troisième) plan, je ne fais que passer, inconcerné par l'histoire qui se joue ou que l'on fait mine de jouer, et que je vois,

    lointainement.

    Je cherche, sans être trop pressé de trouver, parmi les grandes agitations de l'heure. Ma montre est intérieure. Peut-être est-ce pour cela qu'on pense que je suis ailleurs.

    Bientôt, je ne suis plus dans l'angle.

    Nulle part. 

    Inexistant ; et c'est ainsi même que j'existe, libre de me mouvoir pour toucher qui me touche et vivre lentement, lentement.

    Certainement, il m'arrive de revenir dans l'angle même, dit-on. Je coupe parfois le devant de la scène, comme un inconscient. Pure folie dont je ne garde ni orgueil ni souvenir aigu. 

    C'est une vague lueur, un négatif de ma vie...

    Photo : Matthew Pillsbury