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politique - Page 6

  • La politique en 140 signes

    Le désastre politique ne se mesure pas toujours à l'aune des déclarations idiotes, des approximations coupables, des veuleries de toutes sortes, et autres aveux d'impuissance. Il prend parfois la forme de la bonne volonté, d'un éclair de lucidité qui, par son surgissement tardif, ne peut même plus sauver celui qui en est l'auteur.

    C'est bien ainsi que l'on jugera la déclaration faite cette semaine par Philippe Martin. Certes, il n'est pas très connu du grand public. Il ne fut que le ministre de l'écologie de la présidence Hollande, et cette obscurité est une preuve supplémentaire de la dimension ectoplasmique du pouvoir présent. Il a été débarqué, en juin dernier, au nom des équilibres inutiles et d'une parité imbécile. Il est donc retourné vers la base (si l'on peut appeler base un député qui fut par ailleurs président de conseil général) et de cette expérience au milieu de la vraie vie, des vrais gens (et autres naiseries d'une certaine critique du système...), il en a tiré une leçon magistrale : il a fermé son compte twitter ! Fichtre !

    Il s'en explique via quelques tweets de fin (n'est-ce pas magique...) dont deux d'entre eux méritent citation : « prendre conscience qu'on prend plus de temps à réagir et commenter qu'à agir ou faire » pour le premier ; « se rappeler Bossuet : « il faut laisser le passé dans l'oubli et l'avenir à la Providence » pour le second.

    Voilà qui n'est pas rien : un homme politique qui prend conscience de l'inanité du tweet généralisé et du sens (ou plutôt du non-sens) qui en découle. Le vide comblé à la minute, la pulsion à défaut de la pensée, la dextérité du pouce plutôt que la fluidité de l'esprit. Je suis bien aise que le Martin ait renoncé, après avoir cédé aux injonctions de ses conseillers en communication, mais la fermeture de son compte en forme d'événement montre à quel point il n'a pas encore vraiment compris tout ce que ce cirque cachait de venin. Qu'il lui ait fallu d'être viré et un temps aussi long pour déplorer ce que les anti-modernes (ou ainsi désignés par les gens dans le vent, les anti-réacs dont le parti socialiste regorge...) dénonce depuis longtemps, c'est un peu triste. Sa découverte n'en est pas une et son appel à la mesure est trop tardif. Tout cela ne rend que plus clair le dépérissement de la pensée politique. Il faut aux histrions de la mascarade cheoir pour que les masques tombent et que cette belle démocratie de l'information prenne cette forme d'illusion permanente et de logorrhée hystérique pour que le sieur Martin en revienne à un peu de lucidité. Grand bien lui fasse, mais c'est, de mon point de vue, trop tard...

    Quant à citer l'aigle de Meaux, évidemment, on sourit. Un socialiste bon teint, baigné de cet anti-cléricalisme grotesque, allant chercher un moraliste du XVIIe siècle. Si toutefois les gens de sa secte pouvaient en faire plus ample lecture, nous n'aurions pas tout perdu. Mais il fait tenir l'ardent orateur en cent quarante signes, c'est trop peu. Voici qui sera plus profitable, extrait du Sermon pour le jour de Pâques :

     

    La vie humaine est semblable à un chemin dont l'issue est un précipice affreux. On nous en avertit dès le premier pas ; mais la loi est portée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arrière. Marche ! marche ! Un poids invincible, une force irrésistible nous entraîne. Il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route. Encore si je pouvais éviter ce précipice affreux ! Non, non, il faut marcher, il faut courir : telle est la rapidité des années. On se console pourtant parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait s'arrêter : Marche ! marche ! Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé ; fracas effroyable ! inévitable ruine ! On se console, parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir et quelques fruits qu'on perd en les goûtant : enchantement ! illusion ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux : déjà tout commence à s'effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires : tout se ternit, tout s'efface. L'ombre de la mort se présente ; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord. Encore un pas : déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent. Il faut marcher on voudrait retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé. 

  • Personnel politique (groupe nominal)

    Puisque l'affaire ne s'improvise plus, en considération de la complexité du monde, la politique s'est professionnalisée et nous avons désormais un personnel politique, à plein temps.

    Oui, un personnel politique, comme nous avons du personnel de maison. Certes les émoluments, les avantages et les places ne sont pas de même nature. Ils ne sont pas des bonnes et des valets. Ils ne se voient pas comme tels. Ils ont une fort belle opinion d'eux-mêmes, à la fois faiseur de lois et au dessus des lois. Et leurs mensonges, leur couardise et leur art de manger à tous les rateliers les désignent surtout comme des laquais et des hommes de main de l'ordre libéral, bref : petit personnel servile et qui oublie toujours que "au le plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul" (Montaigne)...

     

  • Pour finir...

    Plus nous votons, plus la fréquence électorale s'accroît, plus la démocratie (ou son semblant) s'éloigne. Le passage du septennat au quinquennat n'est rien d'autre que le parachèvement de cette illusion qui substitue la fréquence compulsive au temps du politique réfléchi. On pourrait en dire autant de la décentralisation.

    *

    Nous voterons en mars pour les cantonales et en décembre pour les régionales. Il n'était pas souhaitable que tout ce cirque se passât le même jour. Les électeurs s'y seraient, paraît-il, perdus. Étrange argumentaire que cette infantile préservation du citoyen...

    *

    Pour le moins, 2015 sera rentable pour les sondeurs, les experts en tous genres et les analystes politiques. Il faut que la démocratie profite à quelques-uns.

    *

    Le vote est devenu l'inexistence du citoyen, et le citoyen la disparition de l'homme.

    *

    Bulletins blancs : les débats autour de leur comptabilité inquiètent. Il s'agit de masquer quelque chose.

    *

    Faisons les comptes : 

    D'un côté, les bulletins blancs et nuls, les abstentions...

    De l'autre, les voix...

    Comme si les premiers n'avaient rien dit, n'avaient rien à dire, n'existaient pas. De fait, la démocratie impose ses règles et efface ceux qui, sans violence, en contestent le fonctionnement (et s'ils le font par la voie des urnes, ce sont des populistes...)

  • Le ridicule

    La déliquescence politique de l'heure et des deux années à venir n'incite pas à sourire. Quoique...

    L'appareillage médiatico-politique s'est mis en place pour préparer l'électeur au chevalier Juppé sauveur de la France. Le torchon des Inrocks fait sa une sur le bordelais. C'est dire que le moment est grave.

    La cinquième puissance mondiale n'a donc pas trouvé mieux que ce raté prétentieux sanctionné par la justice pour nous épargner le dragon lepéniste.

    Mon cynisme jubile, évidemment, en pensant à tous ces électeurs de gauche qui, nourris d'un anti-sarkozysme bas de plafond, ont été idiots jusqu'à voter Hollande, et seront lâches jusqu'à aller élire le meilleur d'entre nous au nom d'un républicanisme bidon dont ils sont, il est vrai, les promoteurs aphasiques. Après avoir été cocus, ils seront rampants.

    Tout compte fait, l'époque peut être drôle...

  • Moyen

     

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    Que puis-je être sinon un homme moyen, aspirant à la médiocrité dont les bornes sont définies par les mesures en tous genres, les évaluations les plus absurdes... Quoi que je fasse, où que j'aille, je ne vois que chiffres et estimations auxquels je dois consigner ma vie ou qui m'assignent là à l'effort, ici à la modération. Je suis, selon les cas, sous la barre, au-dessous de la ligne de flottaison.

    Je fais la comptabilité de mes contrôles. J'ai rempli les formulaires, répondu aux questionnaires, acquiescé aux sondages. Je n'ai pas à avoir d'idées mais à déterminer une plus ou moins grande conformité à l'air ambiant ; je n'ai pas à avoir d'envies mais à répondre aux lois du marché, à ses fluctuations stylistiques qui masquent le renouvellement comme moteur des profits.

    Je suis un homme moyen. L'essence de la démocratie libérale est justement de le promouvoir, d'en faire une classe à laquelle doit aspirer le plus grand nombre. La pondération des opinions et le conformisme des comportements sont mes impératifs. Je suis l'invisible apparu au tournant du XXe siècle, quand Quetelet voulait appliquer à mon existence et à mon devenir des critères chiffrés, pour que la société ait le moins à craindre possible. 

    Je suis l'homme indicé, enquêté et donc inquiété, parce que ce que je suis censé apprendre sur moi est destiné à se retourner contre moi. Le tir croisé et nourri des armes du confort m'amoindrit, le détournement assisté d'un socratisme à fins économiques me piège. Il ne s'agit plus que je me connaisse. Le but ultime est que je sois connu de qui me reste invisible.

    L'homme moyen que je suis n'est même pas une figure de cire, mais un intervalle capable de tout contenir d'un monde neutre (parce que neutralisé). Je suis le rêve éveillé d'un enregistrement de surveillance, le souvenir d'une bande passante ; j'ai la forme d'un hologramme bleuté 3x5 mètres, dans un musée d'art moderne ; j'ai la virtualité d'une option d'achat ; je suis une décote dans un imaginaire déclinable en cinquante versions.

    Ma médiocrité est celle de la terreur réinvestie en jeux du cirque. Je suis libre de croire ou de ne pas croire ; je cherche seulement à coller à mon environnement. 

    Je suis l'homme moyen attendu au columbarium, en cendres. Je suis sans terre, sans territoire, sans tombe...

     

     

     

    Photo : Klavdij Suban

  • La Fleur de l'ignorance

    Ses défenseurs disent qu'elle est brillante, intelligente, très diplômée. C'est une femme, qui plus est une image de la diversité française. Elle a tout pour elle. Elle est ministre de la Culture. Non pas qu'elle soit cultivée mais il faut des signaux forts, et la culture, la gauche en a fait depuis longtemps sa chasse gardée. Hors de ses jugements, de ses diktats, de ses préférences, de ses avant-gardes, point de salut. On se rappelle la France Jack Languisée, à coup de créateurs (1), de fêtes de la musique, de journée du patrimoine, de festivals divers, par monts et par vaux.

    Pour l'heure, la juge en chef est donc une femme, puisque l'avenir est artiste, féminin (2), open mind (comme on dit quand on a perdu la langue). Elle s'appelle Fleur Pellerin. Elle est nulle et technocrate ; elle avoue avec un aplomb certain avoir rencontré le dernier prix Nobel Patrick Modiano  et n'être pas capable de citer un seul titre de ses romans, ce qui laisse à penser qu'elle n'en a jamais lu une ligne. 

    Nonobstant la discussion sur la grandeur littéraire relative de Modiano (3) et le prestige encore plus relatif de la récompense (4), cet aveu assumé ne montre pas seulement l'inculture de la ministre ; il révèle son mépris patent pour ce qui touche à son domaine de compétence (mais, déjà, parler ainsi fait tomber l'art dans la bureaucratie). De la littérature, elle n'a que faire. La brillante n'a pas pris une heure ou deux (les livres de Modiano sont courts) pour faire illusion. Elle n'a pas à faire illusion. L'enjeu est ailleurs. Elle était, précédemment, en charge du numérique. Dans sa tête, les enjeux sont économiques. Le flux, les échanges, la sécurisation des données, le déversement en continu des informations comme matière monétisable, la transaction généralisée, voilà son domaine... Dans ce monde-là, Modiano, ou un autre, n'a pas sa place. Les livres sont morts, les écrivains sont des has-been. Modiano n'est qu'une rencontre, un dîner mondain, une inauguration de médiathèque. C'est un ruisseau. Ce n'est rien...

    Fleur Pellerin est bête. Elle n'est pas la première, mais, comme d'autres il est vrai, elle assume son ignorance, elle la revendique, à l'instar de cette jeunesse que l'on voudrait ouvrir à la culture et qui s'en moque (pour ne pas utiliser des formules plus crues). Les extrêmes se rejoignent. Le sommet de l'État méprise le savoir qui pourrait se retrancher du marché, ne pense qu'au fric, un peu comme la racaille de banlieue qui trafique ou rêve de foot. Dans les deux cas, l'idiotie triomphante se pavane...

    Il n'y a rien à espérer d'une telle évolution, sinon à prendre le parti de se retrancher dans le passé des Lettres, de la peinture et de la musique.

     

    (1)Il n'y a plus d'artistes, mais des créateurs, ce qui permet d'inclure tout et n'importe quoi, à commencer par des princes de la confection et autres dessinateurs de fringues.

    (2)Sans doute un souvenir mal digéré de la poésie d'Aragon (ou de sa version chantée, puisque les chanteurs valent les poètes...)

    (3)Modiano, c'est un peu comme Duras : trois livres intéressants (ou disons : pour le moins curieux) puis la répétition, le gimmick de la redite décalée, comme un papier peint qui jouerait sur une légère variation du motif. On ne peut pas dire que cela fasse style, sauf à mettre le décalage comme modèle esthétique absolu. Mais n'est-ce pas dans l'air du temps...

    En fait, Modiano plaît, comme Annie Ernaux, pour sa simplicité stylistique, ce qui le rend, sur un premier plan, facile à lire. Mais il réjouit aussi certains universitaires qui peut, comme avec Emmanuel Carrère, frôler l'interdit et l'embrouille, sans passer pour un esprit douteux. Il faut avoir les avoir vus et entendus se gausser des expériences narratives de Modiano pour éviter de parler du fond, de cette étrange tentation d'une réécriture ambiguë de l'histoire qui mérite, elle, un débat bien plus grave. Mais Modiano, c'est le Céline d'une recherche universitaire sans envergure...

    Quant à donner le Nobel à Modiano, c'est tout juste moins risible que de l'avoir filé à Le Clézio. Mais vraiment tout juste. Seuls les éditeurs et les libraires en tireront momentanément profit...

    (4)Les lumières du Nobel ont manqué Nabokov, Cohen et Borges. La liste pourrait être plus longue mais ces trois "oublis" suffisent pour leur retirer tout crédit.

  • La Liberté fumeuse

     

     

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    Ne sont-ils pas mignons, tous ces libertaires gauchos qui roulent leurs joints... Pour la matière première, ils participent de l'économie de la drogue et des exploitations économiques, sociales et politiques afférentes, exploitations qui passent aussi par la terreur, la violence et le meurtre. Pour l'emballage, ils se fournissent souvent chez OCB, possession de Vincent Bolloré, multi-millionnaire, grand ami de Sarkozy. C'est d'ailleurs sur son bateau qu'il avait fêté sa victoire présidentielle. Dès lors, dans les deux cas, il n'est pas nécessaire de jouer les anti-capitalistes et les marginaux. Leur esprit contestataire tombe à plein dans les lois du marché.

    Quand vous exposez cela à ces joyeux drilles narcissiques, ces libéraux qui s'ignorent (ou feignent d'ignorer ce qu'ils sont), ils vous répondent que c'est chercher la petite bête, que ce n'est pas pareil, que les multinationales font bien pire, que vous êtes un moraliste ennuyeux, qu'il n'y a pas de rapport entre ce qu'ils font et l'organisation générale de l'économie, qu'ils ne sont pas méchants, qu'ils aiment les gens, et qu'ils voudraient qu'on s'aime tous...

    On a le choix de l'interprétation : angélisme ou cynisme ? Ils sont dans l'air du temps...

     

    Photo : Thomas Farkas

  • Le Joujou du Pauvre

    Le pouvoir en place réaliste, lucide, responsable, enfin tous ces adjectifs périphrastiques pour ne pas dire qu'il n'est qu'un pantin soumis à l'idéal ultra-libéral, a sorti il y a peu un rejeton paraît-il brillant énarque, rothschildien et de gauche. Un homme moderne. 

    Ce petit vaniteux a d'abord traité quelques ouvrières d'illettrées mais ce n'était, nous a-t-on dit, que maladresse liée à son manque d'expérience politique. Façon singulière et sans doute pas volontaire d'avouer d'abord que le politique en tant que langue est d'abord un écran de fumée et de révéler ensuite qu'en privé, ce mépris qu'on ne peut afficher ouvertement, est le terreau de notre penseur.

    Notre homme a récidivé cette semaine. il a voulu nous expliquer les pesanteurs de la France, les verrous qui l'empêchent d'avancer corps et âme, et avec profit, dans ce début de siècle. Pour que nous ayons notre part du gâteau, il faut réformer. Verbe magique qui ne veut rien dire quand on l'emploie ainsi dans sa forme absolue. Réformer, certes, mais quoi ? Le bellâtre lettré (il aime les citations pour en imposer) n'a pas tardé à nous donner la quintessence de sa réflexion, et c'est ainsi que nous avons appris que le bonheur était dans la libéralisation des transports en autocar. Rien de moins ! Devant une telle évidence, on s'étonne que nul politique n'y ait pensé plus tôt. L'oxygène économique hexagonal est dans le bus. C'est réconfortant de trouver un esprit capable de telles envolées et une belle preuve que le déclinisme ambiant n'est pas de mise.

    Et notre héraut/héros de la modernité libérale d'ajouter que grâce à cette mesure,  "les pauvres pourront voyager". Ils étaient jusqu'alors des encroûtés, réduits au petit périmètre de leur zone. Ils vont pouvoir sortir et s'aérer. Pour eux l'autocar ! et Lille-Lyon en 10 heures, ou Paris-Bordeaux en 9 heures, à moins que ce ne soit Marseille-Saint-Malo en 16 heures. Autant d'altruisme fait chaud au cœur. Du moins, si l'on veut avoir l'esprit aussi condescendant que l'auteur de cette annonce...

    Parce que cette association des pauvres et de l'autocar ne fait pas sourire celui ou celle qui a vécu aux États-Unis et qui sait qu'elle est un des signes les plus visibles de la ségrégation économique. Aux argentés, l'avion et la voiture, et éventuellement le train. Aux pauvres, le bus, pour aller de ville en ville. Était-ce à ce modèle économique et social que pensait ce prétentieux cacique de la gauche libérale ? Avait-il en tête l'approfondissement des logiques de ghettoïsation qui font que les transports, aux États-Unis, sont un trait majeur de civilisation par quoi on constate que les gens vivent effectivement sans jamais se croiser (n'imaginons même pas qu'ils puissent se parler...) ? Derrière cette mesure qui a fait sourire par son ridicule (si l'on veut bien considérer la gravité de la situation), il y a peut-être le pire de ce que peuvent faire désormais ces socio-libéraux (2) qui œuvrent à marche forcée avec le zèle des convertis. L'américanisation de la pensée se cache aussi dans cette manière sournoise de vouloir creuser les inégalités et de dessiner, dans la géographie, la topographie et les logiques de circulation, une compartimentation du monde. 

    Il eût été plus de gauche de s'inquiéter de la tarification obscure de la SNCF et des profits écœurants des sociétés d'autoroutes (1). Laissons le délire autour du TGV puisqu'il sert à des hommes d'affaires qui font régler la facture par leur entreprise, quand le voyageur lambda paie plein pot. Mais ce brillant saboteur n'a pas vocation à s'occuper de ceux pour qui son président a dit qu'il était élu. Il aime la finance, lui ; il a travaillé pour elle. Il n'aime ni les modestes réduits à n'être que des "illettrés", ni les "pauvres" à qui il réserve le confort d'un cinquante places avec clim (et la clim, dirait-il, c'est le vrai confort...).

    (1)Sur ce point, la Royal a comme ruiné tout débat sur le sujet en jouant la démagogie et le déni du droit contractuel en avançant l'idée impossible de la gratuité samedi et dimanche. Bel exemple du volontarisme médiatique (bel oxymore) en lieu et place de la décision politique...

    (2)Et le terme "socio" est déjà de trop...

  • Le bon juif et le mauvais juif

    L'altercation médiatisée entre Léa Salamé et Éric Zemmour, naguère chien et chat sur I-tele, devrait n'être considérée que comme la énième mise en scène des pseudo oppositions qui sont le fond de commerce d'un système qui s'amusent des fausses singularisations. il faut, sur ce point, rappeler quelle perte de temps et quel cautionnement constitue le fait même de regarder le cirque animé par l'idiot satisfait de Ruquier. Mais le problème, cette fois, est ailleurs, et bien plus terrible.

    C'est bien le paradoxe de la bêtise qui fonctionne, dans ses formulations les plus hasardeuses en anti-matière d'où surgit une perle, la parfaite expression de ce qu'elle peut être, au delà de sa nature même : un concentré de haine et de mépris. Telle est l'essence de la saillie de Salamé (1). Elle s'indigne (peut-elle plus...) que dans Le Suicide français, Éric Zemmour prenne ses distances avec la lecture imposée depuis le livre de Robert Paxton sur la période de l'Occupation (2). Elle soupçonne son (ancien ?) camarade de sombrer dans le révisionnisme classique et d'avoir des complaisances pétainistes quand celui-ci expose que la réalité historique est infiniment plus complexe et que l'analyse paxtonienne est un des fondements de la nouvelle religion française de l'éternelle (désormais...) culpabilité dont la doxa gauchiste, politiquement correcte et moraliste fait son point de doctrine cardinal. Salamé est à l'instar de bien d'autres une terroriste du repentir, une passionaria gaucho-bobo du procès européen. Elle se veut une conscience morale, mais elle a un inconscient qui pue.

    En effet, faute de pouvoir argumenter sur le fond, ce qui requiert une culture historique dont elle est visiblement dépourvue (3), elle finit par attaquer Zemmour dans ce qu'elle pose de facto comme l'essence de son être (à lui). Le passage mérite d'être recopié sans erreur :

    "Moi je note parfois chez vous que vous aimez tellement la France, vous voulez tellement, vous le juif, faire plus goy que goy, plus Français que Français, [...]"

    L'attaque est franche, nette ; elle sonne comme une sentence. Le fond explose, les intestins se lâchent. C'est aussi nauséabond que le Durafour crématoire lepéniste. il y a d'ailleurs un petit malaise sur le plateau et Zemmour relève que s'il avait l'esprit procédurier, la Salamé pourrait se manger un procès (4)

    Que vient-elle de dire, en effet ? Deux choses. 

    1-Le plus évident tient dans l'opposition entre juif et français, entre le Juif et le Français, puisque Zemmour ne serait que dans l'imitation superlative du second. Elle reproche à son confrère de singer le Français, d'être, au fond, comme ces born-again ou ces convertis radicaux (5). Zemmour oublie d'où il vient et c'est une faute majeure. Salamé essentialise l'être non dans son devenir (il n'y a pas de chemin possible, de construction crédible de soi) mais dans son origine. Elle reprend le vocabulaire (le mot "goy" en atteste) d'une altérité discriminante et sélective. Son argumentaire se nourrit d'une conception figée, normative et pure de l'être qui ne pourrait, pire : ne devrait, échapper à une naturalité sans faille, sans défaut, quasi génétique. Être français, c'est abandonner le profond. Cette manière de répondre à Zemmour, en le retranchant d'une communauté politique au profit d'une identité ethnicisée sidère. il faillit d'oublier son antériorité qui rendrait factice ou ridicule son "être-français". Tout son engagement français est une trahison, une implantation grotesque. À croire que Zemmour, dans son amour hexagonal, est traître au père. Il a bien raison de répondre que Salamé fait de la psycho-analyse de bazar. Il aurait dû ajouter qu'elle fait aussi de la politique de comptoir.

    Cette manière d'invectiver l'autre en lui demandant de se ressaisir définit assez bien le mépris de la bien-pensance pour la nation et le primat à peine déguisé du religieux en tant qu'essence sur le politique. La ferveur nationale de Zemmour est une aberration, de ce point de vue, une quasi pathologie. Pour parodier Montesquieu : "comment peut-on être Français ?".

    Derrière tout cela, il y la réactivation d'une opposition radicale entre la nation, assimilée à une prison spatiale et intellectuelle, et un idéal cosmopolite dont la doxa se prévaut à travers, entre autres, les divers nominations où le mot "monde" sert à tout : citoyen du monde, alter-mondialisme, littérature-monde. Cette aphasie lexicale est à la mesure du désastre conceptuel qu'elle symbolise en partie. En clair, Zemmour n'est pas assez ouvert. Il ne peut pas l'être puisque Français et fier de l'être. Il n'est pas assez juif...

    2-Ce dernier constat ouvre sur une seconde lecture, plus honteuse pour Salamé que la première. Le juif Zemmour est un traître à l'esprit, à l'esprit juif. Mais à quel esprit ? Sur ce point, il ne faut pas se leurrer. Même si le sujet visible porte sur la question de l'Occupation, de Pétain, de la collaboration, des rafles, le regret de Salamé renvoie à une problématique bien plus sournoise. 

    Rappelons au préalable la nature contradictoire du procès classique fait aux juifs. Ils sont, d'un côté, une sorte de secte, toujours entre eux, avec un pouvoir immense. C'est le fantasme de l'Internationale juive, dont se nourrissent les discours de l'extrême-droite et de l'extrême-gauche (6). D'un autre côté, beaucoup leur reprochent de se fondre dans l'espace qui les accueille. Le juif est un être magique : à la fois trop lui-même, trop différent, et trop semblable. De là, les discours contradictoires, qui trouvent leur écho dans les considérations physiques : un juif se reconnaît à l'œil... surtout quand il porte une étoile jaune.

    Cette dialectique de l'identification peut, en fait, se rabattre sur une appréciation où il faut intégrer une dimension sociale, économique et politique. Pour ce faire, il faut poser que le juif n'existe pas, sinon dans une acception généralisante dont se sert un certain nombre de juifs à qui la parole est donnée et qui la confisque à dessein (7). Si le juif est une fiction construite, les juifs, eux, sont une réalité et bien loin d'une communauté une ils sont des hommes et des femmes aux trajectoires uniques et hétérogènes. Au juif riche et cosmopolite répond aussi le juif modeste et "sédentaire".

    C'est sur ce point que Salamé attaque insidieusement Zemmour. il est un mauvais juif parce qu'il ne défend pas la représentation mondialisé dont l'idéal s'inscrit dans les aéroports, les hôtels de luxe, l'investissement, la financiarisation, les mouvements de capitaux,... Il n'est pas le juif devenu paragon de l'ère ultra-libérale. Cette version golden boy, d'une errance cette fois dorée, qui réunit les élites mondialisées. Son mépris pour Zemmour est en fait celui du moderne (forcément moderne) vis-à-vis de l'ancien, du grand pour le petit. Salamé est fille de ministre libanais. Elle est le pur produit de classe d'un pouvoir qui peut/veut s'adapter à toutes les situations. Elle appartient à cette classe que les guerres touchent moins, comme furent moins touchés, entre 39 et 45, les juifs riches que le petit juif. 

    Le mépris de Salamé n'est pas au propre antisémite, parce que dans son réflexe pseudo-dialectique, sa vision du juif n'est pas une mais conditionnée par une appréciation socio-économique nourrie de tout ce qui fait aujourd'hui le lit de l'ultra-libéralisme : la haine de la nation, de l'enracinement, de la tradition, de l'héritage, de la frontière...

    En traitant Zemmour de "goy", Salamé n'insulte pas seulement un petit juif ; elle fait le procès du pays qui est le mien, le nôtre, dont l'histoire fut parfois peu glorieuse, certes, mais qui nous construit. Elle trace une ligne qui dépasse effectivement les identités classiques. Elle dit le bon et le mauvais, le bon Français, qui doit s'oublier, le mauvais Français qui ne veut pas abandonner son passé (8). Elle doit regarder avec hauteur les gens de peu qui aiment la France, sa culture, ses paysages, sa langue, son histoire. Des gens de peu, bien sûr, dont l'attachement national vient d'ailleurs, pour partie, du fait qu'ils sont nés pauvres, qu'ils doivent à ce pays de vivre mieux, de vivre libres. Des médiocres (au sens du XVIIe siècle) qui ne connaissent rien des couloirs ministériels, des médiocres pour qui les frontières sont des protections, les lois sociales des garanties, la culture historique un moyen d'émancipation. Tout ce que le discours de Salamé, à travers Zemmour, essaie d'avilir.

    En vain...

    (1)Idiote qui fit un jour "péter le décolleté", selon ses propres mots. Tout commentaire passerait pour sexiste. La loi a vertu, parfois, de protéger n'importe qui...

    (2)Robert Paxton, La France de Vichy, 1973

    (3)L'intelligence n'est pas une promesse. C'est un fait qui se doit de répondre à la charge de la preuve. Mais il est vrai que l'époque contemporaine a le goût des grands esprits cachés, des brillants inconnus ou des surdoués décalés. Le corps enseignant gauchiste voit du potentiel dans n'importe quel crétin. C'est une des formes les plus aiguës du pédagogiques à la Meirieu qui a dévasté l'école nationale.

    (4)Mais Zemmour n'est pas comme Taubira et consort. Il a conscience de sa position médiatique, de son statut privilégié qui l'expose. il a la décence de passer outre, ce qui est infiniment plus intelligent. il a eu suffisamment l'occasion de dénoncer les postures victimaires.

    (5)On attend évidemment de la part de Salamé la même agressivité devant un salafiste ou Tariq Ramadan...

    (6)Il est utile au passage de souligner que l'extrême-droite n'a pas l'exclusive de l'antisémitisme. L'extrême-gauche, au nom d'une haine du capitalisme, est forte en la matière. Elle se retrouve ainsi des accointances profondes avec l'antisémitisme arabo-musulman. C'est toujours un délice de voir se côtoyer dans les couloirs universitaires les gauchos et les voilés, en parade contre la puissance capitalo-judaïque. Le pouvoir en place s'en accommode visiblement assez bien. Il est vrai que le PS recrute beaucoup de ses jeunes cadres chez les anciens Rouges...

    (7)Le modèle français est, on s'en doute, BHL ou Attali.

    (8)Et cette dichotomie du bon et du mauvais Français n'est que la figure inversée du discours lepéniste. Dans les deux cas, il n'est pas de place pour la nuance et l'entre-deux. Dans le premier cas, on fustige la pureté parce qu'il faut n'être de nulle part ; dans le second, on vilipende le métissage parce qu'on veut ignorer l'effort produit à vouloir échapper à sa détermination conceptuelle (qui est toujours une détermination que l'autre vous inflige...)

     

  • Impunément...

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    Si faillite politique il y a, en ces temps présents, l'une de ses origines, au delà de la déprise de la classe politique sur le monde et du fait qu'elle n'exerce plus, sur bien des points, qu'un ministère de la parole (ce ministère vide que Giscard d'Estaing reprochait à Mitterrand quand celui-ci était dans l'opposition), pliée qu'elle est aux impératifs d'un marché ultra-libéral triomphant, l'un de ses origines donc tient à l'art consommé que nos ténors déploient à pouvoir ignorer un certain réel, celui fort discutable sans doute, de l'espace médiatique et de leurs paroles médiatisées. 

    Le degré d'oubli dans lequel ils se complaisent et se croient autorisés à vivre est tel que leurs commentaires et leurs gestes sont nuls et non avenus par le seul fait de leurs desiderata. Ils n'existent plus que dans le flot d'une parole immédiate ; la mémoire ne leur échappe pas mais elle est une donnée périmée, un souvenir sans épaisseur, un argument sans légitimité. Leurs mots s'en tiennent à une immédiateté si forte que c'est désormais le tweet qui tient lieu de pensée. La politique en cent quarante signes. Grotesque ? Peut-être, mais dans le fond est-ce si caricatural ?

    La déperdition du contenu passe par le rétrécissement de son étendue. Certes, la brièveté était une forme d'esprit, chez les Classiques. Encore ceux-ci avaient-ils de l'esprit ? Nos politiques cherchent au mieux à être spirituels, à faire des phrases. De petites phrases, tout au plus, pour de petites intelligences.

    Et quand le contenu est étriqué, il reste les formes faciles d'une rhétorique potache qui sent bon les explications rassis d'un formalisme creux. Hollande prétend n'avoir pas de culture littéraire. Quant à Valls, il se targue d'un 5 à l'épreuve anticipée de français. C'est en contrepoint de ce relevé anecdotique qu'on ne s'étonnera pas de la fascination gouvernementale pour l'anaphore. Rien de plus facile que l'anaphore, en effet : c'est lancinant et mémorisable. On croirait presque à un effet poétique. Une poétique d'école primaire ou de surréalistes. Pourquoi pas ?

    On voit dans quelle direction l'affaire tourne : le trois fois rien technologique et la répétition pavlovienne. On se réjouit : la démocratie prend une forme aphasique. On tue le langage comme on neutralise le droit à l'expression. 

    Malgré cette tendance à vouloir occuper l'espace médiatique avec du vide, nos ectoplasmes ne peuvent s'empêcher de se trahir eux-mêmes, tout en sachant que cela laissera des traces (ce qui inquiète fort : l'électeur moyen est-il à ce point idiot ? Il faut croire que oui...). Ainsi, la semaine passée, se sont télescopés deux propos tenus de part et d'autre des fondrières du pouvoir.

    Commençons par le retour énervé de Sarkozy qui, dans un élan généreux et vaguement délirant, a promis de redonner la voix au peuple, de brandir la logique référendaire tous les quatre matins. Il était sérieux et habité, sur son estrade, et ses partisans applaudissaient à tout rompre comme des abrutis qu'ils sont. Car il fallait réduire d'une manière démente le passé, la réalité et les faits pour oublier l'homme qui, après le non de 2005, avait convoqué le Congrès afin que, gauche et droite confondues (entendons : la gauche et la droite responsables, pas les anars, les fachos, les rêveurs, ou, plus simplement, les esprits critiques et démocrates) nos élus fassent sécession d'avec l'expression populaire. Des élus du peuple contre le peuple. Et celui qui venait, l'autre soir, nous chanter des lendemains de libre expression est le seul, je dis bien le seul, à avoir usé de la constitution de la Ve République pour supprimer la démocratie.

    Par le plus grand des hasards, et comme l'envers de la carte qu'on appellera le mistigri, je revoyais le lendemain le clip de campagne de la normalité. Un beau clip, une belle construction mythologique, teintée d'un révisionnisme historique classique (Ferry sans les colonies, le Front Pop sans son allégeance à Pétain, et de Gaulle, le Caudillo du Coup d'État permanent, sur qui on ne crache plus...). De l'emphase anaphorique (il ne peut pas faire plus, le pauvre, sinon on doute qu'il retienne ce qu'il faut dire...) et un point d'orgue. 


     

    Cela s'entend entre 1'15 et 1'22 : "le redressement, c'est maintenant. La justice, c'est maintenant. L'espérance, c'est maintenant. La République, c'est maintenant". Passons sur les trois premières illusions. Seule la dernière phrase m'intéresse. Que peut-elle signifier ? Que les cinq ans qui s'étaient écoulés étaient contraires à la République, que Sarkozy était un dictateur, un fasciste qui avait confisqué le pouvoir... La verve poussive d'une campagne électorale permet-elle de tels excès et surtout, de telles contre-vérités ? Car s'il en était ainsi il fallait, aussitôt élu, arrêter Sarkozy et le juger pour haute trahison. Les mots doivent être peser, surtout quand on est homme politique, sans quoi les débordements dont on est l'origine interdisent de borner l'éventuelle folie des autres.

    Reste une possibilité : "La République, c'est maintenant" induit qu'il fallait la rétablir, qu'elle avait été effectivement bafouée. Par un Congrès inique, par exemple. Mais lorsque le normal président se déchaîne ainsi et nourrit la caricature de l'anti-sarkozysme qui ne pouvait être que sa seule arme tant il était, lui, insipide, il oublie, et se donne le droit d'oublier, qu'il fut le complice objectif de ce déni de République...

    "Plus l'abus est ancien, plus il est précieux" écrivait Voltaire. Plus la traîtrise est forte, plus la facture sera élevée. Le goût de l'impunité ne peut demeurer plus longtemps. Si l'ère communicationnelle doit avoir un usage salutaire, c'est en replaçant les mots au cœur du débat. Mentir n'est pas interdit, y compris en politique, mais, de même qu'on ne peut invoquer l'ignorance de la loi, on ne peut, surtout en politique, tabler sur l'oubli et la conjuration des amnésiques. 

     

    Photo : Fred Giraud.