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politique - Page 8

  • En une phrase. Chateaubriand

    François-René de Chateaubriand n'est pas seulement, dans la tradition aristocratique des mémoires, le fin contempteur des hypocrisies de son temps, entre le ridicule des ultras et la vaine suffisance des nouveaux maîtres. Il n'est pas que le contemplateur mélancolique d'un monde qui s'enfuit et que les quarante ans sur lesquels se déploie son œuvre immortalisent pages après pages, à la manière d'un monument funèbre.

    François-René de Chateaubriand ouvre aussi à son ambition littéraire la porte des âmes abandonnées par l'Histoire, à commencer par sa famille. Il parle de celle-ci avec tout l'équilibre d'un homme encore touché par le devoir de la retenue. Le respect grave pour le père, la tendresse un peu sévère pour la mère, l'amour inconditionnelle pour la sœur Lucile : aucun de ces nœuds affectifs ne passe outre les limites où tombera bientôt l'autobiographie. L'étalage n'est pas le propre du vicomte. Il verrait un dévoiement ridicule dans la récollection franche de ses amours et de ses blessures. Sur le plan de l'histoire littéraire (comme on dit), François-René va moins loin que Jean-Jacques et c'est tant mieux. Le dessein rousseauiste est, dans le fond, funeste (même s'il n'est pas question de lui imputer ce qui lui succède) : il ouvre la boîte de Pandore des vigilances égocentriques, celles de la vie recyclée en ravissement...

    Chateaubriand est pudique. La trace discrète de ses déchirements n'en est que plus ardente et précieuse. Ainsi pour évoquer la disparition du frère.

    "Mon frère ne vint point ; il eut bientôt avec sa jeune épouse, de la main du bourreau, un autre chevet que l'oreiller préparé des mains de ma mère."

    Une phrase suffit, une seule, dans laquelle toutes les vies semblent tenir. "Mon frère ne vint point". La f(r)acture de la mort arrive sous la forme d'une dissimulation, une formule suffisamment neutre pour que l'on puisse, le cas échéant, imaginer l'imprévu ou la fuite, presque un manquement au devoir. "Il eut bientôt avec sa jeune épouse". La parataxe réunit immédiatement deux temps et deux réalités en face à face. Quelque chose s'est passé dont l'effet va arriver (quoique déjà arrivé pour celui qui écrit. Tel est le fracas de la rétrospection.), ce quelque chose placé sous le signe du lien indéfectible du mariage. Et ce lien, comme un nœud gordien pour des temps obscurs, est tranché "de la main du bourreau". Un homme, un homme seul, et une main unique, métonymique, pour une cérémonie macabre et politique dont l'objet est le nom et la particule. C'est une mort qui n'a que peu à voir avec la justice et beaucoup avec la prétention hasardeuse de triomphants en mal d'honneur. Comme pour Lucile, la disparition du frère a la rigueur sordide d'un monde qui se pare d'une vertu sanglante avant d'imposer sa propre terreur pour le siècle qui s'engage : ses répressions populaires, des canuts à la Commune, son libéralisme progressiste propre à abrutir les faibles, ses vanités nobiliaires et impériales. Tout cela pour des Louis-Philippe, des Napoléon III et des monsieur Thiers à qui on offre des funérailles grandioses. Autant dire une misère.

    Chateaubriand noircit plus encore le spectre de l'exécuteur des basses œuvres quand il évoque, en contrepoint, le souvenir familial et les "mains de (sa) mère" qui ont préparé "l'oreiller". C'est l'heure du coucher, la fin du jour, le foyer, le lit, l'attention maternelle, tout un univers dont Proust, plus tard, fera une cérémonie. Tout reste ici modeste. À la férocité révolutionnaire, il répond par un geste simple, une quasi banalité, dont il fut sans doute le témoin et peut-être le destinataire caché.

    Cette attention qui n'avait même pas besoin de se dire pour exister, par sa naturalité, exhume des vies perdues à la source de l'écriture, et des affections profondes. Le travail mémoriel les concentre en un tableau unique. Quoique défaite et meurtrie par le temps et les événements la famille Chateaubriand persiste dans son humanité de victimes, sans que l'écrivain cherche le pathos. Il ne fait que rétablir la chaîne de la filiation qui va du fils à la mère. À eux en somme le premier et le dernier mot de la phrase et, au delà, le dernier mot de la vie dans sa transcendance. La Loi peut tout enlever de ce qui fait le commun politique : elle ne peut entacher le récit particulier des instants grâce auxquels des êtres se reconnaissent des uns et des autres. C'est comme si l'effraction de l'ordre collectif n'arrivait pas à atteindre la délicatesse de l'être jusqu'à ériger celle-ci en souvenir inaliénable. Plus encore : dans cette confrontation entre le criminel et la mère, Chateaubriand rappelle avec sobriété combien la cruauté ne tient pas qu'à la sentence elle-même mais aussi à la négation humaine qu'elle induit. L'écrivain reprend alors possession de ce qu'on l'a privé, sans plus d'épanchement, par la simple autorité d'un détail que toutes les oppressions du monde ne pourront jamais anéantir.

    Il y a longtemps que la littérature autobiographique, et particulièrement contemporaine, ne pense plus un tel degré de finesse, de telles subtilités. Or ce sont elles qui donnent aux Mémoires d'outre-tombe leur éclat kaléidoscopique si particulier et leur beauté si poignante.

  • Comment faire ?

    En lisant la déclaration de Jean-Luc Godard sur son envie (assouvie ?) d'une victoire FN, je me suis demandé comment les sophistes gauchistes contourneraient l'obstacle, grâce à quelle rhétorique creuse ils parviendraient à sauver le soldat Godard. Je n'ai pas eu longtemps à attendre. C'est dans Libération (on s'en doutait. On attend désormais l'écoulement suintant des Inrocks et d'Art Press) et le faussaire s'appelle Olivier Séguret. C'est ici. (1)

    Il est rare de pouvoir se tordre de rire à ce point...

    (1)Prévenons le lecteur qui ne connaîtrait pas le marécage en question : le gugusse est sérieux. Il croit en ce qu'il écrit. Tel est le pire.

  • Les Petits inspirés

     

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    C'est en apprenant l'abdication de Juan Carlos au profit de son fils Felipe que m'est revenu à l'esprit un propos paternel concernant Jean-François Copé.

    Celui-ci est empétré dans l'affaire Bygmalion, énième version affairiste de la politique dont on ne s'étonnera d'ailleurs pas puisqu'il serait fort naïf de croire que le pouvoir est un territoire où l'argent, le cynisme et les (petits) arrangements ne seraient pas des clés pour en comprendre l'esprit. Pour l'heure, l'homme qui prend un retour de bâtons est le pauvre Jean-François. Il est contraint de démissionner et comme il convient en ce genre d'occasion, les notices biographiques du bla-bla médiatique ont des allures de nécrologie. Copé n'abandonne pas seulement la tête de l'UMP, il est mort. Et cette mortalité brutale et politique apparaît plus encore spectaculaire que les multiples portraits qu'on lui consacre insistent sur l'ambition fougueuse de l'intéressé. Devant le désastre de la normalité, il avait pris tous les risques pour être l'homme de 2017. La réussite ne sera pas au rendez-vous. Il en rêvait pourtant et depuis longtemps. C'et alors que sort la confidence paternelle : la première fois qu'il se serait vu en président, il avait sept ans. Un précoce ardent : la chute est plus dure encore.

    Cette anecdote est-elle vraie ou participe-t-elle de la mythologie au rabais des temps contemporains ? La question n'est pas là ; sa vraisemblance nous suffit. Elle nous suffit parce qu'elle induit tout un cadre social et culturel rendant une telle nouvelle non seulement crédible mais acceptable, par quoi le père Copé ne passe ni pour un prétentieux ni pour un bavard sénile.

    Le goût enfantin et présidentiel de JFC (il a dû regretter de ne pas s'appeler Kopé. C'eût été un signe imparable) fait ressurgir deux autres figures, peut-être moins précoces, mais tout aussi centrées sur les fastes élyséens : Sarkozy et Valls. En voilà trois qui ont donc cru très tôt en leur étoile, en leur destin, ou pour mieux dire : qui se sont cru un destin, ce qui revient à être l'auto-promoteur de son exception. Et l'on voit bien l'évolution même de la notion de destin, comment cet élément du tragique, très grec, quand le héros ne peut échapper à une œuvre qui le dépasse, n'a plus aucune signification aujourd'hui. L'histoire s'étant étrangement absentée dans les bénéfices de la paix européenne et de la confiscation bureaucratique, il n'y a plus rien de décisif. C'est sans doute un des traits majeurs de l'époque, le signe de son épuisement et de sa décrépitude.

    Imagine-t-on de Gaulle ou Pompidou se rêver, dans une cour de récréation, en maître de la France ? L'un était avant tout un militaire, l'autre un lettré. Les envisager dans cette posture, c'est sentir le ridicule du propos. Pour VGE, MItterrand et Chirac, l'opportunité a dû assez vite mûrir dans leur esprit, et pour les deux derniers le trône républicain fut un hochet obsessionnel dont ils ne surent rien faire : le premier parce qu'il vivait avec la hantise de la mort, le second parce qu'il n'a jamais rien pensé ni fait... Avec ceux qui leur succèdent et qui s'agitent, un pas a été franchi dans l'esprit démocratique.

    Au marché commercial du politique s'ajoute sa déréalisation sublimée dans le rêve d'enfant. La démocratie ou la confusion des âges. À la vacuité des pouvoirs correspond, comme un symptôme, la justification fantasmagorique. Ce ne sont pas des adultes qui nous gouvernent (ou veulent nous gouverner) mais des adolescents convaincus d'eux-mêmes, et seulement d'eux-mêmes (1). Pathétique, sans doute, mais fallait-il espérer autre chose d'un ordre politique réduit à la soumission aux marchés et la spectacularisation médiatique. Il ne faut pas négliger l'impact du passage à l'écran qui rend la carrière politique semblable à celle des stars de cinéma (2). Sans ce miroir existentiel, la compensation narcissique à la vacuité politique n'aurait pas une telle occasion de se répandre.

    Si le pouvoir est désormais fait pour ceux qui se croient destinés, déduisons que celui-ci est une baudruche et la démocratie un simple parcours d'obstacles pour obstinés et chanceux. Ce ne sont plus les événements qui déterminent les hommes, mais la configuration puérile d'un système forcément dévalué. Copé y croyait, s'y croyait. On en rirait presque si un peu de lucidité ne nous forçait à conclure que son échec (définitif ?) est moins le fait de sa médiocrité que d'un manque de précaution. 

    L'effet de croyance est telle qu'à l'heure où j'écris ce billet je découvre la dernière phrase historique de ce cher Sarkozy, qui sent qu'il va devoir revenir en politique parce qu'"on n'échappe pas à son destin". Petit pitre recalé qui se croit une lumière. Et quelle lumière, que de répondre aux appels au secours de l'ami Hortefeux et de la si sotte Morano. On voit bien à quel niveau se situe alors le destin : sauver un parti, sauver des places, jouer des coudes, avec en arrière-plan le pays, la crise et une certaine idée de soi à défaut de pouvoir/vouloir affirmer une "certaine idée de la France."

    Telle est la réalité : l'histoire n'est plus. Reste le fait divers, que les médias travaillent pour lui donner un semblant de consistance. La loterie démocratique tourne au manège, quand certains petits prétentieux pensent qu'à eux seuls est promise la queue du Mickey.

    Ainsi revenons-nous  à ce cher Felipe, qui n'eut jamais ces mesquineries narcissiques, puisqu'il devait être roi. En vertu de cette désignation, que d'aucuns jugeront injuste, illégitime, quand ils ont fondé l'histoire française à partir d'une exécution en place de Grève, le successeur de Juan Carlos est infiniment plus précieux pour son pays que ne le seront jamais nos roitelets autoproclamés en culottes courtes. Paradoxalement, son héritage l'oblige à savoir où il est et ce qu'il doit à son passé. Il ne pourra jamais, lui, avoir la vanité centrée sur son seul mérite. Il ne peut pas faire outre le protocole, l'ordre qui le précède et l'ordre qu'il doit transmettre. Il est à la fois lui-même et un autre (3) quand nos pantins arrogants sont des ectoplasmes (4)

    Ce constat ne signifie nullement qu'il y aurait une puissance génétique de l'aristocrate et que tous les hommes ne soient pas également estimables. Nous laissons évidemment de côté les considérations de sang bleu et autres balivernes à particule. La question est ailleurs. La démocratie est une belle idée, sans doute, mais elle tourne de plus en plus, en ce début de XIXe siècle, à la farce, une farce qui n'a même plus la discrétion des IIIe et IVe Républiques. La démocratie désormais n'est plus une pensée, une perspective mais un job. Un job de prestige pour des âmes communes...

     

    (1)Un ami qui a passé quelques années à Science-Po m'expliquait un jour que cette école (funeste, ô combien funeste, de par son endogamie intellectuelle) pullulait de futurs présidents qui fixaient déjà l'année de leur élection. Des présidents partout, riait-il...

    (2)Sur ce point, la victoire de Reagan sonne la charge des confusions. Elle est bien plus significative que de voir Shirley Temple nommer à un poste d'ambassadeur.

    (3)Selon l'analyse des deux corps du roi de Kantorowicz

    (4)À commencer par l'actuel locataire de ce qui fut en des temps révolutionnaires un garde-meubles. Une prémonition, en somme...

     

    Photo : Otto Steinert

     

  • La Médiocrité

    Gouverner, c'est trancher. Net, vif, d'une pensée affirmée.

    Découper et redécouper, c'est jouer (les mercredis pluvieux, dans l'enfance : des ciseaux, de la colle, des gommettes, et un grand désordre sur la table). On prend une carte et on joue. On refait le monde puis à cinq heures, c'est le goûter et la mère vous dit de tout ranger. C'est fini.

    Gouverner, c'est trancher : il en est incapable.

    La médiocrité n'apparaît pas tant dans l'impossibilité de faire face aux épreuves que le monde vous impose que dans la faillite des ambitions où vous étiez seul maître et par lesquelles vous prétendiez vous révéler.

  • Philippe Séguin, résistant

    De la ratification du traité de Maastricht, il reste, pour ce qui concerne la France, la grandeur politique de Philippe Séguin. Il explique d'une manière imparable le détournement de droit que fut cette ratification. Plus encore, il esquissa avec précision, devant l'Assemblée Nationale, le devenir d'une Europe mortifère, laquelle avait comme fondement l'effacement des nations et la spoliation politique des citoyens. Ceux qui votèrent oui et qui persistent doivent assumer ce coup d'état et arrêter de se retrancher derrière les errements d'une bureaucratie qu'ils ont eux-mêmes cautionnée, ceux qui découvrent aujourd'hui l'horreur avec un air de naïveté, quand ils ont plus de quarante ans, sont consternants. La vidéo qui suit montre avec éclat qu'on ne pouvait pas ignorer...

    En réécoutant, plus de vingt ans après, le dernier homme politique français digne de ce nom, on mesure la multiplicité des effondrements : médiocrité des gouvernants (écoutons la langue et le phrasé de Séguin et comparons au sabir a-syntaxique des Hollande ou des Copé), fatuité des élites, mépris du peuple, soumission aux seuls intérêts économiques (masqués), négation de l'histoire de l'Europe et des européens. Séguin a déjà tout dit. Il a tout dit parce qu'il pense au-delà de lui-même. Ce n'est ni une posture ni une attitude bravache. Il analyse avec lucidité ce que conditionne le traité de Maastricht : l'assujettissement des peuples, le dessaisissement des prérogatives démocratiques au profit des lobbies, la transformation ultime du politique en théâtre d'ombres.

    Ce que Philippe Séguin avait compris, c'est qu'un pays qui renonce à sa monnaie, à son territoire, à sa loi, à ses frontières est un pays occupé. La France est un pays occupé, occupé par l'hydre bruxellois libéral dont le véritable dessein est d'assujettir le vieux continent (comme disait Dominique de Villepin) aux intérêts américains et mondialistes...


  • Ancrage

    Nous ne serons jamais les européens qu'ils veulent, parce que nous voulons rester européens. Et qu'est-ce qu'être européen, si l'on veut bien considérer ce qui a fait l'essence de ce continent, sinon une inconciliable profondeur de la différence ? La vraie différence. Non pas celle du différentialisme compatible avec le libéralisme ultime mais celle par quoi chacun creuse un sillon et reconnaît le sillon de l'autre. Et parfois s'en inspire, patiemment.

    *

    Nous voulons être de quelque part. Nous demandons le droit à la nostalgie, à la mélancolie, à la tristesse, au vagabondage sur les chemins maintes fois arpentés.

    *

    Voulons-nous être des Américains, c'est-à-dire des fuyards éternels, s'en remettant à leur seule énergie spontanée, à cette irascible loyauté envers soi-même comme limite ultime du devenir ? N'être que soi. Tel est l'Américain, lequel croit qu'en chacun de nous sommeille quelqu'un qui lui ressemble, qui peut lui ressembler, qui doit lui ressembler.

    *

    Le vers était dans le fruit quand on nous proposait les États-Unis d'Europe. La formule portait le signe du reniement. 

    *

    Francis Fukuyama a célébré la fin de l'Histoire et d'autres ont embrayé. Et pour faire bonne mesure, dans les salles de classe, plutôt que s'en tenir à la chronologie, on avait déjà enseigné la discontinuité, les thématiques et les fausses similarités. La fin de l'Histoire, elle est dans la tête des gosses qui vivent éternellement dans le présent, et c'est ainsi qu'ils signent, les pauvres, leur aliénation.

    *

    L'Europe, une, entière, homogène est un leurre, et pour effacer les résistances à ce projet de fou, on va, sans vergogne, fonder son verbe dans les tranchées de 14 et les camps de 45. On agite les cadavres d'hier en guise d'argument pour mieux cacher la misère contemporaine grandissante.

    *

     Briser le lien : tel est leur dessein. Que nous ne soyons plus les fils de nos parents, et moins encore les parents de nos enfants.

    *

    "Sortir de l'Europe, c'est sortir de l'Histoire". Au-delà de la bêtise infinie de la formule, il y a l'insulte à l'Histoire elle-même, à l'émotion qu'on trouve dans la chapelle royale de Dreux, dans les Catacombes de Rome, dans les ruines de Tintagel, dans le silence de Saint-Michel de Cuxa, dans la magnificence de la Chapelle palatine, dans l'invraisemblable conque du Campo de Sienne, dans la majesté de la citadelle de Fougères, dans l'escalier à double vis du château de Chambord, dans tout ce qui n'a pas attendu l'hydre bruxellois et la couardise gouvernementale pour exister...

    *

    Plus jamais ça ! Derrière ce cri prétendument humaniste se cache la lâcheté la plus sombre. Il résonnait de la même manière dans les brumes de l'an 40. Le passé n'est pas un moyen de se dérober.

    *

    L'Europe à laquelle je suis attaché est celle des identités qui outrepassent ma propre identité, qui s'en saisissent pour l'éprouver doublement, par ce qui me tente, par ce qui me dérange, tout cela sans détruire le passé légué.

    *

    Nous voulons demeurer des héritiers. De vrais héritiers. Ceux qui ne gagnent rien d'autre qu'une plus grande assise face au monde et une meilleure connaissance d'eux-mêmes. 

    *

    Une monnaie unique, un espace unique, une gouvernance unique... Ce n'est pas un programme, c'est la guerre...

     

     

     

     

  • Pleine lucarne, songe creux

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    Une certaine France s'en va bientôt au Brésil. La France aux pieds carrés et aux têtes creuses, la France aux trois mots de vocabulaire, la France à l'accent racaille, la France à la suffisance indexée à l'épais matelas bancaire, la France vulgaire et arrogante, la France à l'ego surdimensionné, la France maillot-short-crampons. Cette France-là a gagné, il y a quelques mois, et il n'y a pas de quoi jubiler.

    La saveur de cette qualification miraculeuse, en forme de résurrection morale d'un pays en détresse, permet à certains de ré-orchestrer l'odyssée black-blanc-beur de 98. Ce moment-là fut un cap dans la course éperdue à la débilité culturelle et politique. D'avoir exploité jusqu'au trognon l'hystérie footeuse, d'avoir vu des politiques, à commencer par Chirac et son ridicule maillot floqué, se pavaner comme des dindons à la suite des victoires d'une équipe par ailleurs d'une grande médiocrité, d'avoir entendu des intellos (de gauche, évidemment de gauche...) indexer leurs théories sociologiques sur les dribbles de Zidane, les courses de Thuram (devenu depuis un phare de la pensée francaise...), l'esprit de responsabilité de Deschamps, d'avoir vu, entendu et lu tout cela nous prépare à un remake savoureux, si, par le plus grand des hasards, l'équipe nationale allait loin (et la tâche n'est si difficile : les Suisses, les Équatoriens et les Honduriens ne sont pas des terreurs).

    On pourrait alors réentendre ce discours de la France qui gagne et donne du plaisir au citoyen, ne serait-ce que pour servir d'agent masquant du réel (un de plus, il est vrai : après le mariage pour tous, la baballe pour tous). Ce sera pratique d'user de ce discours grotesque qu'on nous a imposé. Le profil d'un pays, sa physionomie morale et politique se jugent à sa représentation non législative mais footballistique (c'était bien de cela qu'il s'agissait en 98, non ?), à sa vitalité sportive, non à sa respiration démocratique. Et donc tout va bien, ou du moins : pendant quelques semaines, tout ira bien.  

    On pourrait gentiment ironiser sur ces célébrations d'une crétinerie abyssale. Mais comparaison n'est pas raison. C'est un simple jeu de retournement n'ayant pour seul but que de rappeler cette évidence : l'idiotie comme philosophie pour attraper les masses présente des risques, à commencer par ce qu'on appelle l'effet-boomerang.

    Quand on monte aux cieux nationaux des footeux incultes (et ceux d'aujourd'hui sont magnifiques : les regards bovins de Giroud, Matuidi, Nasri ou Ribery sont exemplaires) à des fins idéologiques, il n'est plus possible d'empêcher quiconque de reprendre la balle au bond. Marion Le Pen le fait, sans difficulté : elle préfère le bleu, blanc, rouge au black, blanc, beur. En ethnicisant en 98 onze paires de guibolles, certains, encore en place d'ailleurs, ouvraient la boîte de Pandore. En ne circonscrivant pas la réalité sportive aux limites du terrain, en lui substituant un imaginaire travaillé par la couleur de peau, ces gens-là ont justement permis, volontairement, le particularisme identitaire. Seize ans ont passé et les discours de 98 sonnent plus encore qu'à l'époque creux, affreusement creux. Zidane sur l'Arc de Triomphe. Vulgarité pour peuple en perdition... Dans un contexte d'affrontements, de délitement, de communautarisme et de fronde (2) qui caractérise la France de 2014, il ne faudrait pas que nos gaillards échouent dès le premier tour parce que la facture de la défaite pourrait s'avérer plus salée qu'on ne l'imagine. Et quand j'écris : il ne faudrait pas, je ne signifie pas que c'est un souhait, mais la simple évaluation d'un risque. 

    (1)Il ne fait pas de doute, de notre point de vue, que l'affaire était volontaire.

    (2)Rions amèrement des comiques qui nous chantaient l'air du clivage sarkozyen. En l'espèce, le normal président aura fait mieux, beaucoup mieux.

     

    Photo : Marc Gourmelon

  • Sémantique

    Le 8 mai, comme le 11 novembre, est devenu une fête (fête de la victoire, peut-on lire ici et là). Le mot "commémoration" semble avoir disparu. La vraie question du moment est de savoir si le pont est possible, pour les uns, si cela activera le tourisme (prions pour une météo clémente), pour les autres, et pour une dernière part, c'est la difficulté à boucler une commande (vous comprenez, déjà le 1er mai...)

    Il y a plus de trente ans, Giscard d'Estaing avait supprimé cette journée. Tollé puis rétablissement. Indignation (c'est très facile...) satisfaite, mais je ne suis pas sûr que, dans l'histoire, la mémoire ait gagné quoi que ce soit. C'est peut-être même le contraire : la banalisation festive, puisqu'il s'agit alors d'en profiter, chacun pour soi, rend plus creux encore le passé commun. Elle le vide de tout contenu symbolique. Ce n'est plus de l'oubli, à proprement parler, mais un droit à la négligence. Une sorte de seconde mort pour les maquisards et les valeureux d'Omaha Beach.

    Évidemment, on s'en étonnera, à l'heure des repentances mémorielles tous azimuts

     

  • Citoyen (adjectif qualificatif)

    Le citoyen est la grande victoire révolutionnaire, l'accession prétendue à la majorité politique du sujet mineur dont l'Ancien Régime usait pour faire la distinction entre les hommes.

    Dans son usage classique de substantif, citoyen induit une globalité de droits, une détermination homogène et continue dont l'établissement fut long et qui trouve en quelque sorte son accomplissement dans un vote individuel également distribué.

    Ce n'est pourtant pas de cela qu'il sera question, mais de la lente mutation du substantif en forme adjectivale, que l'on peut décliner de toutes les manières possibles : engagement citoyen, parole citoyenne, manifestation citoyenne, débat citoyen, solidarité citoyenne, voire consommation citoyenne ou entreprise citoyenne. Ainsi présenté, on pourrait croire que l'esprit politique a gagné toutes les sphères de la société et qu'une conscience unanime ferait des idéaux révolutionnaires le point central des actions de chacun.

    Le fait citoyen est désormais partout, c'est-à-dire nulle part. En transférant ce qui est le propre et durable (le citoyen) vers le transitoire (un acte citoyen, par exemple), on est passé de ce qui était un déterminé déterminant à une qualité molle, passe-partout, dont se sont emparées, entre autres, les enseignes commerciales (d'Atoll à Super U), qui voudraient nous faire croire qu'elles sont des philanthropes sui generis. Or, cette évolution est un leurre : il ne peut y avoir de citoyenneté que pleine et entière, dans un exercice radical et éminemment politique. Faire le tri sélectif, n'en déplaise aux écolos, ce n'est pas citoyen. Il n'y a pas de tri citoyen. Pas plus qu'il n'y a de consommation citoyenne (à moins de penser que le pseudo nationalisme de Montebourg soit l'essence du politique). 

    Tout cet habillage sémantique n'est pas anodin. Ce ravalement est là pour masquer le désastre. Il correspond étrangement au démembrement progressif, depuis trente ans, des capacités du citoyen à agir vraiment sur les choix majeurs. C'est, suprême ironie, le coup d'état permanent d'un pouvoir méprisant. La réduction du citoyen à la forme adjectivale traduit en fait le long travail de com' mené par les institutions mondiales et européennes pour ramener notre plaisir d'agir à des ersatz de pensée, qui ne toucheront jamais l'essentiel.

    Comme on a bouclé le système, il fallait bien amuser le quidam, lui donner un os à ronger, le responsabiliser et lui faire croire que tous nous étions responsables (autre beau détournement). Entreprise de culpabilité auquel l'idiot croit pouvoir échapper en dînant une fois l'an avec ses voisins (convivialité citoyenne), nettoyer le chemin du GR 32 (écologie citoyenne), et boycotter les trop chimiques et sucrées fraises Tagada (hygiène citoyenne). 

    La citoyenneté est ainsi émiettée. Elle n'est plus qu'un puzzle d'attitudes, une série de réflexes comportementaux, un effet d'annonce et un spectacle. Le citoyen est devenu un leurre et l'accumulation infinie des recours possibles dans le domaine des libertés individuelles est un leurre. L'essentiel a été confisqué et les trente dernières années de l'histoire politique ne sont rien moins qu'une descente aux enfers de l'espoir démocratique. 

     

  • Appel à la résistance (II)

    Laissons les gommeux socialistes régler leurs affaires de cirage de pompes à l'Hôtel Marigny, petites magouilles qui occupent le champ médiatique se gavant de queues de cerises.

    Écoutons plutôt Frédéric Lordon qui revient sur le massacre de l'euro et surtout, surtout : l'horreur de la perte de souveraineté, la confiscation organisée du droit des individus à contester la politique ultra-libérale.

    Frédéric Lordon est la preuve flagrante qu'on peut être critique sur un système qui nous ruine et nous avilit sans être taxé de populisme (même si, bien sûr, on vient le bassiner avec le FN et le nuisible Bernard Guetta use de la montre pour pouvoir se faire le larbin des doctrinaires ultra-libéraux qui dirigent aujourd'hui l'Europe)