usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

politique - Page 12

  • Poubelle de la morale

    Comme aimait le rappeler l'anar Ferré, le problème avec la morale, c'est que c'est toujours la morale des autres. Mais il faut croire qu'une certaine gauche s'est fait la spécialiste de la morale à géométrie variable, fustigeant à qui mieux mieux et s'exemptant, en même temps, justement parce qu'elle se croit l'incarnation de la morale, de tout compte à rendre. Et cela avec une hypocrisie audacieuse et gonflée comme le crapaud de la fable. Dernier petit exemple.

    Le 13 de ce mois, le rédacteur en chef de Libération, le sieur Fabrice Rousselot se fend d'un papier, après l'interview de Marion Le Pen sur TF1 :

    « Un entretien avec Marine Le Pen n’est jamais anodin. À Libération, nous avons toujours refusé d’interviewer Le Pen père et Le Pen fille. C’est une position qui peut se discuter mais qui a au moins l’avantage d’être claire. »

    Ne discutons pas ici le côté Ponce Pilate et vaguement lâche de la posture. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut bavarder avec la présidente du FN, mais de s'interroger sur l'utilité de la dialectique pour la combattre. Libération choisit la fuite, c'est son droit. Au nom, sans doute, d'une morale sans tâche, ou plutôt : d'une pureté de l'abstention (pourquoi pas le retrait dans un couvent, aussi...).

    La drôlerie est évidemment d'ajouter que ce même journal n'a jamais refusé de discuter avec le sinistre islamiste Tariq Ramadan (Libération du 27 avril 2013) et qu'elle ouvre ce jour ses colonnes aux élucubrations de Jean-Gabriel Cohn-Bendit, lequel se porta un temps garant intellectuel (misère...) de Robert Faurisson, chante des révisionnistes hexagonaux.

    Dont acte.

  • scénique et cynique

    Snowden reuters kacper pempel.jpg

     

    Obama est fâché avec Poutine. Il boude. Ils devaient se voir mais tout compte fait ce sera niet. L'Américain visitera la belle démocratie suédoise à la place. Bien sûr, les contacts ne sont pas rompus. Les affaires continuent. Tout cela n'affecte pas en profondeur les impératifs politiques et les intérêts économiques. Juste une affaire de posture, un exercice théâtral. Encore une fois, les idiots magnifiques qui nous vendaient Obama comme une manière de faire de la politique devront déchanter (mais ils trouveront bien une dernière argutie pour nous expliquer que non, quelque chose a changé...).

    Barack a donc les nerfs contre Vladimir. Sand doute les dérives autocratiques du tsar qui ne dit pas son nom, ou celles, mafieuses, des oligarques qui s'en mettent plein les poches, ou les atteintes aux droits de l'homme, ou la presse muselées, ou la Tchétchénie, ou les lois homophobes. L'avantage avec la Russie est qu'il y a matière à s'indigner (ce qui ne peut que plaire aux adeptes de l'hesselisme bêlant...). Il faut à tout prix que Poutine reste en place : c'est une aubaine pour les bonnes âmes.

    La liste ci-dessus, pourtant, ne convient pas. L'ire obamesque est plus pointue, plus interne, plus américaine. Elle tient en un nom : Snowden, l'homme qui a révélé le scandale de la NSA, des écoutes yankees mondialisées, , lequel Snowden a réussi à fuir, a cherché des terres d'asile, mais en vain : l'Europe de l'Ouest (pour reprendre une terminologie caduque) ne voulait pas de lui, pour ne pas froisser le grand Frère US. C'est évidemment comique, mais pas surprenant, de voir la couardise européenne sur cette affaire, quand naguère on s'indignait (décidément...) des audaces d'un attaché culturel russe, chinois ou iranien... Les temps changent.

    Mais pas Obama, qui n'est qu'une version plus élégante, moins texane, de Georges W. Bush. Il a justifié les acte de la NSA, et avec son administration, au pire moment médiatique pour l'intégrité américaine, il nous a monté une alerte terroriste mondialisée et bidon, qui a fait frémir tous les lobotomisés de la terre. On attend encore, sinon les bombes, du moins les opérations de déminage. 

    Tout cela pour Snowden, dont la célébrité médiatique lui permettra de survivre à quelque accieent vasculaire, ou à une intoxication alimentaire, ou à une rupture des freins sur un véhicule ayant 3251 km.

    Qu'est-ce que Snowden ? Je ne dis pas : qui est Snowden ? Sa personne en tant que telle n'a pas d'importance. En revanche, il est intéressant de définir son statut. Pour les gens de ma génération, nourris aux écrits de Soljnitsyne, des combats de Sakharov ou Plioutch, se souvenant de toute la rhétorique occidentale qui soutenait ces hommes en lutte contre le délire soviétique, la transposition est aisée et imparable. Snowden est un exilé, mieux : un réfugié politique. Ce qu'il dévoile des opérations de surveillance américaines équivaut à ce que les dissidents de l'Est racontaient des régimes policiers et des méthodes de contrôle de la population. Encore ces pratiques se limitaient-elles à l'espace national quand les agissements de la NSA sont mondiaux et ne distinguent pas alliés et ennemis.

    Il n'y a ici aucun jugement moral sur ces pratiques. La politique est sale, par essence. Elle est faite, en grande partie, d'arcanes, de manipulations, de dissimulations, de faux-semblants. Obama en joue comme les autres, sinon il ne serait pas à la place qui est la sienne. Le reste est littérature. il sera néanmoins curieux pour certains de devoir admettre que les États-Unis ont, eux aussi, leur dissident, et comme aux meilleurs temps de l'URSS, ils n'ont pas la moindre indulgence pour ceux qui parlent. Manning vient de prendre 35 ans pour avoir alimenté Wikileaks. Snowden est dans l'expectative.

    On regrettera sans doute qu'il trouve chez Poutine un soutien. Cette collusion servira à le discréditer, à ne faire de lui qu'un traître, un opportuniste, un quidam en quête de notoriété. Quand on finit Vladimir, c'est qu'il y a anguille sous roche. Rien de politique dans tout cela. De toute manière, rien de ce que font les États-Unis n'est politique. Ce sont simplement des actes préventifs, une inflexion naturelle vers le Bien, un souci de paix perpétuelle (l'Américain est kantien, c'est bien connu...).

    Jusqu'alors, ce pays avait contenu son opposition ; la critique (à la Chomsky) était marginalisée parce qu'elle s'en tenait au plan analytique. Du bavardage, en somme. Snowden se place sur un autre plan :  il ne commente pas, il ne théorise pas, il donne des faits. Voilà bien pourquoi il est dangereux, et qu'il est, plus que quiconque, un homme politique.

     

     

     

    Photo : Reuters/Kacper Pempel

  • Une question de cadre

    malcolm-browne-burning-monk.jpg

    Il s'appelle Tich Quang Duc. Il est bonze et le 13 juin 1963, en signe de protestation contre le régime de répression anti-bouddhiste instauré dans son pays, il s'immole par le feu. C'est un acte politique. Un engagement définitif et sans retour possible. La mort est au bout. On peut imaginer que tout religieux qu'il est, inscrit dans une longue tradition méditative, il n'ignore pas que le monde des images mondialisées est en marche, que de cette rue, son geste vont se multiplier, se répandre et que de ce point surgiront commentaires et discours.

    A-t-il vu le photographe, Malcolm Browne, avant de s'asperger d'essence ? A-t-il su qu'il établissait avec lui une relation qui se prolongerait indéfiniment ? Possible, mais cela n'est pas décisif parce que, lancé qu'il est dans l'histoire de sa propre disparition, il en est réduit au pari (très pascalien) de l'autre comme œil témoin.

    Il faut se contenter, plutôt, de regarder cette image-choc, de celles qui pétrifient le spectateur et le remplissent d'horreur. On éprouve, certes de façon purement symbolique, la souffrance de ce corps incandescent. On ne voudrait pas être à sa place. On se demande même à quel degré de désespoir ce bonze est tombé pour s'infliger une telle douleur. La force d'âme et l'oubli de soi ne sont pas des explications assez tenables pour qu'on ne puisse pas être démuni (1).

    Je veux m'arrêter sur les choix du photographe. Un cliché découpe la réalité. S'il a un contenu, il a aussi des limites, des bords. S'il a deux dimensions, il a aussi une profondeur. S'il saisit ce qui lui est extérieur, il a toujours un angle de vue. La photographie est une prise : saisissement du réel, fragmentation du réel, déformation du réel.

    Ici, Malcolm Browne, sans voyeurisme, dynamise la scène. Ses choix (conscients ou non) participent de l'empathie que peut éprouver le spectateur. Si le bonze est au centre du cliché, le choix du plan d'ensemble moyen oblige l'œil à faire le tour du lieu, et ce n'est pas rien. La route, la voiture (celle du bonze), les passants, le jerrican sont autant d'éléments qui servent deux objectifs. En les conservant, Browne définit le contexte et le contexte est un condensé de vérité (2). Tich Quang Duc n'agit pas hors du monde mais dans le monde. Le photographe ne veut pas qu'on faire abstraction de l'espace. Cela ne signifie pas qu'il transforme ce geste en spectacle, bien au contraire. La distance incluant l'entourage du bonze n'est justement pas un effet de distanciation, une protection plus ou moins affirmée mais la condition nécessaire pour que le spectateur s'incorpore le destin de cet homme. Les quelques mètres séparant le martyr de l'objectif (mètres qui partent aussi de toutes parts, avant, arrière-plan, côtés) marquent la continuité du monde. Des mondes pourraient-on dire : celui du bonze, dans cet espace oriental que nous ne sommes pas obligés de connaître mais que nous savons être là ; le nôtre, parce que cette voiture, ces passants, ce jerrican, nous les connaissons aussi pour savoir qu'ici aussi, nous pourrions en voir des exemplaires. C'est par cette moindre concentration autour du sujet violent que Browne replie l'horreur qu'il prend en photo sur notre propre monde, et ainsi en appelle à notre conscience. Cela s'est passé. Il y avait la vie qui tournait, des gens qui passaient. Pas de décor en feu, pas de trace de guerre, mais le quotidien. L'immolation est survenue et personne n'a bougé. La photographie, en fait, introduit la durée, et la durée est effrayante. Plus, peut-être, que l'action fixée sur l'argentique. L'instant capturé par l'appareil ne prend sa pleine valeur que si notre œil développe l'avant de la scène : les préparatifs, l'aspersion, l'installation, la mise à feu. Il n'est pas question de se faire un film, de jouer avec son imaginaire mais de ne pas pouvoir détourner son esprit (son œil intérieur...) de la rigueur logique par quoi un homme met fin atrocement à ses jours. Pas pour lui, mais pour les autres (et ces autres pourraient être nous). Malcom Browne ne s'en tient pas à la douleur de la crémation, c'est-à-dire à ce qui s'est poursuivi après le cliché ; il concentre tout le cheminement de l'homme à ses cendres.

    À ce titre, le capot ouvert de la voiture et le jerrican sont essentiels à la compréhension du moment. Ils sont une mise en demeure à ce que nous ne nous méprenions pas sur le sens de ce que nous voyons. Ils sont les signes du temps écoulé qui nous amène à la combustion et au stoïcisme du bonze.

    La photographie est prise de trois-quarts face. Impossible sans doute de faire face, de regarder dans les yeux la mort. Le corps est encore intact, comme s'il y avait incompatibilité entre le bonze et la flamme. Moment du corps toujours préservé et qui, donc, nous ressemble, et ressemble à ceux qui regardent. Solidarité de l'un pour les autres, identité des différences qui donne à la scène une allure de manifestation improvisée. Les autres, là, semblent comprendre. Ils partagent et cette longue flamme, au sol, est une part d'eux-mêmes. L'un prend sur lui la souffrance des autres, et le mouvement général du feu amène le spectateur à considérer la foule : des bonzes, qui entourent et respectent le geste. Browne fait comme eux, il devient l'un d'eux et nous, qui sait, l'un d'eux aussi.

    Le caractère déchirant de cette photo tient à ce qu'elle rejette tout traitement héroïque du geste. Elle ne cherche pas à singulariser l'acte, tout en refusant de le banaliser. Browne prendra d'autres clichés, la crémation avançant. Ils ont moins de force que celui-ci, le premier de la série. Il aurait pu être le seul, parce que la suite on la connaît et doublement. Pour le geste, c'est la mort. Pour sa symbolique, c'est la misère des armes à la disposition des opprimés, qui espèrent une mobilisation, ailleurs, loin, à l'autre bout du monde, après eux, après n'être plus rien sur l'asphalte.

     

    rage-against-machine-cover-.jpg

    Le cliché de Browne a été repris près de trente ans plus tard, pour illustrer (le problème est déjà là : illustrer...) le premier album éponyme du groupe Rage against the machine. La comparaison est sans appel.

    Le plan est serré, concentré sur l'étrangeté immatérielle du feu qui lèche le corps. Ce sont les flammes que l'on montre, avec l'illusion, presque, qu'elles viendraient de l'homme. Combustion spontanée. Acte sans origine, figé dans sa spectaculaire volatilité. Cela pourrait se passer n'importe où et n'importe quand. Ce qu'il faut, c'est que ça cogne, que dans une devanture, on ne l'oublie pas. Il faut que le nom du groupe récupère au maximum l'effet. C'est la deuxième mort du bonze Tich Trang Duc, sa réduction commerciale d'icône protestaire pour de petits musiciens popeux, pompeux qui nous feront croire qu'ils sont rebelles, forcément rebelles. Rage against the machine exploite la fascination de la violence, joue avec le feu, facilement, gratuitement. Le temps n'a plus de substance. On est dans le pur événement. Il a fallu zoomer sur le bonze. La photographie est moins nette. Un peu de flou qui synthétise tout. On a évacué le sens de l'acte. On en a fait un exemple, un signe quasi indépassable. Il y a, dans le fond, quelque chose de warholien dans ce choix : la même recherche de l'impact facile, la même lisibilité, la même rentabilité.

    Cela peut impressionner l'âme sensible, donner du grain à moudre à ceux qui croient naïvement à la portée du message pop-rock. Laissons-les à leurs illusions

    La dimension politique du rock, du rap, de la pop, etc. est, me semble-t-il, à l'image de cette différence symbolique. Un recadrage : tout est dit. Recadrer, comme des gosses, parce que derrière il y a la pompe à fric et tout le saint-frusquin. Bien des pochettes de musique commerciales jouent avec la provocation : sexuelle, gore, parfois politique. La liste est infinie. Celle de Rage against the machine est à mon sens la pire qui soit...

     

    (1)Quoique des actes similaires de la part d'employés licenciés ou de chômeurs en fin de droit rendent aujourd'hui ce geste moins "hors de pensée". Il serait bon, dans tous les cas, de réfléchir à cette similitude. Certains diront pour se rassurer que ce sont des exceptions. D'autres feront le parallèle entre la guerre économique et la guerre tout court, l'oppression des rentabilités exponentielles et celles des armes et des prisons.

    (2)On rappellera que Hitchcock  ou G. Stevens, pour filmer les camps nazis, recommandaient des plans larges pour éviter les soupçons de manipulation.

     

  • Gouvernance (substantif)

    On a beaucoup ri de lui. On s'est gaussé de son air provincial, de sa mine bonhomme d'épicier qui aurait réussi, de sa silhouette voûtée à vous flinguer n'importe quel costume, et des formules sybillines. Il est néanmoins certain que Jean-Pierre Raffarin a été le premier ministre le plus important de ces trente dernières années. Écrivant cela, je me place sur le plan de l'inflexion du politique vers cette nouvelle forme désengagée et privée qu'aura pris désormais l'art de diriger : la gouvernance. il a d'ailleurs publié un ouvrage sur la question, en 2002, Pour une nouvelle gouvernance (1).

    La gouvernance est le mot-clé de la catastrophe contemporaine. Pour en avoir une vision claire et cinglante, il est indispensable de lire le travail d'Alain Deneault, Gouvernance. Le management totalitaire, Lux éditeur, 2013. 

     

    denault3.jpg

     

     

    50 chapitres courts sous forme de prémisses dont je publie ici la 10ème.

     

    PRIVATISER EN PRIVANT

    On feint de penser sous le vocable de la gouvernance des modalités par lesquelles un vivre-ensemble serait possible... précisément sur un mode qui contredit cette possibilité. La gouvernance désigne ce qu'il reste d'envie de partage dans le contexte de la privatisation économique. Le collectif à l'état de fantasme. Un mirage. Car la privatisation du bien public ne procède en rien d'autre que de la privation. En même temps que le libéralisme économique promeut brutalement cet art de la privation dans les milieux de ceux à qui cela profite, la gouvernance sert à en amortir le choc, pour les esprits seulement, car on n'excèdera pas à ce chapitre le seul travail de rhétorique. Privare, en latin, signifie le fait de mettre à part -c'est le contraire du partage. Privatiser un bien consiste pour les uns à en priver les autres du moment qu'ils ne paient pas un droit de passage afin d'y accéder. Le privatus désigne par conséquent celui qui est privé de quelque chose -privatus lumine, l'aveugle privé de la vue dont parlait Ovide. Même quand les coûts relatifs au bien sont amortis depuis longtemps, comme dans le cas d'un immeuble, des locataires n'en finissent plus de le financer à vide plutôt que s'en tenir aux coûts réels, ceux de son entretien. Quand il ne s'agit  pas de surpayer au profit d'exploitants des biens fabriqués et distribués par des subalternes scandaleusement sous-payés. Le profit des multinationales, vu ainsi, procède d'une sorte d'impôt privé étarnger à tout intérêt public. Il s'agit, autrement dit, de logiques mafieuses légalisées. C'est d'ailleurs du même privare latin que provient l'expression "privilège". Il s'agit littéralement d'une loi  (lex) privée (privus) : le privilège correspond à l'acte de priver (exclure) autrui d'un bien ou d'une faveur en vertu d'une règle générale (loi). En d'autres termes, il est, en droit, une disposition juridique qui fonde un statut particulier -tel que celui de la noblesse dans l'Ancien Régime. D'où les expressions chèries par ceux qui en tirent un grand bénéfice : "respecter la loi", "agir dans le cadre strict de la loi", etc.

     

    (1)Raffarin est diplômé de l'ESCP (École supérieure de commerce de Paris) , dans la même promotion que MIchel Barnier, grand européen devant l'éternel, et qu'il exerça dans le privé, notamment comme directeur général de Bernard Krief Communications, cela est éclairant.

  • Réactionnaires de salon

     

    maurice nadeau,littérature,culture,politique,union euriopéenne,barroso,socialistes


    Une phrase de Barroso, ce Tartuffe nuisible qui fut maoiste en sa jeunesse avant de virer ultra-libéral (ce qui n'est pas incompatible car dans les deux cas, il s'agit d'appauvrir le peuple, de créer une élite oligarchique et d'instaurer un semblant de liberté...) et c'est le feu au poudre. Devant l'envie de protéger l'exception culturelle française, le gouvernement a obtenu que l'audio-visuel n'entre pas dans les discussions du libre-échange. Barroso trouve cela « réactionnaire ».

    Et les couillons qui habituellement vous invectent avec ce même vocabulaire, qui ne vous trouveront jamais assez modernes en n'acceptant pas les règles de Milton Friedman et de von Hayek, qui vous reprochent d'avoir encore des réflexes de classes (ce qui signifie en clair de penser qu'il existe encore un prolétariat exploité et des ouvriers que l'on méprise), ces couillons s'insurgent. Il y a déjà là source à moquerie.

    Alors même qu'ils ne cessent de promouvoir une mondialisation débridée et assassine du passé, alors qu'ils vantent la création (terme languien au possible) au détriment de l'art, alors qu'ils célébrent l'écrivaillon contre l'homme d'une œuvre (il faut les voir s'émerveiller devant cette classe de journalistes-écrivains, à la Giesbert ou la Poivre d'Arvor, qui pissent de la copie romancée), ils voudraient nous faire croire que les niaiseries de Barroso les bouleversent. C'est évidemment touchant. Mais on ne peut guère les croire. Ils sont idiots et à l'image de ce cher Frédéric Lefèvre, nouvellement élu au titre des Français de l'étranger, adorent sans doute les écrivains Zadig et Voltaire.

    Raccourci éhonté me dira-t-on. Caricature infâme. Certainement. Mais il n'y a pas de raison que nous accordions à la classe politique des nuances qu'elles n'accordent pas à la populace, cette populace qu'elle sait invectiver, avec des mots polis, quand elle ne vote pas comme il faut. Je crois seulement que l'exception culturelle française réduite ou résumée aux productions télévisuelles, voilà qui en dit long sur l'espoir que nous pourrions avoir de préserver et de promouvoir notre spécificité. Mais nous n'avons rien à espérer de gens qui, comme ceux au pouvoir, détestent leur pays, sa culture et son histoire.

    Imbéciles encartés aux joies de l'audimat, de la télé poubelle et des pages de pub, adeptes des émissions pseudo-politiques et vaguement people (le rêve de passer chez Drucker en somme...), ces gens dévoilent ce qu'ils pensent en profondeur de la culture. Incultes eux-mêmes pour la plupart, les politiques français ont les réflexes du lambda de base qui identifie la connaissance aux bavardages insipides des hommes de télé et des journalistes complaisants, des séries insipides et de l'américanisation de l'antenne. Je trouvais déjà les Grecs fort stupides de s'émouvoir d'un écran noir ; force est de constater que les Français, tout au moins leurs dirigeants, ne valent pas mieux.

    On aimerait qu'ils se battent sur l'essentiel : la transmission d'une culture millénaire aux racines judéo-chrétienne (1), d'une littérature qui s'est fondé dès le XIIe siècle, d'une musique et d'une peinture qui ont brillé pendant des siècles. On aimerait qu'ils n'aient pas décrété l'anglais comme langue d'enseignement au même titre que le français. On aimerait qu'ils n'aient pas œuvré depuis longtemps à l'appauvrissement des enseignements et des manuels pour en vider, notamment en collège, la littérature et en lycée la chronologie historique. On aimerait qu'ils n'aient jouer les complaisants d'un art contemporain postmoderne qui célèbre Buren, Georges & Gilbert ou Jeff Koons.

    À côté de ce désastre, la saillie de Barroso est de la roupie de sansonnet. Qu'on brade la télévision ! Elle est déjà gangrénée par les lois du marché et les vendeurs de TF1, les fondateurs de Canal +, ceux de la 6, les complices du dévoiement la télé publique (où est le mieux disant culturel ? Où ?) devraient se taire plutôt que de jouer encore une fois l'indignation.


    Pour le reste, l'écrivain et éditeur Maurice Nadeau est mort dimanche, à 102 ans, dans une indifférence médiatique qui vaut toutes les explications. Requiescat in pace.


    Photo : Radio France - Verdier/Sophie Bassouls

     (1)Ce qui n'a bien sûr rien à voir avec une quelconque promotion de la religion chrétienne. 

  • La réalité est magique...

     

    sérignan,politique,démocratie,lieu,toponymie

    À Sérignan, dans l'Hérault, il existe une impasse de la démocratie. Il y a donc bien eu, dans le passé commun d'une bourgade sans histoire, de joyeux drilles facétieux qui tournaient tout en dérision, à moins que ce ne fût le signe d'une mélancolie désirant conjurer le sort. Le plus drôle est que nul conseil municipal ne se soit encore penché sur la question d'une nouvelle appellation. C'est pourtant dans l'air du temps, le ravalement des noms et des idées.  

    Mais il est vrai qu'en matière d'impasse, le choix serait si pléthorique, les prétendants si nombreux (que chacun fasse sa liste) que le statu quo soit de mise.

    Néanmoins, on sait que l'infiniment petit côtoie l'infiniment grand. Sérignan tient peut-être là, dans le mystère d'une désignation dont on ne connaît plus l'origine, et sans le savoir, une clé de l'Histoire à venir...


    Photo : Ronan Le Grévellec

  • Antifasciste, évidemment

     

    L'affaire Méric aura donné lieu à une belle débauche de propagande quasi soviétique. Nous aurons assisté ces derniers jours à un exemple de terreur médiatique et de manipulation, à vous rappeler dans la minute les pages décapantes de Serge Halimi quand il écrivait sur les Nouveaux Chiens de garde (1).

    Les faits sont ce qu'ils sont et la peine des parents de la victime ne me concerne pas plus que celle de tout parent qui perd un enfant : cela arrive tous les jours et dans des circonstances dont la violence est comparable à ce qui est advenu la semaine dernière. Nous sommes dans l'ordre du privé et la common decency implique que l'on reste à sa place. Le problème n'est pas de s'apitoyer, de tourner l'histoire d'une rixe entre extrémistes en préfiguration d'une montée du fascisme et fissa, à l'image de l'inutile Vallaud-Belkhacem, de demander aux media de ne pas se faire les relais des idées néo-nazis et d'extrême-droite. Ridicule porte-parole d'un gouvernement non moins ridicule et nuisible, faut-il rappeler à sa culture politique que ce fut Mitterrand qui obligea à ce qu'on ouvrît l'espace médiatique à Le Pen, dans les années 80, pour amoindrir la droite ? Faut-il lui rappeler que ce furent ses vieux copains socialistes qui, pour sauver des sièges, introduisirent de la proportionnelle en 1986 et offrirent à Le Pen and co 35 députés ? Est-il  possible d'énumérer les média complices des idées brunes ? Voudrait-elle brider l'espace d'expression, voyant dans Le Figaro, Valeurs actuelles et La Croix les vers pourrissant la démocratie ? Bergé vient bien d'accuser Frigide Barjot d'avoir du sang sur les mains. Tout est possible en cette France nourrie de bêtise. Mais l'amalgame est un jeu connu des aspirants autoritaires...

    Quelle terreur, donc ?

    Un simple glissement sémantique, en fait. Clément Méric fut d'abord médiatiquement un militant d'extrême-gauche. Mais cela n'était guère porteur, eu égard à la manière dont la classe politique institutionnalisée, à commencer par le parti de la rose, traite habituellement cette engeance agitée. Était-il possible de se mettre du côté d'un trotskyste ou apparenté ? Problème sans doute. On ne pouvait pas, sans être en porte-à-faux et dépasser le compassionnel, tenir la ligne politique qui, paraît-il, plaçait la victime du côté des extrêmes, car il faudrait alors envisager un jour de devoir tenir la même posture pour la mort, dans un combat de rue, d'un facho patenté. Il fallait le ressort de la langue de bois et des fausses moustaches pour convertir le débit en crédit. La requalification de la langue est un des modes les plus classiques de la terreur, parce qu'elle s'impose par le haut : elle est un signe non seulement du pouvoir en soi mais aussi l'affirmation de son droit illimité à redéfinir le réel à sa convenance. Cela n'a rien à voir avec la polysémie ou la métaphore. Ce à quoi on assiste alors est un transfert symbolique mettant entre parenthèses (ou annulant même parfois) le partage commun du sens. Telle a été, en moins d'une journée, la transmutation de l'élément politique.

    Ainsi parut-il que c'était un militant non plus d'extrême-gauche mais antifasciste qui avait trouvé la mort. L'antifascisme est pratique : il ouvre la clé des bonnes âmes et impose le respect, c'est-à-dire le silence. Il a de plus l'avantage d'être soluble dans la doctrine libérale (fût-elle maquillée en bavardages de gauche). Il est le blanc-seing par quoi certains s'achètent ou se rachètent une virginité. Mieux encore : c'est une étiquette fédératrice, devant laquelle vous n'avez plus qu'à vous taire. Vous êtes, vous devez être anti-fasciste, pro mariage gay, aimé le progrès, être de gauche, mondialiste (2). Au fond, l'identité démocrate française, aujourd'hui, c'est un peu comme le formulaire que vous remplissez quand vous allez aux États-Unis : le choix est réduit et contraint. Antifasciste, donc, la victime, ce qui supposerait en bonne logique (je veux dire, quand on applique un principe d'équivalence des termes) qu'extrême-gauche et antifasciste soient synonymes. Pourquoi pas ? C'est en tout cas un brevet de bonne conduite absolument imparable. Les staliniens du PC en usèrent pendant des décennies pour couvrir les horreurs du Goulag, la Révolution culturelle chinoise et le soutien aux Khmers rouges. Ce genre de révisionnisme historique est pour le moins répugnant et suppose que l'on fasse des confusions malhonnêtes dans les époques. Mais de telles pratiques sont le fondement même de ce qu'on appelle la propagande, eût-elle les apparences des pensées les plus nobles. L'antifascisme, comme position politique, mérite mieux qu'un traitement postiche, qu'un accommodement de circonstances. Or, les socialistes et les journalistes soumis à leurs intérêts ont œuvré en ce sens, un peu comme ils l'avaient fait un an plus tôt dans l'affaire Mérah. Il faut croire qu'ils n'ont pas eu honte de leurs raccourcis d'alors et qu'on leur a vite pardonné ces pratiques nauséabondes.

    J'ai connu dans ma jeunesse des autonomes et des anarchistes qui avaient eux aussi des gros bras qui aimaient la baston et j'aurais craint certains soirs de les croiser. Ce sont d'ailleurs eux avec qui la police des gouvernants socialistes ont parfois eu mailles à partir. Mais ce n'est évidemment pas le sujet. Ce n'est jamais le sujet.

    Dès lors, comment ne pas rester amèrement dubitatif devant cette énième tentative de récupération, devant cet énième travail de moralisation confondante de la part de ceux qui pensent avoir pour eux, ad vitam aeternam, les valeurs universelles (3) Il est ridicule et sommaire de penser que de telles arguties médiatiques puissent encore longtemps faire illusion. Ces procédés sont propres à creuser plus encore le fossé entre les politiques et la population. Éluder la réalité en recourant à des recettes aussi éculées consterne.

    Une mienne connaissance me faisait justement remarquer que le mis en examen est fils d'émigré espagnol, d'origine modeste, quand la victime est fils de professeurs de droit. Il y a là comme une inversion symbolique. Le garçon issu du peuple, qu'on aurait attendu à l'extrême-gauche, est à l'extrême-droite, quand le fils de bourgeois s'entiche des rêveries trotsko je ne sais quoi. Les sociologues à la petite semaine, qui ne voient pas grand chose du monde mais qui aiment discourir sur les plateaux télé, devraient prendre en considération ce bouleversant paramètre. Ce serait, me semble-t-il, plus intéressant, plus porteur, pour analyser la décomposition sociale d'un pays livré aux vents frais du libéralisme intégral, que de pavoiser à la couleur des étendards de quelques anars et autres ultra-gauchistes de salon comme on en trouve à Sciences-Po (avant que de rentrer dans le rang des pantouflages rémunérateurs). Il ne s'agit nullement de défendre qui que ce soit, de trouver des excuses à qui que ce soit mais il est intolérable que l'argument social et politique soit la propriété des mêmes. On aurait par exemple aimé entendre les instances de l'État s'exprimer sur le passage à tabac d'un prêtre le 13 mai dernier. Pas une ligne dans Le Monde, dans Libération. 

    Antifascisme, donc, puisqu'il faut croire que nous sommes à l'orée d'une éruption brune. Encore faudrait-il le prouver ? Encore faudrait-il alors prendre les mesures en accord avec les paroles. Car toute cette mise en scène manque de profondeur. Si les groupuscules d'extrême-droite sont dangereux, qu'on les interdise, qu'on les combatte aussi virilement que sont capables de le faire les forces de l'ordre pour évacuer une usine occupée par des salariés. Si le Front National est un danger pour la démocratie, qu'on l'interdise. Purement et simplement. Si l'on est vraiment antifasciste, on ne peut pas prétendre comme on l'entend jusque dans les rangs de la droite (Fillon en tête) qu'il n'est pas dans l'arc républicain.

    Pour le reste, l'antifascisme est une pirouette dont se targue à tout moment la gauche, oubliant qu'elle fut historiquement un pourvoyeur non négligeable des troupes fascistes dans les années 30-40.

    Dernière chose : l'indulgence pour l'extrême-gauche et son masque antifasciste ne doit pas nous faire oublier que l'antisémitisme de ce milieu, au nom d'une lutte contre la capitalisme et le soutien aux mouvements post-coloniaux passant par la haine d'Israël, les rend fort perméables à certains discours islamistes. Il suffit de les voir s'accointer sur les campus. Mais de cela nul n'est jamais censé parler.

     

     

    (1)Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde, Raison d'agir, 1997 (édition revue en 2005)

    (2)Pas altermondialiste, mon-dia-liste !

    (3)Ce qui ne manque pas de sel tant, par ailleurs, il conteste l'universalité au nom de la diversité...

     

  • Job (substantif)

    Dans la série des anglicismes qui ne devraient servir à rien mais dont l'usage induit une inflexion de l'esprit français vers les valeurs anglo-saxonnes, il y a job.

    Nous sommes déjà passés de l'époque du métier à celui de l'emploi, ce qui, pour beaucoup, signifie un rabais qualitatif du travail et pour la plupart une disponibilité, une flexibilité, une employabilité dont le nouvel esprit du capitalisme (comme l'ont si bien décrit Boltanski et Chiapello) voudrait nous faire croire qu'elles sont une chance, alors qu'elles sont les révélateurs d'une incertitude chronique et stratégique (du point de vue des dirigeants). Et ce n'est pas la dernière loi socialo-libérale sur la "sécurisation de l'emploi" (justement) qui va arranger la situation. Le désastre est tellement flagrant et la complicité des gouvernants de progrès tellement évidente qu'on se doit de rappeler tout ce qu'un Jean-Claude Michéa dénonce d'une gauche qui fait pire, d'une certaine manière, que la droite.

    Mais revenons à notre job.

    Pour les gens de ma génération, l'usage de ce mot était circonscrite : il renvoyait quasi exclusivement à cette période estivale pendant laquelle on cherchait un boulot pour financer ses études ou partir en septembre avant que la fac ne reprenne son train-train en octobre. Le job avait par excellence cette connotation joyeuse parce que temporaire d'un travail qui ne pouvait pas nous définir, par lequel nous étions concernés pour autant que le plaisir ou l'indépendance relative était au bout. Jusqu'à un certain point (je pense à ceux qui faisaient des colonies), le job servait à vous fabriquer des souvenirs.

    Avec le temps, le job s'est installé dans le quotidien, dans la continuité annuelle d'une société en crise, dans la perpétuation des incertitudes sociales et économiques. Ce qui tenait du furtif et du sommaire sans crispation s'est transformé en une recherche répétitive et flottante pour échapper la misère et à la précarité. Le job d'été n'est plus, ou si peu. À la place : trouver un job. Un job à l'année, s'entend, selon des contrats précaires, des renouvellements aléatoires, et des conditions défavorables. Par le biais de toutes ses connotations, le mot job a signifié que le monde du travail français avait changé, que les heures de gloire de l'ouvrier et de l'employé lambda, dans ses revendications de reconnaissance légitimes, étaient passées.

    Le job, c'est le managériat à l'américaine. C'est le triomphe symbolique de MacDo. C'est l'effacement de toute valeur humaine au profit de la comptabilité. Xavier ou Paul a trouvé un job : autant dire que ce sont des années de CDD et, même en cas de CDI, une plongée à la minute en cas de baisse d'activité. Le job cadre bien avec l'éternel jeunisme ambiant. Il va de pair avec le discours stratégique qui demande à ce que de votre énergie vous fassiez un plus pour l'entreprise. Et de presser le citron avant de le jeter.

    Il a fallu attendre le tournant des années 2000 et même un peu au delà pour le mot franchisse une étape supplémentaire, celle de l'univers politique. L'an passé, Copé l'ectoplasme disait que pendant la campagne il avait fait le job (a minima semble-t-il). Ce jour, Valls je-n'aime-que-moi déclare qu' "il y a un président de la République François Hollande qui je l'espère est là pour longtemps. Il y a aussi un Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui fait bien son job." Laissons de côté ce que le propos porte d'implicite et d'ambition. Retenons simplement que la politique est un job, que la direction politique est un job, que l'orientation d'une nation est un job.

    Faire le job... Il ne s'agit plus d'un travail. Cela n'équivaut pas à faire son travail. L'idée est tout autre. C'est le triomphe de la logique d'entreprise. Le job est indissociable du business. Il n'est pas étonnant que des personnalités aussi peu politiques que Copé ou Valls (mais les autres ne le sont pas plus) usent d'un tel vocabulaire. Le repli du politique sur les critères de l'économique, de la finance et des cadres comptables ne peut qu'aboutir à ce dépérissement. Ayrault fait (bien) son job ; il ne mène pas une politique. Et pour cause : il faudrait qu'il en ait une, qu'il ait le droit d'en avoir une, qu'il ait la volonté d'en affirmer une. Mais rien de tout cela ne peut désormais advenir.

    Reste le job. C'est-à-dire la posture et l'instrumentalisation à peine cachées maintenant de la classe politique qui occupe la place ou le poste, en sicaire obéissant de la finance (l'ennemi par principe, comme dirait l'homme normal...). Pour le job, la compétence est moins importante que la stratégie, la valeur moins porteuse que le symbole (sans quoi Ayrault ne l'aurait pas décroché, le job). 

    Dans le job, les ordre viennent d'ailleurs, la pression est extérieure, la raison invisible et le souci commun une petite brume qui se dissipe.

    Et après faire le job, que nous reste-t-il à attendre (façon de parler évidemment, puisque nous n'attendons rien, en soi) ? Do the job. Une version anglaise intégrale ou le statu quo. Belle perspecive d'un langage politique niché entre l'euphémisme (le mot rigueur n'a pas de raison d'être) et le sabir minimum d'une mondialisation asséchante et destructrice.

  • Seul(e)s...

     

    politique,précarisation,social-libéralisme,mariage gay,société,travail,droit

    C'est une tienne connaissance. Elle a vingt-huit ans et un parcours cahotique. Elle poursuit des études en histoire de l'art et pendant que vous discutez à une terrasse de la prochaine manfiestation pour tous, elle te répond que cette affaire ne la touche que lointainement et qu'elle trouvait depuis longtemps que tout le battage autour de cette question d'union lui semblait suspecte, qu'elle devait cacher quelque chose. Il y a quelques jours, elle a compris : l'adoption de la loi de sécurisation de l'emploi. Belle formule pour dissimuler la mort du CDI et l'instauration de la précarisation à tous les étages. Tout cela passé comme une lettre à la poste. Alors tes éructations contre le mariage gay, elle a la courtoisie de comprendre mais ce n'est pas sa préoccupation immédiate.

    Tu n'as rien à rétorquer devant l'inquiétude légitime et palpable d'une décision qui engage une vie et tant d'autres. Tu acquiesces et la seule chose que tu puisses répondre tient d'une analyse à laquelle elle adhère mais qui demeure encore trop lontaine. 

    Parce qu'il n'y a pas de différence fondamentale entre le mariage gay et l'insécurité professionnelle. Les deux décisions, l'une sociétale, visible, spectaculaire, polémique, l'autre, économique, sournoise, dissimulée, consensuelle relèvent de la même logique. Logique double : détruire les structures repères pour amoindrir les balises individuelles, individualiser les demandes pour affaiblir l'individu. 

    Toute l'affaire de ce qui se trame est là : donner à la personne tout ce qu'il désire de liberté pour le rendre vulnérable jusqu'à la moëlle, lui donner l'illusion d'un pouvoir sans limites, d'un désir sans cesse comblé pour mieux le livrer aux lois du marché.

    C'est une pure illusion d'optique que de croire incompatible ces deux lois promulguées par un même gouvernement. C'est ne pas vouloir comprendre que la liberté économique (le libéralisme première mouture) n'est pas contradictoire avec le liberté sociétale (le libéralisme deuxième mouture). Tout progrès vers la société réduite à ses fonctions de marché induit que l'individu s'atomise, se pulvérise à travers ses désirs et la croyance en ses seules possibilités. Just do it : voilà le sésame. Dès lors deux directions sont à creuser.

    La première tend à maximiser les potentiels minoritaires parce que ceux-ci offrent une opportunité de marché. Le fractionnement sociétal est la garantie d'une extension des offres, par la loi des demandes. En clair, il s'agit d'appliquer dans l'extrême de son potentiel le principe des niches et celui de la fragmentation des cibles. Le mariage gay repose, en partie, sur cette perspective. Il n'est pas étonnant que des articles soient tôt sortis dans la presse pour expliquer qu'un nouveau marché s'ouvrait.

    La seconde tend à diminuer autant que faire se peut les droits collectifs au profit des logiques individuelles. Selon un esprit fort anglo-saxon et libéral, only the fittest survived. Seuls les plus adaptés survécurent. La fin du CDI, dans un discours libéral, concurrentiel et guerrier, pourra toujours être présentée comme une chance pour les meilleurs de s'en sortir. Plus encore : de mieux s'en sortir puisque selon une loi distributive ils en tireront des avantages plus conséquents. Le problème est évidemment que, sur ces profits putatifs, nul ne discourt. C'est une éventualité. Mais chacun sait que les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent.

    Ainsi donc, les deux lois menées de conserve par le social-libéralisme français ne sont pas des aberrations mais répondent à la même ambition de libérer le marché des carcans administratifs et sociétaux. Il est interdit d'interdire : le mot d'ordre des illuminés sorbonnards de 68 trouve sa plénitude dans l'avènement d'un désordre politique par quoi l'individu est livré à lui-même. 

    Le mariage pour tous et la précarité pour tous ne sont que les deux versants d'une même médaille obscure qui prépare un avenir radieux. Dans les deux cas, ce ne sont pas les nantis des beaux quartiers qui ont à craindre. Ni le gay du Marais, ni la fille Dubreuil-Moncoucou : ils ont les réseaux et les sécurités cachées d'une société menteuse. Pour Mouloud, qui ne peut révéler son homosexualité à La Courneuve, et Jeanne qui enchaîne les petits boulots après l'obtention du bac, l'effroi devant les années à venir reste le même. Mais on s'en moque : ils n'avaient qu'à vivre ailleurs, naître ailleurs et faire ce qu'il fallait...


    Photo : David F.

  • Transparence (substantif)

     

    transparence,politique,société de contrôle,manipulation,consommation



    La transparence, ça nous regarde. Voilà bien la formule qu'on nous adresse du haut des assemblées, des couloirs dorés, des arcanes du politique. La transparence est notre droit, notre inscription égalitaire dans l'univers démocratique. Elle est la synthèse de nos pouvoirs dus par le monde qui parle pour nous. Le donnant-donnant. Homme normal ou arriviste vulgaire, ils viennent, comme des destins nus et purs le dire au citoyen : la transparence, ça vous regarde. C'est votre bien, votre blanc-seing nécessaire à notre crédibilité. Ils viennent avec comptes et bilans, dans leurs costumes inquiets d'hommes intègres, forcément intégres (et ce n'est pas tant leurs écarts qui troublent, nous ne croyons pas à la vertu du politique, moins encore à sa pleine lumière, mais leurs impossibles reconnaissances de pris-dans-le-sac.)

    La transparence. Rien dans les mains, rien dans les poches.

    La transparence, listée, légiférée, mise en scène, pour pas grand chose, en fait, car les mots doivent être remplis, être une matière et une épaisseur du monde, san quoi je peux aisément découvrir l'horreur réversible qui se cache, là et ailleurs.

    Comme cette transparence qui nous regarde, à laquelle nous nous exposons, qu'on le veuille ou non, sur les réseaux, dasn l'organigramme insondable des connections, du numérique, de la vidéo-surveillance, de la structure eye fish de l'espace, de l'historique des appels, des indices de satisfaction, des numéros de transactions, des cryptages, des cookies, des bases de données, comme cette transparence de nous-mêmes à la machinerie marchande et sécuritaire, sécuritaire parce que marchande,

    transparence sécurisée en zones, délivrant les plus nantis de l'angoisse, accroissant la terreur, ailleurs, entre miséreux.

    Transparence qui nous regarde : terrible, reptilienne et fluide. La seule, l'essentielle, toujours plus galopante et que l'on masque et protège en offrant, sans même y croire tout en dramatisant l'annonce, cette autre transparence qui ne dit absolument rien du politique.


    Photo : Elliot Erwitt