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politique - Page 14

  • Addendum à "Cette social-démocratie qui nous enterre..."

    Pour une confirmation de ce que le vers est dans le fruit et la rose politique  un leurre, l'ouvrage suivant qui sort cette semaine. Bertrand Rothé est professeur d'économie et on pourra lire une interview de lui ici. (1)

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    (1)Et l'épisode des escapades ministérielles pendant les vacances de Noël est, sans qu'il y paraisse, une belle illustration de ce mépris. Passons sur le fait qu'il dévoile ce que l'on savait déjà : Hollande est dépourvu d'autorité... En fait, il est assez significatif de voir prendre leurs aises avec les ordres présidentiels (et donc avec une prétendue idée que le président se ferait de l'intérêt général, même pendant la trêve des confiseurs), et de se trouver ainsi réunis, l'arrogant bourgeois Fabius dont on se souvient qu'il roula un temps en 2 CV pour faire peuple, et la parvenue Filippetti qui use régulièrement de ses origines prolétaires (jusqu'à commettre des textes de mauvaise prose), de son ascendance émigrée et mineure, en Lorraine, pour essayer de masquer toute la soif de gloriole motivant sa démarche. Que ces deux-là se retrouvent pour une semblable actualité people est fort savoureux...

  • Cette social-démocratie qui nous enterre...

     

     

    Il y a quelques jours, sur le blog de l'ami Solko (que je cite décidément beaucoup en cette fin d'année), lequel se gaussait des cris d'orfraie poussés par ceux vouant Depardieu au pilori de la bonne morale patriotique (ce patriotisme qu'habituellement la gauche trouve rance, fascisante, xénophobe, etc.), un remarquable socialiste, le sieur Blachier, s'insurgeait. Je ne commente plus les blogs (1) mais pour le coup je ne pus m'empêcher de réagir pour rappeler à cet esprit encarté que :

    1-l'histrion n'avait fait qu'appliquer les règles de l'espace Schengen et qu'il avait fort raison d'invoquer lors qu'il était européen. Et plutôt deux fois qu'une. Il est dommage qu'on lui en fasse grief de son arrangement avec les frontières quand on n'a rien fait (et les socialistes en premier que l'Europe qu'ils nous ont imposé est notre avenir) pour développer une vraie Europe sociale et fiscale. Depardieu va en Belgique. Il ne s'exile pas dans un paradis des Antilles.

    2-la construction européenne et sa conformation à une logique ultra-libérale est le fruit d'une pensée où les socio-démocrates ont été à la pointe. On se souviendra que dans les années 90, ils étaient majoritaires sur le Vieux Continent. Ils n'ont rien fait qui puisse contrer les délires du marché.

    3-la gauche socialiste française peut se targuer d'avoir ces vingt-cinq dernières fourni une escouade de choc du libéralisme triomphant. Qu'on en juge par la liste suivante :
    1-Jacques Delors, dirigeant la commission européenne (Maastricht and co)
    2-Jacques Attali, dirigeant la BERD
    3-Pascal Lamy, dirigeant l'OMC
    4-Strauss-Khan, dirigeant le FMI.

    En période de crise, il est remarquable de voir à quel point ce parti et cette famille politique hexagonale auront réussi à trouver des boulots en vue à leurs cadres éminents. Au fond, quand il s'agit de saper une certaine idée de la France au profit d'un commerce internationalisé et morbide, rien de mieux qu'un homme du PS.

    Pour développer ce point, cette convergence troublante entre social-démocratie et libéralisme échevelé, je vous invite à vous rendre sur le lien suivant, fort instructif.

    http://www.atlantico.fr/decryptage/grand-paradoxe-exces-europe-neo-liberale-sont-nes-generation-leaders-venus-social-democratie-mathieu-vieira-fabien-escalona-jean-578001.html

     


    (1)Sinon, et c'est fort rare, le très désopilant et subtil Jamais de la vie commis par Depluloin.


  • Voici Le Monde...

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    Parfois, quand vous faites vos courses et que vous vous répartissez les joyeux ennuis de l'attente aux caisses, vous êtes celui (ou celle) qui a fini le premier. Alors, vous attendez (comme quoi, on ne sort jamais vraiment du système) et les grandes et moyennes surfaces ayant eu comme prétention de répandre la culture, elles ont des rayons littérature réductibles au tout venant de la palinodie consumériste. On y trouve évidemment Musso, Lévy, et Millénium, mais aussi les multiples avatars de l'écriture journalistique devant quoi, aujourd'hui, le monde de la littérature recule insensiblement. 

    Mais revenons à notre pénible attente et au rayonnage des exemplaires de la moderne littérature. Nous attendons donc et nous voyons, bien en évidence sur le présentoir, un couple. C'est une romance, une sorte d'illustration (pour ne pas dire une inscription dans le marbre) du glamour. Il a le charme vague -très vague- d'un Cassavetes ou d'un Berstein bouffi, elle, le brushing et le magnétisme, hélas éteint, d'une Liz Taylor. Ils posent, ils nous regardent. Ils sont les symboles parfaits (et la perfection est alors le signe même de l'imperfection, pire : de l'imposture) du duo kitsch, de l'histoire mainte fois épuisé de l'union idéal. Ils ont tout pour être heureux : l'art de la séduction (comme quoi, photoshop est magique, un véritable détournement) en absolu témoignage de la réussite. Il faut que nous les enviions, que nous les désirions, que nous nous projetions ; et nous avons l'air un peu crétin avec nos sacs plastiques où se mélangent, pêle-mêle, les tomates séchées, la salade trévise, le San Daniele, deux bouteilles de Perrier, trois courgettes et un pot de confiture poire-mandarine. Il y a de quoi se sentir minable, n'est-ce pas, d'être ainsi ancré dans la prosaïque quotidienneté... Eux, si beaux, si forts, si loin. 

    D'ailleurs, ils ont un nom : les Strauss-Khan, comme il y avait les Kennedy. Ce n'est pas un couple mais une légende. Une entité double mais complexe. Un monde, un univers, une histoire, une romance, un scénario...  Tout ce qu'on veut, pourvu que l'on soit capable de comprendre que par le pluriel il s'agit moins d'eux que de nous, de notre médiocrité face à leur existence quasi cinématographique. Pourtant, nous, miette de l'univers (à l'aune du diktat médiatique), nous savons combien ce titre est faux puisque leur vie commune a volé en éclat. Mais c'est bien le principe des gens d'exception d'exister par delà leurs échecs, les troubles du quotidien, les mensonges, les petits arrangements du pouvoir, les trahisons, les douleurs... Ils sont insubmersibles. Il est donc possible, sans le moindre ridicule, sans qu'ils aient même l'idée d'intenter un procès à l'éditeur, de poser avec autant d'aplomb, de faire que ce cliché du passé puisse survivre à l'épreuve de la réalité. Ils sont dans l'éternité de leur représentation, dans ce qu'ils avaient décidé d'être, et que rien, et surtout pas la réalité, ne peut entacher.

    Puis quelques jours passent et comme il n'est pas de réalité sans une certaine forme de répétition (dont nous essayons de neutraliser la pesanteur en trouvant des subterfuges), nous revenons au même endroit et cette fois, nous prenons le livre et le lisons en diagonales. Autant dire que nous ne le lisons pas ; mais en même temps nous en saisissons la substantifique moëlle, laquelle est aussi peu nourrissante qu'une carcasse de poulet d'élevage. La pauvreté de la prose s'allie à la médiocrité du propos. Cela pue le cancan et le cul-de-basse-fosse, l'analyse politique micro-ondes, la tambouille des petites fiches scolaires. Rien que nous ne sachions déjà, après tant de déballages de presse, rien qui ne puisse nous rendre indifférent au personnel politique et médiatique

    Cette médiocrité assez putride, nous ne la devons pas à quelque paparazzo en mal de célébrité, à quelque plumitif people. Que nenni ! Nous sommes redevables de deux journaliste du Monde. N'est-ce pas magnifique ? Au fond, ce n'est rien d'autre que du Voici pour bac +3 (mais en écrivant cela, je mesure que je méprise inutilement et injustement le lecteur ou la lectrice de Voici... sans atteindre jamais la cible véritable : le lecteur contemporain du Monde.). Il y en a qui glousseraient devant le populo engagé dans la lecture d'une biographie de Rihanna ou d'Amy Winehouse. Mais, là, l'histoire vole autrement plus haut. Il est certain que le sujet est porteur et que la profondeur intellectuelle de ce qui fut un phare (sinon Le phare) de la presse française ne peut plus s'indigner que deux de ces journalistes aillent à la soupe. C'est humain, parisien, vulgaire mais il faut bien arrondir ses fins de mois...

  • Grandeur vélocipédique

     

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    Ce n'est pas la nouvelle du mois, bien sûr. Ce n'est même pas une nouvelle, dans le sens où il y aurait, à l'apprendre, un effet de surprise. L'annonce est un grain supplémentaire dans l'implacable subversion des valeurs, qui interdit les hiérarchies, magnifie une pseudo-culture populaire et relègue au rang des ennuyeux et des empoussiérés le monde des arts, des sciences et du politique (comme quoi, le politique contemporain, parce qu'il n'a plus que le nom de politique, peut achever ce qu'il est censé représenter).

    En la ville de Chantonnay, il y aura bientôt un boulevard Thomas-Voeckler. Pas une impasse ou une petite rue. Un boulevard. Qui est-il, diront certains ? Une sommité locale, un responsable régional, un enfant du pays (comme on disait parce que maintenant cela a des accents paysans et clairement ringards) ? Nullement. Il est coureur cycliste. Un coureur du passé, mort ? Un compagnon de l'époque mythique qui aura fait s'extasier Jarry ou Blondin (surtout Blondin) ? Nullement. Il a trente-quatre ans. Il va revêtir pour la prochaine saison chaussures, gants, cuissards et maillots. Il est parmi nous, et comme en eut le droit, jadis, Victor Hugo, et il fut le premier d'entre tous, il entrera dans la toponymie des lieux de son vivant. Je ne sais pas ce que pense l'intéressé d'être ainsi canonisé par l'institution. Sans doute répondra-t-il qu'il est ému, honoré, et fier : tel est le vocabulaire en vigueur. Le cœur et la gravité devant ce qui n'est pas commun. Et nous, qu'en penser ?

    L'affaire, face à l'effroi du monde, etc., etc., etc., ne demande pas de commentaires. C'est ainsi, d'ailleurs, que fonctionne pour le mieux le désordre, quand ils nous astreignent, le monde et le désordre, à ne pas faire de commentaires. À nous taire. Le temps contemporain fabrique de la futilité, en fait son actualité, à une vitesse vertigineuse, détricotant le passé, mais nous interdit de prendre cette entreprise sur son versant idéologique, si bien qu'il ne nous reste plus qu'à acquiescer. Car au fur et à mesure que s'accumulent les anecdotes onomastiques, les attributions fantaisistes à des minores de nos rues et de nos bâtiments institutionnels, on finit par se dire qu'il s'agit bien d'une entreprise de neutralisation des valeurs (1).  Tout est dans tout et rien ne mérite qu'on le distingue. D'ailleurs, il s'agit de faire peuple, d'être décoincé et ouvert. Très important, cela : décoincé et ouvert. On dirait même open...

    Le sport ayant acquis un tel statut dans le monde contemporain, il est donc légitime qu'on lui donne une part belle dans les artères de nos villes et de nos villages. Et comme le sport n'a pas eu le temps de s'inscrire vraiment dans le temps, qu'il est même une négation du temps, consommant ses héros à vitesse grand V, il ne reste plus qu'à prendre le train en marche et à les sanctifier de leur vivant. Ainsi Thomas Voeckler...

    Sur ce point, le moment choisi n'est peut-être pas anodin. En cet automne où la statue du Commandeur Armstrong a été dévissée en quelques semaines, cet hommage sent bon sa revanche cocardière. Le bon petit Français contre le méchant Américain, le pot de terre contre le pot de fer, l'honneur outragé contre la félonie outrecuidante (mais à la fin battue). C'est tellement bon d'avoir de ces petites victoires qui ramènent à l'auto-glorification. On imagine que le sportif français est le chevalier blanc de l'effort à l'eau de source, du combat à mains nues, de la souffrance pure, pure, pure. Si donc il s'agit de s'enorgueillir d'un combat qui, contre un libéralisme sportif prônant le résultat coûte que coûte, se réclame du seul mollet vaillant et de la volonté inoxydable, je trouve alors que Chantonnay, c'est un peu petit. Je ne doute pas que l'ami Delanoë (2), qui aime être hype en diable, ne sera pas en reste. Pour lui éviter de passer trop de temps sur une carte, je lui suggère ainsi de débaptiser l'avenue des Champs-Élysées pour qu'elle devienne avenue Jacques-Anquetil, que la rue de Rivoli soit désormais la rue Bernard-Hinault et que la place Clichy, si chère à Céline (tant pis pour lui), soit actualisée en place Raymond-Poulidor. C'est, je le concède, une mythologie de peu, mais il faut bien faire avec ce qu'on a (3).

    La roue tourne et suivant les chemins d'une rêverie mi-sérieuse mi-désabusée, de se souvenir d'un des actes fondateurs d'une destitution de l'art, il y aura un siècle, l'an prochain : Marcel Duchamp avec ceci :

     

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    (1)À commencer par tous ces collèges ou lycées Jacques-Brel, Barbara-Hendricks, Georges-Brassens, René-Goscinny...

    (2)Je précise que j'ai choisi Delanoë parce qu'il dirige la mairie de Paris, que Paris est la capitale de la France, que Paris est la plus grande ville de France. Mon ironie n'a rien à voir avec son orientation sexuelle. Je préfère l'écrire parce qu'en ces temps de délire autour de l'homosexualité, certains, peut-être, y verraient là l'expression latente d'une certaine homophobie.

    (3)Car, un jour, il adviendra que nous aurons des rues Bernard-Henry-Lévy, des places Michel-Drucker et des Impasses Bernard-Pivot...

  • En vedettes américaines...

    Maintenant que le grand cirque a rangé ses pistes, ses parades et son orchestre tonitruant, on se retourne et l'on se demande vraiment ce qui nous vaut de bénéficier ainsi d'une couverture aussi complète de l'élection américaine. Il faut dire que l'engouement ne date pas de l'année. Il y a eu le tournant Bush (une raison de plus pour vouloir lui faire un procès à ce crétin des Alpes...). Il avait concentré une telle montée d'affect, essentiellement contre lui, qu'il a donc fallu que les médias hexagonaux fassent des mandats présidentiels outre-Atlantique une histoire que nous aurions à vivre par procuration. Les États-Unis, c'est un peu nous, avec La Fayette et toute la troupe (1)... C'est sans doute au nom de cette vibrante filiation que nous vîmes en 2004 des journalistes français en pleurs quand il fut entendu que Bush le fils remettait le couvert pour quatre ans, et que nous les vîmes (les mêmes ? de toute manière ils sont interchangeables) pleurer (décidément...) à l'annonce du triomphe d'Obama. Je les écoutais, abasourdi devant autant de bêtise, nous expliquer qu'une nouvelle ère commençait, que l'Amérique, territoire de l'espoir, de la réussite et du mélange, était de retour, que la même Amérique qu'ils avaient décrite comme peuplée de fachos bellicistes avait changé : de l'amour, du respect, de la solidarité, désormais. 

    Il ne semble pas que les quatre ans d'Obama aient bouleversé l'ordre des choses. Qu'il soit noir (ou métis, pour les puristes des deux bords, parce qu'en la matière, il y en a un paquet pour qui Barack Obama n'est pas assez blanc, ou pas assez noir...) est un paramètre secondaire. On nous l'a pourtant vendu comme un élément essentiel. Barack Obama est d'abord un homme établi dans la classe supérieure de la société américaine et je doute que son mandat ait pu le rapprocher de cette misère et de ce désœuvrement qui marquent tant le peuple américain, à commencer par les noirs, ceux des ghettos s'entend...

    Il y a, en tout cas, un point sur lequel les années écoulées ont laissé les choses en l'état : la mise en scène vulgaire et spectaculaire de la représentation politique. Il est fort étonnant que ceux qui, pendant des années, ont moqué et voué aux gémonies le bling-bling président, ne se répandent pas sur les modèles communicationnels dont usent tous les candidats à l'élection américaine. Parce que si comparaison ne vaut pas raison, certes, il n'en demeure pas moins que les États-Unis sont le lieu de tous les possibles, à condition d'avoir de l'argent, et dans des proportions qui font passer les campagnes de Hollande et Sarkozy pour du patronnage agricole, et de s'autoriser toutes les bassesses.

    Cette démocratie exemplaire dont on nous rebat les oreilles, c'est d'abord celle du fric et des discours faciles, celle de la morale érigée en principe cardinal et de l'hypocrisie dans les moyens choisis pour discréditer l'autre. Car il s'agit bien de cela : la démocratie américaine fonctionne d'abord comme une entreprise de destruction ad hominem. Les idées ne sont rien (mais on le comprend, car sur le fond, ils sont tous d'accord). Ne reste que la fibre intime qui fera passer l'autre pour un être incertain. Tout président ou challenger qu'il soit, le candidat est l'homme à abattre. Et pour ce faire, il n'y a pas de limite. Deux exemples édifiants...

    Le premier est un clip de campagne du candidat républicain Rick Perry (battu pour la primaire par Romney). Il vise le président Obama. Il est construit comme une bande-annonce de blockbuster catastrophe. Tout y est : la musique, la dramatisation par le rythme (plans courts, accumulation d'images symboliques), voix off profonde, activation de tous les réflexes primaires des temps de guerre, invocation d'une mythologie belliciste. Si l'on s'en tient à ce seul contenu, il est vraisemblable que Perry élu, il n'aurait plus eu qu'à incarcérer Obama pour haute trahison et le passer par les armes.

    La confusion formelle entre la fiction (dont on rappellera quel rôle elle joue dans la construction de l'imaginaire politique des Américains : il suffit de voir le contenu de leurs séries, et notamment de celles produites par la Fox et ses proches : de 24 Heures chrono à NCIS) et la réalité n'est pas innocente. Les États-Unis ont un goût particulier pour le story-telling politique. Ronald Reagan en avait fait le fonds de son idéologie sécuritaire et paranoïaque. Le clip de Perry ne fait que reprendre les thématiques classiques du conquérant de l'Ouest. Il est gouverneur du Texas : l'Amérique profonde et authentique, loin des tendances européennes bon chic bon genre de la côte Est. Ce recours au story-telling rappelle combien ce pays fonctionne en se leurrant sur sa puissance. Le mélange réalité-fiction révèle d'abord une impossibilité à penser le réel et à penser une altérité du monde. L'illusion est la règle, le bluff la méthode, le passéisme glorieux la boussole. Dès lors, tout est possible puisqu'on en rêve. La composition binaire du message de Perry s'explique par cette croyance en un au delà de la réalité, celle qui s'impose aux États-Unis comme au reste du monde. On peut toujours fermer les yeux et se faire des films. Hollywood n'arrête depuis trente ans de nous resservir la même soupe de la grandeur américaine pour cacher la misère du quotidien. Il est pathétique de voir Perry user de telles ficelles scénaristiques mais cette situation est symptomatique d'une expression politique marquée par la vacuité de son action et la pauvreté de son idéologie. Dès lors, le politique américain ne peut survivre à son néant qu'en se métamorphosant en un personnage cinématographique et en truquant le monde pour en faire un espace de studio.

     


     

    Le deuxième clip est un chef d'œuvre de vulgarité. Ce n'est plus, comme précédemment, l'idée que la politique se ressource dans les valeurs du combat, mais celle, plus simpliste encore, qui assimile le vote à la sexualité. Lena Dunham, qui joue dans Girls, explique combien il est important de trouver l'homme juste la première fois. Et la première fois qu'elle a... voté, c'était pour Obama.

    Le premier élément consternant tient au fait que le candidat, ou son équipe, n'a pas désapprouvé l'initiative de l'actrice. Le mauvais goût passe après l'effet choc du clip (et les Républicains ont crié au loup, si j'ose dire). Il mobilise, il fait le buzz et c'est d'abord ce qu'on lui demande. On ironisera bien sûr quant au contenu proposé, dans un pays qui pratique la pudibonderie avec une maestria prodigieuse. Ne jamais parler de cul, mais y penser toujours : cela pourrait être leur devise. La prestation de Lena Dunham illustre parfaitement ce dévoiement de l'action politique qui se réduit peu à peu à n'être qu'un objet de consommation et ne peut survivre comme réalité qu'à condition qu'elle s'efface paradoxalement comme réalité. Transformer Barack Obama en partenaire sexuel peut outrer, certes, mais un tel raccourci n'est jamais que la concrétisation impensable (mais pas si impensé que cela) d'une évolution qui fait de l'homme (ou de la femme) politique, dans les sociétés contemporaines occidentales, une incarnation fantasmée de toutes les réussites : celui qui a le pouvoir, celui qui connaît les grands de ce monde, celui qui connaît les acteurs, les chanteurs, les réalisateurs, celui qui connaît les people, bref, celui qui a tout (et dont le pouvoir politique devient secondaire, presque anecdotique...). La déclaration de Dunham incorpore le politique dans une histoire fétichisée où celui que l'on veut est purement et simplement (mais cela veut dire qu'il n'en est rien) l'objet de son désir. Transférer le sens de la responsabilité et la sagesse politiques sur le terrain du savoir sexuel est pour le moins régressif. La raison collective est mise au placard pour laisser place à l'affect individuel et, le temps d'un clip, d'un déclaration, d'un coming out, on ramène le politique à un investissement privé. Il est très drôle de voir une femme, dans ce pays si sourcilleux sur le plan du féminisme et des gender studies, se comporter de la sorte, parce que si on voulait inverser les termes, on pourrait supposer que dans quatre ans, si Hillary Clinton se présente, on aura un beau gosse venant au devant de la scène pour expliquer qu'une femme mature (pourquoi pas une cougar ?) c'est le top de l'initiation. Quand on en arrive là, il n'y a plus grand chose à espérer de la parole politique.

     


     

    Ces deux exemples, aussi dissemblables puissent-ils paraître, ne sont que les deux faces d'un même objet, d'une même représentation. Ils définissent le politique à la lumière d'un profond creux idéologique. Il ne s'agit plus de faire son choix à l'aune d'une architecture conceptuelle déterminée mais de ramener celui-ci à une immédiate satisfaction de son seul fantasme. On se rappelle la formule, d'ailleurs faussement attribué à André Bazin, qui inaugure Le Mépris de Godard : "le cinéma substitue à nos regards un monde qui s'accorde à nos désirs". Pas de doute : nous sommes au cinéma. C'est une actrice qui le dit, c'est un cinéaste qui le filme...


    Il est toujours possible de se consoler en se disant que tout cela se passe à 7000 kilomètres, que les Amerloques sont les Amerloques. Ce n'est qu'une question de temps, et rien de plus. Les socialistes ont déjà adopté le principe des primaires (2) et le clip ultime de François Hollande est fort instructif (notamment en comparaison de ceux des autres candidats) sur le changement qui s'opère. Il a raison, l'homme normal, le changement, c'est maintenant, et pour ce qui suit, c'est cadeau, comme on dit...


     

    (1)Pour d'autres, bien sûr, leur viennent à l'esprit les pages magnifiques de Chateaubriand s'extasiant de la nature dans toute sa luxuriance romantique. Mais il s'agit d'une référence qui n'a plus cours. Que ferait un passionné royaliste, perdu entre les XVIIIe et XIXe siècles, dans ce paysage moderne qui veut de l'actuel, du contemporain et fait une fixation sur un futur perçu comme en apesanteur. La Fayette, au moins, sent la poudre. C'est du western avant l'heure...

    (2)L'UMP va suivre, et c'est hilarant de voir (mais j'y reviendrai bientôt) que ce sont les gens de gauche qui singent les pratiques d'un pays où le plus à gauche des politiques est chez nous un ultra libéral...

  • Expert (substantif masculin)

     

    La France peut se prévaloir d'avoir créé la figure de l'intellectuel et Michel Winock en a fait un historique fort passionnant (1), par quoi il remit, au passage, Zola à la place mineure qu'il se doit, en la matière, d'occuper. Mais cette représentation est aujourd'hui fort lointaine. Si l'on en croit cet auteur, il semblerait que le décès de Sartre marque la fin d'une époque. On pourra ne pas s'en plaindre, si l'on veut bien admettre que le règne du ni-ni-ni existentialiste (ni philosophe, ni romancier, ni dramaturge) ne brilla pas par sa liberté de penser. Plus d'intellectuels donc, sauf BHL qui s'y croit, un peu comme un gamin autiste...

    Comme l'univers a horreur du vide, il était de bonne guerre qu'une nouvelle espèce vienne en lieu et place de l'espèce anciennement dominante. Et face à la complexité du monde, à l'inextricable des échanges, des flux, des forces et des affrontements (intra et hors frontières), il était indispensable que l'ersatz d'honnête homme qui sommeillait encore dans l'intellectuel cédât devant le péremptoire aux chiffres, le zébulon des courbes, le nain jaune des arcanes politiques. Accompagnant l'expansion du monde médiatique, naquit l'expert. Les experts... Tout un programme... Toute une programmation, aussi : faite essentiellement dans un petit cénacle de Science-Po. Ces braves viennent régulièrement nous expliquer le présent, nous préparer l'avenir, pour nous, piétaille inculte et mal dégrossie. On les connaît : ils traînent sur tous les plateaux de télévision, bavassent sur les radios et scribouillent en long et en large dans des feuilles de chou qui ont encore la prétention de s'appeler la presse (2). Ils s'appellent Dominique Reynié, Roland Cayrol, Alain Duhamel, Pascal Boniface, Christophe Barbier, Denis Olivennes,... Ils discourent. Ils ne sont pas aussi ridicules que les très suffisants et insuffisants Jacques Attali et Alain Minc qui ont percé dans les hautes sphères du pouvoir, mais ils atteignent malgré tout un degré de vacuité tout à fait honorable. Ils ne sont jamais pris en faute et l'on oublie leurs erreurs. L'expert a pour lui le flot de l'image, l'écoulement de l'information comme une chasse d'eau, le babillage sans signification que l'on peut zapper. Ils ne font rien ou presque. Néanmoins, ce presque pose problème, parce qu'au fond il signale à quel point, à défaut de dire quelque chose, ils occupent la place, ils neutralisent la pensée, ils verrouillent la critique. Ne rendant de compte à personne, garanti d'être par la seule force de sa désignation, l'expert a une fonction primordiale dans une économie de l'information structurée pour faire du bruit (au sens de Jakobson) quand l'esprit vraiment démocratique, lui, désirerait du sens.

    Mais l'expert n'est pas une figure du désir, moins encore l'agent du savoir. D'ailleurs, on se demande parfois sur quoi repose son savoir. Démonstration...

    L'homme en question est polytechnicien (école dans laquelle il enseigne désormais), diplômé de l'ENSAE. Il a fait Science-Po aussi. Il écrit à peu près partout où l'on peut discourir sur l'économie (3). On peut même l'entendre sur France-Culture. Il est le directeur de la Recherche et des Études chez Natixis. Bref un homme qui compte, élu en 1996 meilleur économiste de l'année (4). Un homme qui malgré tout expliquait en 2007 qu'annoncer une crise boursière était balivernes. Plus près de nous, je lis ceci, dans Alternatives économiques n°301, d'avril 2011 :

    « La Banque centrale européenne (BCE) va très probablement remonter son taux directeur en avril. Il pourrait passer de 1 % à 1,75 % à la fin de 2011 et à 2,5 % à la fin de 2012. Cette annonce a surpris, compte tenu des incertitudes économiques et d'une inflation dans la zone euro (2,4 %) ne provenant actuellement que des prix des matières premières. Faut-il de ce fait approuver ou critiquer l'initiative de la BCE ?

    Dans une perspective de moyen terme, la décision de la BCE se comprend. La croissance nominale à long terme de la zone euro étant au moins de 3 % par an (1,5 % en volume et 1,5 % d'inflation), il n'est pas possible de conserver un taux d'intérêt de 1 %. »

    Nous disons donc 2,5% ! Pas de chance pour Patrick Artus (il s'appelle Patrick Artus), la BCE a abaissé son taux et aujourd'hui il est à son niveau historiquement le plus bas : 0,75% ! Qu'à cela ne tienne, il n'est pas question de remettre en cause l'expertise du sieur Artus. Il sait, lui, et nous, nous avons mal lu, nous chicanons pour des virgules. Nous avons tort, parce qu'il en est ainsi !

    En une question annexe, mais qui ne manque pas d'intérêt (rions un peu), on se demandera ce qu'il y a de scientifique dans ce qu'on appelle les sciences économiques, de quelle nature profonde est l'escroquerie d'une telle dénomination... Une curiosité de candide, bien sûr, à laquelle un expert ne prendra pas le temps de répondre. Il a mieux à faire. On l'attend chez Yves Calvi...

     

    (1)Michel Winock, Le Siècle des intellectuels.

    (2)Tout individu de plus de quarante ans se rappellera ce que demandait, il fut un temps..., la lecture du Monde, du Figaro ou de Libération. Pas la peine de développer.

    (3)Alternatives économiques, Challenges, les Echos...

    (4)Les anciens se souviennent que VGE vendit Raymond Barre comme le meilleur économiste de France. On sait ce qu'il arriva...

  • Fracture...

    Ce début d'année scolaire aura été marqué par une atteinte visible à l'intégrité physique des enseignants. À de nombreuses reprises, certains d'entre eux ont été giflés, frappés, voire agressés. Le dernier cas connu (ou disons : médiatisé) est celui de ce professeur du plus important lycée lyonnais, dont l'agresseur est pour l'heure en détention provisoire avant sa comparution le 6 novembre. Il risque jusqu'à cinq ans de prison. Nonobstant l'émotion que peut susciter ce genre de nouvelle (mais l'émotion ne doit pas être une politique, n'en déplaise aux histrions gouvernant, aujourd'hui comme hier), il ne faut pas s'étonner d'une telle dérive et nul doute que l'histoire se répétera tant la violence à l'école, contre l'école, s'est banalisée en trente ans, et notamment la violence des parents ou des membres de la famille (frères et/ou sœurs). Cette situation s'explique au moins (ce ne sont pas les seuls, évidemment) par trois facteurs propices, trois facteurs structuraux qui définissent une nouvelle sociologie dont l'épanouissement est à terme mortifère pour les lieux d'instruction.

    Le premier point touche à la place donnée désormais à l'enfant, et à la parole de l'enfant. L'infantilisation généralisée de la société a commencé par la sacralisation du jeune, par la substitution d'une hiérarchie naturelle, plaçant l'adulte au sommet d'une pyramide légitime, au profit d'un égalitarisme qui a fini par renverser les rapports de force. La soumission de l'autorité à une règle où l'élève valait le maître ne pouvait qu'aboutir à la situation actuelle dans laquelle la voix de l'élève prime sur le maître. Celui-là a toujours raison : il est la voix de l'opprimé, du battu, du menacé, etc. Il suffit de voir ce qu'a produit aux États-Unis cette vogue de la parole refoulée enfin déliée de ses angoisses, manipulée qu'elle était par des psychanalystes charlatans. L'enfant, et l'enfant qui demeure en nous, nous devenus adultes, a quelque chose à dire, de sincère, de pur, de vrai. Il y a quelques années, un enseignant accusé de pédophilie s'est suicidé. L'accusation n'était qu'une plaisanterie, une petite vengeance. L'accusateur avait dix-sept ans. L'âge et le statut suffisent désormais pour valider une parole. Elle a valeur incriminatoire, parce qu'on lui accorde de facto le droit d'exister comme parole de discriminé. Dès lors, il est clair que l'enfant, ou l'adolescent, a acquis, par l'image qu'on avait de lui, le droit d'être un monstre polymorphe qui se sent à la moindre occasion attaquée dans sa personne et dans son droit. L'enseignant est devenu cet autre soupçonnable dont le procès est en cours (si j'ose dire). Il est à la fois celui à qui on demande la performance (et double, la performance : faire apprendre et savoir tenir les gamins) sans le droit à l'autorité, et moins encore à son exercice. Plus encore : le calamiteux ministère de Ségolène Royal en a fait un pédophile caché dont il faut se méfier constamment (1). Nous en sommes donc là. L'instrumentalisation de l'enseignement afin de détruire toute logique hiérarchique. Dès lors, la moindre plainte, la moindre contestation peuvent se transformer en agression quasi légitime. Moins il sait parler (et il suffit de passer un quart d'heure à un arrêt de bus pour s'en convaincre) plus le jeune (selon l'expression consacré) demande à ce qu'on lui parle bien, à ce qu'on le respecte. Lequel respect n'est que la forme ultime pour exiger qu'il puisse n'en faire que selon son bon vouloir. Petit roitelet d'un royaume imbécile (2), il peut se vanter de faire taire celui qui est censé professer. Encore faudrait-il que ce soit là la vraie vocation de l'école, et rien n'est moins sûr.

    Tel est le deuxième point que je voudrais soulever. Même si nous sommes aujourd'hui dans une société de l'équivalence : tout se vaut, et donc rien n'a de valeur, il faut s'arrêter un tant soit peu s'arrêter sur les mots. Jadis, il y avait l'Instruction publique. Instruire... Tout un programme (3), qui supposait dans son intitulé même une définition nette des tâches et des fonctions. Il ne s'agissait pas de confondre ce qui relevait de l'école et de la famille. En devenant Éducation nationale cette même structure a muté, dans ses objectifs et dans sa mission. Le terme d'éducation induit qu'on fasse dans les murs de l'école autre chose qu'une approche du savoir. C'est une entreprise de socialisation qui est en jeu et le maître est devenu un supplétif des parents. Il est devenu, en quelque sorte, son complément. Et c'est évidemment là que le problème apparaît. La substitution, et nul ne s'en étonnera, ne peut pas être complète. Dès lors, l'enseignant ne peut être que le parent, mais en moins bien, mais en moins légitime. À ce titre, il n'a que des devoirs (sublime ironie) et nul droit. C'est en ce sens que la bérézina des sciences de l'éducation, du triomphiant et toxique Meyrieu, est une catastrophe sans retour, je le crains. Elle a entériné la faille irrémédiable de maître, son névrose chronique à vouloir enseigner quelque chose, sa faute première : de ne pas vouloir être lui aussi un enfant. Beaucoup, devant ce diktat, ont plié ; quelques-uns résistent. De moins en moins... Ce deuxième déséquilibre, en soi déjà catastrophique, s'aggrave quand on considère l'évolution globale de la société. Celle-ci est devenue pour l'essentiel une société de services. La production industrielle a décliné et le tertiaire a pris la plus grande part. Or, le service est d'abord la satisfaction du client. Le parent d'élève est un client déguisé. Qui plus est, il a pour lui le bonheur de ne rien payer (ou si peu) qu'il se sent de plus en plus le droit de parler (4). Si on y ajoute le paramètre du loisir, la place qu'occupe désormais l'entertainment, on comprendra que l'école s'est transformée elle-même en une entité qui est moins un lieu d'apprentissage qu'un service pour lequel il existe des réclamations et des contestations. La place qu'on a voulu donner aux parents dans cette structure participe de cette escroquerie qui voit des pères et des mères brandir leur droit à mettre le nez dans les cours et les grilles de notation, dans le même temps qu'on les voit gémir comme jamais devant des enseignants à qui ils viennent demander des conseils pour tenir leur gamin. Ce paradoxe est un faux paradoxe. Il n'est que le prolongement du processus d'infantilisation dont je parlais plus haut, et nous sommes arrivés à une période où les infantilisés d'hier ont fini par procréer (5). Dès lors, plutôt que de chercher en interne les causes de leurs maux ils se reportent, parfois agressivement, le plus souvent comme des âmes en peine, vers celui ou celle qui leur semble à même d'assumer une responsabilité quelconque.

    Troisième point. La violence envers les enseignants ne peut ni ne doit être dissociée de la situation de crise qui n'est plus justement une situation de crise (6) mais une faillite évidente du système libéral. Il ne s'agit nullement d'excuser les actes, ni même de les comprendre, dans le sens où le plus souvent, ceux qui invoquent la compréhension s'en servent comme d'un instrument rhétorique pour justement excuser. En revanche, on s'interrogera sur la dimension pulsionnelle et grégaire de ces réactions. Le père qui défend sa fille (ou croit la défendre), le frère qui venge la sœur ou le petit frère, le copain qui rétablit l'honneur du copain. Qu'est-ce, en partie, sinon une sorte de compensation dans un monde où, successivement, les sécurités économique, sociale, voire politique ont disparu ? Ce type de violence trahit un repli sur soi, un désir de réaffirmation face à un monde qui tend à dissoudre la reconnaissance et la dignité. La généralisation de la précarité comme modèle non seulement économique mais aussi politique, social ou affectif a considérablement accru les risques de déstabilisation des individus, qui ne sont plus un mais fragmentés en autant de combats incertains dans un monde actif à gommer tous les repères. On se souvient de la saillie de la subtile Laurence Parisot :«La vie, la santé, l'amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ?». On transfère ainsi une problématique de la nature humaine, sur le plan de son ontologie, dans le domaine de l'organisation sociale. À croire que la politique n'est plus qu'une façon de prolonger la nature. Dès lors, à mesure que dans la structure globale je sens que je m'efface, ou que l'on m'efface, j'essaie de reprendre pied. C'est la violence du quotidien, au quotidien ; la violence du proche, de la proximité ; la violence spectaculaire, visible, par laquelle j'existe à nouveau. Cette reconnaissance ne peut jamais aussi bien être en vigueur que dans le cadre de la sphère familiale ou intime (incluant les amitiés, parfois) et frapper à l'école, c'est, d'une certaine manière, frapper contre la société entière. La dimension tragique de cette violence est claire. Tragique en ce qu'elle peut parfois déboucher sur des actes graves et sans retour, tragique en ce qu'elle est l'indice d'une fatalité qui ne veut pas dire son nom.

    De fait, nous assistons à la disparition du sacré scolaire, à ce qui devait maintenir ce lieu et cette institution comme séparé (7) du monde. Non pas pour nier le monde mais pour y préparer ceux qui justement allaient devoir s'y faire une place. Son projet était donc indissociable d'une aspiration démocratique, au sens le plus noble du terme. C'est en vertu (!) de ce reniement, jamais affiché mais sournoisement mis en œuvre, que l'école est progressivement vidée de son objet. On lui donne mission de se substituer à un ordre défaillant sans lui donner les moyens de son action. Elle masque (mal) les insuffisances du système et elle n'est plus, dans bien des cas, qu'une coquille sans contenu. Le pire est à venir...

     

     

    (1)Ce qui est, soyons cynique, très drôle. Il me semblait que la maltraitance faite aux enfants et les agressions sexuelles, notamment sur les plus jeunes, venaient pour l'essentiel de la famille. Mais ce n'est qu'un détail.

    (2)J'entends cet adjectif dans l'écho de son étymologie : faible.

    (3)Véritablement, tout un programme par quoi le moindre gamin savait lire, écrire et compter. Les progressistes, toujours à la pointe puisqu'ils sont progressistes, diront que cela n'était pas suffisant et que l'école faisait de la discrimination sociale à tour de bras. Certes, et je n'ai pas envie de le nier. Je ne crois pas, néanmoins, que la massification ait produit, dans son stade ultime, autre chose que des cohortes d'adolescents en partie incultes, à peine alphabétisés, incapables de construire pour nombre d'entre eux une pensée ordonnée, logique, claire. Je laisse de côté le rapport qu'ils entretiennent à l'histoire : il est quasi nul. Il faut dire que le renoncement volontaire à la chronologie par le ministère n'y est pas pour rien.

    (4)On se doute bien que les zélés représentants des parents, et nombre de parents eux-mêmes, ont beaucoup moins d'arrogance quand leur banquier les rappelle à l'ordre. Pas sûr non plus qu'ils soient si téméraires devant une incivilité dans un train, dans un bus ou sur la voie publique...

    (5)Le plus bel exemple de cette infantilisation rampante tient dans l'usage aujourd'hui symptomatique des mots «papa» et «maman». Des autorités ont rencontré la maman ou le papa. Des adolescent(e)s disent à leurs copains ou copines que ce soir ils vont au ciné avec leur papa (ou leur maman).

    (6)Puisque la crise est une pointe, un temps court et concentré.

    (7)En latin, sacer renvoie à ce qui est séparé, puisqu'il désigne un lieu inviolable.

     

  • Edward Hopper, la note sensible...

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    Edward Hopper, Room in New York, 1923, Lincoln, University of Nebraska, Sheldon Memorial Art Gallery


    James a été promu il y a six mois, en novembre, chez Carter & Webster. Il est devenu sous-chef du service contentieux. il a des responsabilités. Gina et Margaret étaient vertes. Elle s'en souvient. Elle s'en est réjouie, et maintenant l'amertume a pris le dessus. Elle n'aurait pas cru que cela fût possible.

    Il rentre plus tard le soir. Le travail, dit-il. Il est fatigué mais n'en dit pas plus. Ce qu'il traîte est très compliqué. Un baiser furtif en lui demandant ce qui est en train de cuire. Ce sera prêt dans vingt minutes. En attendant il est dans son journal et sur le piano qu'ils ont enfin acheté en février, pour qu'elle renoue avec une passion de son enfance, dans la demeure familiale d'Albany, elle frappe une note, une seule, qui meurt lentement.

    Les grands applats de couleur, chez Hopper, ont une dynamique terrible. Ils sont des personnages de la narration, lui permettant de sublimer l'écrasement social et culturel qu'il met en scène. On connaît l'histoire, on connaît sa fin. Les pans de peinture anéantissent l'espace, l'agglomère. L'air n'est pas irrespirable, il n'est pas sûr qu'il y en ait encore. Pas sûr que James (ou Paul, ou Robert) puisse entendre la note de Martha (ou Jane, ou Nancy). Edward Hopper étouffe toute entente et toute conversation (sinon un bavardage insipide). Et comme si l'intérieur sans intériorité ne suffisait pas, il ajoute le cadrage, l'encadrement, l'ouverture sur rien, la beauté morbide de l'aquarium.

    Tout, dans l'appartement, est neutre et discipliné. Tout y est construit sur un mode passif-agressif qui aboutit le plus souvent à l'installation lente de la dépression, parfois à la violence extrême. Pour l'heure, la vie tient mais qui sait de quoi sera fait demain.

    Ce qui fascine, dans cette peinture, réside en ce qu'elle dévoile un envers  particulier de l'Amérique, un envers à l'endroit : l'artiste ne va pas chercher ses sujets dans le ghetto, dans la misère profonde, dans le désœuvrement social et culturel. Au contraire. Il s'agit de prendre le commun apparemment triomphant, le propre, le net, le montrable collectifs et d'en évaluer la vacuité.

    L'actualité de Hopper, et sa grandeur, viennent de cet instant fixé, de ce qu'il nous oblige à regarder le monde, mi-voyeur, mi-coupable par omission, comme une histoire fracassante...

  • Silenzio...

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    À l'angle de la via San Pantaleo et de la via del Pasquino, tout près de la piazza Navona, on peut encore contempler les restes fort mutilés d'une statue, sur laquelle, depuis le XVIe il était de tradition qu'on vînt coller des textes, anonymement : libelles, pamphlets ou simples plaintes. Elle servait donc d'exutoire et de vox populi. Toutes ces années où j'ai arpenté Rome, je me suis toujours délecté de cette liberté de rue qui, certes, ne révolutionnait pas le monde, n'était sans doute qu'un bougonnement sans lendemain dans le cours des existences. Il ne faut pas être dupe. Mais c'était le geste, la beauté du geste, et le chevauchement incongru des diverses proses. Peut-être est-ce une manière de ne plus faire attention à la réalité que de s'habituer à la présence, devenue presque neutre, des choses. Ces billets étaient là et d'une certaine manière ils étaient comme invisibles.

    Or, cet été, j'ai découvert avec stupéfaction qu'on avait restauré la statue. Propre, nette. Comme un sou neuf disait ma grand-mère. Et conséquence fâcheuse, mais que je crus passagère : le silence symbolique de la statue parlante. Dès lors, et tout le temps de mon séjour, je passai quotidiennement devant le Pasquino, espérant entendre à nouveau sa voix. Désespoir chaque jour grandissant d'un mutisme aussi insolent que la javellisation de la pierre. La propreté de l'objet se couplait avec l'abandon de sa territorialité populaire et par essence romaine. La voix du populus romanus avait, semblait-il, abdiqué, comme une énième concession à cette neutralité internationale qui pourrit, d'une manière bien plus insidieuse que la crasse, le monde contemporain. Je vins et revins. Peine perdue. Faut-il penser qu'on a fini par assimiler cette tradition à une dégradation, la parole séculaire à un vulgaire graffiti ? Je ne sais.

    Couardise ou timidité : je ne me hasardais pas à coller un billet. Je n'en ai de toute manière pas le droit : je ne suis pas romain. Reste que cette singulière, et désagréable, sensation d'une perte. L'anecdotique prend parfois l'importance d'un devenir pressenti sous son jour le plus sombre. Une sorte d'obscurantisme qui traîne là, ici un hygiénique ravalement... Derrière ces apparences diverses, des desseins semblables. Une morbide neutralité... 


    Photo : X


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  • Vacance gouvernementale

     

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    N'est-ce pas ainsi qu'on nous avait vendu l'élection présidentielle : un double état d'urgence ? Urgence à se débarrasser d'un Sarkozy atteint de la danse de Saint-Guy ; urgence devant une crise financière mondiale qui menaçait de faire couler tout le continent et dont les gouvernants du moment ne prenaient pas la pleine mesure. Tout devait changer (mais on sait depuis les mots du comte Salinas, dans Le Guépard, qu'il faut que tout change pour que rien ne change...).

    Laissons de côté les considérations sur la nouvelle manière de la présidence, cette normalité tarte à la crème dans laquelle Hollande est en train de s'empêtrer. Appréhendons juste la question d'une situation explosive, française, européenne, mondiale... Un gouvernement, des ministres ont été nommés pour ce faire, et si l'on veut encore accorder qu'en toute logique le temps des législatives étaient un temps d'action tronqué, nous conviendrons que tout ce beau monde a pris fonction début juin. Pour partir se reposer une quinzaine en août. Ce qui, au ratio du durée effectuée/repos accordé est plutôt un bon rapport. Heureusement qu'il y avait urgence. À moins que cette coterie équilibrée des différents courants du PS n'ait qu'une utilité bien relative (et l'on pense à une Belgique fonctionnant sans gouvernement).

    La tonalité du paragraphe précédent est indéniablement populiste. C'est ainsi que le jugerait une certaine morale de gauche, tendance Libération ou Inrocks. Attaquer des ministres sur leur pause estivale est une mesquinerie relevant au moins d'un anti-parlementarisme larvé, d'un poujadisme rance, etc. Pourquoi pas ? Mais faire comme d'habitude, poser en préambule que durant l'été rien ne se passe, que le monde est en vacances, les crises en suspens, les conflits en trève, les inquiétudes entre parenthèses, la misère plus joyeuse, et ainsi de suite, induire qu'il en va, au moins depuis 1936, et l'instauration des congés payés, du temps français (et donc mondial, puisque la France, c'est le monde, chacun le sait) selon les rythmes du travail, cela est un peu fort. S'il y a changement quelque part, il ne se trouve pas dans la mesure lucide de cette urgence si souvent invoquée. Rien ne semble demander que les énergies gouvernementales préparent, se préparent, nous préparent. À quoi, sinon à une année 2013 difficile, très difficile, rigueur ou pas (certes le mot est tabou) ? Nul doute que les directeurs de cabinets, les conseillers divers et les administrations centrales ont assuré la continuité des affaires. Mais ils ne sont pas, dans l'ordre du symbolique, les figures qui ont été choisies, pas ceux qui, sur le devant de la scène, tirent les marrons du feu quand la fin de l'histoire est propice à un plan de carrière. Et n'en déplaise aux défenseurs d'une nouvelle gouvernance, un président en maillot de bain, détestant certes le people mais en manchettes des journaux poubelles, reste un président en maillot de bain. Il fallait indéniablement qu'il récupérât d'une campagne éprouvante. Grand bien lui fasse...

    Et in petto de penser à ces amis qui n'ont pas les faveurs de la République ; à un en particulier, qui, ayant commencé en avril 2011 dans son emploi actuel, sera en vacances à la fin de la semaine. Entre temps : huit jours de vacances en seize mois. Mais il est vrai qu'il n'est pas ministre et que cynisme pour cynisme, en ces heures de crise bien réelle, il devrait déjà se satisfaire d'avoir un travail...


    Photo : X


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