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politique - Page 18

  • De l'art de la révolte...

    Il fallait bien que sur le plan du cirque démocratique il arrivât du neuf, que, comme dans le système de la mode, pour reprendre Lipovetsky on nous proposât du spectacle et que cela tournât sur un rythme attrayant.

    Après les printemps arabes, c'est visiblement l'hiver russe qui passionne la presse française, et les intellectuels adjoints à cette grande institution. Pour l'heure, le sieur Poutine est dans le viseur. Il est l'obstacle à l'expression de l'âme russe, semble-t-il, laquelle aspire à la liberté. Il suffit dès lors de 150 000 personnes dans les rues de Moscou pour qu'un possible bouleversement politique traverse les esprits de ceux qui s'indignent depuis longtemps des exactions du président russe (qu'il soit d'ailleurs président ou premier ministre, on s'en fiche). 150 000 personnes... c'est-à-dire, ramené au nombre de la population française, entre 50 et 60 000 personnes. ll y a de quoi rire, quand on sent l'espoir journalistique d'un changement et les justifications en légitimité que l'on octroie à ces manifestants. Il y a de quoi rire, parce que ce sont les mêmes institutions qui, devant les manifestations françaises de grande ampleur (de la réforme Bayrou aux contestations sur les retraites), entre 300 000 et un million de personnes, tempèrent les aspirations populaires en relayant un pouvoir dont le mot d'ordre est bien connu : la démocratie ne se fait pas dans la rue...

    Mais il faut bien reconnaître qu'ils ont depuis quarante ans une tradition à se vautrer, presse et intellectuels de gauche notamment, dans les raccourcis les plus ridicules, le dernier concernant le printemps arabe. Les frères musulmans en Égypte, le CNT lybien ou les islamistes tunisiens : voilà ce qui s'appelle un triomphe de la démocratie. Il est vrai qu'ils (du moins leurs ascendants intellectuels) avaient trouvé le FLN formidable et Boumédiène extraordinaire, le Vietcong pacifique (avant qu'il n'aille s'occuper du Cambodgien), la révolution iranienne une belle aventure (pensons à Foucault)... Il est remarquable de voir ce beau monde, qui majoritairement a soutenu Maastricht, la Constitution européenne (et le droit d'insulter, le lendemain de la victoire du non, ceux qui l'avaient refusée) en déniant aux peuples européens -et au  peuple français en particulier- le droit au désaccord, oui, très remarquable de le voir reconnaître à d'autres une légitimité qu'ils fustigent ici...

    Revenons donc à la raison : 150 000 contre Poutine (pour qui je n'ai aucune sympathie)... Pour l'heure, trois fois rien.

  • Sans domicile fixe (groupe prépositionnel)

     

    Si l'on prend en compte le calcul dans les sciences de l'information, calcul qui s'intéresse au rendement d'un message (entre nouveauté et redondance), force est de constater que l'expression sur laquelle nous nous arrêtons présentement ne manque pas d'originalité. Tout l'ambiguïté tient dans l'usage de l'adjectif. Fixe. Sans domicile fixe. À quoi sert-il, cet ajout, qui laisserait penser qu'il peut y avoir des sans domicile itinérant. Mais ce retournement ne conviendrait même pas : il faudrait plutôt croire qu'il y ait des domiciliés itinérants.

    Dans cette perspective, imaginons quelques artistes ou hommes d'affaires (ceux-là seraient très originaux) ne vivant que dans des hôtels, un peu comme Coco Chanel (mais elle avait fini par squatter le Georges V) ou Polnareff. Voilà donc, au regard du modèle bourgeois du home sweet home, des sans domicile fixe. Et tout cela dans la joie et dans l'aisance.

    Mais ceux à qui on réserve la formule n'appartiennent pas à cette caste hors du monde, loin s'en faut. Ils sont, eux, ancrés dans la réalité la plus lourde, la plus sensible. Elle leur colle à la peau. Ils sont désocialisés pour la plupart : les premiers que l'on a ainsi nommés étaient au ban, sans revenu, sans travail, sans domicile. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Pour certains, la misère est aussi le fruit du travail qu'on leur propose et des conditions sociales qu'on leur impose. Ils sont dans la rue, à la rue, et la bonne conscience qui euphémise tout, pour ne pas heurter (qui ? Ceux qui souffrent ou ceux qui veulent que le dérangement moral ne dure pas trop...), les ramène à des sans domicile fixe.

    Comme si, dans nos sociétés, le nomadisme était encore une réalité et la fixité du domicile, sa détermination précise dans l'espace, n'étaient pas des évidences. Dès lors, on en vient à se demander si le fixe n'implique pas que, malgré toute leur déveine, nos sans-logis ne doivent pas, malgré tout, considérer que les caves, les arches de pont, les bouches d'aération, les halls d'entrée, les parkings, les angles morts, ne sont pas en soi une domiciliation dont, supposons-le, des plus pauvres qu'eux (où cela ? en Afrique ? dans le désert ?) aimeraient bien se contenter. Et le subtil travail sur la langue laisse ainsi imaginer que domicile il y a bien, même s'il n'obéit pas aux contraintes de la loi Carrez. Mais la richesse des sociétés développées laissent suffisamment de latitude à ses pauvres pour qu'ils ne puissent pas être totalement à la rue. Il y a d'ailleurs un SAMU social à cet effet, des centres d'hébergement (sur lesquels les reportages rappellent systématiquement qu'ils ne sont pas toujours bien acceptés par ceux à qui on offre la possibilité de dormir au chaud. Le miséreux a ses humeurs...). Sans doute est-ce là un des bonheurs du temps, que de pouvoir errer de lieu en lieu et de faire le tour du désespoir. En poussant un peu l'image, on ressortirait bien les clichés du bohème dont s'est nourri le XIXe siècle. Tout est dans le fixe, lequel introduit un aléatoire masquant l'angoisse du soir qui vient, comme si l'aventure était là, dans nos villes.

    Tel est le subterfuge : si l'on retire l'adjectif, on met à jour la responsabilité d'une société qui a fondé en partie l'aggravation des inégalités par le biais du logement (salubrité/insalubrité ; ghettoïsatino de tous bords ; mouvements spéculatifs ; propriétaires/locataires...). Au fond, cet adjectif est un indice, un symptôme de plus. L'une de ces chevilles par lesquelles on masque la faillite du système. Pire : par quoi on instille une possible culpabilité du misérable. Sans domicile fixe... Pas de stabilité, pas de cadre. Jusqu'à quel point celui qui en est arrivé là ne l'a pas voulu, ou, pour le moins, n'a pas cherché à l'éviter. Cet adjectif secrète de la morale induite dont nous nous parons pour endosser nos habits de riches.

    À ce niveau, tirons un enseignement : la doctrine libérale, comme éthique, au sens wéberien, progresse. Le vocabulaire en témoigne...

  • Le Pape (plutôt que les hedge funds)

     

    Benoit XVI Pape voiture papamobile vatican

     

    Un Allemand, qui compte paraît-il garder l'anonymat, vient de porter plainte contre le Saint Père, arguant que celui-ci, pendant son séjour dans son pays natal, s'est déplacé en papamobile sans mettre sa ceinture. Il est passible d'une amende de 2400 euros.

    Cette anecdote est ridicule au regard des catastrophes et des angoisses dont le monde est parcouru. Et tel est justement l'intérêt paradoxal d'un événement aussi absurde. La volonté judiciaire de ce zélé défenseur du code de la route ne peut se comprendre si l'on ne le remet pas dans la perspective d'un emballement démocratique qui laisse la porte ouverte à toutes les manifestations, y compris les plus saugrenues, d'une revendication moraliste. La question religieuse (quoique...) et le souci d'être connu ne sont même pas des raisons suffisantes.

    En fait, ce quidam trouve dans le recours au droit un signe existentiel et le choix de son objet n'a pas qu'une valeur symbolique. Le détail, la faute priment, dans une pure tradition rigoriste qui voudrait nous faire croire que la loi doit être bonne pour tous, jusque dans ses moindres applications. Il y a dans notre homme une rigidité quasi pathologique, le besoin d'une rigueur infrangible à même d'ouvrir sur un monde de pur contrôle, comme on en trouve un dans le terrifiant Brazil de Terry Gilliam. Notre homme va bien au-delà d'une soumission à un ordre coercitif, à une logique discrimante dont il ne serait qu'un maillon (à la manière des régimes totalitaires). Il n'a pas besoin qu'on lui dise quoi faire. Il se saisit de son droit et son droit n'a pas d'autre fondement que son existence intrinsèque. Sur ce plan, nul doute qu'il ait raison, raison positive d'une démarche procédurière, et usant de celle-ci, il ruine sa propre valeur comme individu capable de discernement. Et l'on imagine la jouissance qu'il trouve à son acte : celle, infantile, du gamin qui, de son balcon, lance une grossièreté au passant ou ou celle, mesquine, du rapace qui vient de trouver le moyen de gruger à la machine à café. Petite victoire, esprit médiocre...

    En s'attaquant au Pape pour un motif aussi futile (mais il est vrai que le Pape est désormais une cible de choix), il nous donnerait l'espoir de le voir se pencher sur les actes autrement plus délictueux des financiers nous menant vers l'abîme. Peu probable, cependant. Pour deux raisons : il est trop idiot, sans quoi il serait abstenu de ce ridicule routier ; il n'en a pas les moyens, car, et c'est là le plus grave, le droit semble aujourd'hui pour les petits citoyens que nous sommes se réduire à une occupation sans conséquences pour l'essentiel, cet essentiel qui nous détruit et nous appauvrit à la vitesse grand V...

  • L'insignifiant et son signifié

     

    Paris, 1974 (Ph. D. Boudinet)

    Lu ce matin sur le site du Monde.fr : notre intellectuel président a, mercredi 28 septembre, remis l'ordre du mérite à la très révolutionnaire Julia Kristeva. À cette occasion, il a prononcé un discours dans lequel Roland Barthes est devenu Roland Barthesse. Rappelons qu'il n'y a pas de faute (au sens classique du terme) sur les noms propres. Soit, mais une certaine idée que l'on se fait de la culture induit que des maladresses de ce genre signent l'étendue d'une ignorance crasse. Le président en exercice est pour le moins digne des ridicules flaubertiens (ou des cuirs de Françoise dont le narrateur proustien se délectait avec une cruauté condescendante).

  • Bomber (le torse)

     

    Ce sera ainsi, toujours ainsi, désormais. On te l'aura dit et répété : qu'il n'y a pas de sort qui te soit réservé, qu'il en va de ton destin, et ton destin, c'est toi. Tu auras eu le choix d'en être, ou pas. Ce sera à la convenance de ton désir. Désir de souffrir (pour y parvenir), de t'amender (pour qu'on te reprenne quand tu auras déplu ou désobéi), d'exulter (quand tu seras parvenu à ce qu'on t'avait promis, et dont tu ne savais en quoi cette promesse consistait -sa consistance, justement-). Et quand tu auras des doutes, parce que les nœuds de tes boyaux seront bien plus incendiaires que celui de ta cravate, t'empêchant de respirer autre chose que la fureur du chronomètre, il y aura toujours quelqu'un pour te dire, à la sortie du bureau, dans le dédale des couloirs métro(nomiques), habité du désir d'enfin revenir chez toi : regarde comme c'est magnifique, ce graffiti. Ici, on peut écrire ce qu'on veut. La preuve qu'on est libres...

                                                                                            Photo : Micha Bar Am, San Francisco, 1976

  • Comment peut-on être texan ?

    Il y a un peu plus de trente ans (le 17 septembre 1981), Robert Badinter rappelle la non-exemplarité de la peine de mort (entre la 3e et la 4e minute), sans parler des risques de l'erreur judiciaire. Troy Davis, lui, est mort.



  • Écran plat

     

     

    À regarder de loin en loin les journalistes de télévision, leur effacement singulier : momies diaphanes assorties à l'esthétique grotesque des lieux où ils officient ; à entendre leur fausse impertinence et leur servilité commerciale, on en déduit que le pouvoir n'a même plus besoin d'eux, qu'ils ne sont même plus, pour reprendre l'image forte de Sighele, cette main qui mettait jadis son empreinte sur le "plâtre mouillé" de la masse.  C'est une certitude sans visage. Parce qu'elles sont paradoxalement anonymes, ces icônes médiatiques. Des hommes déguisés en gendre idéal ; des femmes éduquées au couvent des oiseaux. Le propre, le lisse, le glacé : telles sont les vertus cathodiques de l'information. Il n'est pas nécessaire d'y croire. Tout est dit, tout est ailleurs...

  • Subversion/soumission

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  • Sans idéologie (groupe prépositionnel)

    Le communisme de type stalinien et le nazisme, outre les horreurs dont ils sont directement responsables, nous ont laissé un héritage politique qui a mis à un certain pour éclore mais dont la puissance a en quelque sorte procédé du temps qu'il a pris pour accoucher. Il aurait sans doute été catastrophique que la Révolution russe échouât rapidement dans les premiers revers de la NEP et que Marx pût demeurer un auteur dissociable du goulag. Heureusement Joseph le Géorgien a mise les petits plats dans les grands et la liquidation fut sanglante à souhait. Comme, en plus, il eut le bon goût de s'allier ouvertement avec Hitler (ce qui est, cynisme pour cynisme, un courage qu'on doit lui reconnaître : celui de ne pas avoir fait semblant, comme tant d'autres, Anglais et Américains en tête, lesquels savaient depuis longtemps le sort qu'on réservait aux Juifs, aux Tziganes, sans plus d'émotion), il permit de faire un trait d'union entre les deux horreurs et de faire de Marx, mort en 1883, la statue du Commandeur des désastres sibériens, et cela n'est pas sans conséquence (1).

    Je ne suis pas marxiste. Pas en tout cas sur le modèle crispé et douteux d'un Badiou, par exemple. Mais il me semble que le travail d'effacement qui concerne certaines de ses analyses quant aux antinomies radicales et violentes d'une société en mode libéral est suspect, pour le moins... Les antagonismes qu'il mettait en lumière entre la classe dirigeante et la classe ouvrière (inutile d'entrer dans le détail d'une société qui avait créé suffisamment de strates intermédiaires pour consolider le système) n'ont pas, me semble-t-il, disparu. Mais il est clair que l'histoire du XXe siècle peut aussi se concevoir comme celle d'une lente acceptation de l'ordre libéral sous couvert d'une liturgie du progrès (sur laquelle on reviendra sous peu parce que W. Benjamin a écrit de fort intéressantes choses sur ce point). Tout le monde constatant que sa situation s'améliorait, ou pouvait s'améliorer, ce qui n'est pas tout à fait identique, chacun a déduit que l'humanité allait dans le bon sens (et il y aurait à gloser sur la polysémie de cette expression, parce qu'elle permet de plaquer sur la flèche de l'histoire une morale donnée comme une quasi évidence...).


    L'effondrement du communisme, la chute du Mur de Berlin, le discrédit jeté sur l'analyse marxiste ont pris du temps et cette lenteur a permis que le  libéralisme nouveau visage puisse prendre l'allure de l'évidence et de s'interpréter, dans une hypocrisie qu'il faut dire remarquable, non seulement comme l'inversion radicale de l'interventionnisme étatique, mais aussi comme une idéologie en négatif, celle qui, plutôt que de forcer la nature (et du monde, et des hommes) se ralliait à l'évidence des faits. L'idéologie a ainsi pris la forme du pragmatisme. Pas n'importe quel pragmatisme, bien sûr ! Celui d'une approche comptable et inégalitaire (sur ce plan, on a avec subtilité substitué l'équité à l'égalité...) qui impose aux individus de s'en remettre à une lecture imparable du monde. C'est ainsi que toutes les réformes allant dans le sens du libéralisme radical, depuis plus de vingt ans, ont été faites selon le principe d'un nécessité impérieuse, presque la mort dans l'âme pour ceux qui s'en chargeaient, comme s'il ne pouvait en être autrement. Telle est la teneur du sans idéologie dont on nous rebat les oreilles désormais pour réformer les retraites, le code du travail, le système social et hospitalier, les indemnisations chômage, le système scolaire, la fiscalité des entreprises, etc., etc., etc.. Il faut avoir entendu nos hommes politiques de gauche comme de droite masquer leur soumission aux marchés (la crise des subprimes et les problèmes de la dette en sont des exemples flagrants) derrière le souci d'un traitement efficace (pour qui ?) des difficultés de la société contemporaine pour se convaincre que leur pragmatisme est d'abord un discours contre l'égalité.

    Prétendre que les choix qui ont été faits depuis le déclin soviétique (n'oublions pas que la résistance afghane, dont les talibans, furent largement financés par l'Occident, les Américains qui voyaient là une occasion d'amener les communistes au cimetière...) relève d'une logique de bon sens, d'une gestion quasi domestique des problèmes est une belle escroquerie (et l'on a ressorti avec bonheur que l'économie (2) venait étymologiquement de l'oikos, de la maison, et d'une façon pourtant fort brutale, la gestion domestique est devenue une référence : être responsable, c'est penser en père de famille entreprenant).  Encore fallait-il, pour que l'escroquerie marchât, que l'idéologie, comme mot, fût discréditée et que son identification à la terreur la plus noire fût sûre... Les plus staliniens ne sont pas forcément ceux qu'on croit.

    L'analyse structuraliste aura au moins eu le mérite de poser comme principe que l'absence n'était pas rien, qu'elle pouvait être signifiante, qu'elle prenait place et sens dans un cadre défini. Si l'on accepte ce principe, le sans idéologie est un avatar discursif de l'idéologie. L'évolution des modèles européens en porte la trace. Il y eut dans le milieu des années 90 une majorité de gauche parmi les dirigeants politiques des pays concernés. Cela ne changea pas grand chose (pensons à Blair. et à Jospin...). Et si la prochaine élection présidentielle française a un sens, dans la mesure même où ses deux finalistes présumés (Sarkozy et Hollande) se veulent des pragmatiques, c'est celui d'un choix libéral plus ou moins nuancé (et plutôt moins). Ce n'est plus une opposition droite-gauche mais, selon les anciennes distinctions, un choix droite-droite. Il est certain que l'électeur, à ce titre, peut aller voter sans idéologie. D'ailleurs, depuis le référendum sur la Constitution, on aura compris qu'on ne lui demande plus vraiment son avis...

     

    (1)Il est maintenant de bon ton de railleur le pauvre Karl. Mais on est toujours d'une indulgence nauséabonde avec le père Heiddegger. Il est vrai que pour certains de ses défenseurs, ils ont un passé qui plaide en faveur de leur bêtise radicale.

    (2)L'économie a aujourd'hui, pourrait-on dire, deux sens antagonistes. Dans une visée mondialisée, dans une vision globale et anonymé (comme quand on dit : l'économie française, ou chinoise, ou américaine, va bien) c'est l'expansion à outrance. Pour le quidam, à un niveau microcosmique,  c'est subir l'économie, lui apprendre à faire des économies (non pour qu'il en est réellement mais pour que les coûts de production diminuent à ses dépens).

     

     

  • Rhétorique française : Fillon.

     

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    Concernant le premier ministre François Fillon, il est toujours possible de remarquer que son parcours intellectuel ne plaide guère en sa faveur. D'abord fidèle par les fidèles du seul homme politique intelligent de ces trente dernières années, Philippe Séguin, il est devenu le fantoche de Sarkozy, lequel ne brille pas, c'est le moins qu'on puisse dire, par ses hauteurs de vue en matière de politique. Il y a dans sa trajectoire un dépérissement qualitatif certain. Néanmoins, il n'avait pas encore cédé à la bêtise facile, jusqu'à l'affaire Joly début juillet.

    La stupidité est paradoxalement plus criante lorsqu'elle prend un bouc émissaire, plus voyante encore lorsque celui-ci n'a pas a priori vos faveurs et que tout à coup vous avez envie de le défendre. Ainsi Éva Joly... Sa désignation comme candidate des Verts me la rend peu sympathique (politiquement parlant s'entend, parce que, pour ce qui est de sa personne, je n'ai rien à en dire...). Cette madame Joly a donc eu l'occasion de dire tout le mal qu'elle pensait de l'étalage militariste et incidemment belliciste dont la République française s'enorgueillissait le jour de la fête nationale. Ce jugement, même si on ne le partage pas, n'a rien en soi d'excessif. Ce qui l'est plus tient dans la comparaison maladroite avec la Corée du Nord. Disons qu'il y a là un effet de rhétorique plutôt grotesque. Pas de quoi fouetter un chat. Il m'a paru bien plus ridicule de nous resservir le énième assaisonnement citoyen pour compenser l'abandon du défilé de l'X et de la Légion étrangère.

    Et puisque l'on parle d'étranger, revenons donc au sieur Fillon, lequel, dans un de ces élans patriotiques dont la classe politique se gargarise (et ce, d'autant plus qu'elle abandonne, tous bords confondus, les principes républicains), s'est fendu d'un commentaire afin de remettre la petite Éva à sa place.  L'argumentaire du chef du gouvernement tient en deux affirmations assez lapidaires. Madame Joly méconnaît la tradition française. Elle la méconnaît d'autant plus qu'elle n'a pas derrière elle une histoire qui puisse la lui faire comprendre. Entendons plus clairement : elle est norvégienne et sa nationalité hexagonale est fraîche, trop fraîche pour qu'elle puisse comprendre l'essence de l'âme française.

    En l'espèce, il faut bien admettre que le sieur Fillon s'inspire d'une vraie tradition. Il puise dans le meilleur de la puanteur fin de siècle (le XIXe, précisons-le), de la logorrhée nationaliste et xénophobe, et à l'entendre ainsi éructer je retourne feuilleter Scènes et doctrines du nationalisme de Barrès, dans lequel je lis les lignes suivantes (alors que l'affaire Dreyfus fait rage) :

    "Qu'est-ce qu'Émile Zola ? Je le regarde à ses racines : cet homme n'est pas un Français"

    (s'adressant à Zola) : "il y a une frontière entre vous et moi. Quelle frontière ? Les Alpes"

    "Nous ne tenons pas nos idées et nos raisonnements de la nationalité que nous adoptons et quand je me ferais naturaliser Chioix en me conformant scrupuleusement aux prescriptions de la légalité chinoise, je ne cesserais pas d'élaborer des idées française et de les associer en Francais."


    Voilà qui a au moins le mérite de la clarté. Le procès de Fillon relève de la même dialectique : c'est la mise en scène d'une défense nationale devant des paroles ou des comportements qui seraient ceux de l'anti-France. Pour ce faire, il est juste de rappeler à celui (ici, à celle) qui a commis un impair sa position d'étrangère. Or, attaquer Éva Joly sur le plan d'un mépris de la chose publique française est une absurdité absolue. Car n'est-ce pas le souci de faire vivre une démocratie mise à mal par les partis au pouvoir (y compris celui auquel appartient le premier ministre) qui l'a mise au cœur des affaires qu'elle eut à traiter lorsqu'elle instruisait au sein du pôle financier du tribunal de Paris. En quoi ses origines norvégiennes la rendraient-elles moins capables de porter un jugement sur le pays dans lequel elle vit depuis si longtemps et pour lequel elle a œuvré, bien plus que tant de bons Français, dans le sens d'une remise en cause des comportements délictueux et féodaux ? Dès lors, contester sa position sur le 14 juillet est tout à fait légitime si l'on veut bien assumer sa dimension militaire, si on en revendique la nécessité, si on pose comme principe que la guerre (et la capacité de la faire) est inhérent à l'établissement ou la préservation de la démocratie. On peut moquer l'angélisme politique de madame Joly et sa vision pleine d'optimisme sur l'état du monde. Encore faut-il lui opposer une dialectique qui ne sente pas l'égout...

    Aller chercher l'argument généalogique pour discréditer une parole est une absurdité consternante. Rappelons alors au sieur Fillon que cette assimilation de l'esprit français à son inscription intemporelle dans l'espace était une des antiennes du pétainisme : "La terre ne ment pas". Faut-il ajouter que l'histoire de la résistance à l'occupant ne permettrait pas de dresser une séparation nette entre les Français et les étrangers, qu'il eut des Dupont héroïques, qu'il y en eut des couards (et pire encore), qu'il y eut des étrangers héroïques qui se firent défenseurs de mon pays sans qu'ils s'interrogeassent sur le nombre de quartiers de leur francité (et sans que ceux avec qui ils luttaient s'en inquiétassent). C'est une piètre rhétorique que de vouloir nous faire croire qu'il existe une génétique de l'esprit français. On comprend bien qu'une telle intervention prend son sens dans une recherche électoraliste visant le vivier du Front national. Triste avilissement de l'esprit que de procéder ainsi. : ce n'est pas une chasse au métèque mais cela y ressemble. D'autant plus triste que le sieur Fillon est marié à une Anglaise et il serait fort mesquin de lui demander ce qu'il pense de l'intégration intellectuelle et culturelle de son épouse. De même qu'il serait absurde de lui demander ce qu'il en est de travailler pour un homme qui est génétiquement plus Hongrois que Français. Certes, on peut ironiser mais on entre alors sur un terrain miné... Il vaut mieux le savoir.

    Il y a un an, j'avais réouvert Off-shore sur les déclarations estivales d'un ministre qui tenait des propos allant dans le même sens : une connaissance claire de "l'être-français" et une sur-détermination de l'origine. Il semble bien que ce qui pouvait à la limite passer pour un excès de langage ou une bêtise individuelle soit devenu un fonds idéologique pour la droite qui se dit encore républicaine...