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politique - Page 15

  • De taille et d'estoc

    Les porte-breloque olympiques sont revenus chargés de gloire et de primes, hérauts temporaires d'une réussite nationale qui cherche à faire oublier le désastre. Il n'y a rien de pire que ce dévouement sportif à "vouloir donner du bonheur aux gens", ni de plus consternant que cette récupération politique s'extasiant "devant la vigueur de la jeunesse".

    Cette année pourtant, c'est un peu la soupe à la grimace. 34 médailles londoniennes : voilà  qui est nettement moins bien que l'épisode pékinois. Certains stratèges UMP y verront les premiers signes de l'après-sarkozysme. Flanby est plan-plan, quand Bling-Bling courait et pédalait dans tous les sens. Il savait donner l'impulsion, l'exemple. Le sportif est par principe d'exception et peu compatible avec l'homme normal. D'autre diront plus sérieusement que la multiplication des pays triomphants, parfois si petits ou si peu peuplés, nous prive de ce qui nous revient de droit. Tout cela, c'est la faute du Kazakhstan ou de Trinidad-et-Tobago. Un peu facile. D'autres encore invoqueront la réussite anglaise (troisième derrière les Américains et les Chinois), signe d'un manque évident de fair-play et de courtoisie. Gagner chez soi (parce que chez soi) est d'une prétention détestable. Quand on invite, on ne commence pas par se servir.

    Mais tout cela ne touche pas vraiment la raison profonde de la faillite hexagonale, là où elle concerne l'essence de notre histoire. Ainsi la France rentre-t-elle bredouille en escrime et en équitation, domaine dans lesquels elle donnait le meilleur de la représentation nationale. Temps qui n'est plus, hélas, à jamais révolu, ajoute l'esprit nostalgique. Le triomphe du cavalier et de l'épée est image de sépia. L'esprit chevaleresque et aristocratique a vécu. La grandeur de l'Ancien Régime a définitivement cédé devant le démocratique VTT et l'estivale natation. Londres 2012, c'est peu ou prou le dernier acte du basculement de 1789, ce qui ne manque pas de sel (amer), quand on sait l'attachement british à la monarchie. Prenons-en acte, ou sinon redorons le blason de l'esprit à particule à travers ses attributs les plus visibles. Choisissons la deuxième solution.

    Certes, nous savons après la lecture de La Route des Flandres de Claude Simon que la cavalerie ne peut guère rivaliser devant le canon de 40. Mais la technologisation admirable de la violence n'a pas prouvé que notre efficacité guerrière ait progressé, si l'on en croit nos déboires en Afghanistan. Réhabilitons donc l'armée à cheval, multiplions par dix les effectifs de la Garde Républicaine pour avoir des cavaliers olympiques dignes de notre tradition (ce qui exclut les femmes, sans doute, mais on ne peut pas satisfaire tout le monde...). Développons une brigage montée à la française (très important, cela : à la française, puisque nous faisons génétiquement mieux que les autres) pour les carrefours embouteillés ou pour les manifestations de pauvres. Il est certain qu'ainsi sortiront quelques pépites pour le concours complet ou l saut d'obstacles. De même, rendons obligatoire l'inscription au manège des 8-10 ans ; que la pratique chevaline devienne le fer de lance d'une nouvelle éducation (tant celle-ci, d'éducation, n'en est pas à une niaiserie près) par laquelle les meilleurs iront à cheval, et les médiocres à pied. L'équitation ou l'équité, il faut choisir. Je choisis, pour ma part. Et la France retrouvera alors son rang, le premier, dans le concert des nations.

    Moins coûteuse, et plus intéressante, voire utile, me paraît le regain possible de l'escrime française. Il n'est pas question de rétablir le port de l'épée. Cela ne sied guère au vêtement contemporain. Plus essentiel me semble le rétablissement du droit, voire du devoir, au duel, ce droit combattu dès le XVIIe siècle, comme une plaie morale, par un Etat centralisateur. Imaginons un instant l'imbecillité française régler ses fâcheries d'égo et de territoires, le matin, à la fraîche, sur le gazon d'un jardin public, au tranchant de la lame, à la vigueur de la pointe, plutôt que d'user bassement du couteau, de la 22 long rifle ou de la kalashnikov (à Marseille en particulier). La noblesse du combat, le port altier, le sens de la loyauté devant la mort, et le silence qui s'impose (plutôt que la vulgarité ambiante), tout cela aurait un effet bénéfique pour la société tout entière. Certes, le Champ de Mars, le Luxembourg, la Tête d'Or ou le Thabor rougiraient un peu du sang des vaincus, mais c'est fort peu en vérité. Les belliqueux contemporains pourraient se faire connaître, du caïd de banlieue à l'irrascible en auto, de l'aristocrate en chambre au mélancolique sans dessein. De fil en aiguille se ferait une sélection naturelle mettant en valeur celui qui, combat après combat, a survécu. La jeunesse, notamment, de tous les milieux, aurait là le moyen d'exprimer son envie de respect dont elle nous rebat les oreilles. Il suffirait de repérer ceux qui persistent, victorieusement, dans leur envie de tuer (ou de mourir, qui sait), sans jamais connaître le goût saumâtre de la défaite. Peut-on estimer qu'au dixième duel, le survivant est un sujet plein d'avenir ? Je le crois (de toute manière, il y aura bien des socio-psychologues pour se pencher sur la question).

    Ainsi déterminée, par une sorte de loi de sélection naturelle où les plus vaillants sortiraient du lot, l'escrime française, sans effort et sans investissement supplémentaire (nous sommes en période de crise), aurait, par voie de sourcecrowding, d'une certaine manière, un vivier dont elle n'aurait plus qu'à faire fructifier le trésor. Nul doute qu'en établissant la violence comme une forme de rite unificateur et respectable, l'épée, le sabre ou le fleuret regagneraient les médailles qu'un développement trop confidentiel et bourgeois a fini par perdre.

    Les cavaliers et les escrimeurs sont décidément des fins de race. Il est urgent d'insufler un élan nouveau. Cela passe, c'est clair, par une démocratisation à tout va, une institutionnalisation de la violence organisée, un droit à se faire justice dans les règles : rien qui puisse, au fond, choquer l'ordre libéral...


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  • Le prix de l'étranger (II)

     

     

    Sans doute est-ce la perspective des lettres de cadrage ministérielles, à l'aune d'une rigueur budgétaire d'inspiration libérale qui nous vaut ce commentaire acerbe et politique du président de la République à propos des 12 millions d'euros touchés par Ibrahimovic au PSG : « Franchement, je pense qu'il y a un moment où il peut y avoir des limites, a-t-il souligné sur France 2. Des salaires sont manifestement trop élevés mais je ne veux pas rentrer (sic) dans ce débat aujourd'hui»

    Je tombe par hasard sur cette déclaration hollandaise (je veux dire du sieur François Hollande, roi de la gauche morale, normale, et tout, et tout , et tout...) et j'ai une pensée émue pour tous ceux qui n'ont eu comme seule pensée politique, depuis cinq ans, qu'un anti bling-bling sournois et suffisant, confondant la dialectique idéologique et la personne. Sarkozy était sinistre et ridicule : difficile de voir autre chose qu'un agité insupportable, mais cela suffit-il pour se complaire dans l'admiration béate de l'opposant. Ne pas voir en Hollande un homme du libéralisme masquant non son impuissance mais son refus d'agir à grands coups de tartufferies socialo-bien-pensantes, relève de la cécité coupable. Le choix du manifestement dans la déclaration est encore une fois la preuve par l'adverbe du fond caché d'un discours de complaisance. D'ailleurs, il n'y a pas urgence de justice sociale. Il ne veut pas entrer dans le débat. 

    Comme disait, il y a fort longtemps, un humoriste : « on n'est pas de droite, c'est pas vrai. On n'est pas de droite. Oh, encore moins de gauche, faut pas déconner... ». En attendant, une question me taraude : a-t-on prévenu ce cher Zlatan de l'augmentation probable de la CSG. À moins que ces protections qataris n'aient obtenu pour lui ce qu'ils ont pour eux :  une exonération d'impôts...



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  • The final cut

    Les 30 juillet sont décidément bien cruels pour le cinéma. En 2007, Michelangelo Antonioni et Ingmar Bergman disparaissaient et c'était comme une étrangeté de les rassembler ainsi, vieux qu'ils étaient déjà, peut-être, et presque plus cinéastes, mais indissociables dans leurs différences mêmes, quant à la manière de traiter du silence, de cette extension improbable des embarras à être avec autrui dont on chercherait à la fois la présence et l'absence. Ils avaient l'un et l'autre fait chemin dans l'incroyable légèreté qu'il y a à se faire du mal, même sans le vouloir. Pour l'Italien, on sentait bien que tout, ou presque, tournait autour de le délitement progressif qui fait sentir à l'individu l'éloignement, la disparition ou le manquement de celui ou celle en qui il escomptait. De comptabilité humaine, il était aussi question chez Bergman mais il s'agissait alors non de s'en remettre à un dénouement quasi inespéré du lien, plutôt de le réactiver afin de désintégration. Le catholique fouinait du côté de la Providence, d'une certaine façon, pendant que le rigoriste suédois, à la suite d'un Dreyer dont il était la version un peu criarde (tant dans les voix que dans les effets scéniques), œuvrait dans le procès hic et nunc de nos turpitudes et de nos absences à l'ordre. Bergman refourguait la énième version tragique de l'existence, et c'était parfois un peu fastidieux et démonstratif, n'évitant pas le pire comme dans Cris et chuchotements, pendant que le ferrarais (de la même ville donc que Giorgio Bassani) s'échappait lui dans ce qui pouvait former des tableaux tremblants de nos fragilités affectives et sociales. La Notte et L'Éclipse sont de pures explorations de temps impensables : au delà de la crise, ce qui reste quand il n'y a plus rien. C'est bien que de l'errance, ou un désarroi affectif : le soliloque du corps perdu à lui-même dont la vie n'est pas/plus capable de retrouver l'origine, et donc le sens. Sur ce point le générique de La Notte est un modèle d'expressionnisme quasi abstrait.



    Sur quels reflets existons-nous ? vers quoi glissons-nous infiniment alors même qu'en contrepoint le monde est là ? La structure est visible et suggère que l'ensemble puisse être habitable mais ce ne sont que jeux de renvois et les noms qui s'affichent et changent à chaque étage passé expliquent déjà que la structure se suffit à elle-même : son immuabilité efface tout. L'ouverture vers le lointain n'est pas un appel de l'horizon mais la concentration corrosive d'un ailleurs qui ne peut être que la réduplication d'un ici sans tain, sans profondeur, sans vie. Le spectateur doit se dire qu'il va falloir s'accrocher pour pouvoir tenir, et la lenteur du film n'est pas tant un choix esthétique que l'essence même de ce que devient le cinéma quand il nous parle vraiment : le récit d'une fin (ce que Godard dira autrement mais avec un génie sans égal dans Le Mépris deux ans plus tard) dont le générique (mais les discussions autour de L'Odyssée entre Fritz Lang et Michel Piccoli sont tout aussi "parlantes"), et sa citation truquée, nous ouvre aussi à l'inquiétude déceptive d'une Bardot qui glose, à défaut de glousser...



    Entre le Suisse et l'Italien, en 1962, Chris Marker réalise La Jetée. 26 minutes d'images où le réel est pulvérisé dans sa matérialité fixe par la voix off qui n'est pas là pour combler ce que le film n'arrive pas à montrer (comme le font les mauvais réalisateurs et les mauvais scénaristes), mais dont l'objet est justement de tout déconnecter. Récit à la fois d'un présent et d'une science-fiction, La Jetée est elle aussi une œuvre de la fin. Une œuvre de la fin sans fin, même, toujours dans l'attente de son propre achèvement. Certains diront que ce n'est pas du cinéma, qu'il y a tromperie sur la marchandise (mais justement parce qu'ils veulent que le cinéma soit une marchandise, un estampillage technique. Et ceux-là ont gagné puisque l'intelligence cinématographique tient essentiellement dans ses effets spéciaux. C'est donc peu dire combien ce mode d'expression est devenu bête...). Tromperie, non. Erreur, soit, tant Marker demande au spectateur d'être là, bien en face de l'écran et de suivre la marche, c'est-à-dire de combler le vide qui se crée. Œuvre mal jointée, en quelque sorte, La Jetée reste en mémoire de cette alliance apparemment contre-nature sur le plan esthétique du récitatif et du décor fixe.



    Chris Marker est mort un 30 juillet, comme Antonioni et Bergman. Il était vieux et l'on dira que sa trace était déjà faite. Ce n'est donc pas le regret d'un espoir inassouvi qui attriste, mais de penser tout à coup que ces grands réalisateurs (Bergman étant le moindre, me semble-t-il) avaient entamé, avec Godard, nos certitudes et clos le cinéma il y a fort longtemps, dès le début des années soixante. Après, plus grand chose. Des redites. 



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  • L'habillage d'une escroquerie

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    Depuis le 27 juillet, c'est la fête du slip (de bain), du short, du plastron, de la culotte (de cheval), du kimono, à Londres, mais aussi all over the world. Nous sommes partis pour une quinzaine d'émotion, de moments historiques, de tension, d'incertitudes, de larmes, de sueur. Il ne manque que le sang, et on comprend dès lors que le sport est la guerre sous une autre forme. Non pas qu'il en soit seulement, selon un parallèle assez connu, la transfiguration pacifique, le détournement jouissif ; il est aussi associé, dans le vocabulaire, dans les prises de position politiques et journalistiques, à une radicalité où l'esprit sensé trouvera difficilement et la pureté et la beauté de l'objet qu'on nous vend comme une harmonie vers laquelle le monde entier devrait tendre.

    Sans doute voudrait-on considérer combien l'idée même de village olympique, avec ce brassage magnifique des nationalités, est une mise en abyme d'une mondialisation festive et heureuse, oubliant que ce village, ce n'est pas une œuvre en dur mais un montage aléatoire et transitoire de tentes pour quelques privilégiés. La douce entente des sportifs, leur estime réciproque, cette communauté des âmes musculeuses, tout cela ressemble étrangement à l'accord qu'on peut trouver entre les puissants de ce monde qui ne sont nullement regardant sur la couleur de leur peau et leur origine. Il faudrait que l'on cesse (mais peu de chances qu'il en soit ainsi) de nous vendre la fraternité sportive comme un modèle simple et accessible puisqu'elle fonctionne d'abord sur une sélection drastiques et une rivalité que l'on expose entre soi. Selon un parallèle qui pourra sembler déplacé, disons qu'il en va de cette caste comme des Thélémites : ils sont peuples choisis, et c'est ainsi qu'on nous les expose, que les nations les exploitent, que les politiques se glorifient de leurs victoires.

    La fête olympique est une escroquerie de plus dans un univers médiatisé. C'est une trêve dans la folie du monde : là encore, le message est simple et la volonté d'amnésie imparable. Et dans ce domaine, l'hypocrisie n'a pas de limites. Jacques Rogge, le président du C.I.O., réaffirme le soutien du mouvement sportif aux athlètes syriens. Pourquoi ? Pour leur dissidence, ou pour la capacité à courir dans un stade pendant que son pays est lancé dans une guerre civile spectaculaire (1) ? Et pourquoi seulement les Syriens, quand tant de pays dans le monde voient leurs populations brimées, exploités, asservies... Mais on comprend bien que Damas est pour l'heure le point noir qui empêche que la fête soit complète. Les faits y sont tellement graves que l'olympisme les voit comme des ombres gênantes. Alors une déclaration ne fait jamais de mal, et après on peut aller manger tranquille, distribuer des médailles et s'extasier des histoires qu'on vient de faire partager au public, la larme à l'œil et le cœur battant.

    Mais, nous répète-t-on, le sport est le moyen fort pour rapprocher les hommes, pour rompre les barrières et faire que les choses changent petit à petit. Discours convenu que des journalistes relaient à qui mieux mieux (et il est fort à parier qu'ils s'y croient, ce qui est, de loin, le pire...) : à la beauté et au mérite du sportif, s'ajoute sa puissance politique. Les intérêts multiples, les magouilles infinies, les expériences sur les athlètes, les arbitrages dirigés, démontrent évidemment le contraire. Peu importe : l'avenir du monde est dans l'olympisme (2). C'est par là, et non par le politique, le travail d'éducation, le développement raisonné, la mesure dans l'exploitation des richesses, le respect de l'être humain, que passe le sauvetage de l'humanité et l'évolution des mentalités.

    Et l'amoureux aveugle de l'épopée sportive saisit la balle au bond et nous donne un nouvel exemple. La judoka saoudienne Wodjan Ali Seraj Abdoulrahim Chaherkani devra se présenter sur les tatamis des Jeux olympiques de Londres « sans son hidjab » (foulard islamique), a annoncé jeudi 26 juillet le président de la Fédération internationale de judo. Pour la première fois, l'Arabie Saoudite présentait une athlète (3) et voilà qu'on entre d'emblée dans le vif du sujet. Les rois du tatami balancent toutes les convenances par dessus bord et contraignent les Saoudiens à plier. À première vue, le féministe devrait se réjouir. Tout cela de gagné. Mais est-ce si simple ? Faut-il y voir un bras de fer avec le wahabisme ou une simple nécessité sportive, quand dans le même temps la FIFA autorise ce même hidjab pour le football ? Faut-il croire qu'il en serait de même pour un sport dont les enjeux financiers sont autrement plus conséquents (et l'on pense aux investissements des pays du Golfe dans le football, justement) ? Et même : admettons que le choix de la Fédération internationale de judo soit motivé par une volonté idéologique en faveur des femmes. Il est alors fort consternant de voir une telle instance pouvoir imposer cette juste vue, quand des états entiers plient devant une morale aussi rétrograde. Et que nul ne vienne faire un procès à cette fédération, au nom d'un différentialisme bien compris, est, je crois, la meilleure preuve de l'illusion sportive. Si cette décision est une satisfaction pour ceux qui l'ont prise (et qui sont fort respectables), et si l'état saoudien n'a semble-t-il pas crié au scandale, c'est justement parce que sur le fond, dans le Golfe persique, rien ne change vraiment pour les femmes, les femmes du commun, pas celles que l'on fait sortir pour une Olympiade, que l'on exhibe comme le signe d'une belle santé politique. Sur ce point, seuls les soucieux de l'audimat, les vendeurs de pub, les décerveleurs audio-visuels et les politiques espérant qu'une médaille calmera les populations donnent le change, pour récupérer la mise, qui, elle, vaut bien plus qu'une breloque.



    (1)Il y aurait beaucoup à dire sur l'épisode syrien, sur les dérives médiatiques et la litanie des morts journalières, comme si une guerre se faisait avec des pistolets à eau...

    (2)Olympisme conçu par Coubertin dans des temps de bellicisme larvé, au demeurant...

    (3)En fait, il y a en deux.


    Photo : stade de Molène, Jacques Bon.




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  • Le goût secret de la féodalité

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    Le Tour de France s'est achevé. Il fut ennuyeux et les commentateurs se sont désolés mais, comme le remarque François Bégaudeau, dans Le Monde du 21 juillet, on peut s'étonner du succès médiatique d'une « manifestation aussi suivie qu'indigente ». Il s'en va chercher la solution dans la seule temporalité de l'événement : « la clé, c'est l'été. C'est les congés payés. C'est la disponibilité estivale. » Et d'ajouter que le spectacle télévisuel devient un quasi parent de notre quotidien : « Ce compagnon, cet animal domestique, ce poisson rouge, entre dans la pièce par la petite lucarne qu'il suffit d'allumer. Le voici parmi nous, c'est le Tour de France ». Sans doute y a-t-il de cela mais l'affaire me semble un peu courte en analyse.

    En fait, il faut bien comprendre que la médiatisation de l'événement en a changé la nature. Ce qui, pendant longtemps, fut une réalité radiophonique, puis télévisuelle (mais à petites doses, on ne diffusait guère que les trente derniers kilomètres dans mon enfance), est devenu une machinerie qui couvre une bonne partie de l'après-midi, voire plus. Il est donc possible de suivre l'histoire dans sa quasi totalité. Le caractère narratif s'en est donc considérablement accru. Le téléspectateur n'arrive plus sur la course comme un invité de dernière minute. Il remonte loin dans le déroulement de l'épisode et parfois, même, pour les grandes étapes de montagne, il voit les premiers coups de pédales. L'intégralité est pour lui, et la multiplication des caméras, hélicoptères et motos, lui donne le sentiment qu'il ne rate rien. Il s'est donc produit pour le Tour ce que fut le bouleversement imposé par Canal+ en matière de retransmission footballistique. Le confort suffit-il néanmoins à expliquer l'engouement ? Il y a les à-côté pseudo culturels et le caractère « paysage naturel », cette étrange beauté de la France vue du ciel, ce caractère Yann-Arthus Bertrand du récit, qui nous réconcilient avec le territoire d'une façon qui rappelle que le Tour de France, créé en 1903, est indissociable d'un arrière-plan politique qui exaltait, dans le cadre français d'une reconquête des territoires perdus en 1870, l'envie de définir, de souligner les frontières. C'est d'ailleurs pour cette raison que nombre de fervents de la Grande Boucle s'insurgent contre les départs de l'étranger et les étapes en Angleterre, en Belgique, en Italie ou ailleurs...

    Mais il était question de l'ennui. Épreuve devenue terriblement mécanique (si j'ose dire) depuis plus de vingt ans, à l'aube du règne de Miguel Indurain, le Tour de France s'est plié comme jamais à des impératifs économiques qui, sous couvert de stratégies déterminant les moments forts du parcours, les conduites à adopter, ont en quelque sorte réduit chaque étape à deux portions, évidemment congrues : la première heure de course et les trente derniers kilomètres. Entre, plus rien. Et c'est au moment où l'on file les heures télévisuelles à l'infini qu'il n'y a plus rien à voir, plus rien à vivre. L'important n'est donc pas l'imprévisible de la course mais le verrouillage du scénario. Et sur ce point, la frilosité des directeurs sportifs, leur stupidité dans leurs analyses, la servilité des coureurs expliquent en grande partie le désastre.

    Il faut dire que jadis les courses elles-mêmes constitutaient le plat essentiel du menu d'un cycliste. Il s'entraînait en participant aux épreuves qu'il était susceptible de gagner. Cela explique pour beaucoup le palmarès hallucinant de Merckx, lequel palmarès ne sera jamais plus égalé, ni même approché. De nos jours, les cyclistes ne courent plus, ils s'entraînent. Ils ne s'alignent plus au départ d'une classique, ils font des stages (en altitude, au bord de mer). Les mauvaises langues diront que c'est le seul moyen tenable pour appliquer les protocoles de dopage très élaborés (on est loin de l'antique pot belge quand on touche à l'EPO et aux auto-transfusions). Ils font ainsi des apparitions épisodiques pour lesquelles il ne faut absolument pas qu'ils se ratent. Indurain et Armstrong ont montré qu'on pouvait ne jamais se rater et ne faire qu'une épreuve par an, la plus célèbre, la plus porteuse, en termes médiatiques. C'est bien tout cela, mais l'ennui est au bout de la route.

    Alors pourquoi regarder encore ? Il y a sans aucun doute le caractère héroïque de certains exploits, le dépassement fou de soi devant la difficulté. Plus qu'aucun autre sport, le cyclisme exalte l'au-delà, le risque et la solitude. Et à cela, nul n'échappe un jour ou l'autre. Ocana chutant dans le col de Menté en 1971 ; Merckx dépassé par Thévenet en 1975, dans la montée de Pra-Loup ; Hinault à la ramasse derrière Fignon en 1984 ; Indurain défaillant en 1996, les images demeurent. Pour célébrer ces moments d'audace et de désarroi, de grandeur fracassée, il faut relire Blondin, plus que tout. Dans un autre registre, et même Barthes en parlait dans ses Mythologies, la morale ambiguë de ce sport, entre le désir personnel et le poids de l'équipe à laquelle on se soumet, n'est pas sans intérêt. « C'est une morale qui ne sait ou ne veut pas choisir entre la louange du dévouement et les nécessités de l'empirisme », écrit-il. C'est en effet une étrange construction que l'on trouve dans ce sport, dont on rappelle sans cesse qu'il est un sport d'équipe, mais une équipe au service d'un seul (lequel peut changer selon que l'on soit dans une course à étapes ou une classique).

    Tel est le point que je voudrais alors aborder. Cet ennui qu'a imposé la transformation économico-technologique du sport avait déjà sa source dans le caractère féodal de la hiérarchisation des coureurs : le leader, les équipiers. Et ceux-ci ont d'autres noms bien plus révélateurs, selon les cas : les poissons-pilotes, les gregarios, les porteurs d'eau, la garde rapprochée... Ils sont le menu peuple et rien ne peut se faire sans qu'un de ses membres ait un bon de sortie. Une anecdote en dira plus que tout long discours. En 1963, au championnat du monde, Benoni Beheyt gagne devant son leader Rik Van Looy. Il est mis au ban et arrête sa carrière, pourtant prometteuse, à 26 ans. La soumission de Froome à Wiggins, durant ce Tour 2012, alors même qu'il lui était supérieur, n'est donc pas une nouveauté. La révélation de cette puissance dans les deux accélérations que se sera permis le premier, à la Toussuire et à Peyragudes, parce qu'elle a été télévisée, ne fera qu'amoindrir le succès du second. C'était là que se tenait l'intérêt de l'épreuve, et je crois, l'attente non dite des téléspectateurs : le désir impalpable de voir la féodalité tomber, de voir, dans la même équipe, le lieutenant prendre la place du chef, qui tenait lieu de chef, sans l'être vraiment, comme un usurpateur. Les affrontements fraticides sont les plus beaux, ici comme ailleurs, ceux dont se délecte le public avec le plus d'avidité. Il n'est pas tant question de luttes entre leaders que de voir secoué le joug des ordres, et la félonie est un délice.

    La question de l'oreillette est une énième version d'un débat plus profond. Faut-il obéir ? Faut-il désobéir ?, et donc : comment désobéir ? Froome a obéi, a montré ostensiblement qu'il avait obéi, et dégoûté tout le monde : suiveurs, commentateurs, spectateurs, téléspectateurs. Il est en effet tout à fait curieux que le sport populaire par excellence, aussi bien par ses pratiquants que par l'origine des gens qui s'y intéressent, soit aussi celui qui, d'une manière radicale, reproduit le déséquilibre des rapports symboliques d'une société dévalorisant les petits, les obligeant à rappeler en toute occasion leur infériorité. Dans nul autre sport, le mot règne, pour définir la puissance d'un champion, n'est aussi approprié. On lui doit tout, on lui prépare tout, on lui sacrifie tout.

    Alors, le téléspectateur guette la catastrophe mais dans une relation ambiguë de fascination : que les meilleurs livrent bataille (et les ascensions sont faites pour cela), et pour ce faire, que les équipiers s'épuisent pour finir comme ils peuvent, dans l'anonymat d'une arrivée dans le brouillard, pendant que les meilleurs qu'ils ont protégé sont sous le feu des projecteurs ; mais aussi : que le second couteau brise ses chaînes et mettent au pas ceux qui ont moins été exposés. La question est de savoir lequel de ces deux désirs prime sur l'autre. L'amoureux du Tour de France espère-t-il le bouleversement ou l'ordre établi ? Dans le premier cas, il va vers la désolation tant le corsetage de la course, entre codes anciens et frilosité moderne, est promis à un bel avenir ; dans le second cas, il faudrait considérer le Tour de France comme une entreprise d'aliénation exemplaire. Mais, sur ce point, nous ne sommes plus dans du sport...

    Et si nous ne sommes plus dans le sport, c'est peut-être parce qu'au-delà de la théorie du reflet depuis longtemps soumise à la critique, il faut sentir dans l'attrait pour l'épopée estivale de la petite Reine comme la trace de ce qui fonde la puissance même du pouvoir établi : sa reconnaissance effective, quand on croit qu'il est fait pour être comme il est, et le fantasme d'une altérité contestataire se rencontrent mais dans un rapport inégalitaire, parce que la durée de l'épreuve, ces trois semaines où à chaque jour suffit sa peine, donne au fur et à mesure de son déroulement de moins en moins de place pour le fantasme. Mais le téléspectateur, dans le saisissement de chaque fait de course qu'on monte en épingle, se laisse prendre au piège, ou veut se laisser prendre au piège. Ce n'est pas de la facilité, plutôt une histoire qui ressemble à l'impossible du joueur de casino qui croit que la prochaine fois sera la bonne. Un rien de désillusion qu'on ne veut pas s'avouer.

    La place énorme prise aujourd'hui par le sport tient sans doute, parmi d'autres raisons, à ce goût troublant pour ce qui ramène le commun à sa commune condition et à l'acceptation à peine consciente de cette situation. Nous l'évoquons pour le cyclisme mais l'histoire est aussi vraie pour le football, dans un autre contexte : non plus le "chacun à sa place, malgré tout", du vélo, mais le "tout est possible, y compris pour les pauvres" du ballon rond. Espoir dérisoire dans une période qui se développe comme un processus de régression sans précédent depuis deux siècles...


    Photo : X


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  • Le Métier

     

    Ce qui agace profondément chez Giono, et en particulier le modernisme de gauche qui voit en lui une figure transcendante du cul terreux n'ayant jamais voulu renoncer à Manosque, c'est, me semble-t-il, l'hommage perpétuel qu'il rend certes à la terre et surtout aux hommes et à leur assiduité à vouloir perpétuer les usages, les manières de faire, les traditions et les techniques. Il est pour ceux-là, qui voient en la modernité, en sa version post- ou hyper-, l'accomplissement de l'humanité dans son essence : en effervescence, en activité, en éveil, perpétuels, une humanité brownienne, en somme, il est pour ceux-là l'ennemi idéal.

    Il n'a rien compris à la vitesse, dira-t-on, comme si l'aspiration futuriste, par exemple, pouvait servir de modèle à une modernité bien comprise ; il voulait la lenteur, que l'on assimile désormais à une forme larvée d'immobilité, de bêtise et de mort. C'est bien sûr un peu facile. Cet écrivain avait senti, au delà de son effroi devant l'accélération des mouvements de population, l'horreur d'un déracinement fatal aux petites gens venues s'entasser dans des villes qui les broient, que finalement une certaine tradition, un certain usage des choses et de la vie allaient disparaître.

    Les pages, nombreuses, qu'il consacre au travail quotidien des paysans et des artisans, et particulièrement à ces derniers, nous ramènent non seulement à la lenteur de la tâche à accomplir mais à son apprentissage proprement laborieux. Il faut une écoute des choses, une manière de les apprivoiser. C'était cela, un métier : une inscription dans la durée, une patine douce, parfois amère aussi, pas d'angélisme, qui faisait de chacun un apprenti puis, si on parvenait à la maîtrise des choses et des techniques, un maître. Le métier était une transmission qu'on avait parfois voulue, à laquelle on s'était plié aussi, mais que l'on faisait sienne. Le temps se perdait mais l'on gardait la main.

    J'étais encore enfant et la question qui se posait était d'avoir un métier. J'en avais une appréhension très approximative mais je constatais que tout cela ne se décidait pas à la va-vite. Peut-être étaient-ce les derniers éclats des Trente Glorieuses mais on pensait à ce qui allait être mis en œuvre et l'on pouvait aimer ce qu'on faisait, justement. La crise a détruit le métier ; elle l'a remplacée par l'emploi. Et en même temps que l'un se substituait à l'autre, la vitesse prenait ses aises. Il fallait progresser, courir avec/derrière la modernité. On décrétait l'obsolescence accélérée des choses, et la caducité elle aussi accélérée des savoirs. Derrière cet implacable principe de réalité se préparait le mouvement de régression sociale dont les effets sont visibles chaque jour. Les hommes vaudraient peu. Ils courraient après un emploi. Être employé : double sens par quoi la détermination sociale signe la passivité (et donc la vulnérabilité) de l'individu. Et plus on s'enfonce dans cette conception de l'existence sociale et professionnelle, et moins l'existence entière garde sa valeur et son avenir.

    Il est toujours possible à ceux qui prônent le mouvement de faire la morale à ceux qui le critiquent et à les assimiler à d'affreux épouvantails. Ils semblent pourtant ignorer que cette réticence ne tient pas à une haine intrinsèque pour le progrès et le changement mais à l'observation de ce que coûte  aux hommes désormais cette course perpétuelle. Le combat semble perdu, parce qu'il s'agit bien d'un choix de civilisation. Il n'est pas question de se maintenir dans un passé idyllique, magnifié de toutes pièces, et de ne pas voir qu'aliénation à la terre et au lieu il y a aussi dans cette passion pour la lenteur et la durée. Mais cette aliénation a au moins le mérite de laisser à l'être une part de lui-même, ce dont le taylorisme et ses continuations l'ont privé..

    Alors on se console avec Giono, le rétrograde Giono, et la première page de L'Eau vive (publié en 1943 mais le texte date de 1930).

    "Dans mon pays, il y a encore de beaux artisans.

    Je ne veux pas parler de ceux qui ont des métiers de luxe "ou pour ainsi dire", comme ils disent, mais des humbles : le rémouleur, le potier, le boucher des petits villages, le fontainier, le cordonnier.

    Le métier est dans leur chair comme du sang. Ils ne peuvent s'en séparer sans mourir. On en a vu qui, après l'heureux afflux d'argent, restaient, bras ballants, regards humides devant l'établi d'un confrère. Ils s'approchent, prennent les outils dans leurs mains, les caressent, les soupèsent, discutent, et, sentant le temps qui coule, ne plient le dos pour s'en aller qu'à la dernière minute et avec de grands soupirs. Oh, d'ailleurs, ils sont vite morts, ou bien ils reviennent à leur métier et ça fait alors de ces vieillards vermeils, souples comme des osiers, avec cent ans de lumière dans les yeux.

    Tout, dans leurs gestes, dans leurs paroles, dans leur leçon de voir la vie, de l'interpréter, est inspiré par le métier. Le fontainier vous racontera une histoire : il ouvrira pour vous dans l'herbe des faits tous les ruisseaux qu'ouvrirait la fontaine ; le boucher vous racontera la même histoire ; elle souffrira sous son couteau de conteur ; elle montrera ses entrailles ; elle aura le hoquet de l'agneau"


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  • La politique blockbuster

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    Fin de campagne. Dernier billet sur le sujet. Il sera bien temps après de penser à l'intérêt que cela avait et aux accrochages que cela a suscités. Pour l'heure, on se dit : dernier billet, conclusion dans le calme alors même que cela pue abondamment, que Sarkozy s'extrémise non par idéologie mais pour pratiquer la politique de la terre brûlée et faire que son camp ne s'en relève pas (et Marion Le Pen se délecte...).

    Finir en douceur une campagne âpre et ennuyeuse signifie imparablement célébrer les femmes pour trouver un peu d'espoir. Les femmes en politique sont la quintessence de la délicatesse, un autre regard, une démocratie apaisée. Du moins c'est ainsi qu'on me l'a vendu, cette équation femme politique, depuis que je suis jeune. Naïf (ou sensible) comme je suis, j'ai voulu y croire. De même, l'idée qu'avec le crépuscule sarkozyste s'achevait l'époque du clinquant et du m'as-tu-vu. Retour aux affaires (1) de la gauche. Du sérieux, de l'austère, du common man, de la madame tout-le-monde, de la modestie... La gauche, la vraie, dans toute la sincérité d'une tradition qui remonte à Jaurès et compagnie.

    C'est dans cet esprit, sans doute, que les Inrocks ont choisi de faire leur couverture sur la nouvelle garde socialiste. J'imagine que le Huron voltairien ou l'Indien de Montaigne voyant une telle photographie, à l'aveugle, déclarerait qu'il s'agit de quatre actrices réunies, à coup de fric, pour un blockbuster où l'on trouvera de l'action, du suspens, du sexe et de l'amour. On y trouve tout : le mélange cultural studies, la beauté un peu mystérieuse, la rudesse des regards, le chic retenu et le décontracté de marques. Le lecteur suppose qu'elles sont quatre sur la photo mais que le scénario a prévu que certaines s'affronteront. C'est un casting où chacune a un rôle, incarne une certaine ligne hollywoodienne, entre femme fatale et femme de tête, entre sévérité et sensualité, entre traîtrise et fidélité. L'Europe, l'Asie, le monde arabe : tout y est. Très mainstream. Les visages fermés, le sourire carnassier, le style un peu masculin et le rouge à lèvres qui claque. Toutes ensemble et déjà prêtes à s'entretuer. D'ailleurs le titre du film dit tout : Girl Power On a hâte d'y être. Pas de panique : elles arrivent, les Drôles de Dames de la rue Solférino. Et de se demander laquelle in fine terrassera les autres et trouvera l'amour dans les bras du magnifique héros dont l'affiche fait l'économie...

    Que les Inrocks tentent le coup d'une politique rock and roll n'étonne pas. C'est de leur niveau : bobos de gauche décalés et vaguement révolutionnaires du MP 3. Leur ligne d'horizon, fort basse, comme leur intelligence, ne peut guère viser autre chose. En revanche, que les égéries du PS se prêtent au jeu, qu'elles n'y voient qu'une stratégie de com supplémentaire, sans en saisir ni la puérilité (eh oui, les filles, vous ne serez jamais Uma Thurman ou Scarlett Johanson (2)) ni l'indécence, ni le déni que représente une telle posture, voilà qui consterne. Il ne s'agit pas d'être dupe : s'engager à ce niveau en politique n'est pas le fait d'enfants de chœur, de bons samaritains. Soit. Mais jouer avec les codes d'une pensée jeune (!) et illusoirement rebelle est pitoyable. Que la gauche aux aspirations moralisantes cède à la tentation n'est pas à sa gloire. Mais il y aura toujours des bonnes âmes pour m'expliquer que cela n'a absolument rien à voir avec Sarkozy et Carla, le Fouquet's, Nicolas et ses amis du show-bizz... Je ne vois pas la différence et je trouve que finir symboliquement ainsi qu'avait commencé l'histrion hystérique, c'est risible (sauf que je n'ai pas envie de rire, au fond...).

     

     

    (1)J'aime bien cette expression. Elle est savoureuse, car, dans la majorité ou dans l'opposition, quel parti politique a-t-il jamais quitté les affaires ? Ou pour l'écrire autrement : les affaires ont-elles jamais quitté les politiques ?

    (2)Je prends à dessein des exemples contemporains pour renforcer le ridicule. Il eût été infamant d'aller invoquer les mânes d'actrices authentiques...

     

  • Le bruit des imbéciles cafards...

     

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    La chasse à l'homme continue et les Inrocks ne démentent pas la tradition des coupeurs de têtes. J'avais évoqué le cas de Renaud Camus, dont P.O.L. venait de découvrir qu'il était effectivement réactionnaire, et le chant joyeux des journaleux rock and roll. Dans ce même billet signé Nelly Kaprièlan Denis Tillinac a droit à la même vindicte différentialiste. Que lui reproche-t-on ? d'écrire mal ? d'être classique ? d'être idiot ? Rien de tout cela. Le vrai problème, semble-t-il, est que ses écrits "suintent le Français de souche".

    J'ai beau chercher. Je ne comprends pas ce que ce terme signifie. S'agit-il des sujets que traite Tillinac ? d'un discours sous-jacent ? y a-t-il une écriture reconnaissable selon l'ethnie (puisqu'il faut parler ainsi), de même qu'on nous a bassinés depuis trente ans avec l'écriture féminine ? une sorte de génétisme littéraire ?

    Autant y aller directement : Denis Tillinac est-il un écrivain raciste, fasciste, néo-nazi ? ou bien faut-il concevoir, si ce n'est pas le cas, que la détermination même de "Français de souche" est un signe révélateur qu'il faut stigmatiser à tout prix. Cet auteur se défend fort bien dans Valeurs actuelles

    De fait, la question n'est pas là et plus encore qu'avec Renaud Camus, le problème posé se situe dans un cadre bien plus large : celui de la haine, de la haine honteuse, sous couvert d'une repentance et d'un révisionnisme historique radical imputant à l'Europe, et à l'Europe seule l'héritage d'un mal absolu dont on se demande si l'unique moyen de l'en guérir ne serait pas de la voir disparaître, elle et sa culture, dans le trou béant d'un différentialisme assassin.

    Les gauchistes radicaux qui œuvrent aujourd'hui dans les médias et les think tanks roses et rouges (on pense à Terra Nova) ont décidé d'éradiquer comme une vermine supposé tout ce qui ne leur ressemble pas. On pourrait comprendre leur démarche s'ils avaient un certain courage politique, des titres de gloire à faire valoir, des engagements héroïques. Que nenni ! Ils éructent dans Paris intra muros. Et ce n'est pas la victoire de la gauche socialiste qui les fera changer d'avis. Ils imposent leur raison avec la même indéfectible raideur que dans les décennies passées ils (ou plutôt ceux dont ils sont les héritiers) vantaient l'espérance venant de l'Est ou les magnifiques réussites du maoïsme. Rien ne les arrête.

    S'attaquer à Denis Tillinac qui n'est pas un phare de la littérature française et qui n'a jamais affiché autre chose qu'un attachement chiraco-corrézien (lequel nous tient fort loin du procès stalinien que lui fait le journal mais nous supposerons que le corrézianisme de cet auteur est de trop et qu'aimer Brive et ses environs, c'est à coup sûr ne pas aimer le monde), s'attaquer à si modeste souligne à quel point ils aiment mordre, combien leurs esprits formatés et réifiés par un moralisme à rebours cachent de violence. Les Inrocks en sont presque la caricature. Du moins on l'espérerait mais il ne faut guère se faire d'illusions et c'est bien là qu'est le pire.

    Les donneurs de leçon, défenseurs d'une littérature stérilisée par les lendemains désastreux du structuralisme et du roman egocentré (très jardins du Luxembourg) devraient retourner dans les bibliothèques. Ils y trouveraient bien des âmes peu recommandables, de vieux réactionnaires que leur goût révolutionnaire aurait exécutés à la première heure. Oui, ils devraient réfléchir au mouvement dextrogyre de la littérature française. Est-ce trop demander ?

    Mais s'il n'y avait que ce problème, passe encore. L'ignorance et le refus du réel historique est une tare qui les concerne, eux, pas moi. En revanche, plus grave est l'implicite de leur posture, me demandant, puisque l'écriture serait une affaire de couleur, de sexe, et de géographie politique à sens unique, de lire tel ou tel comme un noir, un fils d'esclave potentiel, un minoritaire, un soumis en rebellion, un métis, un affamé de liberté, un sans terre, une femme, un homosexuel, etc. Non que je veuille minimiser, au contraire, le terreau sur lequel se dresse l'écriture, mais je désire d'abord  considérer l'expression individuelle d'une personne, hors de toute inféodation à une problématique hasardeuse mettant en jeu la génétique ou des considérations minoritaires dont on ne m'a toujours pas prouvé qu'il définissait certainement l'orientation stylistique et thématique. Je n'ai pas envie de minimiser Chamoiseau ou Condé de leur créolité, Toni Morrisson de sa position de noire américaine, Reynaldo Arenas ou Lezama Lima de leur homosexualité, car c'est ainsi que ces petits lecteurs les humilient sans le savoir. Mais il est vrai qu'il n'y a que le prisme minoritaire qui les fasse jouir. En bons élèves deleuziens, ils cherchent le minoritaire comme un pansement à la haine d'eux-mêmes, sans comprendre que c'est aussi l'autre, magnifié jusqu'à la bêtise, qu'ils méprisent ainsi.


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  • De l'indécence...

    Ségolène Royal, que l'intelligence n'étouffe guère, et qui ignore, avec une souveraineté sidérante, la common decency, vient, dans l'épisode vaudevillesque des territoires charentais, d'ajouter une note supplémentaire au ridicule. On savait, depuis l'affaire des primaires socialistes, qu'elle était capable de toutes les manipulations. La plus grande d'entre elles consistait, défaite reconnue, à jouer la pauvre femme. Alors les larmes lui coulèrent, comme une de ces vierges magiques que la crédulité religieuse admire : battue, archi-battue, elle voulait alors que l'expression démocratique tournât à l'injustice majeure. Et pour cela, elle usa de ce subterfuge honteux de la féminité bafouée, de cet atour qui serait propre aux femmes : la sensibilité. Aux hommes la dureté impitoyable, aux femmes la délicatesse outragée. Peu importe que cela passât à la trappe la réalité historique et que ce fût une insulte aux femmes, si nombreuses, ne se reconnaissant pas dans ce stéréotype larmoyant. Il lui fallait bien cela pour masquer l'inanité de son discours.

    Ses 6 % socialistes n'ont pas entamé sa vanité ni son insolence. Battue dans le pré rose, elle a eu l'ambition du perchoir, montrant par là même qu'en certains milieux la défaite ne comptait pas, qu'elle n'était pas qu'anecdote. Hélas un médiocre charentais, de son camp, vient de lui faire mordre la poussière. Plus cruel : la compagne de son ex la poignarde dans le dos. Elle qui a tant magouillé pour maintenir sa médiocrité à flot se voit reléguer dans la charette des has been.

    Dès lors, comme à son habitude, il ne lui reste plus que la posture de l'indignation, et comme rien n'est pas jamais trop gros dans ce domaine, elle invoque non pas son statut politique mais sa situation particulière de mère. "Je demande le respect par rapport à une mère de famille dont les enfants entendent ce qui se dit..." déclare-t-elle le 14 juin. On cherche alors ce qu'il y a eu d'indécent dans les derniers jours, ce qui pourrait entacher l'honneur de la Vierge Marie-Ségolène. A-t-elle été attaquée dans ses mœurs, dans son honnêteté, dans son engagement ? On cherche et on ne trouve rien, sinon que le gueux Forlani a décidé de ne pas plier devant sa Majesté et que la nouvelle ne fait pas de cadeau à l'ancienne. Rien de quoi fouetter un chat, rien de quoi alarmer les féministes en chef ou les ligues de vertu...

    Rien qui puisse donner le droit d'invoquer la préservation des enfants, de leur honneur. Rien qui puisse nécessiter qu'ils soient préserver...

    surtout quand cette mère la vertu, moraliste et nombriliste, n'hésitait pas il y a vingt ans à faire la une de Paris-Match (quelle ironie...) à peine sa maternité accomplie...

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    En femme moderne, sans doute, efficace, les dents rayant le parquet, et ne se souciant guère du droit à l'image et à la discrétion d'un enfant qui, il est vrai, n'était pas capable de comprendre, instrument passif qu'il était, ce qu'il venait faire dans cette histoire.



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  • Casino Royal

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    J'évoquais dimanche le mépris d'une certaine classe politique, celle qui, visible et outrecuidante de sa notoriété, se croyait le droit de tout. J'avais alors illustré ce que pouvait être, en l'espèce, la lâcheté d'un Juppé ou d'une Vallaud-Belkacem. J'avais moqué la faiblesse des sans-grade de la députation qui servaient de godillots à une nomenklatura parisienne et ministérielle.

    La situation née de cette opposition radicale, entre une base que l'on traître comme des chiens (et à travers eux l'électorat à qui on demande surtout d'obéir plutôt que de voter en conscience) et une élite électorale se croyant tout permis, est magnifiquement illustrée par l'épisode rochelo-rhétais, dans lequel Ségolène Royal, parachutée méprisante et narcissique, se retrouve, pour un deuxième tour fratricide, face à un socialiste local. Il n'est pas question ici de se bercer d'illusions sur la force de l'inconnu qui, tout à coup, brave le pouvoir, de sonder les reins pour cerner ce qu'il y a là de courage politique ou de rancœur personnelle. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut ou non éjecter tel ou tel du jeu politique. Ségolène Royal ne mérite pas en soi autant d'intérêt.

    En revanche, la dialectique du national face au local s'y exprime en toute clarté. C'est d'ailleurs, entre parenthèses, ce qui explique l'échec prévisible et souhaitable du burlesque Mélenchon en territoire minier (1). Il faut en effet se demander quel sens ont les parachutages prétentieux, quand on nous vante la décentralisation, l'ouverture vers les solutions de terrain, et la connaissance des gens (les gens... quelle belle dénomination) pour pouvoir répondre à leurs problèmes et à leurs angoisses. Il est clair que les charentais n'ont pas voulu répondre au diktat parisien. Ils voulaient qu'un homme (ou une femme...) ayant un passé avec eux les représente. Ségolène Royal en doublant son déracinement opportuniste d'une ambition à la présidence de l'Assemblée Nationale (2) a aiguisé un désir certain. Non pas le désir d'avenir creux d'une nombriliste, mais le désir de reconnaissance d'un homme qui essaie d'œuvrer pour le pays (j'entends pays au sens local) dont il est issu. Sans qu'il y paraisse, le choix du second tour renvoie à une problématique bien plus large que le rejet ou non d'un ténor par un petit candidat. Il met en évidence l'aveuglement socialiste devant une inquiétude territorialisée, laquelle inquiétude nécessite, au-delà d'une projection nationale, une écoute locale dont rien ne garantit qu'elle puisse exister avec quelqu'un qui ne rêve que des ors les plus visibles de la République. Dans le fond, le sieur Falorni rappelle à sa manière qu'il ne peut y avoir de démocratie vivante (ou disons un peu moins asphyxiée) sans une inscription des élus dans tous les coins du territoire. Mais il est vrai que les chantres de la décentralisation, depuis Gaston Deferre, ont d'abord usé de ce discours pour établir des baronnies capables de satisfaire (ou calmer) des appétits locaux. N'empêche : on ne peut envisager une respiration démocratique véritable sans respect des anonymes...

    On comprend l'embarras du parti socialiste. Que celle à qui on voulait offrir le perchoir soit effacée de la vie politique, cela fait désordre. Mais il y a plus : c'est clairement la question du rapport au territoire, de l'identité politique qui est posée. Faut-il alors penser qu'il y ait dans ce modeste du lieu un fond de souche que déteste tant le cosmopolitisme de gauche ? L'électeur de La Rochelle ou de l'île de Ré, en se refusant à Royal, rappelle, pour une fois, que la vanité ne peut servir de programme. Il apparaît trop souvent que les ambitions de quelques privilégiés de la mascarade politique n'ont nul frein et peuvent abaisser les humbles, qu'ils soient engagés ou simples votants, à n'être que soumis. Mais il arrive aussi (trop rarement) que la ficelle soit trop grosse, le mépris trop affiché, l'incohérence trop insupportable.

    Si Ségolène Royal doit servir à quelque chose (et cela avant qu'elle ne se retire à l'île de Ré, par exemple, avec Jospin : ils pourront bavarder en faisant du vélo.), c'est bien de servir d'exemple. Elle peut être utile, c'est certain, car son élimination serait une manière, très réduite, je le concède, de revivifier la culture politique, même si je ne suis pas dupe, puisque Juppé, pour le citer à nouveau, est un Phénix magnifique : elle aura envie de revenir. Mais, au moins aura-t-elle été battue par quelqu'un de son camp, ce qui n'est pas rien. Si Ségolène Royal a encore une utilité (ce qui supposerait qu'elle en ait eu une), c'est de nous faire croire encore un peu que la politique n'est pas un jeu sans conséquences. Peu importe, pour le coup, et jusqu'à l'heure de son élection, que le sieur Falorni soit ce qu'il est. Dans le principe du respect de l'électeur, il faut le rappeler, tout ne se réduit pas à un choix entre la peste et le choléra...

     

     

    (1)Petit prétentieux qui se targuait, devant des journalistes le 15 mars, de pouvoir être appelé dans 120 circonscriptions, et qui choisit, comme fait du prince, de défier Marion Le Pen, parce que cela aurait pu redorer son blason de présidentiel battu à plates coutures. Médiocre comme il est, il n'aura pas résisté à un quidam socialiste, ce qui n'est pas peu dire quand on connaît l'incurie de ce parti en ces terres populaires. Et de savoir que c'est un illustre inconnu qui fera mordre la poussière à la grande blonde n'est pas sans saveur, pour qui connaît, comme moi, la région. Les péquenots chtis, ceux que les fachos du PSG et les adorateurs de Danny Boon aiment tant moquer, n'ont pas voulu d'un sénateur révolutionnaire de pacotilles. Ils n'ont pas besoin de Zorro pour exister et c'est tout à leur honneur...

     

    (2)Fruit d'un deal avec son ex, pour afficher son soutien au deuxième tour des primaires...


    Photo : Justynne


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