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politique - Page 9

  • Le Bien commun

     

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    Au milieu du discours vide et présidentiel d'un lendemain de déroute électorale, il y a cette phrase : « la République est notre bien commun ». Et comme si elle ne suffisait pas : « Je ne laisserai aucune de ses valeurs être abîmée ou froissée, où que ce soit sur le territoire national. »

    Combien est consternante cette affirmation républicaine (forcément républicaine...) sonne creux, sans doute parce que la petite morale de gauche s'est tellement emparée de la République qu'elle en a vidé la substantifique moëlle. La République n'est pas une essence intangible ; elle n'a pas la vertu d'incarner notre histoire et notre devenir. La République socialo-hollandaise est une parole rétrécie à quelques symboles qui ne fonctionnent plus. En l'évoquant ainsi, il invoque les mannes révolutionnaires, les heures choisies d'une résistance magnifiée et trompeuse. Si la République est notre bien commun, alors notre bien commun est pourri. Elle n'est plus que l'état transitoire d'une vitalité qui devient cadavre. La République n'est pas un en-soi, surtout lorsqu'elle a vu fleurir les comportements mafieux, le népotisme ministériel, l'incurie et l'incompétence. Il n'est même pas nécessaire de donner des exemples : la désaffection des abstentionnistes suffit à définir le dégoût.

    Les républicains, c'est-à-dire ceux qui désormais transforment un régime politique particulier en finalité quasi divine, les mêmes républicains, qui utilisent l'ordre symbolique de la Révolution française pour interdire de penser autrement, ces mêmes républicains sont des cuistres, des vaniteux, des petits-maîtres ridicules.

    La République n'est pas un bien, c'est un instrument, une méthode, et, arrivé au point où nous en sommes, une chaîne. Une chaîne d'autant plus lourde qu'elle est devenue le bien propre de ceux qui s'en prévalent, leur chasse gardée, au point qu'ils s'indignent de leurs revers électoraux.

     

    Mais, pour celles et ceux qui sont pour un temps partis loin de ce pays, ce n'est pas à la République qu'ils pensaient. Eût-elle été une monarchie constitutionnelle ou une simple démocratie populaire qu'ils n'eussent pas éprouvé un sentiment dissemblable à celui qui les animait quand, dans un avion retraversant l'Atlantique, à l'annonce que dans vingt minutes ils atterriraient à Roissy, ils se disaient qu'alors, quoi qu'il advînt (explosion en vol ou crash sur la piste), ils mourraient en France.

    Ce n'était pas la République à laquelle ils demandaient ce sentiment ; ce n'était pas pour elle qu'ils étaient traversés de telles émotions, mais pour le pays, la nation, le sol. Pour cette certitude du lien qui vous fait sentir la limite, la frontière, la différence du bosquet français et de la haie belge, de l'enclos français et de la pâture espagnole, du buron hexagonal et de la cabane transalpine. Pour cette épreuve épidermique que sont les traversées de la Beauce et de la Bourgogne, pour l'ineffable de l'enclos paroissial de Lampaul-Guimiliau, pour l'humide forêt au-dessus de Charleville-Mézières, pour les marais vendéens, pour la montée si douce vers Saint-Agnès, pour la bascule des toitures d'ardoise vers celles de tuiles.

    La vue, le sensible des architectures, les clochers de Martinville, la brume qui se lève sur le mont Aigoual ou les nuages paisibles au-dessus de Trigance, mais aussi les odeurs, le salé de la baie de Cancale ou l'humide automnal du Tronçais ; mais aussi le goût, entre l'andouille de Vire et les tielles sétoises ; mais aussi le rythme, entre l'ennui de la gare de Mézidon et une nuit passée dans un wagon à Chambéry ; mais aussi le bruit craquant du bois qui brûle face à la mer, sur une plage rhétaise ou celui d'une passée aux canards, en Brenne ; mais aussi, mais aussi, mais aussi, jusqu'à ce que l'envie de dormir ne vienne suspendre la présence infinie du territoire, de la nation en sa force magistrale, qu'aucun ordre, fût-il républicain, ne pourrait épuiser.

    Notre bien n'est pas dans la litanie des articles constitutionnels dont se gargarise le locataire éphémère de l'Élysée, lequel locataire devrait se rappeler que l'endroit fut un temps un garde-meubles. Notre bien n'est pas dans la parole vaine d'un petit concierge ensuffragé. Notre bien est dans ce qui ne se dicte pas, mais dans ce qui s'éprouve, dans cette différence qu'on veut nous retirer au profit d'une différence qui anéantit tout, d'un mondialisme dont la République présente est une collaboratrice zélée.

    Notre bien est dans ce par delà l'envie d'être français qui ne se décrète pas, parce qu'il est une part indéfectible de nous-mêmes. La République est devenue pour certains une affaire de papiers, de droits, d'indemnités et de prébendes. La Nation, c'est bien plus...

    Cela sonne évidemment très barrésien, et c'est donc fort suspect (1). Alors soyons suspect... (2)

     

    (1)Pour celles et ceux qui veulent les échos barrésiens d'Off-shore, c'est ici, , , encore, et pour finir, là...

    (2)Mais ce n'est pas moi, au demeurant, qui ai défini Barrès comme le premier intellectuel français. Il faut lire Michel Winock, qu'on ne peut soupçonner de complaisance à l'égard de cet écrivain.

     

    Photo : Yannig Hedel

  • L'arbre et ses fruits

     

     

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    1998 : Le foot en Révélation. Chirac et son orchestre invente la France black, blanc, beur, "surboum multiculturelle" (Ph. Muray) en guise d'idéologie politique

    2002 : La manipulation d'État. Les socialistes inventent le faux péril du faux fascisme.

    2007 : Le coup d'État permanent. Piétinant le non populaire à la Constitution, en 2005, le congrès, à Versailles, s'en remet à l'Europe libérale comme l'Assemblée en 40 s'en remet à Pétain.

    2012 : Le Narcisse rose. Pinocchio fait du Moi, je l'alpha et l'oméga de la pensée.

     

    Et dimanche, donc, le FN.

     

    Étonnant, non ? (comme concluait, jadis, Desproges sa Minute de monsieur Cyclopède...)

     

  • Retour de service...

     

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    Un article de Philippe Muray, de la fin des années 90, ridiculisait trente-et-un auteurs réunis par le journal Le Monde pour se dresser "face à la haine" (1). Beau programme philanthropique où la littérature (ou ce qu'on présente telle) s'en allait, bonne fille un peu simple pour le coup, du côté de la mise en garde et de l'engagement massif (comme il y a des armes de destruction du même genre). Consternant, n'est-ce pas ? Écrire le bien sur commande (car il n'est pas interdit d'écrire ce qui pour soi est le bien, à la manière d'un Claudel ou d'un Bernanos par exemple...), agiter ses feuillets en pancartes révoltées. Le crétinisme a de beaux jours devant lui et l'an dernier il fleurissait de plus bel sous la main d'Annie Ernaux qui voulait à peu près qu'on pendît Richard Millet haut et court.

    La lecture de Philippe Muray m'a donc ramené à la haine.

    Peut-on faire l'éloge de la haine ? Non. Pas plus que celui de la vérité, du mensonge, de l'amour, du doute, de Dieu ou du diable. Et ce serait plus encore ridicule aujourd'hui, quand nos temps ténébreux ont substitué à la morale une politique du droit individuel qui doit s'étendre jusqu'aux endroits ultimes de notre existence. Dès lors, si l'on veut bien se conformer à la terreur en poste, celle de l'affect et de la subjectivité combinées (2), il faut simplement réclamer le droit à la haine.

    Puisque la haine est un sentiment, puisque le sentiment est la matrice sans partage du moi contemporain, la haine est légitime, elle fait partie de mon droit inaliénable de Narcisse démocratique et il est attentatoire à ma liberté de me contredire sur ce point. Je ne vois guère ce que les droits-de-l'hommiste de la pensée pourraient trouver à y redire, à moins qu'ils ne soient à la fois juges et parties, discoureurs et policiers de la pensée, faux nez de la liberté et vrais godillots de l'encasernement soft...

    Est-ce être méchant homme que d'écrire cela ? Est-ce honteux que de l'humanité abstraite et éparpillée je me moque éperdument ? Est-ce être un barbare que de connaître le mépris et de ne pas vouloir s'en départir ? Que ne pas se soucier du bien-être pour tous ?

    Attaquer le droit à la haine revient à amputer autrui de son intériorité et de sa puissance créatrice.

    Et tout à coup, une idée : il y aura bien trente-et-un nouveaux couillons pour dire non à la haine, pour dire non à Poutine, invectiver l'âme russe (ce qui au passage nécessitera qu'on brûle et Dostoïevski et Tolstoï, chez lesquels on trouve tant de pages russes, très, très russes : gageons que les combattants de la haine savent faire des autodafés) et chanter la liberté du marché, de l'OTAN, d'Obama qui s'assoit sur le droit des peuples à l'autodétermination.

    Parce qu'on l'aura compris, le droit à la haine existe déjà : il est mondialisé et nous dirige sans vergogne.

     

    (1)Dans Après l'histoire, "Homo festivus face à la haine", en date de mai 1998.

    (2)Vous savez : tous les goûts se valent, sont dans la nature et ne se discutent pas.

     

     

    Photo : Florentine Wüest

  • Nimby (II)

    La contradiction gouvernementale à propos des prétendants djihadistes hexagonaux alors même qu'on soutient les mouvements luttant contre Bachar Al-Assad s'illustre aussi dans un autre espace politique, à l'Est, dans l'affaire ukrainienne, avec une semblable vulgarité nauséabonde. 

    Les mêmes qui nous bassinent jour après jour sur le danger fasciste de Marion Le Pen, sur l'anti-républicanisme des électeurs frontistes, sur les réacs cathos et tout le toutim, les mêmes se félicitent des événements de Kiev et du reversement de Ianoukovych et de la montée au pouvoir de mouvements d'extrême-droite néo-nazis, comme Svoboda, lesquels feraient passer Le Pen et consorts pour des centristes. Il faut croire que, là encore, ce qui ne vaut pas pour nous peut servir chez les Ukrainiens. Cela satisfait le grotesque Fabius et le gouvernement qu'il représente.

    Deux explications possibles :

    1-l'agitation autour de l'extrême-droite française est une vaste fumisterie.

    2-la soumission aux diktats américains est telle que la gauche française est prête à tout accepter, même les pires ignominies de ceux qui regrettent le IIIe Reich.

    Le gouvernement prouve là qu'ils ne détestent pas autant qu'il le dit les chemises brunes. Mais il faut dire qu'il existe une tradition historique : le fascisme a partie liée avec la gauche. 

    En attendant, on pourra lire le billet de Bertrand Redonnet qui, aux confins de la Pologne, éclaire notre lanterne.

    On lira aussi le papier de Pascal Riché dont la médiocrité intellectuelle réussit un exploit délicieux : en voulant tordre le cou à l'idée que l'extrême-droite ukrainienne s'installe, il ne fait que renforcer cette évidence...

  • Nimby

     

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    La real politik est un fait et ceux qui s'en offusquent sont ou des idéalistes un peu idiots ou des menteurs. Ils négligent le fait que la totalité des citoyens ne peut ni ne doit s'identifier à un pouvoir, moins encore à une nation. Encore faudrait-il croire en la nation, ce qui est de moins en moins vrai. L'État, c'est d'abord l'exception, si l'on se penche du côté de Carl Schmitt, ou la violence légitimité si l'on prend l'option Max Weber. Dans tous les cas,  ce n'est jamais propre et ragoûtant.

    Beaucoup ont sur le sujet la même posture que celle qu'ils adoptent avec les forces de l'ordre. Ils en conchient l'existence mais sont les premiers à courir au poste quand on a fracturé leur domicile. Ce n'est qu'une variane du fameux principe nimby (not in my backyard) : pas chez moi, mais chez les autres, tant que vous voudrez. Le cynisme commence là et ceux qui vilipendent l'immoralisme politique sont les mêmes qui s'en vêtent quand il s'agit de leurs petits intérêts.

    En fait, le problème majeur de la real politik n'est pas tant son existence que sa visibilité. C'est là que le bât blesse. Si elle existe, elle doit se faire la plus discrète possible. L'intelligence politique tire pour une part sa force de sa capacité de dissimulation. Sinon vous passez pour un idiot, un salaud ou un fantoche.

    Un exemple.

    Quand la diplomatie française se met en avant pour faire tomber le régime de Bachar Al-Assad en Syrie au nom d'une énième croisade droit-de-l'hommiste, il y a lieu de s'étonner que des candidats djihadistes majeurs (entre 20 et 28 ans) soient arrêtés sur notre sol. Pour quelle raison ? Parce qu'ils vont rejoindre des forces radicales qui veulent la destruction de la démocratie, de l'Occident et l'imposition d'un islam politique sans nuances ? Parce qu'ils vont alimenter un terreau terroriste ? Parce qu'ils vont devenir les futurs prêcheurs d'un radicalisme banlieusard ? On aimerait des éclaircissements sur ce point de la part des autorités. On aimerait plus de cohérence.

    Pourquoi alors, ce qui serait bon pour les Syriens ne le serait pas pour nous ? Pourquoi les rebelles syriens seraient-ils estimables là-bas et inquiétants ici ? Pourquoi, au fond, voulons-nous la fin de Bachar Al-Assad, quand nous nous faisons les carpettes des puissances saoudienne et qatari, lesquelles financent, et tout le monde le sait, les mouvements radicaux de l'islam ?

    Que l'on nous cache des choses est logique, normal. Qu'on ne sache pas nous les cacher est une faute, une erreur politique...

     

    Photo : Jean Gaumy

  • Écouter, répéter, manipuler

    Lorsque vous vous éloignez un peu de la France, sans en prendre la moindre nouvelle, sans ouvrir vos mails, ni lire aucune feuille de chou qui prétend à la grandeur journalistique, et que vous revenez, il est stupéfiant de voir combien la mare s'est agitée : les magouilles des uns, les écoutes des autres, des ententes des troisièmes. Rien de bien neuf, rien de très terrible non plus. Si l'on excepte les naïfs qui voudraient voir la politique comme un territoire honnête et désintéressé (1), il faut reconnaître que le débat sur les manipulations des uns et des autres tourne vite à la querelle des exemples choisis. Ce n'est pas de l'argumentaire mais de la casuistique de jésuites.

    Prenez l'affaire Buisson. On s'offusque des habitudes dictaphoniques de l'homme de confiance sarkozyen. On crie ici à la trahison : les UMP grotesques, là à l'affaire d'état : les socialo-moralistes. Je ne vois pourtant dans cette pratique ni trahison, parce que cela supposerait qu'il y ait eu exploitation de la matière (or, on a visiblement volé celle-ci au dit Buisson), ni affaire d'état, parce que cela supposerait que nous ayons, nous petit peuple, à connaître des histoires lourdes de conséquences, et je n'en crois rien, sinon l'affaire aurait déjà explosé.

    Buisson est peut-être un traître et c'est beau alors d'entendre la Sarkozye s'indigner. Buisson est peut-être quelqu'un qui en sait plus qu'on ne le croit et c'est alors curieux de voir les affidés gouvernementaux s'indigner.

    Mais quoi qu'il en soit, nous sommes loin, je trouve, avec ces discussions de fond de tiroir des pratiques ouvertement crapuleuses d'un Mitterrand qui, pour s'assurer sa réélection, faisait état en direct de ses discussions avec son premier ministre d'alors (2). Quand on a toléré de telles pratiques florentines (tous les moyens sont bons), on ne va pas s'acharner sur un vulgaire conseiller (3).




     

    (1)Ceux-là feraient bien de relire Balzac et Chateaubriand, à tout le moins. Quant à lire La Rochefoucauld, Saint-Simon et le cardinal de Retz, ce serait trop leur demander. Ils apprendraient néanmoins des mémoires classiques ce qu'il y a d'essentiellement retors dans la politique.

    (2)Pour épargner au lecteur la totalité d'un ennuyeux débat, il pourra glisser le curseur sur la douzième minute. Il s'agit de l'affaire Gordji. Pour la petite histoire, on sait que des deux, c'est Mitterrand qui ment.

    (3)Nul ne s'est jamais indigné des Verbatim de l'inutile Attali

     

  • Quoi que tu filmes...

    L'État des choses est le dernier film de Wenders qu'on ait envie de regarder. C'est plus qu'une envie : une nécessité, un impératif esthétique doublé d'une langueur pleine d'humanité. L'argument scénaristique est mince, d'une certaine manière. Un film en tournage au Portugal, sur la côte, à Cascais. Une histoire de survivants en quête d'un nouveau coin pour vivre. Encore quelques scènes avant que l'imparable n'arrive : il n'y a plus de pellicule, plus de fond. Le film s'arrête au bord de l'océan, dans un dédale hôtelier en déshérence. Chacun n'a plus qu'à passer son temps, entre ennui et désir froissé. Le film est lent, dans un noir et blanc fabuleux que l'on doit à Henri Alekan. On aimerait que le temps s'étire à l'infini et que les heures déliées de toute obstination se multiplient. Mais il faut bien que le film (dans le film) se continue et le réalisateur, Friedrich Munro, parte chercher de quoi rebondir. Il file aux États-Unis pour récupérer l'argent nécessaire auprès de son producteur. 

    On comprend vite que L'État des choses est une œuvre en abyme. Le cinéma est en miroir. Un certain état du cinéma, auquel Wenders tournera bientôt le dos (1). Le personnage principal est surnommé Fritz. On saisit l'allusion et quand il va à Hollywood, c'est l'étoile de Fritz Lang qui apparaît sur un plan. L'État des choses n'est pas un prolongement du Mépris : il en est la forme reconstruite. Quand, dans le premier tout s'achevait presque parodiquement (et Fritz Lang finit L'Odyssée), dans le second, tout s'achève définitivement. Dans le film de Godard, le cynique et imbécile Prokosch était encore un personnage visible et cherchant à paraître ; dans celui de Wenders, la menace économique est invisible. La puissance fait main basse sans montrer son visage.

    Les huit dernières minutes du film sont centrées sur le tour en camping-car que font Fritz et son producteur escroc. Bavardages creux, faux détachement, risibles amitiés. On revient alors au point de départ.

     


     

    Un coup de feu. Un homme s'écroule. Et la caméra au poing, comme un moyen de répondre. Un balayage sans objet, sinon la seule volonté de filmer, coûte que coûte, comme un témoignage. Une sorte de cinéma vérité grotesque, dont meurt évidemment le héros. Alors vient le plan fixe, au ras du sol, l'immobilité de l'objet dans la disparition induite du sujet. La caméra est là. La pellicule, celle qui manquait tant quand il avait des choses à dire, peut se dérouler maintenant qu'aucune main ne la tient.

    C'est une scène spectaculaire, dont les trente ans sans la revoir, n'avait pas altéré la profondeur. Ce qui pouvait passer pour un effet un peu simpliste a pris entre temps une tout autre valeur. De même que la métaphore initiale de Cinecittà dans Le Mépris signifiait la mort prochaine du cinéma (ou du moins d'un certain cinéma), de même cette disparition de l'être et la possibilité de voir l'objet durer infiniment semblent prémonitoire de cette inexorable décomposition du réalisateur au profit des faiseurs techniciens. Fritz Munro pointe sa caméra, son ultime caméra, comme une arme alors même qu'il est désarmé. Il ne pense plus. Il est cyclopéen. Il n'est personne. Réduit à sa fonction scopique, il ne sait où regarder, ne sait que filmer. Il ne voit plus rien. Sa caméra erre. Et on se dit que bien des prétendants au titre de réalisateur, ces trente dernières années, ne valent même pas ce balayage.

    En revoyant ce si beau film, si beau que vous oubliez la suite de Wenders, et vous ne lui en tenez pas rigueur : n'eût-il fait que ce film que vous lui en seriez reconnaissant, en le revoyant, on perce une partie (une partie seulement) du mystère qui, au-delà de la nostalgie, peut nous attacher à des images fortes. Elles sont à la fois souvenir, reste d'une présence jamais effacée, et présage, ce qui nous aide à un peu plus de lucidité, laquelle lucidité se paie, mais cela, c'est une autre histoire.

     

    (1)À moins de considérer le pitoyable Paris Texas comme une réussite. Wenders passe à la couleur et c'est fini. Quand il y reviendra, dans Les Ailes du désir, le charme et la profondeur auront disparu. Ne demeurera que l'exercice de style.

  • Tour d'égout

     

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    Deux âmes délicates se sont indignées par mail privé de ma pique contre Libération dans le billet précédent. Pourquoi tant de haine au fond ? Certes... N'argumentons pas durant des heures. Un exemple suffira.

    Le lecteur en cliquant sur ce lien (Libération) pourra lire le témoignage d'un français parti faire le jihad en Syrie. Ce journal, dont la haine de tout ordre (sauf s'il a des références catholiques) va jusqu'à nous éclairer complaisamment sur ce que sont les blacks blocs, se fait donc la tribune d'un homme qui, parti de Seine-Saint-Denis, parle de sa "nouvelle "famille" d’Al-Qaeda". N'est-ce pas merveilleux ? C'est sans doute la contribution de ce torchon aux fameux printemps arabes.

    Le caractère socio-anthropologique de ce choix n'échappera à personne. Il s'agit de rendre plus compréhensible le droit islamiste à la révolte. On hésite entre la fascination pour la terreur et la complicité idéologique. Évidemment, on imagine sans mal combien les journaleux héritiers de July auraient hurlé si Le Figaro avait à l'époque du déchirement de l'ex-Yougoslavie donner quelques pages pour que s'épanche un soldat de Milosevic ou je ne sais quel Rambo croate...

    Mais tout le monde sait que depuis toujours les gauchistes sont les seuls à distinguer le bien du mal...

     

    Photo : Marco Quinones

  • La loi du nombre

     

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    Parlons franchement. Je n'aime guère le suffrage universel. Savoir que la voix inculte et abrutie vaut autant que la mienne me dérange. Il est assez désagréable d'admettre que les élections se font grâce à/à cause d'idiots qui se décident en fonction de la tête du client, de l'engueulade avec madame (ou monsieur) la veille, et que toute cette tambouille prend sauce dans l'isoloir parce que le couillon a devant lui des bouts de papier et qu'il faut bien en faire quelque chose. La plaisanterie peut plaire un moment. Elle s'avère à long terme désastreuse. Le vote est donc un danger. Pour nous faire comprendre au mieux, prenons quelques exemples.

    En 2005, la France dit non à la Constitution européenne à 55 %. Était-il raisonnable de s'en tenir à ce désaveu ? C'était impossible. D'ailleurs l'intellectuel de Libération (1), son commandant en chef, Serge July résuma la situation, au lendemain du désastre :

    « Ce sont des cris de douleur, de peur, d’angoisse et de colère que l’électorat de gauche a poussés dans les urnes, à l’occasion du référendum, face à la course folle du monde et face à l’incurie des hommes qui nous dirigent depuis plus de deux décennies. Comme en pareil cas, il fallait des leaders d’occasion qui nourrissent ce désarroi national. Les uns ont surenchéri dans la maladresse, les autres dans les mensonges éhontés. A l’arrivée, un désastre général et une épidémie de populisme qui emportent tout sur leur passage, la construction européenne, l’élargissement, les élites, la régulation du libéralisme, le réformisme, l’internationalisme, même la générosité. »

    Que dire de plus, sinon que l'idée un homme, une voix est un non-sens historique et un risque de faillite pour la tempête libérale ?

    Et que l'on ne croie pas que les Français soient les seuls débiles de l'aire européenne. Les Irlandais ne sont pas mieux qui disent non, en 2008. Buveurs invétérés de Guiness, sont-ils aptes à définir un destin politique ? La réponse est, comme on dit, dans la question.

    Dernièrement, les Suisses veulent, par votation (ridicule particularisme linguistique...), limiter l'immigration.

    Dans les trois cas, des cris d'orfraie, des indignations libérales et des récriminations sur des comportements liberticides et irresponsables, au nom d'une réalité économique dont on voudrait qu'elle ne se fonde sur aucune idéologie (puisque, c'est clair, le libéralisme n'est pas une idéologie mais le réel, l'inéluctable de la société !). À Chaque fois, dans le fond, le propos sous-jacent est identifiable : le vote n'est pas un droit ni même un devoir, mais un devoir de voter comme on veut que vous votiez. On peut dire ce que l'on veut, le résultat est identique. Il y a, sur fond de dénonciation populiste, la même haine de la démocratie. Les dirigeants libéraux, médias en tête, vomissent le droit de vote, tout autant que n'importe quel tyran ou que n'importe quel défenseur du régime censitaire. C'est d'ailleurs dans cet état d'esprit qu'ils furent si soucieux de la réussite des juntes militaires d'Amérique du Sud. Ils le vomissent mais jamais, bien sûr, ils ne le diront. Ils veulent l'assentiment du troupeau. Ils caressent la bêtise dans le sens du poil pour autant qu'il n'ait d'âmes révoltées à l'horizon. Ils n'aiment pas les Français, les Irlandais ni les Suisses lorsque ceux-ci n'obéissent pas par voie électorale.

    En fait, ils n'aiment pas plus la démocratie que moi qui écris Je n'aime guère le suffrage universel. La seule différence tient dans l'habillage. La rudesse de mon propos me fera passer pour un fasciste (c'est le terme en vogue, une sorte de passe-partout de la pensée libéro-gauchiste), alors que leur enrobage rhétorique et leur appel à l'Histoire (2) donnent l'apparence de la bienveillance. Ils ont pour eux la structure des partis et le soutien managérial ; ils ont le plan en deux parties de Science-Po et les éléments de langage récupérés des stages de com. Je n'ai face à eux que mes doutes et une certaine écoute des pratiques électorales réelles. Mon affirmation pue la misanthropie (ou le rance : le rance est à la mode chez les ultra-modernes...) ; elle fleure l'élitisme méprisant et la suffisance facile. C'est trop peu pour ne pas passer pour le salaud de service.

    Dont acte.

     

    (1)Dont la mort est annoncée. Champagne... Je ne suis pas de ceux qui disent que la disparition d'un journal est en soi une perte pour la démocratie. La pluralité de l'offre n'est pas la preuve de la pluralité de la pensée. Il suffit de réfléchir à ce qu'est devenue la démocratie sous l'offre pléthorique de la sphère médiatique.

    (2)Sur ce point, la double détente de leur argumentaire récupère avec maestria les morts des tranchées de 14 et les disparus des camps de concentration... Il faut voter libéral par peur que la guerre ne revienne. Comme si elle avait disparu (certes, elle a en partie disparu des aires de prospérité mais quant aux aires d'exploitation... Parlons-en aux africains.).

     

    Photo : Caroline Tabet

  • La fureur de soi

     

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    Modernité, liberté (de choix), individualité

    Il est pour le moins ironique de remarquer la congruence sémantique qui lie aujourd'hui les tenants du libéralisme intégral et les chantres d'un vivre-ensemble revisité à grands coups de liftings sociétaux.

    il est curieux de voir ces deux univers converger vers une détermination politique et économique qui, dans l'espace européen, a clairement identifié son ennemi : l'héritage chrétien et plus particulièrement le catholicisme. On retrouve chez les défenseurs communautaires d'un droit individuel sans limites le même besoin de désigner l'objet sacré, celui contre lequel il faut absolument lutter. Comme les régimes totalitaires jadis, ici ou là, il y a une espèce à pourchasser : le juif ou l'aristocrate, l'intellectuel ou le bourgeois. Aujourd'hui : le catholique hétérosexuel.

    Le délire sécuritaire autour des manifestations pour tous, le déversoir injurieux sur ceux qui défilent rappellent les plus belles heures de l'ostracisme dictatorial. Il est vrai qu'aux manettes, les lobbbyistes communautaires héritent de l'art sournois de la manipulation cher à l'entrisme trotsko. Les mêmes qui pourrissaient le débat et répandaient la terreur dans les lettres et ailleurs en s'extasiant devant Mao ou les mouvements tiers-mondistes (quel que soit leur obédience : il suffit de voir les crétins contemporains se féliciter des prétendus printemps arabes...) continuent de plus bel en vilipendant une France réactionnaire, raciste, fasciste, rance, homophobe, antisémite, islamophobe, et j'en passe. La liste s'allonge chaque jour et elle prend une telle ampleur que sa raison en devient suspecte. Oui, suspecte. Car si le monde est ainsi gangrené par la prêtrise, les culs bénis et les furieux de Dieu, il faut assurément ouvrir des camps (de rééducation il va sans dire...).

    La pourriture d'un régime et d'une pensée se juge par le besoin qu'il éprouve (c'est un quasi besoin  physique) d'incarner l'ennemi, d'en découdre avec lui. La nécessité de l'ennemi et la démesure de la vindicte. C'est d'une drôlerie macabre que de voir les chantres de la liberté et de la fraternité, sans qu'ils le sachent même tous (1), sur les traces d'une idéologie politique que n'auraient pas désavoué ni Paretto ni Carl Schmitt.

    Modernité, liberté (de choix), individualité.

    Le pacte républicain revu et corrigé, corrigé surtout (comme on sanctionne). C'est-à-dire réadapté aux besoins d'une économie qui après nous avoir voulu sans terre (2), sans moyens (ou sinon limités), nous veut désormais sans nation, sans filiation, sans religion (sinon privée : vous prierez maintenant dans vos chambres). Pour arriver à leurs fins, les nababs du laisser-faire ont su trouver les meilleurs appuis qui soient dans les travées du laisser-aller qui s'est transformé alors en laisser-être. Loin de se tourner vers les tenants d'un capitalisme moral et rigide, ils ont rameuté les libertaires qui veulent à la fois la reconnaissance juridique et la marginalité identitaire. Il fallait prendre appui sur ceux qu'un ego démesuré pouvait aveugler, tant ils se croient au-dessus des autres. Voilà qui est, sur le plan stratégique, bien trouvé. L'amour de soi devient le droit à tout. Mais il est vrai que l'essence libéral tient en cette dernière phrase : elle en est le moteur et la finalité.

    C'est d'ailleurs à la lumière de ce constat qu'il faut comprendre leur souci de passer par le juridique. Par la loi, il s'agit de défaire tout autant que de faire. L'acharnement autour du mariage gay et surtout la perspective d'institutionnaliser la PMA et, plus encore, la GPA, ne trompent pas. La loi n'est plus alors la défense de tous, ou la protection de minorités persécutées mais le dépeçage de l'histoire. Un député socialiste, en 1981, rappelait à ses compères de l'opposition qu'ils avaient "juridiquement tort parce qu'(ils étaient) politiquement minoritaires" : au-delà de l'inélégance de la formule et de ses présupposés proprement fascisants (la loi, c'est nous, la loi, c'est tout, et vous n'êtes rien), on remarquera combien le concept de minorité est lui-même soumis à une lecture variable. Respectable et agissante un jour, la minorité est en d'autres temps négligeable et à mépriser.

    Qu'a-t-il bien pu se passer en plus de trente ans qui puisse donner à ce point à un petit groupe d'intrigants un tel pouvoir, sinon qu'ils ne sont que la fausse minorité d'une volonté elle majoritaire, dans l'espace de la classe dirigeante et politique, se pliant aux diktats d'un délire individualiste conforme/utile à une société où on s'en remet à la loi du plus fort et aux capacités de chacun à vivre comme il l'entend.

    Le mariage gay est un symptôme, comme la revendication cosmopolite : dans les deux cas, il s'agit, sous couvert d'aspiration égalitaire et d'ouverture à autrui, de satisfaire les désirs égocentriques d'un groupuscule nanti. En ce sens, autrui n'est qu'un alibi. Il est la façade par quoi passent les revendications nombrilistes. Il est cet autre dont je peux me servir, et sur ce point la gauche est imbattable : de même qu'elle instrumentalise l'arabe ou le noir (comme étranger reconnaissable), elle récupère le ventre d'autrui. Autrui n'existe pas en soi. Il n'est qu'un service. Il me rend service. Et rien de plus.

    Ne soyons pas modernes. Surtout pas. C'est la seule manière de revenir à la question d'une humanité dans toute sa limite et de récuser les grotesques promesses d'un futur technologisé et ouvert à la disparition de la Loi.

    C'est maintenant que tout se joue. On comprend mieux ce qu'il y avait de sordide (et faussement niais) dans le slogan présidentiel. Le changement, c'est effectivement maintenant. Il est temps de ne pas s'en remettre au destin. Il nous voudrait rances et nous sommes vivants ; ils nous voudraient de toutes les phobies et nos amis homos ou lesbiens rient avec nous, et Mohamed fait sa cinquième prière dans la chambre à côté ; ils nous voudraient antisémites et nous sommes plus juifs qu'eux. 

    Ils nous voudraient seuls et aigris ; nous sommes de toute notre antériorité, et des ramifications de nos antériorités. Et nous n'avons pas de preuves à leur donner de notre appartenance à la réalité du monde. Nous ne sommes pas nous-mêmes, mais au-delà de nous-mêmes. Non pas dans l'éternel présent du désir forcené. Nous sommes dans l'ascendance, dans le seul territoire qui soit capable de recevoir autrui en ce qu'il est et pour ce que nous sommes...

     

     

     

     

    (1)Pour les plus idiots, s'entend. Je ne crois pas à la naïveté des dirigeants.

    (2)Et de vouloir relire Juan Goytisolo, Juan sans terre...

     

    Photo : Narelle Autio