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politique - Page 7

  • S'abstenir...

    On connaît la formule qui structure toute la logique de  la présente République : au premier tour, on choisit. Au second tour, on élimine. On connaît aussi la propension des thuriféraires du régime, devant l'abstention galopante, à vouloir remédier à cette désaffection par un vote obligatoire, ce qui serait une manière assez subtile de justifier leur prébende légale en masquant le désintérêt populaire. Or, disons tout net : le vote en droit et non comme impératif soumis à la loi est le dernier ersatz de démocratie, le dernier lumignon par quoi nous apercevons l'escroquerie de la démocratie libérale. C'est une manière, certes vaine, de rappeler que le roi est nu (1).

    Il y a donc de multiples moyens de tromper la vigilance du démocrate, mais ce n'est pas tellement le sujet qui nous occupe, à vrai dire. Il s'agit plutôt d'envisager le stade supérieur de la supercherie, quand il est question de ce troupeau obscur qu'on appelle la représentation nationale.

    Si l'on veut bien prendre les choses dans l'ordre, il est légitime de penser que les députés ont par essence vocation à choisir, c'est-à-dire à se définir par des votes clairs. Peu importe qu'elles soient justes ou injustes, les décisions pour lesquelles ils sont en quelque sorte mandatés doivent apparaître sans détour aux yeux des citoyens. Il est donc tout à fait surprenant que pour une déclaration de politique générale il leur soit loisible de s'abstenir, comme viennent de le faire les petites frappes socialistes. Le droit à l'abstention pour les représentants de la nation, qui plus est pour des questions cruciales, est une aberration du système prétendument démocratique. Il n'a pas de sens, sur le plan intellectuel, parce qu'il n'est pas tenable, sauf à user de sophismes et de casuistique jésuite, de se définir à la fois dedans et dehors, dans une majorité et dans l'opposition, et de trouver un moyen, un subterfuge pour se croire digne et en même temps ne pas trop ennuyé celui qui, in fine, vous permet d'être à l'Assemblée. Ces élus ne sont alors que des mangeurs de soupe.

    La confiance, en matière de politique, non seulement ne se marchande pas, mais elle n'est pas à géométrie variable. Elle ne peut être que niée ou affirmée, sans quoi la délégation de pouvoir qu'on accorde aux députés n'est qu'un faux semblant. Un élu ne peut s'abstenir parce que le fondement même de sa légitimité est d'être une voix, celle,unique, des voix multiples qui l'ont mené à l'Assemblée. C'est devant de telles mascarades que le dégoût politique se renforce. Le jeu des calculs, des balances et des équilibres n'apparaît jamais aussi bien que dans le mélodrame des petites hypocrisies et des hystéries parlementaires.

    Ils parlent, ils braillent, ils éructent mais vont à la buvette quand il s'agit d'accomplir leur devoir, ce même devoir qu'ils nous demandent de respecter, au nom d'un idéal républicain qu'ils ne cessent de salir. La misère politique du présent tient aussi dans cette déliquescence, quand l'abstention devient une manière de penser, un acte, et pour ceux qui en usent, une façon de résister.

    Les frondeurs abstentionnistes de la social-démocratie étaient, mardi dernier, ce qui se faisait de pire dans les travées de l'Assemblée Nationale. Ils banalisaient la compromission, la couardise et la grandiloquence. Ils se croyaient constructifs et n'étaient que vains. Ils se voulaient démocrates et n'étaient que dans la forfaiture morale. Ils substituaient (mais ils ne sont les premiers...) à la décision réelle les arguties médiatiques. Ils confondaient lamentablement la position et la posture. Et c'était le droit inique à l'abstention qui leur offrait d'être ces personnages ironiquement rebelles.

    Un humoriste moquait dans les années 70 Jean Lecanuet (celui qui se prenait pour le Kennedy hexagonal) en expliquant que ce centriste (tout un programme...) n'était ni pour ni contre, bien au contraire. Dans un sketch, la formule est savoureuse ; dans la réalité, elle s'avère désastreuse.

    Si l'on veut redorer un peu le lustre terni des élus, encore faudrait-il ne pas laisser à ceux-ci le choix de leur absence, et de faire que, puisqu'ils sont élus, ils soient dans l'obligation d'exprimer, en toutes circonstances, un suffrage sans ambiguïté.

    (1)Disons plutôt roitelet, car cela ne vaut guère plus...

  • Valets en chambre

    Ce ne sont pas les récits des fantoches enqueutés nous gouvernant qui affligent. Chaque époque a ses turpitudes. On ne leur demande pas d'être des saints ou des nonnes (1). Le privé a ses droits et la vertu est trop souvent une pose. Mais, par l'ampleur que prennent ces bavasseries d'alcôves et ce romanesque puéril et photographié en guise, quasi, de politique, nous sommes doublement insultés : de se sentir méprisés, de les savoir insignifiants tapageurs.

     

    (1)Encore faudrait-il, de toute manière, qu'ils eussent la culture afférante et le sens du sacré. Le jugement putassier en faveur des Femen qui ne les indigne pas prouve le contraire. Ils sont sans doute trop occupés.

  • Le droit (jusqu') à la folie

    S'il devait y avoir un trait caractéristique de la social-démocratie libérale (1), ce serait sans nul doute l'hypocrisie. Elle a un côté moraliste de bas-étage : on dirait les Flamandes de Brel, mais dans une version progressiste. Le social-démocrate libéral français, le socialiste bon teint, vallso-hollandisé, reformaté à la manière de Blair est un bijou de saloperie satisfaite, qui se croît tellement intelligent qu'il ne peut douter de la bêtise des autres. Et si je passe par le détour blairiste, il n'y a pas de hasard. Nullement. On y trouve la rouerie assurée qui permettaient aux grandes oreilles du New Labour d'affirmer que l'invasion de l'Irak était une urgence et que les armes de destruction massive étaient un danger mondial, etc, etc, etc. On connaît la chanson : le mensonge est la ligne de conduite absolue. Le socialo lucide est un larbin du libéralisme mais il essaie de faire croire le contraire ; il est son sbire zélé et prétentieux, mais se promène avec ses breloques humanistes : les autres, l'écoute, la solidarité, l'amour, le respect, la différence et j'en passe... En clair, le socialo-libéral aime le monde, veut le bonheur du monde, le vôtre, le mien : il n'a d'ambition que de nous rendre heureux (2).

    C'est pour cette raison qu'il adhère si bien au credo libéral de la marchandisation de tout et de tous, du droit appliqué à toutes les formes de concepts, dans la perspective que les dits concepts permettront d'ouvrir de nouveaux services, de nouveaux besoins, de nouveaux flux, de nouveaux échanges, de nouveaux recours, parce que tout doit être négociable, monnayable, et ajustable en terme de contrat. 

    Nous n'avons eu de cesse d'expliquer combien les partisans nantis du mariage gay, suivis par la bigoterie alter-différentialiste des centres villes bobos, qui se la joue tolérance et ouverture, les partisans nantis, donc, visaient au delà du projet matrimonial l'élargissement du marché des naissances, et plus particulièrement la gestation par autrui (GPA), laquelle était assimilable à un acte banal. Le gauchiste rose Pierre Bergé n'y voyait, pour des femmes enfin tolérantes (ou dans le besoin ?) qu'une forme de location. Louer son ventre comme on loue ses bras. Le ventre comme force de travail. Ce genre de déclaration abjecte n'a pas fait grand bruit à gauche. Sans doute le fait de ne pas avoir commerce charnel avec les femmes autorise-t-il ce petit vendeur de tissu à les mépriser sans vergogne. Mais il avait au moins le mérite (indirect) de poser le cadre du débat : quid de l'argent et du rapport économique ?

    La GPA était donc la monstruosité au cœur du combat et rien n'y a fait ; les pourfendeurs de cette pratique n'ont pas eu gain de cause. NI les incertitudes dans la construction de l'identité infantile, ni les considérations économiques, justement, n'ont tenu et ses partisans, eux, ont avancé masqués, prétextant que la question ne se posait pas. Il y avait pourtant beaucoup à dire sur un point : le désir d'enfant transformé en un droit à l'enfant.

    Le droit à l'enfant. Autant l'écrire sans détour : il n'y a pas de droit à l'enfant. C'est une hérésie intellectuelle. L'enfant n'est pas un droit mais une possibilité physiologique que la nature valide ou non. Il n'est pas possible pour deux hommes ou pour deux femmes d'avoir un enfant. C'est ainsi et ce ne sont pas les progrès de la médecine qui changeront quoi que ce soit en ce domaine. Cela n'a rien à voir avec la stérilité (que des avancées thérapeutiques peuvent effectivement soigner). Et comme la nature est têtue, le droit est invoqué pour la faire plier. Il devient alors le bras séculier d'une aspiration narcissique pour quelques-un(e)s qui veulent à la fois conserver leur différence (pas question de renoncer à la gay pride et à ses cortèges grotesques, provocateurs et vulgaires) et satisfaire un besoin somme toute bien petit bourgeois (3). Le droit à l'enfant est la résultante d'une régression infantile et d'un mépris indispensable d'autrui. Le bonheur pour soi. La gestation par autrui... À moins que ce ne soit, dans le fond, la gestation pour autrui. Mais en changeant la préposition, je ramène à la surface les implications profondes de l'acte : il est nécessaire d'exclure et d'instrumentaliser. La mère ou le père sont passagers. Il s'éclipse le temps venu. C'est leur vocation. Il est indispensable que soit coupé en deux les temps de l'être, entre sa conception et son apparition. On le prépare à une seconde vie, en niant la première. Conçu (encore que...) à Bangkok, destiné à Melbourne. Pour le coup, on ne peut mieux concevoir la coupure du cordon. Enfin, cet autrui bénéficiaire qui réapparaît remet la grossesse dans le cadre économique d'une transaction.

    Ces problématiques ne sont pas nouvelles. Elles fondaient l'opposition intellectuelle et rationnelle au mariage gay, au delà des caricatures tournant elles autour des positions religieuses que les gauchistes avaient besoin d'activer, selon un manichéisme mainte fois utilisé : les Modernes contre les Rétrogrades, avec cette nuance quasi révolutionnaire dont la France a hérité, donnant d'un côté les Républicains, de l'autre les Cathos (ou les Ultras...). C'est donc avec un étonnement sensible que, le 14 juillet, on a vu paraître une tribune demandant à l'état de prendre ses responsabilités dont les trois premiers signataires étaient Jacques Delors, Lionel Jospin et Yvette Roudy, tribune justifiée par la décision de la Cour européenne des droits de l’homme obligeait la France à reconnaître des enfants issus de GPA nés à l'étranger. Cette indignation est soit sincère mais elle révèle une grande naïveté, parce que les opposants avaient depuis longtemps dénoncé ce genre de risques, et de facto, elle ridiculise ces politiques. Soit cette indignation est feinte. Elle est une posture et un moyen de détourner l'attention. Quelques socialos feignent l'inquiétude et on passe à autre chose.

    Entre l'honnêteté et l'écran de fumer, à chacun de choisir. Il est bon néanmoins de rappeler que ces trois premiers signataires sont des mondialistes patentés, qu'ils ont été des chevilles ouvrières d'une transformation de l'Europe en un vaste marché libéral. Et c'est alors que le doute s'installe. Il faudrait, en effet, pour être crédibles que ces politiques aient montré depuis fort longtemps leur opposition à la marchandisation des êtres et des corps, et ce n'est pas le cas. La lecture passionnante du Corps-Marché de Céline Lafontaine vous laisse sans illusion. À partir d'une analyse de la bioéconomie, et du dévoiement de ce concept posé par l'économiste Nicholas Georgescu-Rœgen, elle passe en revue cette transformation sociale/sociétale qui s'organise autour d'une redéfinition des usages du corps à des fins commerciales. Deux extraits significatifs.

    "D'une logique de décroissance prônée par le père de la bioéconomie, on passe avec le programme de l'OCDE à un bioéconomie de développement durable qui conçoit le vivant comme une nouvelle source de productivité. Dans son rapport La Bioéconomie à l'horizon 2030, l'organisation associe d'ailleurs très explicitement les innovations technologiques au développement durable. En plus d'être "plus vertes", les biotechnologies offrent, selon ce rapport, "des solutions techniques qui permettent de résoudre nombre de  problèmes de santé et de ressources auxquels le monde est confronté."

    En clair : le corps est un business et l'OCDE ne cache pas que c'est une de ces voies à exploiter dans la course à la croissance. Dès lors, les politique signataires cités plus haut ou ignorent les analyses de l'OCDE, dont ils appliquent pourtant les recommandations libérales en matière d'économie, ou trompent leur monde.

    Dans une partie consacrée à la procréation médicalement assistée, Céline Lafontaine rappelle cette évidence :

    "La normalisation et la démocratisation du recours à la procréation assistée ont eu pour conséquence le développement d'une libre concurrence de cette industrie à l'échelle internationale. Alimenté par la logique consumériste de la baisse des coûts et par la volonté de contourner les cadres juridiques nationaux limitant le "don" d'ovules, le commerce de ces précieuses cellules féminines s'est développé dans des zones plus permissives, telles que l'Espagne et Chypre (...)"

    Le corps féminin monétisé jusque dans ses entrailles : la PMA a favorisé ce dévoiement. Il n'y avait aucune raison qu'il n'en fût pas de même pour la GPA. S'en offusquer au milieu de l'été après tant de laisser-faire commercial (mais n'est-ce pas le fonds de la doctrine libérale, qui puise sa source en partie chez les partisans, aux XVIIIe et XIXe siècles, d'une liberté plus grande : de Voltaire à Frédéric Bastiat, en passant par les révolutionnaires). Pour trouver des ventres, ce n'est pas Chypre ou l'Espagne mais des contrées à ventres bon marché, où le droit (le vrai, celui-là, qui aurait pour vertu de réduire les inégalités et les injustices, et non de satisfaire les bien nourris) est une mascarade...

    Les jérémiades morales de Delors et Jospin sont donc une escroquerie. Leur position n'aurait pas été posture s'ils s'étaient démarqués du choix civilisationnel (pour parler comme la sinistre Taubira) qu'un président fantoche nous a imposés. Ce sont de telles attitudes qui font désespérer du politique, ou qui attisent les choix radicaux. S'il n'est pas sûr que Dieu existe, est-il nécessaire de substituer à cette putative absence l'outre-présence du désir des hommes, d'en faire le fondement d'un droit exorbitant et infantile par quoi rien ni personne ne doit s'interposer à une envie. 

    Le droit à l'enfant, répétons-le, est une monstruosité philosophique qui légitime et légalise la choséification du corps féminin (pourquoi alors s'être battu pour son émancipation ?) et la soumission de l'enfant à la loi pure du marché. La GPA procède de cette logique et est consubstantielle aux cadres du mariage gay. Les cris d'orfraie de Delors et Jospin sont, une fois de plus, des simagrées. Sur ce point crucial qui engage un virage de civilisation, il n'y a aucun doute : la gauche française est infiniment plus libérale que la droite...

     

    (1)Terminologie en soi assez discutable, quand le "social" est un produit d'appel, une tête de gondole pour électeur naïf.

    (2)Sur ce point, il faut lire Jean-Claude Michéa, Les mystères de la gauche. De l'idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu, Climats, 2013.

    Le sous-titre est doublement intéressant. Il fait le point sur la soumission de la gauche à l'idéal libéral. Il renvoie à la généalogie de cette évolution. Le vers était dans le fruit et ce qu'on nous vend comme l'esprit éclairé du XVIIIe siècle n'est que l'étayage d'une logique politique qui met les individus en concurrence et rejette toute possibilité d'une vraie pensée sociale. Voltaire est un écrivain néfaste et ce n'est pas d'avoir défendu Jean Calas qui peut le sauver.

    (3)Ceci explique que, chez certains homosexuels, le mariage gay était une aberration, et le désir d'enfant une inconséquence. Faut-il alors placer ces récalcitrants de la modernité dans la catégorie des débiles qui ne comprennent rien, des réactionnaires ou des couards ?

    (4)Céline Lafontaine, Le Corps-Marché. La marchandisation de la vie humaine à l'ère de la bioéconomie, Seuil, 2014.

  • Petit Manuel pour la boucler

    Adoncques (comme dirait le Père Ubu, lequel s'y connaissait en matière de pompe à phynances et de décervelage), il y eut durant la semaine finissante, en quelque contrée dite démocratique, délices de grotesque et de fumisterie. Le politique et la pensée redorèrent, à coups sûrs, leur blason et le petit peuple, tout bête qu'il est, n'en crut pas ses yeux et ses oreilles. Qu'on en juge :

    Premier acte.

    À l'ère du pédagogisme à tous les étages réduisant l'enseignant (ne disons plus le maître, grand Dieu : oublions la Grèce antique et la philosophie) à n'être plus qu'un élève parmi les autres, sinon potache plus âgé, infantilisé, la contrée vit défiler es qualités d'avides maroquins chez le premier d'entre eux, pour passer un oral de belle orthodoxie, afin savoir, non s'ils étaient compétents, mais s'ils seraient serviles et silencieux. Un peu comme de mauvais garnements convoqués chez le directeur (en d'autres temps, le surveillant général) d'un collège rural. Tout le monde, en uniforme, le corps droit, la nuque raide, l'œil froid tendu vers l'horizon, et de n'être plus qu'un seconde classe. Chef, oui chef ! Alors, le peuple vit sortir ces fiers ministres, habituellement si méprisants et hautains, péteux d'avoir su bien répondre pour conserver leur poste. Tout un gouvernement réduit à n'être plus qu'une valetaille vulgaire et repue. C'était là un bel exemple de la respiration démocratique dont le Petit Caporal et son Maître au pouvoir se faisaient naguère les chantres.

    Second Acte :

    Devant des nominations et des évictions qui marquaient une claire orientation politique et économique, de soi-disant révoltés (ils n'en étaient pas à leurs premiers gargarismes de cons battus), promirent d'en découdre, tout en vouloir préserver l'unité et les intérêts (surtout électoraux) d'un pouvoir sournois et trompeur. Et d'entendre, dans une langue de bois classique, feintes colères et rodomontades. Un peu comme des vieux couples qui ne peuvent se résoudre à vendre la résidence en bord de mer et ratiocinent leur rancœur.

    Pendant ce temps, un citoyen anonyme, dans la veine des hommages à la Der des Ders (c'est de mode, l'hommage à ceux qui sont morts pour rien...), relisait Louis Pergaud, mort au front en 15,  et sa Guerre des boutons. D'un côté les Longeverne, de l'autre les Velrans, et leurs noms d'oiseaux. Les peigne-cul et les couilles molles. Et de rêver à leurs formes adultes. Le peigne-cul a le phrasé onctueux, la componction facile ; prêt à tout, sans amour-propre puisque tout en vanité. Quant au couilles molles, inutile d'épiloguer : velléitaire et bavard...

    Décidément, la littérature a du bon, éclairant le passé et permettant de chroniquer l'insignifiance de l'instant...

  • La Mare...

    Grenouilles et crapauds, verts et roses, ont joué leur partition ce week end. Il n'y avait, semble-t-il, rien d'autre à faire, tant la situation économique, sociale, politique et internationale est sereine. Cela entraîne une démission en bloc. L'autoritarisme niais à défaut de l'autorité.

    Inutile d'épiloguer. Retournons à notre Chateaubriand moquant, dans ses Mémoires, la monarchie de Juillet et "ce gouvernement prosterné qui chevrote la fierté des obéissances, la victoire des défaites et la gloire des humiliations de la patrie", alors que "l'État est devenu la proie des ministériels de profession et de cette classe qui voit la patrie dans son pot-au-feu, les affaires publiques dans son ménage."

    C'est sans doute là les promesses de la grandeur républicaine...

  • Dindes et dindons (de la farce)

    Elle est un exemple parmi d'autres. On aurait pu prendre Pierre Servent, Jacques Attali, Gilles Kepel, Christophe Barbier,... Elle s'appelle Nicole Bacharan, enseigne à Science-Po et à Stanford. Elle fait partie de ces spécialistes, experts, penseurs, qui gangrènent le monde médiatique, venant se répandre sur ce qu'ils sont censés connaître quand l'accumulation de leurs déclarations creuses montre surtout qu'ils parlent dans le vide.

    Nicole Bacharan, qui avait déclaré le jour du 11 septembre que ce jour, "nous (étions) tous américains" (1), qui avait célébré la victoire d'Obama comme un signe de la vitalité américaine et une quasi révolution, est venue l'autre soir expliquer aux idiots que nous sommes le sens des affrontements de Ferguson. Et la pauvresse d'observer que dans cette histoire Obama était confronté aux difficultés d'une ère "post raciale". L'Amérique était dans le post racial et nous ne le savions pas. Au delà du fait que notre experte usait de la ficelle des pré- et des post- dont on peut discuter la pertinence, qu'elle analysait moins une situation qu'elle ne posait un concept pour définir l'autorité de son discours (c'est très efficace : de la rhétorique pure, du sophisme de bas étage...), elle laissait entendre que les États-Unis avaient donc subsumé ou, pour le moins, recomposé les rapports des conflits ethniques et raciaux qui la traversent. Le post signifiait-il le pire ou le meilleur ? Le temps médiatique ne permettait pas de le savoir. Seule la formule compte.

    Devant une telle absurdité, une mienne connaissance n'en croyait pas ses oreilles, qui a vécu dans ce pays (et pas dans les années 80, non, mais sous la présidence Obama) et eu l'occasion de voir combien le modèle américain était une catastrophe tant il sécrétait de ségrégations, de partitions, de communautarisme et d'exclusion. La vacuité du propos lui a fait lever les yeux au ciel. Et l'on aurait aimé que le journaliste qui l'interviewait demande des précisions, ait l'audace intellectuelle d'apporter la contradiction. Mais rien ne vint. L'Amérique est post raciale ! Cela ne veut rien dire, comme ne voulait rien dire, sauf à émouvoir les idiots, l'élection d'Obama, quant aux règles fondamentales du modèle américain, au regard que ce pays porte sur le monde, aux principes qui organisent sa politique extérieure. 

    Je me souviens que dans les années 90 Yves Keppel venait sur les plateaux expliquer que l'islam allait se tourner vers la démocratie, qu'il y a deux ans Jacques Attali prophétisait la mort de l'euro dans les trois mois, qu'à la même époque Patrick Artus annonçait pour 2014 un taux de la BCE entre 2 et 2,5 % (quand il est à 0,15 %). De la bêtise à revendre, mais un droit quasi aristocratique à revenir baver médiatiquement. 

    Il existe donc en ce pays une caste pour qui la rigueur et l'honnêteté intellectuelles n'existent pas. Ils sont au-dessus de ces principes qui ne sont bons que pour le petit peuple. À moins qu'ils s'en sentent exemptés puisque le même petit peuple n'est composé que de crétins.

    C'est sur ce même principe qu'Alain Juppé peut prétendre sans avoir peur du ridicule à la présidence française. Et d'entendre ces jours-ci les louanges diverses sur cet homme d'État. Un quasi visionnaire. Le même qui fut fracassé en 1997 par des législatives anticipées, qui fut condamné par la justice de ce pays pour les magouilles du RPR, qui dut démissionner de son pose de ministre d'État après avoir été battu sur son territoire par un inconnu aux législatives, qui s'est contenté des municipales bordelaises, mort de trouille qu'il est de se reprendre une veste. C'est ce qu'on appelle un homme de classe et d'envergure ! Il avait un jour dit qu'il était habité par la tentation de Venise : lâcher la politique et changer de vie. Qu'il n'hésite pas ! Qu'il aille noyer sa suffisance dans les venelles du Dorsoduro. Je suis pour ma part prêt à verser une obole pour un billet aller simple...

    Bacharan ou Juppé, c'est au fond la même boutique. Dindes et dindons d'un orgueil et d'une prétention sans bornes, installés dans un système médiatique d'une servilité pitoyable. La décadence de la France est aussi décelable par le biais de cette sclérose institutionnelle et intellectuelle. Plus la société se veut transparente, plus la République se veut exemplaire, plus ces deux pôles sécrètent le venin qui nous tue. Le pire n'est pas tant la médiocrité de ces gens que le fait que cette médiocrité dure et par un phénomène d'une grande perversité soit sanctifiée...

     

     

    (1)J'ai beaucoup de mal avec ces élans d'appartenance. Je n'aurais jamais été berlinois, ni juif allemand. De même que je ne suis ni Américain ni enfant de Gaza (c'est-à-dire enfant du Hamas...). Je n'essaie pas d'être ce que je ne serai jamais. Je n'emprunte pas des habits qui ne sont pas à ma taille et je ne parade pas pour faire genre...

  • Condamner (verbe)

    Un attentat vient d'avoir lieu. Les réactions fusent ; les uns et les autres, dans la sphère politique, condamnent, souvent avec la plus extrême fermeté, l'acte odieux.

    Une parole, plus ou moins outrancière, un jugement, plus ou moins polémique sont prononcés. L'indignation (mère contemporaine de tous les droits à parler pour ne rien dire...) se dresse et l'on condamne le propos.

    On aura entendu ce lamento cent fois et le troublant emploi du verbe condamner persiste. Troublant emploi, en effet, car vide de sens. On ne peut guère par exemple condamner un acte répréhensible puisque son caractère violent et illégitime le rend de facto condamnable. Quant à condamner des paroles, c'est corseter le droit dans une morale étroite la liberté d'expression. Ainsi une telle déclaration n'a-t-elle pas lieu d'être. Je peux m'affliger d'un attentat, le déplorer, le regretter, je peux être révolté par sa violence et sa barbarie, je ne peux pas le condamner, parce que cela signifierait qu'en d'autres circonstances je pourrais justement ne pas le condamner. C'est bien d'ailleurs ce qui se passe quand, en certains endroits de la planète (je pense au Proche-Orient), devant certains actes terroristes, tel ou tel état refuse de condamner l'action. 

    Mais, aujourd'hui, le politique se sent le devoir de condamner. Mais quoi, au juste ? puisqu'on savait qu'il ne pouvait approuver. Si l'usage de ce verbe avait une quelconque nécessité, celle-ci viendrait du fait qu'il prend ses distances avec quelqu'un dont on pourrait penser qu'il le soutient. Pour être clair : si Valls pouvait (ou se devait) de condamner les agissements de Cahuzac, pour éviter le risque d'être confondu avec lui, il n'était pas nécessaire que Copé use du même verbe. Et on tiendra le même raisonnement, mais inversé, dans des acteurs en cause, pour l'affaire Bygmalion.

    Le verbe condamner est donc employé à tort et à travers. Il est une des plus belles impropriétés de la novlangue politique. La raison en est assez simple. Elle répond à ce besoin de plus en plus net du discours (faussement) efficace et compassionnel des temps médiatiques. La condamnation qui, logiquement, est le fait de la justice, trouve son versant politique moralisateur. C'est un point crucial. La politique sous le vernis de la morale et la théâtralisation humaniste est devenue la règle alors qu'elle se vide de son contenu. Restent donc les signes vertueux sous projecteurs médiatiques. Il ne faut jamais manquer une occasion de montrer la fermeté morale en paroles. Dès lors, on condamne à tout va. On condamne l'adversaire, ce qui est absurde ; on condamne un attentat, ce qui est dérisoire ; on condamne des propos, ce qui est risible. À défaut d'avoir toujours prise sur le monde, le politique joue les censeurs faussement rigoureux et les parangons de vertu. Condamnés qu'ils sont à ne plus rien faire qu'à suivre les ordres du pouvoir caché de la finance ultra-libérale, les politiques se doivent de paraître présents, puisqu'ils ne sont plus efficaces. À ce jeu-là, les considérations, même les plus vaines, quand elles engagent l'émotion et le registre compassionnel, sont toujours utiles, parce qu'elles permettent d'occuper le terrain et de réconcilier (du moins le fait-on croire) le politique et l'humain.

    Condamner est un des verbes contemporains de l'ectoplasmie politique. Il est d'autant plus nécessaire que celle-ci couvre, quand besoin est, bien des horreurs du monde. Condamner, faute de mieux. 

    Encore quelques efforts et il ne tardera pas que l'une de ces belles âmes condamne les orages sur les vignes de Gevrey-Chambertin, les requins dans l'Océan Indien ou la prochaine irruption de la Soufrière...

  • La Bruyère, lucide et intemporel

    Entendant nos politiques écorcher la langue et faire plier le sens à leur seule petite volonté (on se référera seulement à cet étrange balancement autour de la finance, selon le dictionnaire de Hollande ou de Sapin...), on pense à ces quelques lignes, brillantes, de La Bruyère, tirées des Caractères. C'est pourtant fort lointain, obsolète, classique diraient les tenants absurdes de la tabula rasa moderniste. N'empêche...

    "L’on voit des gens qui, dans les conversations ou dans le peu de commerce que l’on a avec eux, vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté, et j’ose dire par l’impropriété des termes dont ils se servent, comme par l’alliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n’ont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison ni l’usage, mais leur bizarre génie, que l’envie de toujours plaisanter, et peut-être de briller, tourne insensiblement à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiome naturel ; ils accompagnent un langage si extravagant d’un geste affecté et d’une prononciation qui est contrefaite. Tous sont contents d’eux-mêmes et de l’agrément de leur esprit, et l’on ne peut pas dire qu’ils en soient entièrement dénués ; mais on les plaint de ce peu qu’ils en ont ; et ce qui est pire, on en souffre."

    La Bruyère, Les Caractères, "De la société de la conversation", 6

  • Politique de la teuf

     

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    Parmi les plus belles escroqueries intellectuelles du XXe siècle, laquelle escroquerie continue joyeusement en son suivant, il y a cette idée magique que la féminisation du monde politique humaniserait, adoucirait, et a fortiori, valoriserait l'exercice du pouvoir. Les exemples de Golda Meir, de Margaret Thatcher, d'Indira Gandhi devraient suffire, d'un point de vue rationnel, à mettre fin au mythe (1). Il  n'en est rien cependant. La loi sur la parité et les discours émus sur les ascensions des femmes au pouvoir entretiennent l'illusion.

    Il fallait voir les couillons parisiens exulter à l'élection de l'égérie socialo-bobo, Anne Hidalgo, pour désespérer de la lucidité politique de l'électeur moyen (vraiment très moyen). Il est vrai que, pour sa défense, l'alternative était consternante. Hidalgo ou NKM ? La démocratie du vide (ou par le vide, je ne sais).

    Donc : une femme à l'Hôtel de Ville. Une révolution, une bouffée d'air frais. Paris sera toujours Paris, à la fois rebelle et enjouée. On peut y mettre tout ce qu'on veut, selon votre bon plaisir.

    La nouvelle reine a su s'entourer, mieux que quiconque puisque c'est une femme politique. En atteste le choix de son premier adjoint, Bruno Julliard. Bruno Julliard, pour qui ne connaît pas, est le énième leader syndical étudiant, n'ayant pas décroché son master 2 au bout de sept ans de fac assidus, le énième apparatchik (après Désir, Dray, Assouline, Isabelle Thomas) à faire de l'agitation universitaire un tremplin pour se gaver ensuite dans les ors municipaux, voire ministériels. Petit roquet frondeur de trente-et-un ans, il traîne son air mélancolique et décalé sur les plateaux télé. On le croirait sorti d'un film de Despléchin, ce qui n'est pas peu dire. 

    Bref, il est premier adjoint (un peu comme le Prudhomme de Verlaine est juste milieu) et ce sont ses attributions qui font sourire. Vu la situation économique, et pire encore à Paris : le logement et un certain déséquilibre social (doux euphémisme), l'électeur parisien aurait pu croire que ce serait là le domaine de compétence de celui qui, potentiellement, et en cas de malheur, pourrait succéder à la Reine Mère. Mais le logement, le social, l'économique, voire l'écologique, c'est chiant ! Et le chiant, ce n'est pas Paris. Ainsi notre olibrius est-il

    Premier Adjoint à la Maire de Paris, chargé de toutes les questions relatives à la culture, au patrimoine, aux métiers d’art, aux entreprises culturelles, à la "nuit" et aux relations avec les arrondissements

    En clair, c'est d'abord le clinquant, le festif (si cher à Philippe Muray), le poudre-aux-yeux, la visibilité extérieure, la satisfaction bobo, le csp+, voire ++, qui sont visés. Vous pensiez qu'elle était là pour les pauvres et qu'elle ferait du social. Gros Jean comme devant. Paris n'est pas faite pour les misérables et la populace ; la vitrine française est destinée à nos amis du monde entier. Son identité œuvre au bonheur des riches Chinois, Américains et autres Russes ou Japonais. C'est, pour adapter l'image immonde d'Attali, un hôtel de luxe. C'est d'ailleurs à cet effet que la maréchaussée s'active dans les beaux quartiers et aux alentours des rues les significatives du prestige parisien (mode et bijouterie). Le sieur Julliard, gauchiste universitaire, fait désormais dans le toc, le chic, le glamour et l'international...

    Ajoutons que le glissement de la "culture" aux "entreprises culturelles" signe le passage du savoir et de la conservation du passé à sa dynamisation économique par les sons et lumières, le spectacle vivant et autres balivernes modernistes qui font des lieux contemporains des sortes de Puy du Fou perpétuels...

    Mais la cerise sur le gâteau est évidemment cette "nuit" qui, même avec des guillemets, nous fait sourire. La "nuit"... Quelle nuit ? La nuit des Folies Bergères, du Crazy Horse ? quelle nuit ? celle des backrooms du Marais, des teufeurs avec le nez plein de coke ? Quelle nuit ? celle des apéros minables le long du canal Saint Martin, celle de la rue Saint-Denis, celle du Panic Room  ?

    Nuit fort éloignée de celle vécue par ceux qui mériteraient d'être les premiers soucis d'une politique de gauche (mais disons : d'une politique tout court). Nuit bien peu baudelairienne, quand le poète évoque la souffrance dans son Crépuscule du soir.

    Recueille-toi, mon âme, en ce grave moment,
    Et ferme ton oreille à ce rugissement.
    C'est l'heure où les douleurs des malades s'aigrissent !
    La sombre Nuit les prend à la gorge ; ils finissent
    Leur destinée et vont vers le gouffre commun ;
    L'hôpital se remplit de leurs soupirs. - Plus d'un
    Ne viendra plus chercher la soupe parfumée,
    Au coin du feu, le soir, auprès d'une âme aimée.

    Mais n'est-ce pas là trop de sensiblerie, trop de féminité, quand il faut, pour mater la capitale, une poigne de fer et une ambition qui, elle, n'a pas de sexe ?

     

    (1)Mais l'histoire plus ancienne n'est pas en reste, si l'on pense à Mary 1re (pour laquelle on créa plus tard le bloody Mary, pas moins), à Isabelle de Castille, à la grande Catherine de Russie,  ou à Élisabeth 1re. 

     

    Photo : Brassaï

  • Le mot et la chose

    Bernard Kouchner, arriviste imbécile, livreur de riz pour population en détresse, fait partie de cette espèce magnifique, la pire malgré tout, des moralisateurs tout terrain. Il fut un ministre de la santé sans envergure et un ministre des affaires étrangères à la fois suffisant, incompétent et soumis. Comme quoi, la médecine mène à tout à condition d'en sortir ?

    Mais il est de ces gens que l'exposition médiatique a rendus esclaves du paraître et de l'apparaître. Il a fallu le voir, à Pau, au procès Bonnemaison venir en guest star pour dire la vérité (car Kouchner est comme BHL, il ne dit pas sa vérité. il est la vérité !). Cela devait lui manquer de ne plus serrer des mains, de ne plus être l'attraction du monde.

    Alors, sur sa lancée, il s'est ouvert un nouveau champ de réflexion. Il est devenu linguiste. Cela manquait à son curriculum vitae. Et de décréter l'urgence à en finir (si j'ose dire) avec le mot euthanasie. Et pourquoi ? Parce qu'il y a le mot nazi dedans ! euthanasie, c'est euthanazi (et s'il faut un petit effort supplémentaire, on passera demain à étatnazi...) Avouons qu'il y a de quoi rire ! Que le bateleur humanitaire confonde le code écrit et les sons ne semble pas lui poser de problème. Que la langue allemande (Nationalsozialismus) percute le grec (thanatos) est un détail. Il est vrai qu'à l'heure de la novlangue, toutes les confusions sont possibles. Il y a donc du nazi qui traîne dans les mouroirs hospitaliers. Il est urgent de légiférer et de changer le vocabulaire.

    Le pauvre Bernard est un enfant, somme tout, qui croit que les mots sont les choses. Il ne sait pas que l'arbitre du signe saussurien, même tempéré par les relectures de Benveniste, les analyses post-freudiennes et les jeux lacaniens, existe et que si manipulation du signe il peut y avoir encore faut-il être capable d'en établir la réalité et la pertinence ! On pourrait concevoir de remplacer un mot parce qu'il a en effet une histoire qui le rend problématique. Est-ce le cas du mot euthanasie ? Nullement, sauf à jouer les poètes macabres et à chercher partout et en toutes circonstances une sorte d'inconscient de la langue qui tourne au délire. On se rappellera à ce sujet que c'est en se fourvoyant sur des anagrammes latines que Saussure dégagea sa théorie de l'arbitraire. Croit-il qu'en changeant le mot, on effacera la douleur de voir mourir un être à qui on tient ? Croit-il que ceux qui pratiquent l'euthanasie ou l'autorisent, pensent à ses constructions linguistiques débiles ? Croit-il que les mots suspendent la disparition ? 

    Bernard Kouchner est néanmoins dans l'air du temps, dans cette tendance très marquée depuis un siècle (même si l'histoire a commencé bien avant, et pour ce qui est du modèle français avec l'académie et Vaugelas) à vouloir reformater la langue dans un but éminemment politique. Viktor Klemperer a écrit un Lingua Tertii Imperii, sur la phraséologie nazie (justement) très édifiant. Plus près de nous, le petit texte d'Éric Hazan LQR. La propagande au quotidien mérite lecture. Et de se souvenir que la novlangue est une des matrices du 1984 d'Orwell.

    L'air du temps que je mentionne est celui de l'euphémisme : atténuons par les mots la violence accrue de la société ultra-libérale ; et celui de la culpabilisation : étriquons le vocabulaire pour chasser les mauvaises pensées. Cela tient pour beaucoup de la pensée magique au service de la terreur. Mais cela n'étonnera pas du sieur Kouchner qui fait partie de ces terroristes dits intellectuels de gauche dont l'ignorance et la fatuité sont deux crimes mortels. Et par mortels, j'entends mortels pour nous...