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off-shore - Page 47

  • Philippe Séguin, résistant

    De la ratification du traité de Maastricht, il reste, pour ce qui concerne la France, la grandeur politique de Philippe Séguin. Il explique d'une manière imparable le détournement de droit que fut cette ratification. Plus encore, il esquissa avec précision, devant l'Assemblée Nationale, le devenir d'une Europe mortifère, laquelle avait comme fondement l'effacement des nations et la spoliation politique des citoyens. Ceux qui votèrent oui et qui persistent doivent assumer ce coup d'état et arrêter de se retrancher derrière les errements d'une bureaucratie qu'ils ont eux-mêmes cautionnée, ceux qui découvrent aujourd'hui l'horreur avec un air de naïveté, quand ils ont plus de quarante ans, sont consternants. La vidéo qui suit montre avec éclat qu'on ne pouvait pas ignorer...

    En réécoutant, plus de vingt ans après, le dernier homme politique français digne de ce nom, on mesure la multiplicité des effondrements : médiocrité des gouvernants (écoutons la langue et le phrasé de Séguin et comparons au sabir a-syntaxique des Hollande ou des Copé), fatuité des élites, mépris du peuple, soumission aux seuls intérêts économiques (masqués), négation de l'histoire de l'Europe et des européens. Séguin a déjà tout dit. Il a tout dit parce qu'il pense au-delà de lui-même. Ce n'est ni une posture ni une attitude bravache. Il analyse avec lucidité ce que conditionne le traité de Maastricht : l'assujettissement des peuples, le dessaisissement des prérogatives démocratiques au profit des lobbies, la transformation ultime du politique en théâtre d'ombres.

    Ce que Philippe Séguin avait compris, c'est qu'un pays qui renonce à sa monnaie, à son territoire, à sa loi, à ses frontières est un pays occupé. La France est un pays occupé, occupé par l'hydre bruxellois libéral dont le véritable dessein est d'assujettir le vieux continent (comme disait Dominique de Villepin) aux intérêts américains et mondialistes...


  • Partition

     

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    Le partage des eaux, quand les unes vont vers le sud et les autres filent vers l'ouest, c'est ce dont tu ne mesures pas le résultat. Tu es là, sur un territoire certifié par la science, la mesure des écoulements ; ici que les bassins hydrographiques s'engagent dans un sens ou dans un autre. La magie est souterraine. La déclivité légère ne te permet pas de comprendre qu'en ce lieu quelque chose se joue ;

    ni plus ni moins que tu n'arrives à savoir, dans l'ordre du temps, cette fois, de quelle manière ont basculé les lignes filées, les vies croisées, avec leur rapidité d'étoile filante, ou les recoupements incessants avant que plus rien, un jour, ou les nœuds plus tardifs qui font les cordes les plus solides auxquelles tu peux toujours te rattraper.

    Le partage des eaux, dis-tu, ici. Les ravines et les érosions, les nappes et les jaillissements, les veines et les aortes, la chair et les battements, le frémissement de l'eau et des êtres, la source, le cours et le delta. Un peu de chacun d'entre nous.

     

    Photo : Jim Kazanjian

  • N...

    N'imagine pas, lui murmura-t-il, que ta beauté soit moindre que tous ces corps scénarisés.

  • Ancrage

    Nous ne serons jamais les européens qu'ils veulent, parce que nous voulons rester européens. Et qu'est-ce qu'être européen, si l'on veut bien considérer ce qui a fait l'essence de ce continent, sinon une inconciliable profondeur de la différence ? La vraie différence. Non pas celle du différentialisme compatible avec le libéralisme ultime mais celle par quoi chacun creuse un sillon et reconnaît le sillon de l'autre. Et parfois s'en inspire, patiemment.

    *

    Nous voulons être de quelque part. Nous demandons le droit à la nostalgie, à la mélancolie, à la tristesse, au vagabondage sur les chemins maintes fois arpentés.

    *

    Voulons-nous être des Américains, c'est-à-dire des fuyards éternels, s'en remettant à leur seule énergie spontanée, à cette irascible loyauté envers soi-même comme limite ultime du devenir ? N'être que soi. Tel est l'Américain, lequel croit qu'en chacun de nous sommeille quelqu'un qui lui ressemble, qui peut lui ressembler, qui doit lui ressembler.

    *

    Le vers était dans le fruit quand on nous proposait les États-Unis d'Europe. La formule portait le signe du reniement. 

    *

    Francis Fukuyama a célébré la fin de l'Histoire et d'autres ont embrayé. Et pour faire bonne mesure, dans les salles de classe, plutôt que s'en tenir à la chronologie, on avait déjà enseigné la discontinuité, les thématiques et les fausses similarités. La fin de l'Histoire, elle est dans la tête des gosses qui vivent éternellement dans le présent, et c'est ainsi qu'ils signent, les pauvres, leur aliénation.

    *

    L'Europe, une, entière, homogène est un leurre, et pour effacer les résistances à ce projet de fou, on va, sans vergogne, fonder son verbe dans les tranchées de 14 et les camps de 45. On agite les cadavres d'hier en guise d'argument pour mieux cacher la misère contemporaine grandissante.

    *

     Briser le lien : tel est leur dessein. Que nous ne soyons plus les fils de nos parents, et moins encore les parents de nos enfants.

    *

    "Sortir de l'Europe, c'est sortir de l'Histoire". Au-delà de la bêtise infinie de la formule, il y a l'insulte à l'Histoire elle-même, à l'émotion qu'on trouve dans la chapelle royale de Dreux, dans les Catacombes de Rome, dans les ruines de Tintagel, dans le silence de Saint-Michel de Cuxa, dans la magnificence de la Chapelle palatine, dans l'invraisemblable conque du Campo de Sienne, dans la majesté de la citadelle de Fougères, dans l'escalier à double vis du château de Chambord, dans tout ce qui n'a pas attendu l'hydre bruxellois et la couardise gouvernementale pour exister...

    *

    Plus jamais ça ! Derrière ce cri prétendument humaniste se cache la lâcheté la plus sombre. Il résonnait de la même manière dans les brumes de l'an 40. Le passé n'est pas un moyen de se dérober.

    *

    L'Europe à laquelle je suis attaché est celle des identités qui outrepassent ma propre identité, qui s'en saisissent pour l'éprouver doublement, par ce qui me tente, par ce qui me dérange, tout cela sans détruire le passé légué.

    *

    Nous voulons demeurer des héritiers. De vrais héritiers. Ceux qui ne gagnent rien d'autre qu'une plus grande assise face au monde et une meilleure connaissance d'eux-mêmes. 

    *

    Une monnaie unique, un espace unique, une gouvernance unique... Ce n'est pas un programme, c'est la guerre...

     

     

     

     

  • Sucré-salé

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    Elles n'eurent jamais de goût plus étrange, entre le délice et le petit désagrément du contraste, les glaces, que celles des petites cabanes en bord de plage. On nous les offrait après que les batailles contre les vagues nous eurent rincés. Nous en déchirions le papier froid et coloré, et le premier contact ravivait sur les lèvres les assignats de l'océan. Alors, au sucre, pour quelques secondes, de la vanille ou de chocolat, parfois la fraise, se mêlait le sel des rouleaux : un arrière-goût d'algues qui rendait l'âme très vite, et toujours, nous nous retournions, comme des vainqueurs, vers le large, écoutant les commérages de l'eau et du vent.

     

    Photo : Stuart Franklin

  • Pleine lucarne, songe creux

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    Une certaine France s'en va bientôt au Brésil. La France aux pieds carrés et aux têtes creuses, la France aux trois mots de vocabulaire, la France à l'accent racaille, la France à la suffisance indexée à l'épais matelas bancaire, la France vulgaire et arrogante, la France à l'ego surdimensionné, la France maillot-short-crampons. Cette France-là a gagné, il y a quelques mois, et il n'y a pas de quoi jubiler.

    La saveur de cette qualification miraculeuse, en forme de résurrection morale d'un pays en détresse, permet à certains de ré-orchestrer l'odyssée black-blanc-beur de 98. Ce moment-là fut un cap dans la course éperdue à la débilité culturelle et politique. D'avoir exploité jusqu'au trognon l'hystérie footeuse, d'avoir vu des politiques, à commencer par Chirac et son ridicule maillot floqué, se pavaner comme des dindons à la suite des victoires d'une équipe par ailleurs d'une grande médiocrité, d'avoir entendu des intellos (de gauche, évidemment de gauche...) indexer leurs théories sociologiques sur les dribbles de Zidane, les courses de Thuram (devenu depuis un phare de la pensée francaise...), l'esprit de responsabilité de Deschamps, d'avoir vu, entendu et lu tout cela nous prépare à un remake savoureux, si, par le plus grand des hasards, l'équipe nationale allait loin (et la tâche n'est si difficile : les Suisses, les Équatoriens et les Honduriens ne sont pas des terreurs).

    On pourrait alors réentendre ce discours de la France qui gagne et donne du plaisir au citoyen, ne serait-ce que pour servir d'agent masquant du réel (un de plus, il est vrai : après le mariage pour tous, la baballe pour tous). Ce sera pratique d'user de ce discours grotesque qu'on nous a imposé. Le profil d'un pays, sa physionomie morale et politique se jugent à sa représentation non législative mais footballistique (c'était bien de cela qu'il s'agissait en 98, non ?), à sa vitalité sportive, non à sa respiration démocratique. Et donc tout va bien, ou du moins : pendant quelques semaines, tout ira bien.  

    On pourrait gentiment ironiser sur ces célébrations d'une crétinerie abyssale. Mais comparaison n'est pas raison. C'est un simple jeu de retournement n'ayant pour seul but que de rappeler cette évidence : l'idiotie comme philosophie pour attraper les masses présente des risques, à commencer par ce qu'on appelle l'effet-boomerang.

    Quand on monte aux cieux nationaux des footeux incultes (et ceux d'aujourd'hui sont magnifiques : les regards bovins de Giroud, Matuidi, Nasri ou Ribery sont exemplaires) à des fins idéologiques, il n'est plus possible d'empêcher quiconque de reprendre la balle au bond. Marion Le Pen le fait, sans difficulté : elle préfère le bleu, blanc, rouge au black, blanc, beur. En ethnicisant en 98 onze paires de guibolles, certains, encore en place d'ailleurs, ouvraient la boîte de Pandore. En ne circonscrivant pas la réalité sportive aux limites du terrain, en lui substituant un imaginaire travaillé par la couleur de peau, ces gens-là ont justement permis, volontairement, le particularisme identitaire. Seize ans ont passé et les discours de 98 sonnent plus encore qu'à l'époque creux, affreusement creux. Zidane sur l'Arc de Triomphe. Vulgarité pour peuple en perdition... Dans un contexte d'affrontements, de délitement, de communautarisme et de fronde (2) qui caractérise la France de 2014, il ne faudrait pas que nos gaillards échouent dès le premier tour parce que la facture de la défaite pourrait s'avérer plus salée qu'on ne l'imagine. Et quand j'écris : il ne faudrait pas, je ne signifie pas que c'est un souhait, mais la simple évaluation d'un risque. 

    (1)Il ne fait pas de doute, de notre point de vue, que l'affaire était volontaire.

    (2)Rions amèrement des comiques qui nous chantaient l'air du clivage sarkozyen. En l'espèce, le normal président aura fait mieux, beaucoup mieux.

     

    Photo : Marc Gourmelon

  • Rimbaud, le cinglant

    SOLDE

     

    À vendre ce que les Juifs n’ont pas vendu, ce que noblesse ni crime n’ont goûté, ce qu’ignorent l’amour maudit et la probité infernale des masses ; ce que le temps ni la science n’ont pas à reconnaître :

    Les voix reconstituées ; l’éveil fraternel de toutes les énergies chorales et orchestrales et leurs applications instantanées, l’occasion, unique, de dégager nos sens !

    À vendre les corps sans prix, hors de toute race, de tout monde, de tout sexe, de toute descendance ! Les richesses jaillissant à chaque démarche ! Solde de diamants sans contrôle !

    À vendre l’anarchie pour les masses ; la satisfaction irrépressible pour les amateurs supérieurs ; la mort atroce pour les fidèles et les amants !

    À vendre les habitations et les migrations, sports, féeries et conforts parfaits, et le bruit, le mouvement et l’avenir qu’ils font :

    À vendre les applications de calcul et les sauts d’harmonie inouïs. Les trouvailles et les termes non soupçonnés, possession immédiate.

    Élan insensé et infini aux splendeurs invisibles aux délices insensibles, et ses secrets affolants pour chaque vice, et sa gaîté effrayante pour la foule.

    À vendre les Corps, les voix, l’immense opulence inquestionnable, ce qu’on ne vendra jamais. Les vendeurs ne sont pas à bout de solde ! Les voyageurs n’ont pas à rendre leur commission de sitôt !

     

     

     *

    (poème tiré des Illuminations. Prétendument le dernier du recueil, ce qui ne serait pas la moindre des ironies pour les temps sombres et contemporains.)

  • Ironie romaine

      

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    Il ne faut jamais négliger la force enivrante de la littérature pour transformer le lieu le plus improbable en un souvenir précieux. Ainsi la petite place devant l'église du Gesù, l'édifice capitale des jésuites, dont l'ampleur intérieure impressionne sans doute mais laisse l'œil froid et vagabond. Rien qui touche. Mais la place, donc, pourtant bruyante à cause de la circulation, que l'on traverse souvent, l'été, au soleil le plus ardent.

    Elle est inoubliable parce qu'à chaque passage, on guette le vent, l'improbable vent qui rendrait raison à l'anecdote que rapporte Stendhal, dans ses Promenades dans Rome, en date du 12 décembre 1827 :

    "À cause de l'élévation du mont Capitolin et de la disposition des rues, il fait assez ordinairement du vent près de l'église des jésuites. Un jour, le diable, dit le peuple, se promenait dans Rome avec le vent ; arrivé près de l'église del Gesù, le diable dit au vent : "j'ai quelque chose à faire là-dedans ; attends-moi ici." Depuis le diable n'en est jamais sorti et le vent attend encore à la porte"

    L'anecdote, plaisante (qu'en penserait le pape François ?), accompagne le promeneur curieux, lequel ne manque jamais de guetter entre les travées l'impensable hôte de ces lieux, imaginant que dans une odeur d'encens celui-ci daignera peut-être se montrer. En vain, cela va de soi... 

     

    Photo : X

  • Daido Moriyama, à l'endroit, à l'envers

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    Volupté détournée que la série des Thighs de Daido Moriyama. Le corps est pourtant là, au plus près, pourrait-on dire, et c'est sans doute ce qui en conditionne le caractère ambigu et presque insaisissable. L'objectif colle quasiment à la peau ; la peau a une odeur, un parfum, une identité, car désirer revient aussi à mettre en jeu le plus que l'œil, le plus que la main (ou le bout des doigts). Mais le jeu de Moriyama est d'une grande subtilité. Puisque nous sommes près, nous ne voyons rien, ce qui en dit long, d'une certaine manière, sur la construction de l'érotisme. Il y a toujours quelque chose de médical dans la proximité, un sens de l'observation qui fait le décompte des particularités et des imperfections. D'ailleurs, le spectateur comprendrait aussitôt de quoi il retourne s'il n'y avait le subterfuge de ce qui cache, de ce qui cache faussement, et donc pose l'énigme.

    Les bas résilles. Mais savons-nous dans le premier cliché qu'il s'agit de bas résilles et de cuisses, si l'on ne va pas lire le titre. Cela pourrait être tout autant un travail expérimental, une construction abstraite. Le corps n'est pas là. À la place : des formes et de la matière. Ou plutôt : une structure, un quadrillage, et une surface dont on ne prend que l'unicité, la belle et lisse apparence. Cela peut faire penser. L'esprit doit chercher dans ses propres souvenirs, son histoire personnelle. Peut-être... Tout est caché et pourtant cette photographie laisse rêveur. On y revient et on fouille, et l'on comprend. Il y a évidemment le hors-champ d'un corps entier, nu sans doute, mais cette considération n'importe pas. Très secondaire. Et faire davantage : se concentrer sur ces formes en combat. La résille qui épouse, en une enveloppe à la fois tendre et souple. Les alvéoles (comment dire autrement ?) varient. Elles sont la respiration du corps flexible. Elles ne luttent pas ; elles jouent ; elles s'ajustent. Et l'on imagine le frémissement de la peau qui sent sur elle ce mouvement sage et permanent. Le corps est donc à la fois ce qui plie la matière, en éprouve l'extension, ce qui en jouit, et ce qui se montre ainsi, dans un jeu de cache-cache. 

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    La deuxième photographie amplifie le principe. Ce n'est plus le corps qui donne l'ordonnancement du cliché mais la géométrie contradictoire de la résille. Tout file, dans tous les sens, et par l'œil qui regarde les sens du spectateur s'éveillent. Il parcourt le corps, suit les fils qui s'entrecroisent, le tissu qui s'échancre. La matière, dans ses multiples variations, dans ses tensions diverses, parle du corps, de son poids, de ses torsions. On pense à du Vasarely, à ces exercices surfaits de l'Op Art. Ce serait presque une variation sur les mailles, s'il n'y avait, comme un sol magnifié : le corps, le corps désiré et désirable, d'être ainsi révélé dans ses infinies séquences. Alors, on abandonne Vasarely et on s'en va vers une métaphore géographique, quasi topographique d'un univers à la fois contracté et tendu. Chaque centimètre carré, sans une échelle uniforme, est répertorié, mais il n'y a pas de légende : c'est une pure utopie, l'éphémère grâce de la pose. Le quadrillage ne nous apprend rien. Il dévoile. On reconnaît un pied, et un autre. On suppose des cuisses ou un mollet. Un bas-ventre aussi, mais si discret. On navigue d'un relief à un autre, d'un sol à un autre. L'esprit sait que ces divers enchevêtrements forment un tout, un tout que l'on peut, le cas échéant, connaître mais qu'ici on explore, point par point, avec une infinie délicatesse. La torsion demeure encore dans les limites d'une séduction sereine et la beauté émane de ce que le corps n'est pas forcé. Presque une rigueur, et, peut-être, une négligence de celle qui se laisse regarder. 

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    Il n'en est pas de même pour la troisième photographie. Ce n'est plus la maille qui fait le scénario mais le corps lui-même. L'écrin se résout à abandonner le terrain à ce qui n'est alors que visible, trop visible. La pose est acrobatique, le saut dans l'explicite sans filet. Le spectateur s'est éloigné. Il a un ensemble sous les yeux, une forme que, malgré les apparences, plus rien n'enveloppe. On n'a plus envie de s'égarer puisque l'essentiel est advenu. Tout est technique. La balance est rompue. La cliché fait comme un bruit. Si le mot n'ouvrait pas vers des considérations un peu simplistes, l'idée de la pornographie ferait son chemin. La pornographie, en ce que celle-ci outre la rêverie et se solde par une sorte d'épuisement de l'œil. Moriyama passe de l'ardeur qui, d'une certaine manière, ne regardait que nous, dans les clichés précédents, dévolus qu'ils étaient à ce que nous écrivions une histoire singulière, vers un rendu glacé dont on sait qu'il inhibera le désir en le ciblant à coup sûr. La contorsion débouche sur une concentration spatiale de l'attention qui dilue le plaisir : ce sont les affres de la certitude. Dans un tel cliché (qui est aussi, à son corps défendant peut-être, un cliché de l'érotisme facile), il n'y a plus la "vision intensive" qui, selon Moholy-Nagy faisait l'essence de la photographie.

    Dans les deux premiers clichés, on était dans la recherche, et photographique, et physique. Dans le dernier, on tombe dans l'illustration facile et l'épuisement du sujet. Comme passer de l'art à une pub pour Aubade. Dans les deux premières photos, on rend visible ; dans la troisième, on reproduit du visible (pour reprendre la fameuse distinction de Paul Klee) en faisant croire qu'il n'en est rien. À ce jeu-là, on préférera la radicalité d'un Araki ...

     

  • Sémantique

    Le 8 mai, comme le 11 novembre, est devenu une fête (fête de la victoire, peut-on lire ici et là). Le mot "commémoration" semble avoir disparu. La vraie question du moment est de savoir si le pont est possible, pour les uns, si cela activera le tourisme (prions pour une météo clémente), pour les autres, et pour une dernière part, c'est la difficulté à boucler une commande (vous comprenez, déjà le 1er mai...)

    Il y a plus de trente ans, Giscard d'Estaing avait supprimé cette journée. Tollé puis rétablissement. Indignation (c'est très facile...) satisfaite, mais je ne suis pas sûr que, dans l'histoire, la mémoire ait gagné quoi que ce soit. C'est peut-être même le contraire : la banalisation festive, puisqu'il s'agit alors d'en profiter, chacun pour soi, rend plus creux encore le passé commun. Elle le vide de tout contenu symbolique. Ce n'est plus de l'oubli, à proprement parler, mais un droit à la négligence. Une sorte de seconde mort pour les maquisards et les valeureux d'Omaha Beach.

    Évidemment, on s'en étonnera, à l'heure des repentances mémorielles tous azimuts