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off-shore - Page 51

  • Nimby

     

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    La real politik est un fait et ceux qui s'en offusquent sont ou des idéalistes un peu idiots ou des menteurs. Ils négligent le fait que la totalité des citoyens ne peut ni ne doit s'identifier à un pouvoir, moins encore à une nation. Encore faudrait-il croire en la nation, ce qui est de moins en moins vrai. L'État, c'est d'abord l'exception, si l'on se penche du côté de Carl Schmitt, ou la violence légitimité si l'on prend l'option Max Weber. Dans tous les cas,  ce n'est jamais propre et ragoûtant.

    Beaucoup ont sur le sujet la même posture que celle qu'ils adoptent avec les forces de l'ordre. Ils en conchient l'existence mais sont les premiers à courir au poste quand on a fracturé leur domicile. Ce n'est qu'une variane du fameux principe nimby (not in my backyard) : pas chez moi, mais chez les autres, tant que vous voudrez. Le cynisme commence là et ceux qui vilipendent l'immoralisme politique sont les mêmes qui s'en vêtent quand il s'agit de leurs petits intérêts.

    En fait, le problème majeur de la real politik n'est pas tant son existence que sa visibilité. C'est là que le bât blesse. Si elle existe, elle doit se faire la plus discrète possible. L'intelligence politique tire pour une part sa force de sa capacité de dissimulation. Sinon vous passez pour un idiot, un salaud ou un fantoche.

    Un exemple.

    Quand la diplomatie française se met en avant pour faire tomber le régime de Bachar Al-Assad en Syrie au nom d'une énième croisade droit-de-l'hommiste, il y a lieu de s'étonner que des candidats djihadistes majeurs (entre 20 et 28 ans) soient arrêtés sur notre sol. Pour quelle raison ? Parce qu'ils vont rejoindre des forces radicales qui veulent la destruction de la démocratie, de l'Occident et l'imposition d'un islam politique sans nuances ? Parce qu'ils vont alimenter un terreau terroriste ? Parce qu'ils vont devenir les futurs prêcheurs d'un radicalisme banlieusard ? On aimerait des éclaircissements sur ce point de la part des autorités. On aimerait plus de cohérence.

    Pourquoi alors, ce qui serait bon pour les Syriens ne le serait pas pour nous ? Pourquoi les rebelles syriens seraient-ils estimables là-bas et inquiétants ici ? Pourquoi, au fond, voulons-nous la fin de Bachar Al-Assad, quand nous nous faisons les carpettes des puissances saoudienne et qatari, lesquelles financent, et tout le monde le sait, les mouvements radicaux de l'islam ?

    Que l'on nous cache des choses est logique, normal. Qu'on ne sache pas nous les cacher est une faute, une erreur politique...

     

    Photo : Jean Gaumy

  • Écouter, répéter, manipuler

    Lorsque vous vous éloignez un peu de la France, sans en prendre la moindre nouvelle, sans ouvrir vos mails, ni lire aucune feuille de chou qui prétend à la grandeur journalistique, et que vous revenez, il est stupéfiant de voir combien la mare s'est agitée : les magouilles des uns, les écoutes des autres, des ententes des troisièmes. Rien de bien neuf, rien de très terrible non plus. Si l'on excepte les naïfs qui voudraient voir la politique comme un territoire honnête et désintéressé (1), il faut reconnaître que le débat sur les manipulations des uns et des autres tourne vite à la querelle des exemples choisis. Ce n'est pas de l'argumentaire mais de la casuistique de jésuites.

    Prenez l'affaire Buisson. On s'offusque des habitudes dictaphoniques de l'homme de confiance sarkozyen. On crie ici à la trahison : les UMP grotesques, là à l'affaire d'état : les socialo-moralistes. Je ne vois pourtant dans cette pratique ni trahison, parce que cela supposerait qu'il y ait eu exploitation de la matière (or, on a visiblement volé celle-ci au dit Buisson), ni affaire d'état, parce que cela supposerait que nous ayons, nous petit peuple, à connaître des histoires lourdes de conséquences, et je n'en crois rien, sinon l'affaire aurait déjà explosé.

    Buisson est peut-être un traître et c'est beau alors d'entendre la Sarkozye s'indigner. Buisson est peut-être quelqu'un qui en sait plus qu'on ne le croit et c'est alors curieux de voir les affidés gouvernementaux s'indigner.

    Mais quoi qu'il en soit, nous sommes loin, je trouve, avec ces discussions de fond de tiroir des pratiques ouvertement crapuleuses d'un Mitterrand qui, pour s'assurer sa réélection, faisait état en direct de ses discussions avec son premier ministre d'alors (2). Quand on a toléré de telles pratiques florentines (tous les moyens sont bons), on ne va pas s'acharner sur un vulgaire conseiller (3).




     

    (1)Ceux-là feraient bien de relire Balzac et Chateaubriand, à tout le moins. Quant à lire La Rochefoucauld, Saint-Simon et le cardinal de Retz, ce serait trop leur demander. Ils apprendraient néanmoins des mémoires classiques ce qu'il y a d'essentiellement retors dans la politique.

    (2)Pour épargner au lecteur la totalité d'un ennuyeux débat, il pourra glisser le curseur sur la douzième minute. Il s'agit de l'affaire Gordji. Pour la petite histoire, on sait que des deux, c'est Mitterrand qui ment.

    (3)Nul ne s'est jamais indigné des Verbatim de l'inutile Attali

     

  • Contrepoint, Miossec

    La rapacité affichée des deux premiers albums de Miossec (les opus suivants, ma foi, on s'en passera, ou presque) n'a jamais autant de vérité qu'aux premiers beaux jours, quand le cirque recommence sur les places et terrasses. Quelque chose qui vous remet les idées en place.

    Il y a à Boire (1995)


    et à Baiser (1997)


  • Possible

     

     

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    J'entends l'humeur gargarisante de la confiture qui cuit, derrière moi, de la véranda où je surveille l'ultime brasier du jardin : mélange de branches dénouées, de feuilles sèches et de coques de noix.

    C'est un beau navire que l'automne.

     

    Photo : Éric Dessert

  • À l'œil nu

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    C'est une sorte de temps idéal, l'illusion qu'il pourrait ne rien arriver, quand la brume, mobilis in mobile, se départage des eaux du lac.

    Elle monte dans la certitude de son inconséquence pendant que le jour s'installe, lui, durablement.

    Moment subtil où elle existe de toute sa disparition prochaine.

    Le soleil perce déjà.

     

    Photo : Minor White

  • Déambulation

    Il y a ceux qui disent n'oublier rien, ne pardonnant rien, et leur mémoire est le sismographe de leur ressentiment. Chaque image resurgie est une plaie et une aspiration à la vengeance.

     

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    Il y a ceux qui n'oublient rien, faisant des nœuds de leurs lacets cassés pour conjurer le fait même qu'ils sont cassés. Le chemin qu'ils empruntent est à la fois à demi parcouru et infiniment ouvert sur ce qu'ils n'attendent pas.

     

    Photo : Jacob Aue Sobol

  • Paco de Lucia

    Il y a fort longtemps, Serge Loupien, chroniqueur musical à Libération (je sais, je sais...), avait ironisé sur la prétention de McLaughlin et di Meola à vouloir rivaliser en trio avec Paco de Lucia (1). Je n'ai jamais été aussi en accord avec Serge Loupien que ce jour-là.

    Paco de Lucia est mort ce jour. La passion, le feu et la grâce. Le plus grand de tous.


     

    (1)Pour s'en convaincre on peut écouter les deux albums  : Friday night in San Francisco et Passion, grace and fire.

  • Quoi que tu filmes...

    L'État des choses est le dernier film de Wenders qu'on ait envie de regarder. C'est plus qu'une envie : une nécessité, un impératif esthétique doublé d'une langueur pleine d'humanité. L'argument scénaristique est mince, d'une certaine manière. Un film en tournage au Portugal, sur la côte, à Cascais. Une histoire de survivants en quête d'un nouveau coin pour vivre. Encore quelques scènes avant que l'imparable n'arrive : il n'y a plus de pellicule, plus de fond. Le film s'arrête au bord de l'océan, dans un dédale hôtelier en déshérence. Chacun n'a plus qu'à passer son temps, entre ennui et désir froissé. Le film est lent, dans un noir et blanc fabuleux que l'on doit à Henri Alekan. On aimerait que le temps s'étire à l'infini et que les heures déliées de toute obstination se multiplient. Mais il faut bien que le film (dans le film) se continue et le réalisateur, Friedrich Munro, parte chercher de quoi rebondir. Il file aux États-Unis pour récupérer l'argent nécessaire auprès de son producteur. 

    On comprend vite que L'État des choses est une œuvre en abyme. Le cinéma est en miroir. Un certain état du cinéma, auquel Wenders tournera bientôt le dos (1). Le personnage principal est surnommé Fritz. On saisit l'allusion et quand il va à Hollywood, c'est l'étoile de Fritz Lang qui apparaît sur un plan. L'État des choses n'est pas un prolongement du Mépris : il en est la forme reconstruite. Quand, dans le premier tout s'achevait presque parodiquement (et Fritz Lang finit L'Odyssée), dans le second, tout s'achève définitivement. Dans le film de Godard, le cynique et imbécile Prokosch était encore un personnage visible et cherchant à paraître ; dans celui de Wenders, la menace économique est invisible. La puissance fait main basse sans montrer son visage.

    Les huit dernières minutes du film sont centrées sur le tour en camping-car que font Fritz et son producteur escroc. Bavardages creux, faux détachement, risibles amitiés. On revient alors au point de départ.

     


     

    Un coup de feu. Un homme s'écroule. Et la caméra au poing, comme un moyen de répondre. Un balayage sans objet, sinon la seule volonté de filmer, coûte que coûte, comme un témoignage. Une sorte de cinéma vérité grotesque, dont meurt évidemment le héros. Alors vient le plan fixe, au ras du sol, l'immobilité de l'objet dans la disparition induite du sujet. La caméra est là. La pellicule, celle qui manquait tant quand il avait des choses à dire, peut se dérouler maintenant qu'aucune main ne la tient.

    C'est une scène spectaculaire, dont les trente ans sans la revoir, n'avait pas altéré la profondeur. Ce qui pouvait passer pour un effet un peu simpliste a pris entre temps une tout autre valeur. De même que la métaphore initiale de Cinecittà dans Le Mépris signifiait la mort prochaine du cinéma (ou du moins d'un certain cinéma), de même cette disparition de l'être et la possibilité de voir l'objet durer infiniment semblent prémonitoire de cette inexorable décomposition du réalisateur au profit des faiseurs techniciens. Fritz Munro pointe sa caméra, son ultime caméra, comme une arme alors même qu'il est désarmé. Il ne pense plus. Il est cyclopéen. Il n'est personne. Réduit à sa fonction scopique, il ne sait où regarder, ne sait que filmer. Il ne voit plus rien. Sa caméra erre. Et on se dit que bien des prétendants au titre de réalisateur, ces trente dernières années, ne valent même pas ce balayage.

    En revoyant ce si beau film, si beau que vous oubliez la suite de Wenders, et vous ne lui en tenez pas rigueur : n'eût-il fait que ce film que vous lui en seriez reconnaissant, en le revoyant, on perce une partie (une partie seulement) du mystère qui, au-delà de la nostalgie, peut nous attacher à des images fortes. Elles sont à la fois souvenir, reste d'une présence jamais effacée, et présage, ce qui nous aide à un peu plus de lucidité, laquelle lucidité se paie, mais cela, c'est une autre histoire.

     

    (1)À moins de considérer le pitoyable Paris Texas comme une réussite. Wenders passe à la couleur et c'est fini. Quand il y reviendra, dans Les Ailes du désir, le charme et la profondeur auront disparu. Ne demeurera que l'exercice de style.

  • Tour d'égout

     

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    Deux âmes délicates se sont indignées par mail privé de ma pique contre Libération dans le billet précédent. Pourquoi tant de haine au fond ? Certes... N'argumentons pas durant des heures. Un exemple suffira.

    Le lecteur en cliquant sur ce lien (Libération) pourra lire le témoignage d'un français parti faire le jihad en Syrie. Ce journal, dont la haine de tout ordre (sauf s'il a des références catholiques) va jusqu'à nous éclairer complaisamment sur ce que sont les blacks blocs, se fait donc la tribune d'un homme qui, parti de Seine-Saint-Denis, parle de sa "nouvelle "famille" d’Al-Qaeda". N'est-ce pas merveilleux ? C'est sans doute la contribution de ce torchon aux fameux printemps arabes.

    Le caractère socio-anthropologique de ce choix n'échappera à personne. Il s'agit de rendre plus compréhensible le droit islamiste à la révolte. On hésite entre la fascination pour la terreur et la complicité idéologique. Évidemment, on imagine sans mal combien les journaleux héritiers de July auraient hurlé si Le Figaro avait à l'époque du déchirement de l'ex-Yougoslavie donner quelques pages pour que s'épanche un soldat de Milosevic ou je ne sais quel Rambo croate...

    Mais tout le monde sait que depuis toujours les gauchistes sont les seuls à distinguer le bien du mal...

     

    Photo : Marco Quinones

  • La loi du nombre

     

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    Parlons franchement. Je n'aime guère le suffrage universel. Savoir que la voix inculte et abrutie vaut autant que la mienne me dérange. Il est assez désagréable d'admettre que les élections se font grâce à/à cause d'idiots qui se décident en fonction de la tête du client, de l'engueulade avec madame (ou monsieur) la veille, et que toute cette tambouille prend sauce dans l'isoloir parce que le couillon a devant lui des bouts de papier et qu'il faut bien en faire quelque chose. La plaisanterie peut plaire un moment. Elle s'avère à long terme désastreuse. Le vote est donc un danger. Pour nous faire comprendre au mieux, prenons quelques exemples.

    En 2005, la France dit non à la Constitution européenne à 55 %. Était-il raisonnable de s'en tenir à ce désaveu ? C'était impossible. D'ailleurs l'intellectuel de Libération (1), son commandant en chef, Serge July résuma la situation, au lendemain du désastre :

    « Ce sont des cris de douleur, de peur, d’angoisse et de colère que l’électorat de gauche a poussés dans les urnes, à l’occasion du référendum, face à la course folle du monde et face à l’incurie des hommes qui nous dirigent depuis plus de deux décennies. Comme en pareil cas, il fallait des leaders d’occasion qui nourrissent ce désarroi national. Les uns ont surenchéri dans la maladresse, les autres dans les mensonges éhontés. A l’arrivée, un désastre général et une épidémie de populisme qui emportent tout sur leur passage, la construction européenne, l’élargissement, les élites, la régulation du libéralisme, le réformisme, l’internationalisme, même la générosité. »

    Que dire de plus, sinon que l'idée un homme, une voix est un non-sens historique et un risque de faillite pour la tempête libérale ?

    Et que l'on ne croie pas que les Français soient les seuls débiles de l'aire européenne. Les Irlandais ne sont pas mieux qui disent non, en 2008. Buveurs invétérés de Guiness, sont-ils aptes à définir un destin politique ? La réponse est, comme on dit, dans la question.

    Dernièrement, les Suisses veulent, par votation (ridicule particularisme linguistique...), limiter l'immigration.

    Dans les trois cas, des cris d'orfraie, des indignations libérales et des récriminations sur des comportements liberticides et irresponsables, au nom d'une réalité économique dont on voudrait qu'elle ne se fonde sur aucune idéologie (puisque, c'est clair, le libéralisme n'est pas une idéologie mais le réel, l'inéluctable de la société !). À Chaque fois, dans le fond, le propos sous-jacent est identifiable : le vote n'est pas un droit ni même un devoir, mais un devoir de voter comme on veut que vous votiez. On peut dire ce que l'on veut, le résultat est identique. Il y a, sur fond de dénonciation populiste, la même haine de la démocratie. Les dirigeants libéraux, médias en tête, vomissent le droit de vote, tout autant que n'importe quel tyran ou que n'importe quel défenseur du régime censitaire. C'est d'ailleurs dans cet état d'esprit qu'ils furent si soucieux de la réussite des juntes militaires d'Amérique du Sud. Ils le vomissent mais jamais, bien sûr, ils ne le diront. Ils veulent l'assentiment du troupeau. Ils caressent la bêtise dans le sens du poil pour autant qu'il n'ait d'âmes révoltées à l'horizon. Ils n'aiment pas les Français, les Irlandais ni les Suisses lorsque ceux-ci n'obéissent pas par voie électorale.

    En fait, ils n'aiment pas plus la démocratie que moi qui écris Je n'aime guère le suffrage universel. La seule différence tient dans l'habillage. La rudesse de mon propos me fera passer pour un fasciste (c'est le terme en vogue, une sorte de passe-partout de la pensée libéro-gauchiste), alors que leur enrobage rhétorique et leur appel à l'Histoire (2) donnent l'apparence de la bienveillance. Ils ont pour eux la structure des partis et le soutien managérial ; ils ont le plan en deux parties de Science-Po et les éléments de langage récupérés des stages de com. Je n'ai face à eux que mes doutes et une certaine écoute des pratiques électorales réelles. Mon affirmation pue la misanthropie (ou le rance : le rance est à la mode chez les ultra-modernes...) ; elle fleure l'élitisme méprisant et la suffisance facile. C'est trop peu pour ne pas passer pour le salaud de service.

    Dont acte.

     

    (1)Dont la mort est annoncée. Champagne... Je ne suis pas de ceux qui disent que la disparition d'un journal est en soi une perte pour la démocratie. La pluralité de l'offre n'est pas la preuve de la pluralité de la pensée. Il suffit de réfléchir à ce qu'est devenue la démocratie sous l'offre pléthorique de la sphère médiatique.

    (2)Sur ce point, la double détente de leur argumentaire récupère avec maestria les morts des tranchées de 14 et les disparus des camps de concentration... Il faut voter libéral par peur que la guerre ne revienne. Comme si elle avait disparu (certes, elle a en partie disparu des aires de prospérité mais quant aux aires d'exploitation... Parlons-en aux africains.).

     

    Photo : Caroline Tabet