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off-shore - Page 48

  • Notule 20

     

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.

     

    La vieillesse est-elle une épreuve ? Nous le saurons bien assez tôt. C'est, de toute manière, un temps commun des hommes et un lieu pas si commun de la littérature

    1-Colette, La Naissance de l'aube, 1928

     

    2-Sándor Márai, Les Braises, 1942

     

    3-Yasunari Kawabata, Le Grondement de la montagne, 1954

     

    4-Claudio Magris, À l'aveugle, 2005

     

    5-Avraham B. Yeshoshua, Rétrospective, 2011

     

  • Miroirs (II) : Gerhard Richter, désembuage

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    Gerhardt Richter, Selbsportrait, 1996

     

    Évidemment on se sent pris au piège. On désirerait passer un doigt ou un chiffon, sur ce qui ressemble à une glace. Il y aurait d'abord une bande (fine s'il s'agit d'un doigt, plus large si l'on est équipé) et le visage apparaîtrait nettement. On saurait à quoi s'en tenir. Et de dire : oui, c'est bien, au moins on va savoir à quoi il ressemble, ce Richter.

    Mais il y a ce glacis, humide, semble-t-il, pellicule qu'on connaît bien, le matin, en hiver, après la douche, quand le chauffage vous abstrait de la pièce, pour n'être plus qu'une ombre.

    Atmosphère moite et frileuse qui attise le besoin de voir, de se revoir, de se retrouver. C'est la vérification rassurante de l'être récuré.

    Tel est le grand paradoxe de cet unique autoportrait de l'artiste. Le jeu du faux dévoilement agace moins par l'afféterie du peintre, qui ferait la coquette, que par l'expérience personnelle du flou hygiénique. L'eau ne lave pas seulement : elle dilue les traits.

    Puis, retour au tableau même.

    On a beau savoir qu'il n'y a rien d'autre que de la peinture sur une toile ; on en voudrait plus. Et, bien que l'on sache que ce sera prendre la proie pour l'ombre, on va voir ailleurs et l'on trouve des photos de Richter. On vérifie (ou l'on découvre, c'est selon), mais rien n'y fait. La magie, à moins qu'il ne faille parler ici de sortilège, de l'œuvre tient dans cette déception définitive par quoi cet autoportrait refusé, dans son unicité même, on n'en oublie pas la lointaine ressemblance.

    Et on y revient, pour lui trouver des similitudes avec ces mauvaises photos de presse ou de caméras de surveillance qui nous informent sur un suspect ou un homme disparu, dont c'est la dernière apparition. 

    Et on trouve à cette peau un peu laiteuse, à cette mise stricte, à ces montures banales, des allures d'Anglais travaillant pour un service du MI 5. 

    Ou, pourquoi pas, un commissaire européen au sortir d'une réunion bruxelloise.

    Ou un banquier.

    Mais pas à un artiste. On ne pense pas à un artiste (sinon au pseudo guindé des grotesques Gilbert et George) parce qu'on a des clichés d'artistes dans la tête et cela ne cadre pas.

    On ne s'en sort plus, puisque, clairement, moins on en sait et plus on brode.

    Le piège.

    Le piège de vouloir, en effet, connaître absolument le visage d'un homme qu'on ne rencontrera jamais, dont les traits ne nous disent rien du travail qu'il a mené, et de s'irriter du refus sans conséquence d'être identifiable.

  • Dernier carré, Genesis...

    L'album Wind and Wuthering. 1976. Il y a ce morceau, le dernier (si l'on excepte les deux instrumentaux qui suivent) auquel Steve Hackett prête son sens mélodique, avant que Genesis réduit à Phil Collins ou presque ne tombe dans la bouillie mainstream d'une pop sans consistance (si tant est que la pop ait quelque consistance...). Blood on the Rooftops...

     

     

  • La modestie

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    Derrière lui, le tableau noir, qui n'avait de noir que le nom car il était vert bouteille, avec en haut à droite, la date, ronds et déliés, et tout le reste de la surface était absolument parfaite, comme si jamais nul n'avait écrit, un tableau hors du temps, une grande étendue, plus large que haut, notre horizon, 

    sur lequel il se détachait, déjà vieux, mais nous étions si jeunes, droit, dans une blouse bleue,

    et nous avions, nous aussi, notre rectangle, noir, d'un bleuté si profond que personne ne le voyait autrement que noir, quoique bleu ardoise -l'ardoise-

    posée sur la table, avec le bout de craie à côté, et les deux mains posées sur la table.

    Chacun avait donc son pan, le sien immense, le nôtre modeste. il était le maître et nous étions les élèves,

    dans le silence de la première heure du matin, alors qu'il faisait à peine jour, et nous attendions que commencent les exercices de calcul mental, pendant lesquels, à un rythme métronomique, il lancerait des chiffres et nous inscririons les nôtres, en espérant être dans le vrai, avant de tout effacer, avec une petite éponge, et de recommencer ;

    il lancerait des chiffres et nous brandirions nos ardoises, vingt-cinq ardoises, vingt-cinq morceaux d'un tableau imaginaire, comme autant de pièces qui, un jour, traceraient leur chemin,

    et ce puzzle éphémère ne couvrait encore qu'une partie de son tableau, notre horizon,

    mais c'était un début...

     

    Photo : Philippe Gronon

  • Plus un bruit...

    Michel Platini demande aux Brésiliens de se calmer. Ni plus, ni moins. Il est vrai qu'à l'allure où la situation se détériore dans ce pays émergent, il risque d'y avoir de gros ennuis pendant la trop indispensable Coupe du Monde. Le gouvernement brésilien a pourtant mis le paquet : 100 000 personnes pour la sécurité (police, militaires,...). Un véritable état de siège qui ne dit pas son nom. Un état policier dans toute sa splendeur, sans que nul n'y trouve à redire, à commencer par l'inutile Vallaud-Belkacem pour qui le Mondial doit être un grand moment de cocorico (comme quoi, le nationalisme, c'est à géométrie variable chez les gauchos. C'est nul quand ils se prennent une branlée électorale ; c'est chouette quand il permet d'aseptiser la crise et d'anesthésier la misère et de cacher l'austérité.).

    Donc, disons-le : les Brésiliens, pas tout bien sûr : les gens des favelas, les pauvres, les déshérités, font chier ! Et Michel Platini le dit, avec les mots qu'il faut, quand on est un dirigeant important. L'essentiel est que tout se passe bien, que tous les matchs soient des réussites, que l'ambiance soit festive, que le retour sur investissement soit à peu près correct. Bref le foot avant tout. Sur ce plan, Platini est dans la logique de ce qu'est le football, et le footballeur, en milieu ultra-libéral.

    Faut-il s'étonner du cynisme de l'ami Platoche (un gars sympa, non ?) ? Que nenni ! Rappelons, images à l'appui, qu'il fut l'homme qui tira, un soir de 1985, au Heysel, le penalty vainqueur d'une finale de coupe des Champions (ce n'était pas encore la Champion's League), alors qu'on venait à peine de retirer les cadavres des tribunes (39 morts, 600 blessés). Sa joie et ses justifications sont à vomir. Ce soir-là, c'est lui qui ne s'était pas calmé...


     

  • Pièces détachées

     

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    Il est des lieux où l'on ne revient pas quoiqu'un répertoire de la vie assure le contraire. Et comment nierais-tu, ce que les traces informatiques, réservations, paiements, retraits, arriveraient à poser comme une évidence ?

    Mais que signifie revenir, contempler des façades vieillissantes, sourire aux vitrines dépassées, arpenter les descentes vers le fleuve et les ascensions vers les églises, là où tu croyais qu'une part de toi s'était ancrée, quand ce toi-même avait abandonné, et tu ne le savais pas encore, dans les rues pluvieuses et les troquets d'étrangers drôles dont les babils se neutralisaient,

    son manteau, sa carcasse et son désarroi,

    tout ce viatique que, comme souvent chez les hommes, tu ne voulais pas loin de toi.

    Les lieux ne sont pas les albums de nos chagrins. Ils sont plus forts, plus détachés de nous et c'est notre orgueil qui voudrait le contraire.

    Porto est sous le soleil, le pont Luis ferraille au-dessus du Douro. Vent frais et grâce alentie des marcheurs.

    Aurais-tu compris sans ces deux jours de mars, imprévus, que ce qui demeure ici, et que tu croyais douloureux et vivace, n'était qu'un vestiaire de faux papiers ?

    Le bonheur est vif, soudain, sensible,

    et sur les quais du Douro, en aval, une boule de brume s'est formée, mystérieusement, et qui stagne, pendant que l'un de vous sirote un or gras de chez Kopke et se dit avoir été impressionné par l'enceinte du Dragon...

    *

    Tu avais un vieux téléphone sur lequel étaient emprisonnées quelques vues -trois ou quatre- de Porto

    et ce téléphone, tu l'as perdu dans les rues d'une autre ville, très lointaine.

    Alors, comme un signe -un présage- il n'est plus rien resté que tes yeux à venir -une intériorité-

    sans jamais essayer de compenser.

    Pas un instant tu n'as voulu retrouver l'œil derrière la machine.

    Le pont Luis traversé, le Douro abyssal, il y a ces images perdues, dans un caniveau ou mille fois écrasées par les roues du trafic incessant.

    *

    Peine engrangée dont tu fais ton sucre.

    Drain de toutes tes humeurs nourries : le sol, la lumière claquant contre une vitre, le granit de la Sé, les étais incertains de  Bolhão, l'écume française du quotidien qui fait relâche, une pose au Majestic, une autre au Guarani.

    et les promenades sédimentaires en suture.

     

    Photo : X

  • À titre conservatoire

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    Un peu de ces choses, et de ces êtres dans les choses, qui restent figées, comme inséparables d'eux. Non pas comme les tableaux accrochés aux murs, dont on a hérité, ou les gravures, qui font genre, mais cette machine à coudre Singer avec ses arabesques dorées, sur laquelle elle a cousu vos premières robes de petite-fille ; à moins que ce ne soit le moulin à café, en bois, avec son tiroir, et le bruit : d'abord une accroche lourde pour vos mains menues, jusqu'à la fin, quand il tournait à vide. Ce serait, aussi, peut-être, dans la cave de la maison de campagne, l'escabeau : taille des arbres et récoltes des fruits, dont les serrages sont rouillés, maintenant que du jardin il ne reste plus qu'un gazon serré, lisse, muet.

     

     

    Photo : Marc Gourmelon

  • Citoyen (adjectif qualificatif)

    Le citoyen est la grande victoire révolutionnaire, l'accession prétendue à la majorité politique du sujet mineur dont l'Ancien Régime usait pour faire la distinction entre les hommes.

    Dans son usage classique de substantif, citoyen induit une globalité de droits, une détermination homogène et continue dont l'établissement fut long et qui trouve en quelque sorte son accomplissement dans un vote individuel également distribué.

    Ce n'est pourtant pas de cela qu'il sera question, mais de la lente mutation du substantif en forme adjectivale, que l'on peut décliner de toutes les manières possibles : engagement citoyen, parole citoyenne, manifestation citoyenne, débat citoyen, solidarité citoyenne, voire consommation citoyenne ou entreprise citoyenne. Ainsi présenté, on pourrait croire que l'esprit politique a gagné toutes les sphères de la société et qu'une conscience unanime ferait des idéaux révolutionnaires le point central des actions de chacun.

    Le fait citoyen est désormais partout, c'est-à-dire nulle part. En transférant ce qui est le propre et durable (le citoyen) vers le transitoire (un acte citoyen, par exemple), on est passé de ce qui était un déterminé déterminant à une qualité molle, passe-partout, dont se sont emparées, entre autres, les enseignes commerciales (d'Atoll à Super U), qui voudraient nous faire croire qu'elles sont des philanthropes sui generis. Or, cette évolution est un leurre : il ne peut y avoir de citoyenneté que pleine et entière, dans un exercice radical et éminemment politique. Faire le tri sélectif, n'en déplaise aux écolos, ce n'est pas citoyen. Il n'y a pas de tri citoyen. Pas plus qu'il n'y a de consommation citoyenne (à moins de penser que le pseudo nationalisme de Montebourg soit l'essence du politique). 

    Tout cet habillage sémantique n'est pas anodin. Ce ravalement est là pour masquer le désastre. Il correspond étrangement au démembrement progressif, depuis trente ans, des capacités du citoyen à agir vraiment sur les choix majeurs. C'est, suprême ironie, le coup d'état permanent d'un pouvoir méprisant. La réduction du citoyen à la forme adjectivale traduit en fait le long travail de com' mené par les institutions mondiales et européennes pour ramener notre plaisir d'agir à des ersatz de pensée, qui ne toucheront jamais l'essentiel.

    Comme on a bouclé le système, il fallait bien amuser le quidam, lui donner un os à ronger, le responsabiliser et lui faire croire que tous nous étions responsables (autre beau détournement). Entreprise de culpabilité auquel l'idiot croit pouvoir échapper en dînant une fois l'an avec ses voisins (convivialité citoyenne), nettoyer le chemin du GR 32 (écologie citoyenne), et boycotter les trop chimiques et sucrées fraises Tagada (hygiène citoyenne). 

    La citoyenneté est ainsi émiettée. Elle n'est plus qu'un puzzle d'attitudes, une série de réflexes comportementaux, un effet d'annonce et un spectacle. Le citoyen est devenu un leurre et l'accumulation infinie des recours possibles dans le domaine des libertés individuelles est un leurre. L'essentiel a été confisqué et les trente dernières années de l'histoire politique ne sont rien moins qu'une descente aux enfers de l'espoir démocratique. 

     

  • Comme un signe

     

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    Il n'y avait pas grand chose à dire, rien à ajouter. Il fallait attendre que le prochain bus passe, en bordure du grand pré, à la pointe du chemin. Il viendrait ce samedi. Restaient donc trois jours. Trois jours de silence, pendant lesquelles les tâches du quotidien tiendraient lieu de cache-misère. Gauler les noix, faire la chasse aux herbes folles dans le carré des topinambours et de la catalonia. Le pain suffirait jusqu'à ce qu'elle s'en aille. Parce qu'ils avaient décidé qu'elle s'en irait la première. Il lui avait demandé ce qu'elle voulait. Elle venait de se laver les cheveux. L'eau rigolait encore sur ses épaules et son tee-shirt. En d'autres temps, ses seins l'auraient retenu de prendre les gants et de sortir tronçonner du bois, mais elle emmaillota sa tignasse brune et magique dans une serviette à carreaux et répondit, presque sans qu'il l'entende, qu'elle prendrait le chemin du retour avant lui.

    Dans la chambre, la sienne seule désormais, puisqu'il dormait en bas, il avait dû entrer pour chercher l'aspirateur. Ses vêtements étaient éparpillés. Il aurait pu en prendre un, être un voleur.

    Depuis lors, et même s'il aurait juré le contraire, son œil furetait, comme s'il avait voulu accumuler toutes les images possibles de ces jours égrenés en pensant au grondement du bus qu'ils entendraient venir du fond de la vallée, grondement amené à grossir dans les lacets de la route étroite, montée progressive de l'adieu, chant du départ où se mélangeraient à cette heure  matinale la fadeur de la brume et l'acidité du gasoil.

    Il fredonnait. Géométrisant dans le désordre.

    Il finirait le frigo, bouclerait les volets, remiserait les clefs sous la grosse pierre et Jean-Jacques viendrait les récupérer pour veiller, à intervalles réguliers, sur la maison qui ne la verrait plus.

    Tout semblait égal à ce qu'ils avaient vécu. Il faisait encore très beau. Le soleil auréolait leurs carcasses. Elle pavanait pieds nus autour de la demeure, en tenue légère et ses boucles d'oreilles, de grands anneaux d'argent, lui donnaient des airs de sud-américaine. Le soir prenait ses quartiers. Elle ne disait vraiment plus rien, mangeait en souriant à demi, lui coupait le fromage sec en petits carrés, sans qu'il ait rien demandé, et pour le dernier ragoût elle trempa franchement son pain dans la sauce, but un grand verre d'eau, lui souhaita bonne nuit avant de s'engloutir dans le néant de l'escalier.

    Il prit un pull, colla son dos contre le muret du jardin et chercha la casserole de la Grande Ourse. Lui qui mettait habituellement si longtemps, la trouva tout de suite.

     

    Photo : Bernard Plossu

     

     

  • Appel à la résistance (II)

    Laissons les gommeux socialistes régler leurs affaires de cirage de pompes à l'Hôtel Marigny, petites magouilles qui occupent le champ médiatique se gavant de queues de cerises.

    Écoutons plutôt Frédéric Lordon qui revient sur le massacre de l'euro et surtout, surtout : l'horreur de la perte de souveraineté, la confiscation organisée du droit des individus à contester la politique ultra-libérale.

    Frédéric Lordon est la preuve flagrante qu'on peut être critique sur un système qui nous ruine et nous avilit sans être taxé de populisme (même si, bien sûr, on vient le bassiner avec le FN et le nuisible Bernard Guetta use de la montre pour pouvoir se faire le larbin des doctrinaires ultra-libéraux qui dirigent aujourd'hui l'Europe)