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mélancolie - Page 2

  • Marquage au sol

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    Ainsi vue, la place où j'aurais pu vivre (car je ne faisais qu'y passer, furtif et pourtant apesanti sur son architecture) eût été, de la fenêtre provisoire d'où je la contemplais, un cadran de marbre sale, des satellites immobiles, lumineux, opalescents, quand plus personne ne s'arrête, la nuit, et des torsions métalliques grâce auxquelles on voudrait voir survivre une harmonie passée (un charme presque XIXe bien dérisoire, pourtant), si l'esprit toutetois se refuse à considérer dans le début de l'éclairage au gaz, comme dans la légèreté de Crystal Palace, l'évanouissement d'un certain mystère.


    Photo : Florentine Wüest

  • Jungle gardenia (II)

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    Le trouble de la recollection est la recollection même. Conserver, c'est déjà avoir perdu, parce qu'il en est ainsi ; grave erreur que de croire semblables la perte et l'abandon. Le temps fait des auréoles et des halos. Il y a simplement l'accession à la liberté atmosphérique de ce que nous pensions être nôtre

    Les tiroirs sont là pour l'anecdotique et tes poches doivent suffire pour les clés du lieu où tu habites

    Ils (ou elles) sont toujours là où tu ne les attends pas, puisque tu ne les attends plus

     

     

     

    Photo : Michael Kenna


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  • Jungle gardenia

    mélancolie, souvenir,

    Un jour, tu as pensé (à peine une fraction de seconde) que peut-être tu perdrais le murmure si doux de son embrassade. Alors, ton corps t'a comme cinglé d'une douleur fulgurante au plexus pour te rappeler à ce que tu te dois, à ce que tu lui dois, même réduit aux runes de la mémoire...


     Photo : X


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  • Mûrir

     

    Est-il jamais allé, Ponge, comme vous, selon les bontés du temps, aux derniers jours d'août, ou début septembre, au recueil des mûres ?

    Il en a fait de beaux encriers, de ces fruits, buissons typographiques, taches où il pointe sa plume de tous les mots décomposés. C'est la beauté spectrale du cheminement sémantique et tu aimerais le savourer, mais il y aurait à te délester des heures répétées à leur faire la chasse, à ces notes inégales sur la portée des ronces dont tu faisais ta manne, dans le sac plastique, gonflant trésor d'où tu dérobais, de ci de là, quelques pépites qui te salissaient les mains. Sa gourmandise ne peut être masquée : la mûre vous dénonce de son identité d'empreinte sanguine...

    Les plus orgueilleuses se tenaient en hauteur, un peu loin du fossé, comme derrière un grillage. Les oiseaux leur feraient la fête, disais-tu.

    Chacun se faisait honneur de revenir chargé, d'être une mule.

    Il fallait les trier, voir, quand les contributions successives s'étalaient dans la bassine, s'il n'y avait pas quelque intrus, une pourriture subreptice. Tu apercevais alors des perles encore rouges, d'acidité immature. Il t'arrivait d'en manger une ou deux pendant la marche. Elles te faisaient grimacer. Puis c'était l'heure du chaudron d'émail jaune, aux deux oreilles enchiffonnées pour qu'on ne se brûlât pas. Et les fruits abandonnaient leur existence aux borborygmes de la cuisson. On pensait au quotidien d'un volcan, islandais ou indonésien, inoffensif pourtant.

    Mais ce qui, par dessus tout, te fascinait allait venir. Elle avait tapissé la grande passoire d'un linge de coton fin. Elle en avait pour le jour cinq ou six, qu'elle jetterait ensuite. Elle versait deux ou trois louches, refermait le linge comme une bourse ancienne, le serrait, le tordait. Le sang, noir ou violacé presque, selon la clarté de la pièce, pissait dans la grande jatte, fuyait doucement. Puis elle recommençait, et son honneur était là : qu'on ne trouvât jamais le moindre grain croquant sous la dent, petit gravier qui aurait dénaturé la gelée.

    Quand, ainsi, elle avait fait la provision des bonheurs d'hiver, pots datés qui ne pouvaient guère être de garde tant nous aimions ce reliquat d'acidité après le sucre qu'ils contenaient, nous pouvions repartir sur les chemins et nos cueillettes s'arrêtaient aux nécessités d'une tarte, d'un saladier de fromage blanc, d'une rigolade entre copains et, parfois, d'une délicatesse simple pour le sourire d'une fille. On ne prenait pas alors de la graine à raison, comme l'écrit Ponge : on sortait juste de l'enfance sans le savoir...


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  • Prendre date


     

    proust,littérature,du côté de chez swann


    "Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant" (Proust, Du côté de chez Swann)


                          Photo : Vincent Coutard



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  • Toujours, quelque part...

     

    L'intimité, on ne sait pas ce que c'est, peut-être. L'intimité de soi qui vient d'ailleurs, s'entend. Pas celle que l'on tisse de nos affections pensées, construites, même dans le tâtonnement du temps qui coule. Celle, plutôt, qui vous désarme de découvrir sans comprendre, qu'il y avait cette histoire en vous, dont vous n'auriez pas imaginé la présence. Parce qu'il y a bien là un grand mystère : cette intimité avec laquelle nous ne vivons pas vraiment, contraire à celle de notre quant-à-soi, dans sa quotidienne légèreté, sa prévisible articulation. Ces mots sentis, à peine, en correspondance avec le fil conducteur qui nous sert à y voir clair, à voir en nous, comme si nous étions toujours capables d'être à l'écoute. Non, pas cette intimité dans laquelle nous aimons nous réfugier. Plutôt celle qui vient d'autrui, qui frappe à la porte de notre ventre, de nos yeux, de notre cœur, de nos sorties de rêves, parce que c'est une partie de nous-même. De par le monde, ainsi, des voix, des visages, des regards, fort peu, évidemment, pour nous interpeller, sans même parfois qu'il ou elle le sache ; interpellation filandreuse, écheveau de toutes les inconsciences perdues, et qui doivent être tues, pour que nous nous reposions dans cette autre intimité, celle dont nous signons le reste de notre existence...


                                    photo : Sabrina Biancuzzi, "Le crissement du temps", n°16



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  • De la magie qu'on a en soi...

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    Qu'une part de ce qui est au devant de nous, comme une succession  infinie de tableaux, le monde en une série de plans qui mènent au loin, très loin, que cela puisse se suspendre en nous, flotter ; que notre histoire soit, hors la continuité du temps s'écoulant, des ilôts parcimonieux de réalité, parce qu'il faut exister autrement, ailleurs, aussi... quelle étrangeté...

    Et nous les emmenons dans notre course, comme autant de territoires  off-shore où nous nous réfugions, parfois sciemment, parfois au détour d'un indice qui vient frapper ou le cœur ou l'esprit.

    Il n'y a que puzzle en nous, pièces rapportées des heures vécues, des journées qui nous ont semblé informelles, alors qu'elles faisaient empreintes. Mais un puzzle qui n'a pas de consistance, dont les morceaux ne sont jamais que des objets incertains et mobiles, les restes d'un temps plus ou moins ancien qu'on aurait posés sur notre mer intérieure, ou dans les cieux (ou ce qui en fait office), restes qu'on ne reconnaît pas toujours et pour lesquels, de même que devant une photo qui ne nous dit rien, nous donnons une légende aléatoire. Et cet aléatoire, un jour nous trouble, parce que nous sommes habités du sentiment profond qu'il est insatisfaisant, un autre jour nous contente, parce que nous savons que l'imaginaire que nous y mettons est plus précieux que l'objet même.


                                        Photo : Steve Crisp/Reuters





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  • (presque) un anniversaire

     

    10 mai 1981,mitterrand,hollande,mélancolie,politique

    Ainsi dura le souvenir précieux de l'élection de Mitterrand, en 1981, dont le profil informatique, apparaissant à l'écran fut, pour moi,  pendant longtemps, l'émotion télévisée la plus forte, la plus bouleversante, même au tamis de la désillusion et de la trahison, émotion d'un 10 mai se perpétuant toutes ces annés, puis s'effondrant, par je ne sais quel enchantement, pour laisser la place à ce matin du lendemain, alors qu'il pleuvait fort, et que sous le préau, les lycéens que nous étions, silencieux et ravis d'une victoire qui ne nous appartenait pas vraiment mais que nous faisions nôtre, essayaient de comprendre ce qui changeait vraiment, sceptiques ou incrédules, je ne puis le dire, heureux encore d'être de gauche, y voyant une signification qui allait progressivement se perdre, ce matin du 11 mai, toujours intacte cependant, 11 mai resté dès lors l'anniversaire d'un événement quittant son éclat institutionnel et nationalement collectif pour n'être plus qu'un souvenir personnel autour de personnes laissées depuis sur le bord de la route, sans regrets, sans larmes, sans amertume, parce que c'est la vie, parce qu'il existe des choses impossibles, parce que certaines sensations, certains sentiments se (re)vivent seul, de toute manière, se poursuivent dans l'intervalle du quotidien, comme l'inégalité du pavé vénitien, et qu'il n'est peut-être pas plus grande valeur pour certains moments que de ne pouvoir plus jamais en parler...

     

  • Traversé...

     

                                    Alighiero e Boetti, Mettere il mondo al mondo, 1972-1973. (collection privée)

     

    Écrire avec, pour, contre, sans, malgré les autres...

    Ce qui, parfois, oriente, comme une boussole dont nous ne savons même pas si elle donne fixe cap, ou si, par l'enchantement d'un fait nouveau, elle nous relance au monde (à moins que, parfois, celui-ci ne nous en retire, avec brutalité), ce n'est pas tant le destinataire, ou le sujet, que l'inclinaison, intellectuelle ou affective (et l'on parlerait alors d'inclination). Avec, pour, contre... : il est absurde de croire que des mots comme les prépositions (ou les adverbes), dont on dit qu'ils sont secondaires, au regard des verbes et des substantifs, ne cristallisent pas en nous des points névralgiques, des décisions imprenables (comme on dit d'un château), absurde de croire que quand nous mettons le monde au monde, comme le fait écrire Alighiero e Boetti, nous soyons nous-même, plutôt qu'une accumulation des autres, une conflagration de  vitesses et d'endroits dont nous ne soupçonnions pas l'existence (et que nous voyons s'éloigner, en débris insondables)... Cet artiste italien déléguait l'exécution d'une partie de ses œuvres à des mains anonymes, soit une manière à la fois dérisoire et provocante de rappeler qu'il ne faut jamais être dupe de soi. Ce n'était pas qu'il se vautrât dans le poncif du "tout le monde est artiste" (à la Beuys) mais il replaçait ainsi l'acte (quelle que soit sa valeur) en élément parmi d'autres.

    Voilà qui, éventuellement, ferait de l'écriture, moins une ligne de conduite, qu'une décharge (à la fois de l'électricité et un lieu où l'on (se) jette aux ordures), une finalité sans fin(s), un passage, un murmure que nous mettons au monde...

     

  • Jour de colère

    mélancolie,colère,silence

     

    Ta colère ne s'humilie pas de s'ouvrir à qui tu voues cette colère. Ainsi se métamorphose-t-elle en devenir. Cicatrice partagée entre l'un qui la porte et l'autre qui ne l'oubliera jamais. Chemin secret qui donne une nuance plus prononcée à vos yeux, quand vous vous regardez désormais.


                                                      Photo : Rodney Graham, Welsh Oak #1, 1998