usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

photographie - Page 4

  • À la frontière

    Il avait ouvert l'un des panneaux de la grande baie vitrée qui donnait sur la terrasse en surplomb de la mer. Il contemplait les sacs éventrés du ciel, gris intense. Il n'était pas nuit mais illusoire de croire encore à la lumière vraie et rassurante. La pluie, très forte, faisait bruit de tempête alors même qu'il y avait à peine pointe de vent. Son esprit fut traversé par l'image de la pierre-ponce, puis plus rien, pendant longtemps. À regarder la pluie. Indéfiniment

    jusqu'à ce que son visage réapparût.

    Il en était ainsi depuis quatre jours, quatre longs jours, amenant à confondre les heures, suspendre son jugement, d'être ainsi enfermé, ou presque, à soi-même, seul qu'il était. Mais nul déchaînement à verse ne réduirait la salinité de l'océan

    de même que toutes les histoires advenues et à venir ne ferait disparaître son visage.

    Il en était ainsi, qu'il revînt, œil et lèvres, entre ses lèvres à lui, tremblantes comme le linge à dépendre (mais trop tard, trempés...) dehors, œil, sourcils, arête du nez, et la salinité de la mer, que rien ne réduirait, jamais rassasiée de l'eau douce qui n'avait pas le temps de flaquer, d'onduler en surface, la salinité fixant pour toujours la mesure des choses,

    comme les sels argentiques de la mémoire, à toute heure, faisaient paraître ses cheveux drus et mouillés, encadrant son visage.

     

  • Une photographie de Proust

    Proust avait une manie. Lorsqu'il rencontrait une personne avec laquelle il voulait se lier durablement, ou dont il sentait qu'elle aurait une place nécessaire dans son existence, il lui demandait une photographie. Cette habitude lui permettait aussi d'utiliser, de croiser, de déformer des détails réels dans l'œuvre romanesque qui a fait de lui le plus grand écrivain de notre langue.

    Ce cliché est pour l'heure le dernier connu de Proust vivant. Il n'a pas encore le visage creusé et la barbe noire des photographies prises sur son lit de mort. Il n'a plus ce visage délicat, un peu efféminé qu'aura immortalisé le tableau de Jacques-Émile Blanche. Il a l'allure d'un bourgeois satisfaisait début-de-siècle. Rien que de très banal. Il pose. Petite raideur, accentuée par la légère contre-plongée. Ce n'est pas une photo pour la gloire. Elle n'aurait qu'un intérêt relatif, si elle n'était la dernière d'un Proust contemplant le monde. Mais le regard nous échappe : le trois-quart face nous prive de l'acuité des pupilles. Il est lointain, comme dans une échappée où nous n'aurons droit qu'à la trace du sillage. Quoiqu'écrire ainsi revient à donner à la photographie un supplément de sens induit par ce que nous savons du modèle. Privé que nous sommes (du moins le suis-je...) de motivations du photographe et de Proust lui-même, nous brodons, et nous pourrons ainsi penser chaque détail de la matière argentique pour nous raconter une histoire : pasticher l'auteur, en quelque sorte, et ce serait d'un grand ridicule.

    Disons plutôt que ce cliché ne nous émeut pas, tant il rappelle le caractère insondable du corps, du visage si nous les mettons en regard à la page blanche. Y a-t-il un air artiste, une gueule d'écrivain, une silhouette créatrice, comme l'époque contemporaine essaie tellement de nous le faire croire ? Que désormais les écrivains, entre autres, soient des visages est peut-être un des signes les plus marquants de la faillite de la littérature, sa compromission avec les lois du marché. Après avoir, selon la précieuse définition bourdieusienne du champ, déterminé son créneau, pour faire son trou, l'écrivain a concédé que son corps (non pas son cerveau ou sa main, qui tenait la plume) pouvait être un argument de vente. J'ai déjà écrit, à propos de Baudelaire, ce que je pensais de la posture comme forme d'apparition inaugurée par le plus ténébreux (dit-on) des poètes (1). Au moins, quand je regarde les photos de Proust, et jusqu'à cette ultime (encore impensée comme telle et qui, peut-être, un jour, sera remplacée par une autre), je n'y trouve pas cette même dérive (peut-être parce que sa gloire est, quoi qu'on en dise, posthume).

    Il pourra sembler singulier, voire inutile, de souligner que l'objet de ce billet vaut d'abord pour son insignifiance, pour le silence qu'il impose devant la puissance de la littérature. Encore une fois, regarder Proust, l'homme, celui qui, dans une certaine mesure, nous est indifférent ; et  il est plutôt curieux de se demander, en vain, ce que lui-même aurait pu retirer (et le verbe est très mal choisi) de ce cliché, de cette recherche d'une dignité un peu froide, comme d'une protection ou d'un regret de ne jamais être un homme à particule. Proust serait alors, ce que n'est pas le narrateur, aussi caustique puisse être parfois son esprit quand il examine le monde, un masque, un avatar ultime de ses infinies (quoique...) transformations. Regarder cette photographie et penser à la peinture de Blanche fait ressurgir, dans la différence amère que signe le temps passé, un épisode de La Recherche et  ramène le lecteur à la si fameuse soirée pendant laquelle Marcel (en admettant que le narrateur...) reconnaît à grand peine ceux qui firent et traversèrent son existence. Ce ne sont pas des photographies par quoi il accède à la grande loi du temps, à des signes extérieurs, des indices, mais une expérience immédiate de la disparition du passé paradoxalement encore présent. Devant un tel désastre lui reste l'écriture. Cela doit nous inciter à la défiance face au déluge d'images de l'époque contemporaine : il y avait dans l'esprit de Proust une lucidité surprenante à vouloir subvertir la photographie, les traces qu'elle laisse, pour en tirer une quintessence qui s'achevait dans les mots.  

    (1)Laquelle posture a été érigée en principe majeur par l'universitaire Jérôme Meizoz sans que ses propos ne soient très décisifs au regard de la pensée bourdieusienne.

  • 12-Combler l'artiste...

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

     

    n8.jpg

    Faisons-nous partie de l'œuvre ? Et si je ne veux pas ? Sommes-nous les figurants de la crevasse ? Et dois-je regarder ? Enjamber ? Et si je venais combler la faille ? Si je me mettais, moi aussi, à contester le monde, le cadre, et l'artiste en premier lieu, que je disais à Doris (même si elle n'est pas là, à Londres) : j'empiète sur ton territoire ? À manquer de respect pour ce qui est l'institution ? Et mettre des agrafes à l'œuvre insuturée ? La combler, c'est-à-dire la remplir de tout mon désir, puisqu'aujourd'hui l'intime est dans chaque montage, performance, happening, installation ? Je viendrais avec une brouette, une grande pelle, et la bonne terre d'un réel abandonné. Les gens me regarderaient, croyant que je suis l'artiste qui vient réparer quelque chose, ou un assistant de Doris (puisque celle-ci est une femme). Il faudrait un temps pour que l'on alerte ce qu'il y a d'autorité de cette boîte d'attrape-couillons. Elle (l'autorité) viendrait avec toute la force possible pour protéger la contestation officielle. Je n'offrirais aucune résistance, ne ferais aucun geste qui puisse inciter à un tir en rafale. Je ne dirais pas : je suis un artiste, mais un blagueur, solitaire, avec un dictionnaire tout à moi...


    Photo : Tate Gallery. Œuvre au sol de Doris Salcedo.

    Texte "À l'aveugle" : Salle des pas perdus

     

  • 11-Monumental

     

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

     

    n1(2).jpg

    Le cortège funéraire va passer. L'hommage à la sœur du roi sera alors accompli mais il ne siéra pas que nous partions aussitôt, que nous fissions comme le sable gorgé d'eau qui absorbe aussitôt nos empreintes. Ce serait lui manquer de respect. Il faudra que nous attendions les ordres pour, sans ostentation, dans un silence mesuré, reprendre la banalité de nos vies. Le chef et son éternelle impassibilité sauront mettre fin à l'après de la cérémonie, tandis que moi, qui voudrais tant lui ressembler, je me perds déjà, un instant, avec discrétion ; et mon esprit scelle son ennui dans le tombeau d'un regard jeté au sol.

     

    Photo : Scouts thaïs attendant le cortège funéraire de la sœur du roi décédée un an auparavant.

    Texte "À l'aveugle" : Manu militari

     

  • 10-Qui sait ?

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

     

    n7.JPG

                                        (Pour Marc, Élodie et Alice)

     

    Puis il est parti, vers l'ouest, de l'autre côté du Bosphore, ce morceau d'Istanbul où je n'avais pas souvenir que nous fussions alors jamais allés (à l'époque où nous avions croisé le photographe et nous étions jeunes, Nemet et moi).

    Il est parti, comme tant d'autres. Il a pris le ferry. Le vacarme s'est allégé. Il en était toujours ainsi. L'endroit fonctionne comme une pompe. Mon frère m'a demandé si je savais d'où il venait. Comment aurais-je pu ? La gare brasse le monde sans exiger la carte de chacun. Certain qu'il n'était pas d'ici : teint blanc, cheveux gris. Je ne savais pas. Nemet avait les yeux dans le vague.

    Nous aimions tant, lui et moi, observer le trafic, en attendant que notre père finisse son service. Marouan, qui prenait le roulement suivant, nous amenait parfois, et pendant une demi-heure nous mettions le nez à la vie. J'aimais les visages et c'était la première fois qu'on nous prenait ici en photo. Il nous a remarqués. Nous avons souri. Il a compris. Puis il est parti.

    Mon frère fixait l'espace, croyant, peut-être, que l'étranger reviendrait sur ses pas, retraverserait la mer, pour nous saluer d'un geste plus marqué encore, et définitif. Se souviendra-t-il de nous ? Parce que moi je ferai tout pour ne pas l'oublier.

    Qui sait, si Nemet n'avait pas ainsi parlé, ce qu'il en serait advenu de lui, de cet inconnu. Il serait tombé dans la fosse des jours. Mais les yeux fermés, aussitôt, j'ai éprouvé à la fois sa présence et les prémices de sa relégation mémorielle. Il ne fallait pas se faire d'illusion.

    J'ai regardé Nemet. Il doit être de Manchester. Il avait un écusson sur son tee-shirt. Tu es sûr ? a dit mon frère. C'est loin ? Je lui montrerais dans un atlas à la maison. Il s'est remis à fixer l'attente. Plus loin que la Grèce. Oui.

    Les années ont passé et de tous ceux qui ont dans nos vies traversé les dix suivantes, jusqu'à ce jour, il est un des rares qui demeurent. Nous en parlons avec un air maintenant amusé. Il est le mancunien dont les traits se sont malgré tout estompés, le lointain qui n'est pas plus anglais que moi (je n'ai rien dit à Nemet de mon mensonge), mais que nous avons nourri d'une existence hypothétique. Il a un prénom. Nemet me demande parfois s'il en fait de même avec nous, si dans les moments où il passe en revue tous les clichés qu'il a pris il s'arrête sur nous, s'interroge sur le temps écoulé : la fin de notre enfance, l'adolescence en partie consommée, à Nemet et à moi, tout cela mangé comme un pull en laine ; s'il s'arrête sur nous, photo peut-être jaunie, aux couleurs délavées.

    Nemet dit parfois qu'il aimerait aller à Manchester et s'en remettre au hasard de le croiser, de le reconnaître et de lui serrer la main. À moins, ajoute-t-il, qu'il ne revienne à Istanbul. Et quand il y réfléchit un peu plus longuement, mon frère se demande comment faire pour qu'il sache où nous habitons aujourd'hui, à Galatasaray, Minali Beyoglu 454, Istanbul.


     


    Photo :  Gare de Heiderpasa, Istanbul (côté asiatique)        

    Texte "À l'aveugle" : Passage à l'âme

     

  • 9-Le Serpent

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

    n5(2).jpg

    Ainsi est-ce difficile à croire, quand la rue cairote est un grand parloir à ciel ouvert, une glossolalie de tous les négoces, palabres et invectives, bouillantes salives qui mettent de l'huile sur le feu des instants, babil de fritures et condiments, à midi, parler, manger, tout un, ainsi difficile de les imaginer, comme tétanisés, en uniforme, atomes isolés dans leur pause ; mais abattus, je sais, qu'un des leurs ait été retrouvé, dans une ruelle adjacente, il y a trois jours, égorgé, et que nul témoignage ne leur donne espoir d'un coupable quelconque ; Le Caire, où tout devrait se savoir, complote avec les assassins. Hier encore, en colère et agglutinés, ils avaient une âme d'essaim furieux ; je les voyais dans leur animosité bravache ; aujourd'hui, mouches de peu, je voudrais les écraser un à un et lire la peur urticante dans les yeux de celui qui sera ma dernière victime.

     

    Photo : Un balcon à Garden-City, quartier du Caire. La fumée à droite vient d'un étal préparant de la bouillie aux fèves distribuée, ici, aux policiers  de rue, tous les matins vers 9 heures.
    Texte "À l'aveugle" : Approches...

  • 8-Samedi après-midi, au MP3

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

    n11.jpg

    ... encore un coup...



     

    ...Fernando et Jaime ne viendront pas. Ils sont partis voir Rafael à Valence. Pour trois jours. J'aurais bien voulu venir mais je suis à court. Plus un centime. J'ai téléphoné à Firmin et Angelica parce que sérieusement je ne me vois pas ramer quatre heures ici, et c'est pourtant ici qu'on est le mieux, ou le moins mal, à glander, oui, glander bien sûr, mais au frais de l'air conditionné, dans les boutiques, quand on sent le souffle qui vous transit, et même si on raconte qu'il y a des risques dans les écarts de température ; vrai d'ailleurs : le frère de Jaime a attrapé une pneumonie à Madrid l'été dernier en travaillant dans l'approvisionnement frigorifique, il a failli y passer, mais ici on a de la marge, juste une clim ; il fait frais, juste frais, quand dehors, on crève de chaud, presque la mort, quarante et plus, l'été à Séville, si bien que même assis sur un banc, à l'ombre de la Giralda, tu crèves, à vouloir boire sans cesse du granizado de limon, parce qu'à en boire trop, c'est chaud-froid, et les intestins qui prennent, ce qui fait qu'on n'a pas le choix, quand on ne veut pas rester à la maison, le père, la mère, les deux frangines, insupportables, il reste la galerie marchande, l'ancienne gare transformée en galerie marchande, une ancienne gare, là où on pouvait traîner, déjà, avant, comme toutes les cloches qui traînent autour des gares, j'en ai vu, de toutes les gares, un nid à cloches, pour une pièce ou une cigarette, et moi, un peu pareil en somme, des fois à taxer une clope, sauf que, évidemment, je ne suis pas une cloche, et je ne veux pas, seulement un gars qui attend Firmin et Angelica, en espérant qu'ils viennent, pour faire le tour des magasins, et ne rien acheter mais faire semblant de pouvoir, quoique les vendeurs, pas idiots, et traîner, encore, des fois qu'il y aurait une jolie nana, un peu comme Nati, déjà six mois, Nati, même si alors, une fille, j'ai besoin de fric pour qu'on aille ailleurs, hors d'ici, je veux dire, parce qu'ailleurs ne peut pas être si loin d'ici, à la galerie marchande, qu'on n'y revienne pas de tout l'été pour s'y embrasser, appuyés à la rambarde, et c'est pour ça que Nati est partie, quand elle a compris que je n'avais pas les moyens, les moyens, et pourtant elle disait que ce n'était pas grave, mais pour moi, grave, une embrouille, mon orgueil, elle est avec un autre, je les ai croisés, devant chez Suarez, éclairage bleu et orange au coin de mon œil gauche, j'y pense souvent, à Nati, surtout quand je suis avec Firmin et Angelica, qui se sont rencontrés là, devant chez SuperStarzzz, sur une affaire de chemises à carreaux, elle avait un petit boulot, en clair : il a emballé la vendeuse, et l'affaire fonctionne, et moi je traîne, comme chaque samedi après-midi, avec pour la énième fois pas le choix : ou tu regardes en marchant lentement, lentement, les fringues, les pochettes CD, le packaging des jeux vidéos, les gens buvant une bière fraîche ; ou tu t'appuies contre la rambarde et tu espères qu'une fille passera, jeune, jolie, douce, mais ça arrive une fois l'an, et parfois l'histoire dure, comme Firmin et Angelica qui n'arrivent toujours pas, ce qui n'est pas plus mal, en fait, parce qu'ils vont à peine regarder les vitrines, à peine me parler surtout, et s'embrasser à longueur de temps, pendant que je serai là, à tenir la chandelle, sans qu'on ait grand chose à se dire, et tout compte fait, autant se tenir contre la rambarde, ne rien faire, penser à la chaleur dure de Séville, se convaincre qu'on est bien, là, mieux qu'ailleurs, prendre l'habitude, garder l'habitude d'attendre, prier que Firmin me téléphone pour dire non, attendre, et croire : ce n'est que pour un temps. Et je remets du son,





    pour que ça passe, pour que tout passe...

     Photo : Séville, une ancienne gare transformée en galerie marchande
    Texte "À l'aveugle" : La Rambarde

     

  • 7-Furtif et persistant

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.


    n2.JPG

    Elle est là, sarong éployé en mystère, comme ailée, dans le jour, phare-phalène auquel s'accroche ton coeur passant, à la descente du bus. Tu fais courte halte mais tu la vois aussitôt. Elle est du lieu, d'ici, implantée, laotienne, tu le sais ; pourtant rêveuse rencontre de toutes les enfances du monde.

    Photo :   Au sud du Laos, sur le plateau des Bolovens
    Texte "À l'aveugle" : Simple

  • 6-A la lutte

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

    n3.JPG

    Une foule, tu ne peux pas la suivre, si tu veux la regarder et, qui sait ?, la comprendre. Il faut que tu te places face à elle, que tu la laisses venir à toi, que tu sois, toi, à contre-courant. Ce qui ne signifie nullement que tu ne puisses pas être solidaire de sa parole, y être sensible, mais comme un arbre prêt à être bousculé par elle, bouleversé et, potentiel de la lutte, emporté. Pour voir -entr'apercevoir plutôt- ces visages qui cheminent contre toi (sans que tu sois l'objet de la vindicte, bien sûr, mais seulement le pilier circonstanciel qui avère, fragile et incertain), il faut que tu acceptes d'être, étrangement, un frein, un obstacle, une interrogation (que fait-il ici ? Vient-il nous épier, comme si nous étions des bêtes indisciplinées et hagardes ?). Ce n'est rien moins qu'un acte de partage qui te laissera peut-être exsangue, mais dont il reste la force, là, sur la pellicule, quand eux et toi ne serez plus à l'endroit où vous vous êtes rencontrés, que la rue sera vide, et que les chars et les véhicules de l'ordre quadrilleront ce que ton objectif a dérobé au silence d'après.

    Photo : Camp de réfugiés palestiniens dans la banlieue de Bagdad, en 2003.
    Texte "À l'aveugle" : Versatilité


  • Comme une star

     

    Dominique Strauss-Kahn

     

    Le cliché est beau, réussi, travaillé. Le portrait, en plongée, est serré et le visage semble sortir de l'obscurité environnante comme pour une révélation. Les traits sont sérieux et le regard maîtrisé. Les yeux sombres nous saisissent, en mélangeant la certitude d'une pensée profonde et le charme de celui qui a envie de nous conquérir. On connaît cet homme ; on l'a vu mainte fois et l'on sait qu'il n'a pas pour lui d'être beau, mais là, à le regarder, dans l'emprise du noir et blanc, on oublie ce détail. On lui trouverait même un air de Leonard Bernstein ou de John Cassavetes. Mais il n'est pas acteur, pas comédien. Il est homme politique. Et ce fait nous ramène à ce qui a pu le pousser vers cette sensibilité artiste, à faire dans le Harcourt contemporain. On pense alors à Barthes, et l'on identifie alors l'une des mythologies modernes les plus désastreuses : la confusion des genres.