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pouvoir - Page 2

  • Valls ou la régression infantile

    Les esprits comptables qui voient dans les frasques berlinoises de Manuel Valls une énième preuve de la fracture, voire de la rupture, entre les élites et le peuple, et un énième épisode des libertés budgétaires de ceux qui nous demandent de la rigueur, ces esprits-là n'ont pas tort, évidemment, mais ils manquent ce supplément de consternation propre à cette échappée germano-footballistique.

    D'une certaine manière, j'eusse,à titre personnel, préféré que le sieur en question se fît la belle pour rejoindre sa maîtresse à Lisbonne ou à Palerme. Je n'y aurais vu qu'une liberté adulte dans un emploi du temps étouffant, nonobstant les considérations financières bien sûr. Ce n'était pas plus justifié sur le plan politique que ce qui va nous occuper mais, pour le moins, on aurait le sentiment d'être gouverné par quelqu'un qui, au delà de la fonction, cherche à trouver dans son hyper-activité un moment pour souffler. En l'espèce, nous sommes loin du compte et c'est l'arrière-plan symbolique qui, dans le fond, est choquant, et cela, à deux niveaux.

    Valls s'en va du congrès de son parti (1) pour aller voir un match. Un match phare de la saison, certes, mais qui vaut surtout pour lui, parce que l'une des équipes, le FC Barcelone, est le club de son enfance. Plus encore, le club de ses origines. Ce n'est pas seulement la référence à un quelconque attachement sportif (2) mais la revendication d'un lien que le premier ministre ne veut en aucune façon couper (ce qui peut sur le plan humain se comprendre), et cela, en passant outre le cheminement de sa propre histoire qui l'a fait devenir, et par sa volonté, français en 1982. Cet acte est en somme le premier signe de la régression. En quittant la France pour l'Allemagne, c'est-à-dire en abandonnant sa situation politique hexagonale (premier ministre au cœur d'un débat important concernant le parti au pouvoir), Vals fait un autre trajet qui le ramène en Catalogne, à cette Espagne des origines dont il possède encore la nationalité. La faute de jugement, ou ce que lui-même veut présenter désormais comme telle, n'en est pas une. Bien au contraire. Cet acte est le signe en creux de ce qu'il est : un narcissique infantile dont le désir d'être passe outre toutes les considérations proprement politiques. Il ne faut pas s'y méprendre. Réduire ce voyage au bon plaisir du puissant est une erreur. Ces quelques heures berlinoises dévoilent le politique sous son angle le plus fulgurant : un jeu d'enfant où, le pouvoir réel n'existant plus, le bonheur se trouve dans l'accomplissement de ses rêves d'enfantVals n'est pas allé à Berlin pour voir un match de football ; il y est allé pour joindre son désir profond (et passé) à sa puissance présente.

    Certains s'étonnent, notamment dans l'entourage présidentiel, qu'il ait pu commettre une telle erreur. Raisonnement doublement ridicule. D'abord parce qu'en matière d'infantilisme, Hollande n'a de leçon à donner à personne. Ses amours en scooter, comme un adolescent qui passerait par la fenêtre pour retrouver son premier flirt, sont du même tonneau. Ensuite, parce que la lucidité politique est de facto oblitérée par le pouvoir politique, quand celui-ci se met au service d'un désir aussi fervent. Il ne pouvait pas faire autrement. L'écœurement vient de là, dans ce que cette impossibilité à résister souligne de déréliction au niveau du pouvoir. L'immaturité soudain au vu et au su de tous. Cette hispanité régressive de Vals est bien pire que le passe-droit financier sur lequel on met l'accent. Bien pire, en effet : il est premier ministre du gouvernement français, et comme tel, il se devrait à une certaine réserve. Que dans sa salle à manger, il revêt le maillot blaugranes, grand bien lui fasse ; qu'il file à l'étranger pour changer symboliquement de passeport, voilà qui est bien plus gênant. Et de se demander si, dans l'affaire, la marche consciente vers le pouvoir ne se double pas d'une autre, inconsciente, pour ne jamais abandonner l'origine. Le quidam s'interroge alors : qu'en aurait-il été, au profond ministériel, si la finale avait opposé le FC Barcelone au PSG ? Nul doute qu'on aurait sorti la langue de bois sur la beauté du sport, le meilleur qui gagne, l'importance du beau jeu, etc., etc., etc..

    Cette observation eût été discutable s'il n'y avait pas eu une deuxième articulation dans la régression, et celle-là plus imparable encore. Vals, dans son retour au bercail, a emmené ses fils. On passera sur la parade qui ne résout rien : ils adorent le foot. On s'en fiche. On mettra de côté le coût tant la grandeur de cette République exemplaire est une foutaise. Que reste-t-il alors de si terrible ? Rien moins qu'un père (mais l'air du temps et le psychologisme qui règne dirait : un papa (3)) qui se fait plaisir, fait plaisir à ses garçons, et concrétisant sans aucun doute une promesse, leur montre ce qu'il est capable de faire en faisant le détour par d'où il vient. Cet aller-retour met totalement de côté le caractère public de la représentation politique. Il n'est qu'une histoire privée, une histoire de mecs, de démonstration masculine, par quoi le pouvoir, c'est en avoir, s'en servir au delà de ce qui est admissible. Berlin, pour Vals et ses fils, tient à la fois du pèlerinage (le passé catalan) et de la négation (du présent français). Ce qu'il vient regarder est indissociable du pouvoir qu'il a de donner à regarder. On imagine le souvenir inoubliable pour la progéniture, où se mêlent le goût de la victoire, l'union familiale et l'étalage du pouvoir paternel, comme aux temps très anciens où nous croyions que notre père était capable de tout et qu'il nous protégerait de tout.

    Valls, dans cet épisode qui risque de lui coller à la peau, est dans la monstration et la démonstration. Il est dans le plein désir, et pour ce faire, confond ce qu'il est, comme adulte, avec ce qu'il a été, comme enfant. Et ces enfants, sans qu'il s'en rende compte peut-être, sont le miroir nécessaire à sa volonté de jouissance sans fin. Pas la peine d'être grand clerc pour se dire que le retour à Poitiers a dû le consterner, parce qu'il s'agissait de revenir vers ce pour quoi il a été choisi alors même qu'il venait d'en nier la réalité. Ce n'est pas très rassurant quant à l'avenir...

    Mais l'avenir commun, Valls n'en a cure. On sait désormais qu'il est capable de tout pour satisfaire son désir et nous ignorer. Les Grecs appelaient cela l'hybris. La démesure... Mais les Grecs, comme les Latins, sont des inutiles. Et Valls en sait quelque chose, lui qui soutient la réforme de Valaud-Belkacem...

     

     

    (1)Preuve s'il en est du peu de considération qu'il faut avoir pour ce parti. Pas la peine de jouer la mauvaise foi, ces idiots donnent les arguments pour qu'on puisse en conscience les mépriser.

    (2)Et nous connaissons tous untel qui aime Paris, Marseille, Munich ou la Fiorentina, sans être ni parisien, ni marseillais, ni munichois, ni florentin. C'est un attachement sportif, dont on peut sourire, mais qui n'est pas fondé sur l'attachement au sol, que par ailleurs beaucoup condamnent, notamment ches les socialistes.

    (3)"Le papa", "la maman" : symptôme de l'époque, dans la bouche des psychologues miteux, des enseignants débiles, des journalistes qui cherchent à émouvoir, et des politiques qui veulent être proches...

     

  • Anti-républicain

    Souvenez-vous... C'était il y a dix ans. Le non à la constitution ultra-libéral des collabos gaucho-centro-verts gagnait avec près de 55 % des voix. En vain.

    Parce que cette même alliance déconfite passait outre et, en congrès, c'est-à-dire en catimini, selon des procédures de république bananière, s'arrogeait de s'asseoir sur ce que nous avions choisi.

    Le débat sur le droit ou non des sarko-traîtres de s'appeler  Républicains m'indiffère et l'acharnement de ses opposants à vouloir lutter contre cette confiscation (ou hégémonie, c'est selon) me fait doucement rire. Je ne suis pas républicain, plus républicain parce que je ne mange pas avec le diable, même avec une grande cuillère. Je conchie la république, purement et simplement. Et tout le battage qui est fait par ses sous-traitants, de droite comme de gauche, de Mélenchon à Juppé, des socio-démocrates aux frondeurs roses (1) est d'un ridicule consommé.

    On comprend fort bien que depuis 2005 toute cette engeance fait du mot "république" son sésame pour dire qui est bon et qui est mauvais. Il s'agit à la fois de masquer le vide démocratique qui la constitue et de mettre au ban ceux et celles qui en contestent ou en dénient la valeur. Être anti-républicain, c'est être fasciste (et pire encore, sans doute, selon l'achèvement de toute discussion au point de Godwin). Il n'y a pas à revenir sur le sujet.

    Et pourtant si ! Je suis anti-républicain puisque cette république depuis dix ans est un coup d'État effectif, un vol démocratique qui a ouvert à cette magnifique prospérité-sécurité-fraternité qu'on nous avait vendue comme un miracle constitutionnel. Être anti-républicain, c'est revendiquer le droit d'exister politiquement et ne pas s'en remettre au temps pour dire que ce qui est passé est passé. On me dira qu'il faut savoir faire avec, aller au delà. Certes, cela pourrait s'envisager si cette même république, cette même claque bouffonne ne remettait sur le tapis le passé de mon pays, sur un mode culpabilisant, dans une langue que l'on doit policer à l'extrême sous peine de procès. Alors, si d'aucuns ont le droit de remonter aux calendes grecques pour demander des comptes à mon pays, il n'est pas interdit de vouloir en demander à ceux qui, toujours en place, nous ont politiquement bafoués.

    Le vote piétiné, le droit de ne rien dire (ou presque) : on aurait compris qu'en d'autres époques cela suffisait pour être anti-fasciste. Être anti-républicain, c'est être un anti-fasciste actuel. Ni plus ni moins. Cela n'a rien à voir avec une quelconque filiation avec l'extrême-droite ou des partis dits radicaux. La question du vote n'a rien à voir avec la présente situation. Le problème tient à ce qu'on ne peut accepter pour du droit ce qui est éthiquement condamnable. Ils n'ont que le droit qu'ils ont su manipuler. Nous avons la légitimité, légitimité suspendue par un procédé inique (mais prévu).

    La souveraineté, disait il y a plus de vingt ans Philippe Séguin, ne se discute pas, ne s'affaiblit pas. Elle est, ou elle n'est pas. Mon anti-républicanisme vient de cette rupture brutale que représente le vote en Congrès, en 2007, du traité de Lisbonne. Et ils y étaient tous, ces gras et gros, ces ventripotents, ces omnipotents qui battent la campagne en nous faisant croire qu'ils s'écharpent, qu'ils se détestent, que la gauche et la droite, ce n'est pas la même chose.

    Mais l'Histoire prouve le contraire, et sans doute cela justifie-t-il que l'on travaille à l'amnésie populaire...

    (1)Lesquels sont les exemples caricaturaux de cette république qu'on veut nous vendre. Rien dans le ventre, rien dans la tête. Mais un art savant de se faire mousser et de jouer à "retenez-moi ou je fais un malheur", art grotesque à quoi se réduit la démocratie formelle de ce monde-là... Les sieurs Paul ou Guedj sont, d'une certaine façon, pires que Valls. Ce sont des faussaires moraux.

     

  • L'impitoyable liberté de la lecture

    "Un jour, j'ai lu un livre, et toute ma vie en a été changée. Dès les premières pages, j'éprouvai si fortement la puissance du livre que je sentis mon corps écarté de ma chaise et de la table devant laquelle j'étais assis. Pourtant, tout en ayant l'impression que mon corps s'éloignait de moi, tout mon être demeurait plus que jamais assis sur ma chaise, devant ma table, et le livre manifestait tout son pouvoir non seulement sur mon âme, mais sur tout ce qui faisait mon identité. Une influence tellement forte que je crus que la lumière qui se dégageait des pages me sautait au visage : son éclat aveuglait toute mon intelligence, mais en même temps, la rendait plus étincelante. Je crus que, grâce à cette lumière, je me referais moi-même, que je quitterais les chemins battus. Je devinai les ombres d'une vie que j'avais encore à connaître et à adopter. J'étais assis devant ma table ; dans un coin de ma tête, je savais que j'étais assis là, je tournais les pages et toute ma vie changeait alors que je lisais des mots nouveaux, des pages nouvelles ; je me sentais si peu préparé pour tout ce qui allait arriver, si désarmé qu'au bout d'un moment j'en détournai les yeux, comme pour me protéger de la force qui jaillissait des pages. Je remarquai alors avec terreur que le monde autour de moi était entièrement transformé et je fus envahi par un sentiment de solitude inconnu jusque-là. A croire que je me retrouvais tout seul, dans un pays dont j'ignorais la langue, les coutumes et la géographie."

    Cette édifiante page d'Orhan Pamuk, tirée de La Vie nouvelle, est bien plus qu'un plaidoyer pour la lecture. Elle donne la mesure de ce qui, en elle et par elle, est irréductible au monde fonctionnel, pratique et fermé auquel une idéologie technicienne et rentabiliste veut nous assujettir. La solitude évoquée par l'écrivain turc est effectivement l'insoutenable liberté prise par le lecteur devant l'agitation du monde. Plus qu'une porte de sortie, une ligne de fuite, ou une ouverture, c'est un droit au retrait, le non possumus devant l'inclusion forcée à être du grand cirque contemporain. 

    Dans le fond, le lecteur est le pire ennemi de la vie présente (laquelle est d'abord absente, puisqu'elle veut supprimer le socle de la présence à soi-même). Il est le résistant par excellence. Non pas du fait d'une quelconque puissance idéologique de la littérature, ce que le vernis gaucho-marxiste appelle son engagement. Rien de plus morte que la littérature engagée... Mais parce que la lecture est l'expérience de l'individu sans l'individualisation, c'est l'histoire de soi sans le narcissisme. Je lis : je ne pense pas à moi, dans l'intérêt de mon souci nombriliste. Je lis : je suis loin, ne devant plus rien qu'à l'histoire à laquelle je me voue, qu'à la pensée que j'écoute et à ses articulations. Vous pouvez être là, à quelques encablures mais la distance est d'un autre ordre. La lecture ne me libère pas. Elle me soustrait. Et cette opération, depuis longtemps insupportable aux régimes totalitaires, l'est devenue tout autant des régimes dits démocratiques. Les premiers brûlaient les livres. Les seconds veulent en faire une simple manne financière, d'où la médiocrité contemporaine. Et pour que cette médiocrité progresse, ils détruisent la langue, et la langue si belle de la plus haute littérature devient incompréhensible, élitiste, obsolète, que sais-je encore. On avait modernisé Montaigne. Une misère. Désormais on étend la littérature de gare, celle qui peut se lire sans que vous ne soyez un être oublieux de ce qui l'entoure, qui n'en feriez qu'un décor futile et grotesque, on étend cette littérature à tout, des collèges (et sa fameuse littérature de jeunesse) aux épanchements des stars, dans des pseudo émissions faites pour vendre des bouquins

    Le lecteur, d'une certaine manière, est l'ennemi suprême de la démocratie ultra-libérale et du progressisme de gauche esclave du marché. Il est le barbare ultime pour le pouvoir parce qu'il a en lui la haine intime du pouvoir intrusif qui aujourd'hui se met en place. Il n'est pas l'inutile, il est le danger. Non pas à la manière dont l'exécrable Voltaire le voyait, lui qui est un des piliers de notre proche disparition, mais selon le principe fatal que le pire ennemi n'est pas celui qui vous hait mais celui qui n'a pas besoin de vous...

     

  • La fin d'une escroquerie

    Najat Vallaud Belkacem n'est pas grand chose mais cela ne l'empêche pas d'être un signe. Un symptôme même ; celui d'un bouleversement radical des équilibres de la pensée en France. La réforme qui doit porter son nom (1) est odieuse et dangereuse. Elle consacre l'allégeance de la gauche à une volonté destructrice de la civilisation judéo-chrétienne dont le terreau se trouve dans les grandeurs antiques. il s'agit avant tout de récrire le passé ; c'est un révisionnisme historique funeste activé par une haine de soi, une haine de la nation (2), une indexation de la pensée sur le paradigme mondialiste, et l'exaltation de la culpabilité post-coloniale réinvestie dans l'islamo-gauchisme.

    C'est pour tout cela que Vallaud Belkacem est un symptôme. En moquant les "pseudo intellectuels", elle ne s'est pas seulement ridiculisée. Elle va au delà. Qu'une poupée à la langue de bois caricaturale vienne décréter qui pense et qui ne pense pas, qui a le droit de parler et qui a le devoir de se taire, quand il s'agit, par exemple, d'un esprit aussi brillant que Marc Fumaroli, c'est à se tordre de rire (quoique non : le sujet est trop grave). La vanité n'est pas qu'une dérision ; elle est parfois une arme pour pouvoir masquer sa vacuité. Vallaud Belkacem est, sur ce point, infinie ; elle caquette sans se rendre compte de ce qu'elle dévoile.

    Il aura donc fallu attendre, pour moi, un demi siècle avant d'entendre une ministre de gauche (3) se lancer dans un discours anti-intellectuel, dans les ornières de ce que l'on disait réservé, il y a encore peu, à la bêtise fascisante et au réductionnisme frontiste. La gauche s'était en partie (pour ne pas dire exclusivement) construite sur la revendication intellectuelle face au simplisme et au pragmatisme étroit d'une "pensée" de droite (4) sclérosée, passéiste et conservatrice. Et lorsqu'elle combattait pour ses idées, elle brandissait haut et fort ses prétentions en matière d'analyse et de pensée. En attaquant ses détracteurs sous l'appellation de  "pseudo intellectuels", c'est-à-dire en définissant comme tels des penseurs reconnus et qui, pour beaucoup, ne cherchent pas à se faire une place au soleil du tout venant médiatique, Vallaud Belkacem dévoile le retournement profond qu'a engagé la gauche de gouvernement quand elle a cédé aux sirènes de l'économie ultra-libérale. Elle ne s'est pas simplement convertie au marché ; elle n'a pas seulement renoncé à une analyse critique du monde ; elle s'est engagée à un éloge de la bêtise, à un combat contre la pensée.

    On comprend mieux le désert intellectuel de la réflexion à gauche. Mitterrand était un opportuniste et sa progéniture des thuriféraires encastés dans la haute administration. Hollande, Valls, Vallaud Belkacem n'ont jamais rien pensé ; ce sont des gratte-papier gouvernementaux, des ronds-de-cuir balzaciens (ou flaubertiens...), des sous-fifres incultes. Et ceux qui les soutiennent ne valent pas mieux. La migration progressive d'intellectuels de gauche vers la réaction (pour parler socialiste...) est irréductible à une réification de ces individus, l'âge aidant, dans une nostalgie pesante. Tout est déjà écrit dans la volonté de nivellement intellectuel qui résume les quarante dernières années françaises. En attaquant des intellectuels comme espèce, en dépit du sérieux de ce qu'ils sont, en usant des mêmes moyens rhétoriques qu'un Jean-Marie Le Pen, la ministre met à jour ce populisme de gauche dont on veut taire l'ignominie culturelle.

    La coquille se vide pourtant. Au désastre pédagogiste des ratés à la Meyrieu a succédé l'allégement criminel des savoirs fondamentaux au profit d'un "savoir-être", et autres psychologismes de comptoir (5). Vient désormais le temps où la pensée contradictoire, le droit kantien de dire non, en somme, tourne au délit (6). Le procès fait à des intellectuels a eu beaucoup de succès au XXe siècle, de Staline à Pinochet, en passant par Castro, Mao ou les oligarchies islamiques. Nous n'irons pas jusqu'à écrire que Vallaud Belkacem leur emboîte le pas. Remarquons pourtant que son approximation dans l'attaque emprunte des chemins hasardeux.

    Néanmoins, cette saillie absurde et radicale n'est pas le fruit du hasard. Elle résulte d'une évolution qui mène ce qu'on appelle la gauche de gouvernement à sa disparition comme force contestataire. Pour simplifier (et le mot est faible) : si la droite avait les valeurs du passé et s'accrochait à l'histoire, à la filiation, à l'héritage (7), la gauche œuvrait pour la réforme, le progrès, l'égalité, soit : le futur. Encore fallait-il que le futur ne soit pas un abaissement aux règles pures du marché. Et les intellectuels servaient, quand la gauche faisait semblant de résister, à cette imposture, dans la division des figures symboliques. Maintenant que l'affaire est entendue, qu'il n'y a plus qu'un "marché de droit divin", pour reprendre le titre de Thomas Frank, une Macron-économie en perspective, les masques tombent. La défense du prolétariat est aux oubliettes, la notion de classe une vieille lune, tout l'arsenal d'une pensée contestataire a pris la poussière. Seul compte l'impact médiatique ; seul demeure la raison opérationnelle pour un monde ouvert absolument et donc nécessairement idiot.

    Le consommateur nouvelle formule est l'ennemi de la pensée. Il est dans le compulsif, dans la confusion de ses désirs. Le grec, le latin, l'histoire chrétienne hexagonale sont autant de freins à cette émancipation décervelée. Vallaud Belkacem définit en fait l'avenir d'un pays en conformité avec les nouvelles lois du marché fou. N'être rien d'autre qu'un vaste hypermarché. Dès lors, l'intellectuel est un ennemi qu'il faut circonscrire à un espace factice et artificiel. Tous les coups sont permis, toutes les audaces verbales aussi. L'insulte de Vallaud Belkacem à l'intelligence n'en est que le début d'un processus inévitable.

    Mais il faut aussi considérer la situation sous un autre angle : celui d'une possible reconquête par les mouvements dits réactionnaires d'un espace intellectuel à même de réorienter le politique. Le terrorisme sartrien et post sartrien est miné. Ceux qui, jusqu'alors, se sentaient une certaine culpabilité d'être de droite (mais qu'est-ce qu'être de droite ?), souverainistes, nationalistes, chrétiens, anti-européens (8), n'ont plus de raison de se sentir en état d'infériorité. Si l'aura des figures d'après-guerre dont la réalité était fondée sur une mystification historique autour d'une résistance contre le nazisme confisquée à leur seule gloire, si les délires soixante-huitards ont pu dévoyer la pensée française jusqu'au procès perpétuel de ce que nous étions (9), il n'est pas impossible de redresser la barre. Vallaud Belkacem et les idéologues de Terra Nova n'ont pas d'envergure. En revanche, et le travail est à ce niveau, ils ont choisi dans leur fuite en avant le coup d'État permanent et un radicalisme dans l'action précipitée. Ils veulent aller vite pour que le  point de non-retour soit atteint.

    La bêtise n'est jamais aussi dangereuse que dans ses formes désespérées, parce qu'elle se sent une toute puissance assassine. La ministre de l'Éducation veut soumettre la réalité en dépit de la pensée réactive qui l'agite. D'une certaine manière, elle concentre le politique à sa part opérationnelle, quand cette part opérationnelle, immédiate, amnésique, uniformisante, refuse la durée, concrétion, l'histoire. Vallaud Belkacem est une anti-intellectuelle de gauche, à l'ascendance islamo-gauchiste, ce qui est la pire des figures. À l'escroquerie morale s'adjoint le rêve de la tabula rasa. 

    La gauche a déserté la pensée politique en se convertissant au rêve libéral. Elle use de l'État non plus comme un levier pour réduire les écarts ou adoucir la violence. Elle en fait l'instrument d'une délocalisation du sujet pour qu'il ne soit plus qu'un migrant potentiel et perpétuel du vaste marché. Pour ce faire, tous les moyens sont bons : jouer Debbouze (connu, démago, vain, minoritaire visible) contre Fumaroli (discret, réfléchi, affreusement classique). Si la catastrophe arrive, les idiots qui ferment les yeux ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas...

     

     (1)Prouvant au passage que le désastre politique n'a rien à voir avec la sexuation de celui/celle qui en est l'agent. La politique au féminin n'est pas mieux que la politique au masculin. Certains diraient sans doute que c'est pire. Laissons ce genre d'appréciation de côté. Ce serait du machisme aussi ridicule que le féminisme qui nous a amenés là.

    (2)Laquelle nation ne peut être qu'une entité honnie dans sa constitution exclusive (par nature) quand on est ministre et qu'on a une double nationalité. Imagine-t-on un ministre de la défense ou un chef de la diplomatie franco-américain, ou franco-russe ?

    (3)Je sais ce qu'il y a de grotesque dans une telle formulation mais il faut faire avec les caricatures et la doxa de ses opposants.

    (4)Plutôt tort avec Sartre que raison avec Aron ...

    (5)Et le profit est la clé de tout. Il s'agit bien de créer un système efficace pour le maximiser. L'école de Chicago est une doctrine qui excède de loin le champ économique.

    (6)Une preuve supplémentaire ? Valls qui joue les gros bras devant Emmanuel Todd (qui, par ailleurs, est très approximatif dans son analyse. On l'a connu plus pertinent).

    (7)Tout ce que les gauchos au pouvoir disent honnir et attaquer, avec selon les cas, une certaine hypocrisie. S'ils mettent la filiation sur le marché (avec le mariage gay), ils font semblant de s'en prendre à l'héritage (avec le cache-misère de l'ISF).

    (8)Entendons par anti-européens : ceux qui ne veulent pas du salmigondis libéral dans lequel se reconnaissent la gauche de gouvernement, le centrisme de droite et les verts de salon...

    (9)En ce sens, pas de différence fondamentale entre Deleuze et BHL, sinon dans l'imprégnation médiatique et son traitement. Pour une littérature mineure est le pendant de L'Ideologie française. Mais il n'est pas indifférent que si  Aron fracassa le roi du brushing et du col ouvert, il se tint coi devant l'illuminé de Nanterre. 

     

  • Personnel politique (groupe nominal)

    Puisque l'affaire ne s'improvise plus, en considération de la complexité du monde, la politique s'est professionnalisée et nous avons désormais un personnel politique, à plein temps.

    Oui, un personnel politique, comme nous avons du personnel de maison. Certes les émoluments, les avantages et les places ne sont pas de même nature. Ils ne sont pas des bonnes et des valets. Ils ne se voient pas comme tels. Ils ont une fort belle opinion d'eux-mêmes, à la fois faiseur de lois et au dessus des lois. Et leurs mensonges, leur couardise et leur art de manger à tous les rateliers les désignent surtout comme des laquais et des hommes de main de l'ordre libéral, bref : petit personnel servile et qui oublie toujours que "au le plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul" (Montaigne)...

     

  • Philippe Séguin, résistant

    De la ratification du traité de Maastricht, il reste, pour ce qui concerne la France, la grandeur politique de Philippe Séguin. Il explique d'une manière imparable le détournement de droit que fut cette ratification. Plus encore, il esquissa avec précision, devant l'Assemblée Nationale, le devenir d'une Europe mortifère, laquelle avait comme fondement l'effacement des nations et la spoliation politique des citoyens. Ceux qui votèrent oui et qui persistent doivent assumer ce coup d'état et arrêter de se retrancher derrière les errements d'une bureaucratie qu'ils ont eux-mêmes cautionnée, ceux qui découvrent aujourd'hui l'horreur avec un air de naïveté, quand ils ont plus de quarante ans, sont consternants. La vidéo qui suit montre avec éclat qu'on ne pouvait pas ignorer...

    En réécoutant, plus de vingt ans après, le dernier homme politique français digne de ce nom, on mesure la multiplicité des effondrements : médiocrité des gouvernants (écoutons la langue et le phrasé de Séguin et comparons au sabir a-syntaxique des Hollande ou des Copé), fatuité des élites, mépris du peuple, soumission aux seuls intérêts économiques (masqués), négation de l'histoire de l'Europe et des européens. Séguin a déjà tout dit. Il a tout dit parce qu'il pense au-delà de lui-même. Ce n'est ni une posture ni une attitude bravache. Il analyse avec lucidité ce que conditionne le traité de Maastricht : l'assujettissement des peuples, le dessaisissement des prérogatives démocratiques au profit des lobbies, la transformation ultime du politique en théâtre d'ombres.

    Ce que Philippe Séguin avait compris, c'est qu'un pays qui renonce à sa monnaie, à son territoire, à sa loi, à ses frontières est un pays occupé. La France est un pays occupé, occupé par l'hydre bruxellois libéral dont le véritable dessein est d'assujettir le vieux continent (comme disait Dominique de Villepin) aux intérêts américains et mondialistes...


  • Front républicain (groupe nominal)

     

    Il y a quelques années, sur Off-shore, à propos de Ni putes ni soumises, je rappelai qu'une des façons de se discréditer tenait au fait qu'en matière sémantique il est toujours dangereux de prendre ou reprendre les mots de l'adversaire. Nous en avons la preuve en ces temps électoraux.

    Laissons de côté le cours historique, qui remonte à la fin du XIXe, du concept de front républicain, car ce serait biaisé la lecture actuelle, parce que seule l'acception contemporaine de l'expression parle à ceux qui en sont les destinataires : le corps électoral. En fait, selon un principe structuraliste facile à comprendre, un sens peut certes se donner intrinsèquement (la définition classique) mais aussi selon une articulation dans un espace culturel et politique déterminé. Pour ce qui nous occupe : une définition intrinsèque posera front républicain comme une stratégie politique des partis de gouvernement visant à contrer un parti d'extrême-droite. Or, ce n'est pas suffisant pour pouvoir en discuter, et la pertinence, comme stratégie, et la connotation, parce que cette expression n'est pas neutre.

    Revenons-en aux mots. Le front républicain est un leitmotiv de la gauche pour contrer le Front National. Voilà qu'apparaît le premier problème. Ce « concept » qui induit la distinction radicale de l'éventail politique avec le FN en reprend pour partie la même terminologie. Front contre Front. On aurait pu imaginer d'autres mots : digue, barrage, rempart... Sans doute est-ce pour dramatiser l'enjeu. Le front, c'est la bataille, la lutte, l'urgence et la mobilisation. On mène la guerre au FN. Il faut que tout le monde comprenne : les âmes diverses du pays doivent s'unir, n'être plus qu'un seul homme. N'empêche : il s'agit bien de reprendre le mot de l'autre honni, de se placer sur sa thématique radicale et de lui reconnaître une certaine légitimité. Si, donc, dans l'esprit de l'affrontement, il y a égalité, la différence ne peut se faire qu'ailleurs, à travers le choix de l'adjectif.

    Républicain/national. Bel antagonisme créé par ceux qui voudraient rassembler, et qui n'ont d'ailleurs plus que le mot républicain pour trier le bon grain de l'ivraie. Outre qu'un esprit avisé s'étonnera que certains puissent s'arroger le droit de décerner des brevets de républicanisme, sachant sans aucun doute sonder mieux que d'autres les reins et les cœurs (1), il trouvera un peu gênant que soient mis, de facto, en opposition la République et la Nation. Entre les deux il faut choisir. Dilemme...

    Poussons plus loin. Si le républicain est la réponse au national, c'est que le premier s'est ingénié depuis pas mal de temps à vouloir dissoudre ou discréditer le second. Le choix n'est pas, quand on y regarde de plus près, un hasard. La République, la Ve République, une fois de Gaulle rendu à Colombey-les-Deux-Églises, a vu se succéder des dirigeants enclins à vider la France de sa réalité et de son contenu au nom d'une Europe aussi abstraite en droits des individus (sinon à circuler pour favoriser le dumping social) qu'elle est concrète pour la finance. L'esprit républicain des contempteurs de l'extrême-droite n'a de républicain que la vitrine, car pour le reste, dans l'arrière-boutique (à la décoration bruxelloise), s'agitent les détricoteurs de l'Histoire, du roman national et du territoire. Leur souci est à la mesure des programmes scolaires qu'ils concoctent depuis le collège unique du sinistre Haby (pourtant de droite...) : fabriquer des orphelins serviles au service d'un capitalisme fou (2).

    Si front républicain il y a, il n'est pas le fait de républicains (3) mais d'européistes forcenés, de godillots mondialistes qui obéissent au doigt et à l'œil aux ordres du FMI, de la Trilatérale, de Bruxelles et des marchés financiers (4). Ils mènent bien une guerre mais pas celle que l'on croit. Ils n'invoquent pas la morale électorale pour ce qu'elle pourrait être : un combat fondé sur une crainte fasciste réelle. Ils fabriquent cette crainte pour en masquer une autre plus réelle : que leurs desseins technocrates, terroristes et authentiquement fascistes soient freinés. La meilleure preuve en est qu'ils suffoquent au nom de Hénin-Beaumont et applaudissent à celui de Svoboda, en Ukraine.

     

    (1)Faculté étrange de divination qui, pourtant, semble n'être qu'une façade puisque ces belles âmes ne vont pas jusqu'à interdire aux non-républicains le droit de fonder un parti, de se présenter aux élections et d'avoir des électeurs. Singulière tiédeur, mollesse coupable qui n'est pas très révolutionnaire (puisque la Révolution est leur totem...), à faire bondir Saint-Just, lequel répétait qu'il ne pouvait y avoir de liberté pour les ennemis de la liberté. Il faut dire que les ameuteurs (non pas les amateurs...) sont les premiers à tirer un certain bénéfice électoral de la montée FN.

    (2)Que les cocos cautionnent cela est à mourir de rire. Mais il est vrai qu'il faut bien manger et sauver les restes du communisme municipal.

    (3)À moins que le mépris pour le vote populaire de 2005 soit dans l'esprit républicain...

    (4)On lira avec délectation la tribune de Laurence Parisot dans Le Monde daté de ce samedi. De même qu'elle défendit il y a quelques mois Léonarda et les sans-papiers, l'ex-présidente du MEDEF s'engage en politique sur la question du FN avec une verve telle qu'on l'invite à se proposer pour prendre la place prochainement vacante de Jean-Philippe Désir, à la tête du PS. Les masques tombent...

  • Écouter, répéter, manipuler

    Lorsque vous vous éloignez un peu de la France, sans en prendre la moindre nouvelle, sans ouvrir vos mails, ni lire aucune feuille de chou qui prétend à la grandeur journalistique, et que vous revenez, il est stupéfiant de voir combien la mare s'est agitée : les magouilles des uns, les écoutes des autres, des ententes des troisièmes. Rien de bien neuf, rien de très terrible non plus. Si l'on excepte les naïfs qui voudraient voir la politique comme un territoire honnête et désintéressé (1), il faut reconnaître que le débat sur les manipulations des uns et des autres tourne vite à la querelle des exemples choisis. Ce n'est pas de l'argumentaire mais de la casuistique de jésuites.

    Prenez l'affaire Buisson. On s'offusque des habitudes dictaphoniques de l'homme de confiance sarkozyen. On crie ici à la trahison : les UMP grotesques, là à l'affaire d'état : les socialo-moralistes. Je ne vois pourtant dans cette pratique ni trahison, parce que cela supposerait qu'il y ait eu exploitation de la matière (or, on a visiblement volé celle-ci au dit Buisson), ni affaire d'état, parce que cela supposerait que nous ayons, nous petit peuple, à connaître des histoires lourdes de conséquences, et je n'en crois rien, sinon l'affaire aurait déjà explosé.

    Buisson est peut-être un traître et c'est beau alors d'entendre la Sarkozye s'indigner. Buisson est peut-être quelqu'un qui en sait plus qu'on ne le croit et c'est alors curieux de voir les affidés gouvernementaux s'indigner.

    Mais quoi qu'il en soit, nous sommes loin, je trouve, avec ces discussions de fond de tiroir des pratiques ouvertement crapuleuses d'un Mitterrand qui, pour s'assurer sa réélection, faisait état en direct de ses discussions avec son premier ministre d'alors (2). Quand on a toléré de telles pratiques florentines (tous les moyens sont bons), on ne va pas s'acharner sur un vulgaire conseiller (3).




     

    (1)Ceux-là feraient bien de relire Balzac et Chateaubriand, à tout le moins. Quant à lire La Rochefoucauld, Saint-Simon et le cardinal de Retz, ce serait trop leur demander. Ils apprendraient néanmoins des mémoires classiques ce qu'il y a d'essentiellement retors dans la politique.

    (2)Pour épargner au lecteur la totalité d'un ennuyeux débat, il pourra glisser le curseur sur la douzième minute. Il s'agit de l'affaire Gordji. Pour la petite histoire, on sait que des deux, c'est Mitterrand qui ment.

    (3)Nul ne s'est jamais indigné des Verbatim de l'inutile Attali

     

  • Ruines

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    Il se pourrait qu'un jour, l'anagramme du Louvre développé par le dessinateur Marc-Antoine Matthieu (1), le Révolu, redistribution ruineuse : le musée comme pétrification absolue, que cette anagramme ait force de loi. Le lieu ne contiendra pas seulement les restes du temps mais aussi les poussières du sens qu'on voulait lui assigner, et plus encore : les restes du sens de ce qu'il contenait.

    Révolus, déjà, la brûlante contemplation de la beauté, le silence, la sacralité. À venir la révolution (c'est-à-dire la révocation) des Dieux, de tous les Dieux qui acceptèrent d'être peints, qui présidèrent à l'élévation des déesses, des envoyés gracieux, des archanges et des vierges, des héros et des martyrs, des passions tragiques et des sacrifices édifiants.

    Le révolu, pour ne pas écrire le banni. L'art ne sera plus l'obscur, le mystérieux, mais le rebut de ce qu'on appellera alors l'obscurantisme.

    Il se pourrait qu'un jour on se reprenne à brûler des œuvres, des tableaux, quand il ne sera de Dieu que le grand Architecte de l'univers ou qu'il ne sera de Dieu que Dieu. La haine des iconoclastes... Les détours de l'aveuglement sont souvent sans appel. Vinci, Caravage ou Titien, d'autres encore, se croyaient au-dessus des vicissitudes du monde, non par vanité, mais convaincus qu'ils étaient que l'œuvre spirituelle, cette figure qui sort du marbre déjà inscrite dans le marbre, pour reprendre les mots de Michel Ange, toucherait, imparable, et éternelle, l'œil et l'âme de son contemplateur.

    Ils avaient tort.

     

    (1)Marc-Antoine Matthieu, Les sous-sol du Révolu, éditions Futoropolis, 2006

  • Polymorphe...

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    Étrange univers de violence symbolique, me dis-je, il y a quelques semaines, en voyant par hasard deux minutes d'une énième émission de divertissement où il s'agit de voter pour tel ou tel, d'éliminer, selon le bon plaisir de la démocratie téléspectatrice, un candidat ou un autre. Étrange passion de plus en plus répandue que de voir la sanction par sms (facturé 0,34 centimes l'appel) devenir la norme et de dégager les énergumènes (originellement parlant : les possédés... ou la télévision en diablerie exorciste. Mais de quoi ? De la bêtise ? Et qui sont les possédés, d'ailleurs ?) dont la trombine ne vous revient pas. Il doit y avoir une jouissance singulière à vouloir ainsi sanctionner, encore et encore, bien au chaud dans son canapé. Jouissance consternante et inquiétante que de regarder choir ceux que l'on a désignés, d'être quelque part (mais (in)justement invisible) vainqueur.

    Ce phénomène est récent, sa pratique croissante, et on sait qu'il touche essentiellement ceux qui se sont le plus rapidement soumis aux nouvelles logiques de l'entertainment médiatique : les moins de trente ans, pour qui ont fait les émissions de ce genre...

    Les moins de trente ans...

    Ceux-là même qui n'ont cessé de réclamer à ce qu'on ne les discrimine pas en classe, ceux-là même qui n'ont cessé de contester l'ordre et la note, ceux-là même qui ont crié contre l'évaluation et la sanction.

    Enkystée d'un moi débordant, infantilisée (et s'infantilisant) jusqu'à plus soif, cette nouvelle génération (x ou y, peu importe la dénomination) ne se prive pas de jouer à tous les coups les censeurs satisfaits. À la fois fière de soi et impitoyable. Il faut d'ailleurs voir ce à quoi on aboutit dans le désordre terroriste des mises en scène de soi et celle des autres sur Internet. Et le phénomène n'en est qu'à ses débuts.

    Il n'y a pas de contradiction dans les termes. C'est même le fondement d'une nouvelle logique de représentation dont nous parlerons bientôt, ce mélange arrogant et cruel de décontraction et de fureur qu'incarnent les nouveaux symboles patronaux (à commencer par Zuckerberg en parangon...).

    Souhaitons-leur d'avoir un jour à se mordre les doigts de s'être ainsi grisés d'un pouvoir de télécommande...

     

     

     

    Photo :  Daniela Roman