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  • Police politique

     

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    Je n'ai pas pour Renaud Camus une passion littéraire inconsidérée mais dans le paysage désolant et consensuel de la littérature française (entre repenti post-colonial, gender studies dissimulées et avant-garde creuse), il n'est pas non plus, loin s'en faut, l'indigne écrivaillon dont on ferait des pages dithyrambiques pour vendre de la feuille. Ses positions que d'aucuns qualifieront de réactionnaires sont connues depuis longtemps. Il fait partie, avec Richard Millet, de ces écrivains non négligeables qui, devant l'extase cosmopolite, ont décidé depuis longtemps de faire entendre une voix/voie classique.

    Sans doute  est-elle trop hexagonale, trop peu dans l'air du temps. Mais je ne sache pas qu'il faille être à la pointe de la mode pour être un écrivain. Touours est-il que Renaud Camus a commis, et c'est son droit, un texte public dans lequel il défendait Marion Le Pen. On peut, et c'est mon cas (1), ne pas soutenir cet engagement sans pour autant vouer aux gémonies l'écrivain qu'il est. Parce que si l'on introduit le moralisme bourgeois dans l'historique de ce qui fait notre culture, il va falloir sérieusement faire le ménage, vu le nombre d'énergumènes qui la peuplent et qui feraient bondir les Homais de service, lesquels sont fort nombreux à mesure que se répand, à la place de l'instruction, une éducation fade, consensuel et petite-bourgeoise (2).

    Prenons un exemple.

    « Les éditions P.O.L et Fayard ont décidé de ne plus publier Renaud Camus après le soutien de celui-ci à Marine Le Pen (Le Monde, 19 avril). D’aucuns pleurnicheront encore sur une liberté d’expression qui s’amenuise… Or il faudrait rappeler que la liberté d’expression ne concerne pas seulement les auteurs, mais les éditeurs aussi : un éditeur a le droit de s’exprimer contre l’un de ses auteurs, de ne plus désirer publier un facho. »

    Ainsi commence l'argumentaire, si toutefois le mot convient, du billet commis par Nelly Kaprièlan le 4 mai 2012 pour les Inrockuptibles. On appréciera le sophisme de la démarche qui consiste à utiliser la bonne méthode du paradoxe : la liberté tolère que l'on fasse taire les écrivains. Il y a un petit côté Saint-Just chez cette plumitive : pas de liberté pour les ennemis de la liberté. Ce qu'elle n'aime pas, comme à peu près tous les enragés d'un camp ou de l'autre, c'est autrui, un autrui si différent, si problématique qu'elle le juge sectaire et dangereux. Dès lors, il faut le réduire au silence. Et l'on comprend bien que nous sommes, défenseurs (quoique le mot ne convienne pas) potentiels de Renaud Camus, toxiques et que nos objections relèvent de la niaiserie et de la sensiblerie : nous ne nous indignons pas (c'est bon pour Hessel et sa clique : ils se sont accaparé la dignité), nous ne contestons pas, nous pleurnichons. Magnifique rhétorique du mépris et de la suffisance qui passe fort bien, qui est même très tendance, puisqu'elle est de gauche. Encore que cela soit une approximation : il s'agit d'une certaine gauche, celle qui distribue le mone en deux camps. Elle-même et les fascistes, peu ou prou.

    La défense des éditions P.O.L. est pathétique. Outre le fait que Nelly Kaprièlan revendique un droit à faire ce qu'on veut quand on veut, lequel ressort d'une pure logique libérale (mais il est vrai que les artistes et les écrivains ne sont pas protégés par les droits du travail. Ils ne travaillent pas ; ils créent (3)). On prend, on publie, on vire. Pathétique, dis-je, parce que les orientations de Renaud Camus, son amour de la France, sa défiance devant l'idéologie cosmopolite et différentialiste, tout cela ne date pas d'hier et ce n'est pas sa lettre de soutien à Marion Le Pen qui doit tromper son monde. Pour être cohérent, il aurait fallu le dénoncer depuis plus longtemps et en tirer les conséquences les plus élémentaires sur son éditeur : le dénoncer comme un éditeur de fachos, appeler à son boycott.

    Cela fait fi évidemment de l'écriture de Renaud Camus (4). Mais il est vrai qu'il n'est pas très trash, très rock, très hype, Renaud. Pour le moins. Or, c'est ce qui importe à une culture clinquante et forcément moderne comme la promeut la revue. C'est ainsi qu'il y a des sujets qui ne peuvent plus porter, qui ne peuvent plus avoir de sens. La vindicte contre Renaud Camus va bien au-delà de son engagement lepéniste (encore que l'expression soit excessive (5)). Elle recouvre cette distinction définie à l'aube du XXe siècle, quand, sous prétexte des suites de l'affaire Dreyfus, s'opposèrent Barrès et Gide. Derrière cela, des orientations intellectuelles qui s'inscrivent dans l'espace : la campagne, le terroir, la tradition, le passé (ou ce que l'on tient pour tel) d'un côté, de l'autre, la ville, le mouvement, le mélange, le présent et l'avenir.

    À partir de là, il faut choisir son camp. Du moins est-ce le diktat d'une contemporanéité qui n'a qu'un souci, c'est de liquider le passé. Au fond, il n'y a pas loin entre une plumitive des Inrocks et Sarkozy qui trouvait qu'on faisait chier le monde avec La Princesse de Clèves. Et c'est toujours très drôle (un peu affligeant aussi) de voir de tels amis s'étriper ainsi, quand ils ont sur la tradition culturelle la même vision méprisante.

    Le retour de la gauche au pouvoir est donc inauguré par le renvoi de Renaud Camus sur ses terres. Pourquoi pas ? Le plus marquant, dans le papier de Nelly Kaprièlan, est le plaisir à peine dissimulé d'avoir obtenu la peau de celui dont l'intelligence aurait sans doute beaucoup à lui apprendre (mais c'est bien connu : chacun selon ses moyens...). Elle a eu son facho. Elle pourra, plus tard, le soir, à la chandelle, raconter sa guerre, son maquis d'écrivaillon, luttant tant et plus que le félon rendit gorge. Car il en fallait, sachez-le, pour obtenir des têtes telles que la sienne. Son éditeur P.O.L. s'obstinait. Enfin Hollande vint et son élection annoncée coupa le nœud gordien. Et tout fut paisible en ce beau pays de France (6).

     

     

    (1)Autant l'écrire vite : les séides du Politburo sont prompts à faire de vous un fasciste. C'est d'ailleurs ce que détermine chez eux l'aphasie dont ils sont atteints. Le fasciste est l'autre qu'ils ne veulent pas prendre en charge, parce qu'il leur rappelle des souvenirs chinois ou cambodgiens, sans doute...

    (2)Au loisir de chacun d'aller fouiller la biographie de Baudelaire, Flaubert, Chateaubriand, Caravage, Pasolini, Céline, Grass, Henri MIller, Genet, Maïakovski,

    (3)C'est d'ailleurs au nom de cette capacité à la création ex nihilo qu'est célébré Lang, le héraut de la culture de gauche, et que fut, en 1992, attaqué Bourdieu pour avoir démenti de façon magistrale ce credo romantique ridicule, dans Les Règles de l'art. Mais Bourdieu n'était pas très... parisien.

    (4)Comme la remarque incidente sur Richard Millet. Nelly Kaprièlan néglige la beauté classique de la langue et confond en une seule veine, sans doute, le polémiste de L'Opprobre et le prosateur magnifique des Sœurs Piale et de Ma Vie parmi les ombres.

    Il est vrai que cette plumitive ne sait pas écrire : « Quant à Richard Millet, dont nous fûmes peu nombreux à nous ériger contre le racisme de ses livres,... ». Voilà ce qui s'appelle malmener la grammaire...

    (5)On trouvera néanmoins un peu inutile et ridicule ce soutien. À quoi peut-il, en effet, correspondre ? Quel lien profond existe-t-il entre un esthète misanthrope comme Camus et l'idéologie frontiste ? Certains diront : la haine. Soit, mais ce serait un peu court car si la haine était circonscrite à l'extrême-droite, nous aurions quelque espoir de voir le monde s'améliorer...

    (6)La dernière phrase est évidemment à rayer. Trop tradi, trop cul terreux, trop facho...




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  • Des problèmes de la mixité sociale

     

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    La place des Vosges, Paris, IVe arrondissement

    Il y a quelques années une bonne dame patronnesse, que j'eus l'heur de côtoyer, encartée au PC, parce qu'il fallait lutter, n'est-ce pas, c'est important, la lutte, tu comprends ?, c'est important, se plaignit avec fracas, et publiquement (c'est là le sel de l'affaire), que le candidat Sarkozy se fût permis d'installer son quartier général de campagne (pour la région, s'entend : nous ne sommes pas à Paris) au bas de son immeuble ou, pour être plus précis, au numéro juste à côté. Elle vitupérait devant le tracas que lui procurait cette sinistre cohabitation, obligée qu'elle était de croiser dans la rue la gente UMP dans toute sa splendeur (c'était en 2007 et les vents étaient alors favorables. On pavoisait à droite), de sentir le boulet obscur des forces du mal à chaque instant, de saluer (car elle était policée) l'arrogance amidonnée de ces parvenus. Oui, il n'était pas facile pour elle de partager sa rue avec des riches, oubliant pourtant (mais une mienne connaissance à l'esprit acidulé ne manqua pas de le lui rappeler avec vigueur) que si l'abominable saltimbanque de la finance avait pris ses quartiers là, c'était parce qu'il y était comme chez lui, et qu'elle-même, toute lutte des classes mise au placard, s'épanouissait dans un endroit charmant, étant même propriétaire, loin de ces zones périphériques dont elle parlait avec commisération sans jamais y avoir mis les pieds. Mais sans doute était-ce une forme d'entrisme géographique afin que le quartier tombât, après un grignotage savant, allant d'un pâté de maisons à un autre, dans l'escarcelle des forces révolutionnaires...

    Que le lecteur ne voit dans ce petit apologue aucune ironie grinçante, ni mauvais esprit, mais un souci de prendre en compte toutes les misères de notre société, car il est dur, sachons-le, d'être l'une des deux seules voix communistes (la seconde était celle de son compagnon, précisons-le) dans le bureau de vote dont dépend son domicile... Il est des douleurs qu'il faut savoir relayer...

    Plus sérieusement : je crois qu'ils sont fort nombreux les hypocrites du social à distance, de la mixité lointaine, prêts à juger avec sévérité ceux qui osent dire sans détour que non, ils ne voudraient pas vivre n'importe où et qu'à choisir, entre le XVe arrondissement de Paris et Garges-lès-Gonesse, ils préfèrent le XVe, qu'entre Faches-Thumesnil et le Vieux-Lille, ils choisiront, comme Pierre Mauroy, le Vieux-Lille, qu'entre la banlieue sympa, jeune et tellement anti-sarkozyste et la place des Vosges un peu guindé, ils feront comme Jack Lang, ils se résoudront à s'ennuyer dans le IVe arrondissement parisien...

                                               Photo : X

     

     

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  • De la magie qu'on a en soi...

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    Qu'une part de ce qui est au devant de nous, comme une succession  infinie de tableaux, le monde en une série de plans qui mènent au loin, très loin, que cela puisse se suspendre en nous, flotter ; que notre histoire soit, hors la continuité du temps s'écoulant, des ilôts parcimonieux de réalité, parce qu'il faut exister autrement, ailleurs, aussi... quelle étrangeté...

    Et nous les emmenons dans notre course, comme autant de territoires  off-shore où nous nous réfugions, parfois sciemment, parfois au détour d'un indice qui vient frapper ou le cœur ou l'esprit.

    Il n'y a que puzzle en nous, pièces rapportées des heures vécues, des journées qui nous ont semblé informelles, alors qu'elles faisaient empreintes. Mais un puzzle qui n'a pas de consistance, dont les morceaux ne sont jamais que des objets incertains et mobiles, les restes d'un temps plus ou moins ancien qu'on aurait posés sur notre mer intérieure, ou dans les cieux (ou ce qui en fait office), restes qu'on ne reconnaît pas toujours et pour lesquels, de même que devant une photo qui ne nous dit rien, nous donnons une légende aléatoire. Et cet aléatoire, un jour nous trouble, parce que nous sommes habités du sentiment profond qu'il est insatisfaisant, un autre jour nous contente, parce que nous savons que l'imaginaire que nous y mettons est plus précieux que l'objet même.


                                        Photo : Steve Crisp/Reuters





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  • Intra muros

           Pour S.

    J'ai découvert cette vidéo par le biais d'une mienne connaissance, graffeur, writer (1), peintre, à laquelle j'ai déjà eu l'occasion d'expliquer mes réserves sur cet art urbain qu'on appelle imprécisément le tag. Je ne suis pas un adepte de ce mode d'expression, mais la question n'est pas là, si l'on veut bien considérer le travail entrepris par ceux qui ont décidé de s'approprier un lieu désaffecté, comme sait en laisser une société obnubilée par la consommation et l'obsolescence de plus en plus rapide des choses...

    Il s'agit donc d'un parking de grande surface, d'une grande surface qui a rendu l'âme (et c'est évidemment une manière ironique de parler tant ces lieux se déterminent d'abord par leur impersonnalité). Abandonnée, avant que d'être détruite et qu'on y refasse les mêmes horreurs, sans doute, cette friche commerciale a été prise d'assaut par l'imagination colorée et brutale de ces mystérieux combattants des murs blancs, sales, sans propriété. Et plutôt que de laisser la misère du temps gagner la partie, ils ont enfreint la loi, pour la beauté du geste, car il est certain qu'à moins  qu'un coup de dés magnifique ne convertisse ce parking anonyme en territoire de l'Unesco ce qu'ils ont entrepris finira en gravats (ou pire : qu'un repreneur vienne et, devant cette avalanche de couleurs et de formes, s'empresse de tout remettre en ordre : du blanc, du blanc, du blanc...).

    Ainsi jouent-ils des turpitudes d'un monde-ogre... On pourra disserter longuement sur le discours artistique de ces writers, la beauté esthétique de ces géométries, en pourfendre la laideur et les facilités. Peut-être. Mais ces six minutes à toute vitesse, entre les piliers d'un des pires endroits que notre civilisation ait créé en nous faisant croire que là était le sésame d'un bonheur à crédit, ces six minutes en accéléré, on peut aussi les regarder comme une tentative désespérée, non pas de refaire le monde, mais de suspendre sa laideur poussièreuse. Ce n'est pas un acte social mais une question politique ; pas un jeu d'enfant, mais des arabesques sérieuses d'adultes. Lorsqu'on retourne à l'air libre sur le toit de ce délabrement caché, le writer dessine des croix, comme si, effectivement, il fallait bien faire une croix dessus, sur le rêve, sur la liberté de dire non, sur le lendemain, et la caméra saisit à la volée la misère visible des tours immenses, dans une banlieue quelconque, une parmi d'autres...

    La musique est de Phil Glass. Les concepteurs de ce film l'ont rencontré. Il a cédé les droits de ce Opening, extrait du très beau Glassworks, pour cent euros. Trois fois rien Le projet lui plaisait... Un Opening d'une douceur mélancolique idéale pour une odyssée dans un univers dérangeant : celui de notre déchéance à venir...

     

     

    (1)ainsi que se définissent ceux qui ne taguent pas, mais dessinent sur les murs, parce que le tag est une signature. Je n'ai pas envie de commenter ici le choix discutable du mot writer...

     


     






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  • Q...

    Quand le volet s'entrouvre tu n'attends pas le soleil mais un corps perdu, le tien, dans la vase du cauchemar. Combat des jours maigres...





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  • Fischer-Dieskau, respectueusement

    Après l'écrivain Carlos Fuentes, mardi, le chanteur lyrique Dietrich Fischer-Dieskau ce jour...Triste semaine.

    Demeurent sa voix, son œuvre dévouée à l'art lyrique, à la beauté de la langue allemande, Les Lieder de Schubert, entre autres. Il y eut aussi les rôles d'opéra.

    Certes, il ne chantait plus depuis longtemps et ce n'est évidemment pas le sujet. Au contraire, la tristesse devant cette disparition qui arrive bien après l'arrêt d'une carrière longue et belle souligne plus encore ce qui peut nous attacher à l'art, aux œuvres, à leurs défenseurs intransigeants. Une proximité sans identification, une présence sans idolâtrie, un bonheur sans hystérie.

    Voyageons encore une fois avec lui. Il chante Schlegel mis en musique par Schubert. Sviatoslav Richter est au piano.








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  • Apnée

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    Tu te demandes si tu vas y arriver, parce que l'espérance est toujours plus lointaine qu'on ne croit. Tu aimerais qu'il s'agisse seulement d'une question de perspective, une illusion d'optique que ta volonté serait capable de vaincre ou, au moins, de compenser pour que tu ne souffres pas trop. Mais la borne est tellement inaccessible. Il faut aller et venir, aller et venir, encore, sans cesse

    et l'étrangeté point, dans ton cerveau soudain automatisé qui ne sait plus exactement combien de longueurs tu as accomplies, cette étrangeté de trouver un bonheur dans l'oubli intempestif, au rythme du battement de tes bras et de tes pieds, d'une conscience maîtresse de son destin,

    parce que dans la régulation des gestes, du souffle, du regard voilé et brûlé de chlore, il y a un abandon fascinant auquel tu penses parfois, à la fin d'une séance, les jours de fatigue intense, quand l'idée de te lever tôt et de plonger dans le froid te semble absurde, abandon que tu détestes mais que tu le balaies d'un revers de main, de cette main si grande, comme de tes pieds si longs, qu'on a tout de suite cru en toi, en tes chances, en tes victoires, dès l'enfance,

    pour que tu n'en aies pas eu vraiment, d'enfance.

    Car de l'enfance, puis de l'adolescence, tu n'as éprouvé que ton corps configuré, et les cartographies successives de tes progrès dans tes muscles que l'eau ponçait vigoureusement ; et de te frayer ainsi, dans l'onde au fond bleuté (ce qui distingue cruellement le bassin de la mer, que tu aimes pour sa matière colorée, oui, sa matière...), un chemin qui n'en était pas un ; de fournir à l'œil qui te suivait du bord, le sillon métronomique qu'il attendait ;

    et de ne pas être atteint par le doute, jamais, ou si peu, jusqu'à ce moment où tu  te demandes si tu vas y arriver, parce que quelque chose (il n'y a pas de mot te venant à l'esprit, pas d'inspiration pour la parole, rien) te traverse, comme une langueur dont tu sens qu'elle est toi, à toi, une langueur qui te prend et ton corps, saisi par le mouvement de tes bras s'appuyant sur le rebord du bassin, s'extrait de l'eau,

    de l'eau qui coule de toi, tombe de toi, fait des perles, comme les  cloques d'une mue, et te donne le frisson, le frisson d'être enfin libre de ce que tu ne connais que trop...


     

                                                   Photo : Toby Melville

     

     

     

     

     

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  • Richard Strauss, fragiles pulsations


     

    Richard Strauss a contre lui d'avoir un nom qui rappelle d'abord les pièces montées viennoises que l'Orchestre symphonique de la capitale autrichienne offre au monde le jour de l'An, d'avoir eu, et c'est un euphémisme, une grande complaisance pour Hitler et son régime, d'être réduit, pour beaucoup, à la bande-son de 2001 l'Odyssée de l'espace, avec son ouverture grandiloquente d'Ainsi parlait Zarathoustra. Les amoureux de l'art lyrique savent eux qu'il est un des plus grands compositeurs d'opéra (peut-être même le plus magistral après Mozart et Verdi). C'est aussi un maître dans l'art de l'orchestration. La Symphonie alpestre ébranle l'auditeur par sa douceur et ses emportements contenus. Certes, on entend un héritage wagnérien, mais comme transfiguré (1) par l'abandon conscient d'une rhétorique qui se vouait nécessairement au mythe. Ici, rien de tout cela : une musique crépusculaire (il s'agit de la fin du poème symphonique (2)), un imperceptible dans le paysage qui s'en va doucement, une présence secrète de la vie en retour vers nous à peine audible parfois. Strauss fait la démonstration (l'expression est fort maladroite...) que l'ampleur du monde et la vision intérieure que cette sensation éveille ne nécessitent pas des moyens orchestraux employés dans toute leur capacité. C'est l'immensité sans ostentation. Une pure merveille...

     

    (1)Autre bonheur dont nous lui sommes redevables : Mort et transfiguration

    (2)Il est clair cependant que cette notion de poème n'est pas innocente, inséparable du nationaliste du XIXe et que ce culte du poème se retrouve, comme par hasard, chez Heiddeger...

  • Le Prince consort

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    D'abord il y eut le Père, son apparition iconique au centre de l'écran, au bout du tapis rouge. Le Père venait à nous dans son épiphanie de common man transformé en gardien élyséen de la République. Il n'était encore qu'une image, muette. Il ne s'exprima que plus tard, lorsque rancœurs, passions et exaltations se furent assagis. Il fut longtemps invisible, dans sa modestie corrézienne.

    Sur le plateau de France 2, il y avait la Mère, dans sa raideur froide de vainqueur (a)battu. Elle devait reconnaître le triomphe du Père sur celui qui l'avait, cinq ans auparavant, défaite sèchement. Journalistes, et (télé)spectateurs sans doute, guettaient la faille, à travers laquelle apparaîtrait (décidément que d'apparition...) le sentiment profond d'une injustice personnelle. On en sentit poindre l'expression quand elle rappela que la victoire du Père procédait de ce qu'elle avait entrepris avant, que son Désir d'Avenir avait préparé l'avènement du common man. C'était drôle : on sentait que le journaliste avait envie de lui demander ce qu'il avait lui, le Père, qu'elle n'avait pas, ou pas eu, elle, la Mère. Il s'abstint, politesse et décence mêlées, parce qu'il n'était pas question de s'engager dans ce genre de débat, trop délicat, trop guerre des sexes, à l'heure de la parité et du politiquement correct. C'était en filigrane...

    Mais tout cela avait déjà une moindre importance, car avant qu'on lui demandât son avis, à elle, était apparu (oui, vraiment, soirée de tous les sortilèges) le Fils, dans la pleine folie d'une soirée électorale qui ressemblait étrangement à une fête de fin d'examens pour étudiants perpétuels. Le Fils, Thomas Hollande, eut droit au prime time, 20 heures à peine passé, comme s'il revenait au prince héritier d'être le premier commentateur de l'accès au trône de son Père. Il était ému, l'œil un peu humide et la voix tremblante. Il avait cinq ans auparavant échoué avec la Mère ; il gagnait ce soir-là avec le Père. Il était super content, animé d'un frisson jeune et modeste. Il était le Fils digne du Père, tout en n'ayant pas trahi la Mère. Cela ne pouvait qu'attendrir le quidam vainqueur par procuration à qui on avait répété que l'élection était historique, que c'était un choix de société, un tournant, etc, etc, etc et à qui on offrait avant toute autre considération sérieuse une réaction juvénile rappelant les banalités d'un entraîneur de football dans la minute qui suit la victoire : on a tout fait pour, beau challenge, très touché, un grand moment d'émotion, etc, etc, etc.

    Ainsi France 2, toute honte bue de son allégeance sarkozyste cinq ans durant, passait à la minute dans le camp opposé et imposait, en bonne chaîne publique aussi pourrie que ses consœurs commerciales, l'étrange image d'Épinal d'une famille recomposée, dont chaque membre était à un endroit différent mais que la magie médiatique réunissait pour l'occasion. Pendant les deux ou trois premières minutes de cette bascule démocratique, nous n'étions plus que les témoins sidérés d'un moment de télé-réalité auquel se prêtaient (volontairement ? malgré eux?) les trois membres éminents d'une famille politique (entendons ici politicienne). On privatisait pour quelques instants un fait collectif. On en faisait une histoire personnelle, un storytelling digne d'une scène de cinéma. C'était, me semble-t-il, la première fois que l'on voyait ainsi la filiation prendre le pouvoir symbolique, faisant attendre le bon peuple (j'entends : ceux qui sont censés le représenter, soit : les hommes politiques) dans l'antichambre. Non seulement l'opposition était réduite à quia mais les caciques socialistes, les éléphants, étaient relégués au second plan. Le drame familial (lequel est le fondement de tout, c'est vrai, ainsi que l'écrivait déjà Aristote...) prenait toute la place. Et le quidam de se demander si l'on n'était pas en train de nous vendre le président 2022 ou 2027, selon le principe d'un héritage particulier dont Bourdieu a fort bien montré la perversité sociale. Car c'était bien au bénéfice du titre Fils de... que ce bon Thomas s'exprimait ...

    Ce fut le moment glamour de la soirée, la seule nouveauté, comme la petite pointe d'originalité que l'on trouve dans un film qui aligne tous les clichés d'un genre très codifié. Après ce grand moment de télévision, le reste fut fade, ennuyeux, prévisible. Et, en creux, se confirmait que désormais rien, absolument rien, ne pourrait être traité, en information, qui ne se réduise pas à du pathos scénarisé, que la réalité n'était qu'un élément, une ressource, parmi d'autres, de la fiction généralisée dans laquelle le pouvoir et les médias veulent que nous évoluions...

  • (presque) un anniversaire

     

    10 mai 1981,mitterrand,hollande,mélancolie,politique

    Ainsi dura le souvenir précieux de l'élection de Mitterrand, en 1981, dont le profil informatique, apparaissant à l'écran fut, pour moi,  pendant longtemps, l'émotion télévisée la plus forte, la plus bouleversante, même au tamis de la désillusion et de la trahison, émotion d'un 10 mai se perpétuant toutes ces annés, puis s'effondrant, par je ne sais quel enchantement, pour laisser la place à ce matin du lendemain, alors qu'il pleuvait fort, et que sous le préau, les lycéens que nous étions, silencieux et ravis d'une victoire qui ne nous appartenait pas vraiment mais que nous faisions nôtre, essayaient de comprendre ce qui changeait vraiment, sceptiques ou incrédules, je ne puis le dire, heureux encore d'être de gauche, y voyant une signification qui allait progressivement se perdre, ce matin du 11 mai, toujours intacte cependant, 11 mai resté dès lors l'anniversaire d'un événement quittant son éclat institutionnel et nationalement collectif pour n'être plus qu'un souvenir personnel autour de personnes laissées depuis sur le bord de la route, sans regrets, sans larmes, sans amertume, parce que c'est la vie, parce qu'il existe des choses impossibles, parce que certaines sensations, certains sentiments se (re)vivent seul, de toute manière, se poursuivent dans l'intervalle du quotidien, comme l'inégalité du pavé vénitien, et qu'il n'est peut-être pas plus grande valeur pour certains moments que de ne pouvoir plus jamais en parler...