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solitude - Page 2

  • Souterrain(s)...

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    Ces six derniers mois, plusieurs lecteurs et lectrices de ce blog ont regretté que les commentaires soient désormais fermés. Pour ceux qui suivent le fil des publications, ils se rappelleront que ce choix est intervenu à la suite de la campagne présidentielle de 2012. On dira que je n'avais pas envie de participer plus avant à un répétitif ping-pong pseudo-partisan, à un babil de commerce acrimonieux, sans portée ni intérêt majeurs. Dans le fond, la teneur de ce blog (je n'ose dire : sa ligne) est désormais suffisamment claire pour ne pas perdre de temps à des joutes contre/avec ceux pour lesquels je serais un ennemi, une parole fielleuse, réac, fasciste et nauséabonde, etc, etc, etc.

    Clore les commentaires fut donc, en un premier temps, un acte économique, au sens où je m'épargnais de l'énergie et des minutes, et, sans doute, quelques agacements. Je me suis aussi astreint à ne plus intervenir ailleurs, ce en quoi j'ai failli, me fendant de quelques incursions chez Solko, Sophie K. et le regretté Depluloin.

    Ce premier temps passé, j'ai progressivement compris que ce choix était moins un confort qu'une détermination même du blog tel que je le voulais. Pour moi, s'entend : je ne dresse pas une nomenclature ni règlement de quelque "bon usage" numérique. De fait, Off-shore n'est rien, ou si peu, et dans la logique du nombre, des pourcentages et des parts de marché, une ultime dérision de la parole disséminée... Dès lors, ce n'est pas un lieu de débats, un forum ; ce n'est pas un territoire d'invitation, une boutique ouverte sur une allée marchande faite pour accueillir les cris de joie, les récriminations ou les interrogations du promeneur. Le promeneur, fût-il numérique, doit admettre que ma parole publique ne peut faire publiquement débat sur le lieu même où elle apparaît, et ce, pour la raison strictement inverse qu'on croirait invoquer : non pas parce que ma parole est sacrée, et que je suis au dessus du promeneur, mais parce qu'il n'a pas à répondre à l'impudeur lyrique de celui qui écrit. Les textes d'Off-shore ne sont pas pour lui, moins encore contre lui, mais hors de lui. Et la seule manière d'en faire quelque chose (si tant est que ces textes...), c'est de les prendre à soi, pour soi, de n'en garder que des miettes s'il le veut, de les gonfler, de les briser, de les jeter... Qui sait ? Surtout pas de venir se mettre à table (d'abord seul, puis à deux, à trois, à dix, s'adresser à l'un des dix, en particulier, répondre ensuite à x ou à b, relancer l'affaire -comme on relance au poker ou à la roulette...).

    Faut-il que nous disions notre accord/désaccord en deux lignes, avec renvoi possible à un autre lieu ? Off-shore, depuis qu'il existe, m'a fait croiser quelques belles personnes (j'aime cette expression un peu pompeuse) ; les échanges privés (j'insiste) avec elles, aussi ténus soient-ils parfois, en sont le privilège. Fermer les commentaires, ce n'est pas refuser la discussion ; c'est simplement ne pas le faire dans le hall d'entrée ou sur le parking d'Auchan. À l'endroit réduit, forcément réduit, des "prolongations" vient qui veut mais la lumière tamisée est la plus appropriée, même si le propos se pourrait être vif. Tel est cet autre réseau, cette hyphologie (pour reprendre Barthes dans Le Plaisir du texte) à quoi renvoie (ou peut renvoyer) un blog. Voilà où se niche l'ouverture

    Je n'attends la venue de quiconque (de même que je ne suis attendu nulle part) ; je n'ai jamais cherché à connaître les raisons (peut-être une fois...) de ceux et celles qui sont sur ma newsletter. je n'ai pas à demander ce qui ne m'appartient pas.

    En fait, le commentaire de blog me dérange désormais moins dans son contenu (parfois glose, parfois pur affect, parfois je ne sais quoi...) que dans le faux partage qui l'a institué, comme moyen technique. Il laisse suppose que nous échangions en vertu même du principe infini des droits de réponse. Mais le droit de réponse, c'est bon pour les acte judiciaires et les décisions afférentes. Droits de réponse : bavardage numérique des temps pseudo-démocratiques, me semble-t-il.

    J'écris, je publie, je cite, je réfère, je coupe, je commente, j'argumente, je regrette, j'arpente, j'invective. Dans tout ceci le je est secondaire. Il faut qu'il le soit. Si le blog a quelque sens, c'est dans les moyens que l'on travaille à contrer son caractère journalier, éphémère, informe ou passager. Et l'un de ces moyens réside en cette fermeture imposée, pour que puisse s'ouvrir, quelque part, ailleurs, à plus ou moins brève échéance, une envie, un agacement, une interrogation, un sourire, un doute, qui donnera envie d'aller au-delà, de débattre ailleurs, en souterrain. À moins que rien ne se passe. Parce qu'il est présomptueux de croire que ce que l'on fait serve...

     

    Photo : Fabrice Leroy

  • Marquage au sol

    crystal palace.JPG

     

    Ainsi vue, la place où j'aurais pu vivre (car je ne faisais qu'y passer, furtif et pourtant apesanti sur son architecture) eût été, de la fenêtre provisoire d'où je la contemplais, un cadran de marbre sale, des satellites immobiles, lumineux, opalescents, quand plus personne ne s'arrête, la nuit, et des torsions métalliques grâce auxquelles on voudrait voir survivre une harmonie passée (un charme presque XIXe bien dérisoire, pourtant), si l'esprit toutetois se refuse à considérer dans le début de l'éclairage au gaz, comme dans la légèreté de Crystal Palace, l'évanouissement d'un certain mystère.


    Photo : Florentine Wüest

  • Croquis

     

    musique,solitude,urbanité

    Il y avait le boulevard, le bruit incessant des véhicules et, de ton côté, la noria des conversations sur la terrasse où tu buvais ton café. Elles, lycéennes sans doute, attendaient à l'arrêt de bus, un écouteur chacune, le corps presque figé, mais la tête dodelinant, en cadence, à l'unisson d'une musique inconnue, comme un rappel immédiat de ces chiens décoratifs, sur la plage arrière d'une voiture customisée...


    Photo : Ludovic Maillard.



    Les commentaires sont fermés.




  • De la magie qu'on a en soi...

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    Qu'une part de ce qui est au devant de nous, comme une succession  infinie de tableaux, le monde en une série de plans qui mènent au loin, très loin, que cela puisse se suspendre en nous, flotter ; que notre histoire soit, hors la continuité du temps s'écoulant, des ilôts parcimonieux de réalité, parce qu'il faut exister autrement, ailleurs, aussi... quelle étrangeté...

    Et nous les emmenons dans notre course, comme autant de territoires  off-shore où nous nous réfugions, parfois sciemment, parfois au détour d'un indice qui vient frapper ou le cœur ou l'esprit.

    Il n'y a que puzzle en nous, pièces rapportées des heures vécues, des journées qui nous ont semblé informelles, alors qu'elles faisaient empreintes. Mais un puzzle qui n'a pas de consistance, dont les morceaux ne sont jamais que des objets incertains et mobiles, les restes d'un temps plus ou moins ancien qu'on aurait posés sur notre mer intérieure, ou dans les cieux (ou ce qui en fait office), restes qu'on ne reconnaît pas toujours et pour lesquels, de même que devant une photo qui ne nous dit rien, nous donnons une légende aléatoire. Et cet aléatoire, un jour nous trouble, parce que nous sommes habités du sentiment profond qu'il est insatisfaisant, un autre jour nous contente, parce que nous savons que l'imaginaire que nous y mettons est plus précieux que l'objet même.


                                        Photo : Steve Crisp/Reuters





    Les commentaires sont fermés

  • Le Saut de l'ange

     

     

    En ces heures dites festives et très clairement frénétiques, nourries de la hantise du cadeau à faire, oublié, incertain, de la dinde à farcir et de la bûche à décorer, il est bien difficile d'échapper, plus encore qu'à l'habitude, au destin de la foule, car nul ne peut, urbain qu'il est, se soustraire au devoir de travailler, au besoin de se nourrir, au désir de retrouver ses amis, et d'être ainsi dehors, ce qui nécessite de plonger dans le flot de la joie programmée, sous des arcades vicinales de lampions, d'étoiles, de guirlandes, de neige en coton, et autres joyeux visages de carton-pâte ; dans un ahurissement de regards en crise, comme des conjurations abruties de cette catastrophe promis ? fatale ? hyperbolique ?, dont les vitrines aveuglantes et les paquets enrubannés vont, un temps, annuler la noirceur ; il est bien difficile d'étouffer un haut-le-cœur devant cette trève ardente contre la réalité - c'est-à-dire la réalité des autres, effacés, du décor politique, à moins que ce ne soit votre image qui soit occultée comme un présage - montée à grands coups de chants luminaires, devant ces garde-à-vous de gras menus pour être gai (enfin), oublieux, somnolent, devant ces files de gavage (il pleut pourtant) dont vous riiez quand elles étaient à Prague ou à Varsovie, pour quelques maudites patates ; il est très difficile de croire Walter Benjamin écrivant qu'en la foule on pouvait voir "la toute dernière drogue du solitaire". Plus de drogue. L'overdose...

  • Le Silence de soi

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    En revenant, avec douceur et tranquillité, à la course à pied, tu as retrouvé les figures d'il y a quinze ans : les couples qui vont à la même allure, en se souriant, les familles, les groupes de copains en discussion, les bonjour mademoiselle qui se croient en sortie de boîte, les petit(e)s gros(ses) en quête de rédemption magazine, les secs qui vous enrhument avec leur vitesse, les apprêtées en collants et string, les souffreteux, les vaillants, les rougeauds et les impassibles... Rien n'aurait donc changé. Pas tout à fait.

    Sur le circuit des endurants du dimanche matin (et des autres jours aussi) est apparu le coureur (mais les femmes sont aussi concernées) à oreillettes, le sujet courant MP3. Celui-là n'existait pas avant l'an 2000. Ce n'est pas un être très étrange, mais un pur produit du présent. Entendons : nous sommes tous produits du cadre socio-historique dans lequel nous baignons. Il n'y a pas d'état de nature, seulement de la socialité intégrant la nature (ou ce que nous lui devons). Si le joggeur MP3 est pur produit du présent, il faut entendre qu'il a été possible, dans un temps record, de voir son apparition, son éclosion dans le décor de l'entertainment généralisé. Et son existence (quoique le mot soit inadéquat, tant le mouvement vers l'extérieur te semble justement absent en lui) n'est pas anodine.

    Tu en as déjà rencontré, et dans des proportions frôlant l'effroi, dans les bus, le métro, la rue, sur les bancs, allongés sur les pelouses, de ces autistes new age engagés dans le crépuscule de la parole, ces muets enkystées de leur supplétif technologique. Tu les as observés un temps, avec circonspection, et désormais avec dégoût et dédain. Sans doute n'ont-ils rien à dire, et rien à penser, qu'ils se retranchent ainsi du monde... Tu as cru parfois que c'était de la peur, devant la terreur d'une contemporanéité fracassante, mais tu n'adhères plus à cette option : ils ont en eux la présomption d'avoir raison avec le monde. Ils l'appellent de leurs vœux, mortifères et bêlants, sans vraiment se rendre compte du désarroi où ils s'enfoncent...

    Certes, les âmes positives diront que c'est une manière de protester contre la vie qu'on leur fait mener, qu'il faut savoir se préserver et que Lady Gaga dans le métro aide à supporter le métro. Dans cette perspective, la soupe binaire dont tu entends parfois les basses (tant ils mettent du volume : il faut que cela gonfle, à force de n'être rien que du vent...) prendrait des allures de procédé thérapeutique ! Tout est possible, mais, alors, il n'y a pas grand chose à soigner.

    Revenons au joggeur MP3. Il n'est pas dans le compagnonnage, même bref, de l'effort, dans la présence, même furtive, de l'autre, dans le clin d'œil compatissant devant la difficulté. Il est à lui, à lui seul. Dans ce qui est apparemment un moment de détente, un retour vers le corps, il continue de rechercher le bruit, la dissidence par le paravent technologique. Il transpose l'ordre (car la pratique ad libitum du MP3 est un acte de soumission, par le retrait : bien loin d'une ascèse chez les Trappistes) dans ce qui pourrait sembler sa suspension. Il prolonge la neutralisation de l'écoute par le bruit. Quand tu en croises un, que tu en doubles un (1), c'est un zombie que tu rencontres, qui ne te voit pas arriver, qui ne te sent pas venir. Il faut qu'il soit ailleurs, toujours ailleurs, parce que le premier étranger du monde, c'est lui-même. Il est de son temps, paradoxal : solitaire et dans la disparition, narcissique et dématérialisé. Un spectre R'n'B, rasta, rap, pop, selon les cas.

    Et c'est bien là le pire de cette situation : la machine à produire un continuum d'altérité articifielle, ce qui rend à notre MP3 son souffle intolérable, la mesure de son pas intempestive, l'écoute de ses fibres sans intérêt. Il ne s'aime que comme supplément de ce qui, logiquement, serait une prothèse. Plus que dans le métro, ou dans la rue, quand il marche, le contemporain technologisé (voire technologique) apparaît dans sa pleine misère alors qu'il essaie d'annuler l'effort auquel il s'est plié (pour d'autres impératifs tout aussi assassins diront certains : l'hygiène et la minceur). Il veut s'oublier. Aime-t-il sa sueur ? Sa respiration ? La petite douleur au mollet ? L'étrange tiraillement intestinal ? Veut-il vivre avec ses nécroses ? Tu n'en es vraiment pas sûr...

    Il court, la musique tourne, il tourne, et la musique court dans sa tête, en flux ininterrompu. Il regarde sa montre et l'heure tourne aussi. Tout est bien ainsi, qui tourne. Encore deux morceaux et il arrête. Aujourd'hui, il se sera fait le dernier Coldplay.

     

    (1)Tu as remarqué que les rapides, les secs furieux ne sont pas munis de ces engins. Ils ont besoin d'être dedans, d'être à l'écoute de leur corps.

     

  • Pas de porte

     

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    C'est la fin du printemps. Non loin, dans la courbe d'une rue, il est sur le pas de sa porte, d'une demeure dont tu ne connais nulle fenêtre. (peut-être de l'autre côté, invisible, une hypothétique cour intérieure). Il a la sécheresse des vieux et dans le regard une présence vivide, contraste qui t'a étonné la première fois qu'il t'a dit bonjour, sur le pas de  sa porte. Depuis, tu es repassé et le jeu (en est-ce, vraiment...) a recommencé. Bonjour, monsieur. Tu as d'abord répondu courtoisement. Puis un jour, tu as devancé son œil, comme si tu l'avais, cette fois, attendu, toi, et que tu voulais avoir le premier mot. Bonjour monsieur. Il est arrivé que tu l'aperçoives échanger quelques mots avec le quidam (à moins que ce ne soit une dame du quartier, tu ne sais...). Sa vie t'est inconnue, et le restera. Tu devines simplement une solitude contrecarrée par les premiers jours sans nuages. Il n'est pas sûr qu'il lui faille combler un vide (pourquoi penser à la misère...) mais continuer à nouer le fil du monde. Tu sens très nettement qu'il n'a pas le souci d'engager la conversation. Il ne quémande rien, comme le font parfois certains vieux à la caisse du supermarché, ou à l'arrêt de bus. Telle est sa singulière façon d'apparaître dans ta vie, sans attente mais contournant le silence, le silence qui, s'il l'avait maintenu, aurait signifié qu'en ce lieu (le lieu dont vos deux amabilités, aussi brèves soient-elles, prennent possession par le seul fait de marquer vos destins croisés), il n'y eut rien (pas rien, dans l'absolu, mais autre chose qui eût couru le monde sans vous).

    C'est l'été. Sa implicité et ses yeux te poignent. Tu penses à ce temps futur où aux mêmes bénéfices d'une humeur bleutée et ensoleillée, sa porte sera cette fois close. Il sera mort (ou comme si...) et de cet inconnu, dans l'imprécision même de ce semblant de dialogue, simple socialité perdue, tu auras perdu la trace. Tu repasseras devant le pas de sa porte, guettant l'ouverture et ne la voyant pas venir, par la force de cette répétition muette tu envisageras l'imparable.

    Tu penses à lui alors qu'un train t'emmène. Peut-être est-ce la peur d'avoir un jour comme destin le pas d'une porte qui te ramène à ces quelques semaines où vous avez été à la croisée de vos chemins... Il y a dans l'existence des personnes auxquelles on ne voudrait pas ressembler parce qu'on a pour elle un mépris radical, parce qu'elles incarnent une acceptation ou une parole répugnantes, parce qu'elles sont, parfois, la trace de ce qui en nous fait notre humiliation (en secret, face au miroir). Lui n'est rien de tout cela. Tu ne voudrais pas être un jour lui : chemin décharné qui mène à la mélancolie, à cette mélancolie-là. Ne pas être lui, sans que tu éprouves le moindre mépris ou que tu n'ailles t'imaginer le plus sombre des destins.Tu ne t'en fais pas les pires images. Ce n'est pas de la pitié (à son endroit) ou de l'apitoiement (sur toi) mais une grande désillusion : sur la vie, sur les heures, sur cette main de poussière avec laquelle nous croyons tenir le monde...

    Il y aurait beaucoup à réfléchir sur notre perméabilité. Ébranlés du quotidien pendant que les images du guerre défilent entre les publicités, compatissants humanitaires d'un jour pour nier la misère proche. Telle est la géométrie variable de nos accommodements. Il est dix-neuf heures trente. Dans le train, tout le monde mange ; la machine glisse sur les rails, balancement à peine sensible. Le soleil commence à renoncer. Le dehors est comme réfrigéré par la clim. Il n'existe pas, il s'efface. Nous ne sommes que des passants...

     

    La photographie est extraite du blog très singulier Midi à sa porte de Thomas P.

  • 1-Les nuits d'étoile-absinthe

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

     

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                                                                                                  À ceux et celles qui tiennent (à) l'alcool, malgré tout

    Parfois, tu es ce cavalier qui, ayant parcouru une grande étendue gelée, s'enquit auprès d'un paysan de l'emplacement du lac de Constance, lequel paysan lui répondit qu'il venait d'y passer au galop. Alors, découvrant quelle épreuve folle il venait de traverser (ainsi peut-on dire) il tomba de selle et mourut. Sans courir de tels périls, il arrive que tu sois fourbu de chagrin, d'ennui ou de désolation, et que tu boives. Tu peux alors t'abandonner au banc le plus isolé ou au trottoir le plus froid. Ton corps est engourdi, attiré vers le bas et les mots (les pensées, ne rêvons pas...) tournent, les syllabes se perdent.

    Parfois tu soudoies ta faiblesse en la charmant d'une traîtrise querelleuse, parfois tu es déjà au delà, réduit à l'indifférence, qui serait belle et douce si tu n'étais pas très loin de la maison. Tu as grandi, tu t'es émancipé et tu as passé depuis longtemps en revue le bataillon des alcools forts. Ainsi as-tu cru pouvoir tenir, la distance, ton rang, l'absinthe, et derrière l'absinthe, l'absente, ce soir-là.

    Rien n'y fait. Tu es vaincu, et la place se videra (les mots se voileront progressivement à ton corps fermé), se videra. Tu t'endormiras et à l'aube la lame du soleil vif ouvrira tes paupières. Ton dos aura épousé comme jamais les petits pavés. Tu te redresseras. Tes trippes grelotteront. Un passant te jettera un œil torve, et toi, tu souriras, chu de ton insouciante jeunesse, de ne pas être mort, étouffé dans ton vomi.

    Alors, sciemment cette fois, tu t'allonges à nouveau contre le pavé et, d'un endroit inconnu de toi, pièce intérieure jamais dite de ton présent, monte un rire, amertume et sel mêlés, en pensant à cet amour désormais d'un siècle passé, fée verte évanouie, un rire achagriné et pourtant serein à te faire passer pour un fou, dont tu remercies le ciel qui est là, là, ici et là, à plein visage...

    Photo : Champs-Élysées, passage à l'an 2000, 31 décembre 1999/1 janvier 2000

    Texte "À l'aveugle" : À la rue

  • Seul à seule

    Il a poussé la porte de la grande salle, où s'était engouffré largement le soleil d'est. il a dû fermer les yeux un temps avant de les rouvrir lentement. C'est l'été et le silence, enfin. Sur la table en chêne, il a vu le bol, son bol, sur lequel est écrit Clarisse, et en s'approchant a compris qu'elle n'y avait pas touché, ou si peu. Elle n'aime guère le café et se lève rarement tôt en vacances. Lui avait encore dans la tête la fatigue du trajet pour venir jusqu'ici. Il avait dormi comme une pierre. Bruxelles est loin.

    Il l'a aperçue, dehors, à travers la grande baie vitrée, et au delà d'elle la longue prairie, le petit bois à gauche, le lac qui brillait comme une tôle. Le ciel était limpide. Elle était sur le transat en plastique blanc, les jambes fléchies, les bras croisés sur les genoux, le buste penché en avant, le front posé sur ses bras. Il s'est approché de la grande baie et l'a regardée sans rien dire, sans essayer d'attirer son attention en frappant au carreau. Ils sont restés ainsi une éternité, avant qu'elle ne relève la tête et , comme si elle avait enfin senti sa présence, elle s'est tournée enfin vers lui, les yeux rougis par le chagrin. Il aurait voulu soutenir son regard mais il cherchait imperceptiblement une échappée vers le lointain, un lointain dans l'espace, qui n'était qu'une remise dans le temps, celle d'un espoir chaque mois anéanti depuis trois ans qu'il y aurait alors de joyeusement batailler sur le choix d'un prénom.

  • 11-À la rue

    "À aveugle" est un ensemble de douze photographies de Georges a. Bertrand, que celui-ci m'a envoyées sans la moindre indication. Il s'agit d'écrire pour chacune un texte dans ces conditions d'ignorance. Une fois achevé ce premier travail il me donnera les informations que je désire, et j'écrirai pour chacun de ces clichés un second texte : ce sera la série "À la lumière de..."

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    Ouais non mais ce que je il n'est bien sûr que la hé Jérôme pas mal le concert de il n'est tu me diras non si à quelle heure Marine et Nico qui passent il n'est là alors je reprends le métro dans l'autre sens et ça sentait le chacal non moi le concert j'ai trouvé le batteur oh Bart et Melbourne il n'est là pour moi je connaissais le groupe mais dans l'ancienne formation avec un bordel dans le wagon c'est quand qu'on décolle j'ai soif bordel les mecs qui s'engueulent une odeur de chacal et une fille avec un maquillage d'enfer une bière il n'est là pour personne j'ai fait écouter à ma sœur tu sais Clara sa sœur j'ai envie d'une bière pas rester après une heure le métro il n'est là pour personne ça caille non tu trouves pas qu'on se pèle mais et quand tu penses De la Tour à la basse et Rethenberg à la batterie dommage on aurait moins la mort cette nana il me disait il n'est là pour personne tu le connais non tu le connais pas il est bourré ou il pleure sais pas moi j'aimerais bien qu'elle vienne Marine dis Mathieu tu le trouves pas bizarre le gars il n'est là pour personne tu veux aller voir vas-y et alors je peux pas finir mon histoire de métro si allô Samuel il a peut-être envie d'être seul je téléphone à Samuel il n'est là pour personne dix minutes que je le regarde bizarre il a juste tendu sa jambe on est déjà arrivés Sam non mais un mec a eu le nez cassé ils ont bloqué la rame et il n'est là pour personne il attend peut-être quelqu'un et puis moi ils me gavent grouille si jamais on loupe la séance Samuel nous rejoint là-bas justement si Franck avait pas envie de faire dans le social va le voir ton type et nous emmerde plus oui me gavent  on se casse ou on accouche moi de toute manière c'est clair quand je sors je ne suis là pour personne


    Je ne suis là pour personne, exactement comme toi et tes amis, et je suis bien heureux que vous vous en alliez, que l'autre ait cessé de se pencher pour essayer de scruter mon visage, comme si je ne pouvais pas voir ses hésitations. Sûr que je ne suis là pour personne... J'ai marché tout l'après-midi, j'ai traîné dans la ville. J'en ai pour trois jours. Exclu pour trois jours, et j'étais trop énervé pour rester... J'ai marché, les cafés sont chers et s'asseoir sur un banc, tout seul, ça fait paumé, cloche, et tu trouveras toujours quelqu'un pour venir te parler. Mais je ne suis pas un paumé, même si je ne suis là pour personne, parce c'est très simple de se retrouver seul et il faut beaucoup de force pour masquer que tu es seul.  C'est plus fort que tout, je ne savais pas. Comment il disait l'autre ? Ah, oui... La puissance, rester debout au coin d'une rue et n'attendre personne. Alors, je dois être sur la voie, même le cul sur le trottoir, encore à faire. Le cul sur le trottoir, sans même un verre d'alcool, dans le nez. La misère. Portable éteint. Sans doute des messages en absence. Messages en absence pour ne pas dire absence aux messages. J'ai soif.  Les messages, je verrai plus tard. Il y en avait une de jolie. S'il m'avait causé, peut-être que je me serais levé... Trop tard.

    *


    *

     

    Non, sa tête ne me dit rien. Pourquoi ? Il a disparu ? J'ai fermé le kiosque à vingt heures. Peut-être le quart, disons. Il n'y avait plus grand monde sur la place. Rien de spécial.

    *

    Esplanade aux réverbères. Fragmentation de l'obscurité et du halo. Quand l'esprit s'enfonce-t-il dans la première, déjà absorbé par ce qui le devance, à son insu ? Il regarde le décor vide. Un peu de vent pour faire courir deux ou trois papiers. Il était là hier, quelqu'un dit l'avoir vu, mais c'est peut-être un mirage...

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    Un souvenir. Un pendentif de l'âme, à suivre, dans les rues et venelles. Artères, et cœur battant.

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    Achilles

    Barnett Newman, Achilles, 1952, National Gallery of Art, Washington D.C.

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    Trouver les négatifs. L'impression du corps rematérialisé. Trouver le corps, ce qu'il en reste, argentique, numérique, et vite