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france - Page 3

  • Le cirque mémoriel

     

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    2014 sera commémoratif. Et donc festif, parce qu'il ne faudra pas que nous nous enfoncions trop dans ce que fut le réel. Les huiles civiles et les baudruches gallonnées se fendront de beaux discours. On y parlera courage, bravoure, vertu, démocratie et liberté. En 2014, on sera patriotes, d'un patriotisme un peu gêné aux entournures, si l'on considère le terrorisme mondialiste ambiant.

    2014 se fera partie dans les tranchées, la larme à l'œil et le sérieux politique à la bouche, pour raconter combien nous devons à ces vaillants petits gars une Europe apaisée et sûre (oui, bien sûr, 39-45, comme continuation ahurissante de la Der des Der... mais ce n'est qu'une péripétie. Il faut considérer l'Histoire sur un temps très large, être un tantinet braudelien...).

    On passera sous silence le cynisme des politiques et l'incompétence militaire. On taira surtout que 14-18 était l'œuvre nécessaire pour changer de vitesse, détruire l'ancienne Europe (et la première victime territoriale fut l'Autriche-Hongrie), promouvoir un discours d'union qui nécessiterait une deuxième couche (et quelques camps de concentration ou d'extermination, dont on savait qu'ils existaient, très tôt, mais que l'on ignora, en leur temps, pour mieux les utiliser, après, dans une logique terrible de soumission des populations (1)), faciliter le démembrement de l'esprit national (en incitant soit au pacifisme ambigu des écolos des années 70 et au mondialisme libertaire, soit au nationalisme exacerbé sur lequel on pouvait jeter le discrédit).

    On taira que 14-18 fut une opération de terreur, pour ceux du front et pour ceux qui virent revenir ceux du front.

    On rendra des hommages comme on sait désormais le faire (l'hommage est devenu dans notre aire pseudo démocratique un exercice de rhétorique, un peu comme la dissertation de Science-Po ou le discours d'accueil à l'Académie : l'articulation plutôt que le fond. Surtout pas de fond...) : en oubliant ou en biaisant le passé. On rendra hommage non pas pour revenir sur le passé mais pour dire merci au présent, et donc neutraliser la violence du présent (car, enfin, soyez raisonnables, que diable : vous n'êtes pas sous les bombes...). On rendra hommage en tuant une deuxième fois, comme on le fait chaque 11 novembre, ceux qui n'avaient rien demandé.

    Sur ces dégoulinantes démonstrations de l'année, il n'y aura rien à dire. La puanteur récupératrice ne mérite pas de mots. Nous nous contenterons, dans les trois prochaines publications de Off-Shore, de laisser la place à une voix autrement plus conséquente que la nôtre, substituant à l'écœurement présent la lucidité passé. Entendre Bernanos et Les Enfants humiliés, n'est-ce pas une manière simple, classique de remettre certains à leur (médiocre) place...

     Photo : Don McCullin

     (1)Ce qui fait que les plus antisémites se trouvent dans le camp de ceux qui instrumentalisèrent la Shoah, qui l'instrumentalisent encore,  l'instrumentalisant si bien que les bonnes âmes, contrites, s'indignent -c'est de mode - sans se poser la question simple : à qui profite le crime ? Au regard de ces fallacieux, les éructations prétendument humoristiques de certains sont relatives. Obscènes mais relatives...

  • Fief (substantif)

    Soyons grands, soyons modernes ! Regardons vers le futur, encore et toujours ! C'est, pourrait-on dire, le credo du temps, l'antienne des démocrates européistes et des vendeurs de lendemains radieux et sans frontières.

    On nous promet de l'espace, du territoire infini, du cosmopolitisme clinquant et humain. Si vous vous acharnez à aimer votre territoire (lequel n'est vôtre que par abus de langage : la propriété n'est ici que le signe de l'affection), vous êtes un passéiste, un rétrograde à l'esprit servilement paysan. À bas les crotteux et les enracinés. Tout cela sonne trop ancien régime et l'âme politique moderne regimbe.

    Il est néanmoins un détail qui surprend. Le personnel politique, de droite, du centre, de gauche, s'entend pour revendiquer son ancrage dans le pays. Rouges, roses, orange, bleus, les chœurs montent ferme pour ne pas briser le lien entre les élus et les citoyens. Tel est d'ailleurs l'argument central de ceux qui ne veulent pas d'une loi sur le cumul des mandats. Il s'agit de demeurer au cœur des choses, d'entendre les oscillations du peuple.

    Magnifiques, ces pétitions de principes, sublime, ce désir démocratique servant les intérêts fort circonscrits de barons provinciaux qui s'accaparent les fonctions, les pouvoirs, les droits, les nominations.

    Quand on considère l'affaire dans certains pays, on parle de népotisme, de confiscations démocratiques, de prébendes, etc. Ici, on appelle cette situation un fief

    Les plus nantis de la classe politique (chacun aura loisir de trouver des exemples qui lui sont proches, à toutes les mangeoires de la démocratie française) ont donc réactualisé, faut-il écrire : modernisé cette définition féodale du pouvoir. Ici et là : limites du droit et bon plaisir du baron ou de la baronne. 

    Fief : le mot est sans cesse repris dans les médias sans que cette anachronisme fasse grincer des dents.

    Le fief, donc. La valetaille et notre bon maître.

    On aimerait y trouver un abus de langage mais pour avoir vécu en plusieurs endroits du territoire hexagonal, dans des endroits particulièrement fieffés, nous savons qu'il n'en est rien. La République et ses valeurs, dont ils nous rebattent les oreilles, par quoi ils justifient fausse morale et désinformation pour masquer leurs pratiques honteuses, s'effacent devant ce qui les contente. 

    Le fief est une de ces piteuses mascarades de la démocratie, certes, mais plus encore : il est l'aveu à peine voilé d'un mépris souverain du citoyen au profit d'une roture qui se rêve poudrée et sang bleu.

    Le fief, c'est la pitoyable mesquinerie d'une troupe satisfaite se rengorgeant de toute sa fierté à célébrer les comices agricoles et les inaugurations de salles polyvalentes.

    Mais, pour parodier Céline, écrivons que le fief, c'est l'idéal aristocratique à la portée des caniches...

  • ...Fors l'esprit (pour clore 2013)

     

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    "Sil faut choisir, je me dirai barrésien"

    Louis Aragon, Les Lettres françaises, 16 décembre 1948

     

     

    Sous la plume de Francesco Guicciardini, écrivain et diplomate florentin, dans le courant du XVIe siècle (1)

    "Toutes les cités, tous les Etats, tous les royaumes sont mortels (2)toute chose soit par nature soit par accident un jour ou l'autre arrive à son terme et doit finir ; de sorte qu'un citoyen qui voit l'écroulement de sa patrie, n'a pas tant à se désoler du malheur de cette patrie et de le malchance qu'elle a rencontrée cette fois ; mais doit plutôt pleurer sur son propre malheur ; parce qu'à la cité il est advenu ce qui de toute façon devait advenir, mais le vrai malheur a été de naître à ce moment où devait se produire un tel désastre."

    Cette réflexion est fort belle parce qu'elle rappelle la complexité du rapport qu'une personne donnée peut avoir avec l'entité politique et culturelle dans laquelle elle s'est forgée. Il y a bien plus qu'un lien, une véritable relation. Et il faut entendre la relation dans la double acception du terme : ce qui relie et ce qui relate. Faire sien le lieu où nous vivons, et cela, non sur le mode personnel, comme une convenance ou un accommodement, mais comme héritier, ou commensal à une table qui fut mise bien avant que nous fussions nés ou arrivés en ce lieu.

    Le mot patrie est devenu aujourd'hui, comme le mot nation, une ignominie. Les mondialistes et autre différentialistes français l'exècrent, sauf en deux occasions, lorsqu'il s'agit des autres (à qui on reconnaît le droit de pleurer et de revendiquer leur attachement à la terre) et de foot (un maillot les fait mouiller, semble-t-il). Ils sont internationaux à Paris et patriotes à l'étranger (ce qui n'est qu'une nouvelle formulation de ce que dénonçait Gabriel Matzneff en 1982, quand il fustigeait ceux qui voulaient "être de gauche à Paris et barrésiens à Tel-Aviv [...] railler sur les bords de la Seine le goût des racines, de la tradition, de la terre et des morts, et l'exalter sur les rives du Jourdain". La seule évolution (mais elle est sensible) porte sur le lieu de comparaison. La gauche a abandonné les rives du Jourdain pour d'autres destinations exotiques. Le message reste pourtant le même. C'est celui d'un cosmopolitisme mondain (pour les plus riches) et aspirant à la mondanité (pour les autres qui s'illusionnent, quand ils ont encore un peu de culture, sur le modèle gidien comme idéal pour lutter contre le modèle barrésien. Nous en reparlerons dans l'année. Promis.) qui noie le pois(s)on dans un vernis multiculturaliste dont la dernière formalisation est les élucubrations sordides du rapport sur l'intégration auquel Pierre Mari, chez Stalker, règle son compte sur un plan lexical et donc idéologique d'une façon remarquable. Ils ne peuvent se sentir toucher par les mots de Guicciardini, ceux qui se prétendent du monde, et pour une très bonne raison : nous ne sommes jamais du monde, sinon dans l'ordre des idées et des affinités électives qui demandent que l'on creuse son sillon d'abord pour pouvoir comprendre le sillon d'autrui. Ils ne peuvent comprendre Guicciardini parce que ces citoyens du monde sont avant tout les thuriféraires volontaires (pour les conscients) ou idiots (pour les autres) d'un ordre qui se veut justement mondial. Ils ne comprennent pas (ou alors trop bien) qu'une telle revendication porte moins une humanité que l'on voudrait solidaire qu'un marché que l'on voudrait sans entraves.

    Les individus qui voient en des personnes comme moi, alarmées qu'elles sont du délitement de la culture, de l'abandon de l'Histoire, du reniement d'un héritage antique et judéo-chrétien, des crypto-fascistes, des réacs délirants, voire des xénophobes à enfermer (toutes ces insultes font sourire. Elles servent trop, et pour trop de monde.), ces individus-là devraient se demander pourquoi cette alarme prend le plus souvent les traits de la mélancolie et non ceux de la colère, pourquoi elle s'exprime en dépit du bonheur qu'il y aurait à vivre retranché du monde, dans le seul territoire, déjà si vaste, des livres, des tableaux et des sonates, pourquoi elle agite un esprit ayant atteint le demi-siècle, un âge tel que du désastre il n'en verra rien, que cet esprit pourrait s'en laver les mains, se dire que de l'enfant qu'il regarde jouer ou de l'adolescente qui lui sourit dans le bus, il n'en a cure. Après moi, le déluge. La douce pente de l'indifférence est tentante mais elle ne peut se prendre que si je renie ce dont je suis le fruit, que si je pratique assidûment la selbsthass -haine de soi- réclamée par les terroristes intellectuels au pouvoir, que si je ne rends pas à mon père et à ma mère, et au-delà d'eux, à l'Histoire de ceux qui m'ont précédé, quelle que soit leur origine, ce qu'ils m'ont donné de français, que si je ne crois plus à la grandeur des édifices pluri-séculaires, à la beauté des tableaux, aux charmes des paysages nourris de l'esprit européen, que si j'oublie la grandeur de Rome, le mystère de Venise, la rigueur de Paris, l'éclat de Séville, que si je ne crois plus, à ma modeste place, à mon rôle de passeur.

    Face à cela, la médiocrité assassine (j'écris en conscience : assassine) de nos gouvernants (3) donne envie de polémiquer, d'user de la langue venimeuse qui fit le sel des XIXe et XXe siècles. Mais ils sont tellement méprisables que ce serait affaiblir son honneur. Il faut donc alléger son cœur autrement, ouvrir de petites fenêtres sur le sensible et le relégué pour espérer toucher celui qui lit. Non pas pour plaire mais parce que les chemins de traverses, les routes dérobées sont aussi le moyen de s'émerveiller du détail et d'ironiser sur la glaise du temps présent et de combattre ses statues boueuses. 

     

    (1)Cet extrait se trouve dans Guy Debord, Panégyrique, tome 1, Gallimard, 1993

    (2)On connaît la formule choisie par Paul Valéry, dans La Crise de l'esprit, en 1919 : "Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles."

    (3)Médiocrité assassine englobant ainsi : le reniement à la laïcité et l'oreille attentive au communautarisme, la haine délirante du catholicisme et la complaisance envers l'islamisme, le mariage pour tous et le démantèlement de la politique familiale, l'instrumentalisation des -phobies diverses et la faiblesse à appliquer la loi, l'abandon de la souveraineté nationale et la soumission aux diktats de l'ultra-libéralisme, la fascination sportive et médiatique et le mépris des petites gens...


    Photo : Simon Marsden.

  • Job (substantif)

    Dans la série des anglicismes qui ne devraient servir à rien mais dont l'usage induit une inflexion de l'esprit français vers les valeurs anglo-saxonnes, il y a job.

    Nous sommes déjà passés de l'époque du métier à celui de l'emploi, ce qui, pour beaucoup, signifie un rabais qualitatif du travail et pour la plupart une disponibilité, une flexibilité, une employabilité dont le nouvel esprit du capitalisme (comme l'ont si bien décrit Boltanski et Chiapello) voudrait nous faire croire qu'elles sont une chance, alors qu'elles sont les révélateurs d'une incertitude chronique et stratégique (du point de vue des dirigeants). Et ce n'est pas la dernière loi socialo-libérale sur la "sécurisation de l'emploi" (justement) qui va arranger la situation. Le désastre est tellement flagrant et la complicité des gouvernants de progrès tellement évidente qu'on se doit de rappeler tout ce qu'un Jean-Claude Michéa dénonce d'une gauche qui fait pire, d'une certaine manière, que la droite.

    Mais revenons à notre job.

    Pour les gens de ma génération, l'usage de ce mot était circonscrite : il renvoyait quasi exclusivement à cette période estivale pendant laquelle on cherchait un boulot pour financer ses études ou partir en septembre avant que la fac ne reprenne son train-train en octobre. Le job avait par excellence cette connotation joyeuse parce que temporaire d'un travail qui ne pouvait pas nous définir, par lequel nous étions concernés pour autant que le plaisir ou l'indépendance relative était au bout. Jusqu'à un certain point (je pense à ceux qui faisaient des colonies), le job servait à vous fabriquer des souvenirs.

    Avec le temps, le job s'est installé dans le quotidien, dans la continuité annuelle d'une société en crise, dans la perpétuation des incertitudes sociales et économiques. Ce qui tenait du furtif et du sommaire sans crispation s'est transformé en une recherche répétitive et flottante pour échapper la misère et à la précarité. Le job d'été n'est plus, ou si peu. À la place : trouver un job. Un job à l'année, s'entend, selon des contrats précaires, des renouvellements aléatoires, et des conditions défavorables. Par le biais de toutes ses connotations, le mot job a signifié que le monde du travail français avait changé, que les heures de gloire de l'ouvrier et de l'employé lambda, dans ses revendications de reconnaissance légitimes, étaient passées.

    Le job, c'est le managériat à l'américaine. C'est le triomphe symbolique de MacDo. C'est l'effacement de toute valeur humaine au profit de la comptabilité. Xavier ou Paul a trouvé un job : autant dire que ce sont des années de CDD et, même en cas de CDI, une plongée à la minute en cas de baisse d'activité. Le job cadre bien avec l'éternel jeunisme ambiant. Il va de pair avec le discours stratégique qui demande à ce que de votre énergie vous fassiez un plus pour l'entreprise. Et de presser le citron avant de le jeter.

    Il a fallu attendre le tournant des années 2000 et même un peu au delà pour le mot franchisse une étape supplémentaire, celle de l'univers politique. L'an passé, Copé l'ectoplasme disait que pendant la campagne il avait fait le job (a minima semble-t-il). Ce jour, Valls je-n'aime-que-moi déclare qu' "il y a un président de la République François Hollande qui je l'espère est là pour longtemps. Il y a aussi un Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, qui fait bien son job." Laissons de côté ce que le propos porte d'implicite et d'ambition. Retenons simplement que la politique est un job, que la direction politique est un job, que l'orientation d'une nation est un job.

    Faire le job... Il ne s'agit plus d'un travail. Cela n'équivaut pas à faire son travail. L'idée est tout autre. C'est le triomphe de la logique d'entreprise. Le job est indissociable du business. Il n'est pas étonnant que des personnalités aussi peu politiques que Copé ou Valls (mais les autres ne le sont pas plus) usent d'un tel vocabulaire. Le repli du politique sur les critères de l'économique, de la finance et des cadres comptables ne peut qu'aboutir à ce dépérissement. Ayrault fait (bien) son job ; il ne mène pas une politique. Et pour cause : il faudrait qu'il en ait une, qu'il ait le droit d'en avoir une, qu'il ait la volonté d'en affirmer une. Mais rien de tout cela ne peut désormais advenir.

    Reste le job. C'est-à-dire la posture et l'instrumentalisation à peine cachées maintenant de la classe politique qui occupe la place ou le poste, en sicaire obéissant de la finance (l'ennemi par principe, comme dirait l'homme normal...). Pour le job, la compétence est moins importante que la stratégie, la valeur moins porteuse que le symbole (sans quoi Ayrault ne l'aurait pas décroché, le job). 

    Dans le job, les ordre viennent d'ailleurs, la pression est extérieure, la raison invisible et le souci commun une petite brume qui se dissipe.

    Et après faire le job, que nous reste-t-il à attendre (façon de parler évidemment, puisque nous n'attendons rien, en soi) ? Do the job. Une version anglaise intégrale ou le statu quo. Belle perspecive d'un langage politique niché entre l'euphémisme (le mot rigueur n'a pas de raison d'être) et le sabir minimum d'une mondialisation asséchante et destructrice.

  • d'Outre-tombe, justement...

     

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    Considérant la nécessaire et urgente éradication de cette suprême hérésie libertaire qu'est le catholicisme, il faudrait toute affaire cessante que les Femen et leurs affidés gaucho-socialistes entrent dans les librairies hexagonales, aillent au rayon littérature française (1), se saisissent des exemplaires (tous, tous, absolument tous !) des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. On y trouve en effet des pages écœurantes, d'une religiosité qui dépasse l'entendement. Une prose quasi apostolique qui révulse. 

    Ainsi les lignes qui suivent où l'affreux malouin évoque la flèche de l'église Saint-Vincent comme d'un phare dans la tempête. Devant une telle absurdité, l'autodafé s'impose, et vite. En attendant que l'on dresse des bûchers et que Chateaubriand ne finisse en cendres, place au génie chrétien de François-René (2)



    "Durant les jours de fête que je viens de rappeler, j'étais conduit en station avec mes sœurs aux divers sanctuaires de la ville, à la chapelle de Saint-Aaron, au couvent de la Victoire ; mon oreille était frappée de la douce voix de quelques femmes invisibles : l'harmonie de leurs cantiques se mêlait aux mugissements des flots. Lorsque, dans l'hiver, à l'heure du salut, la cathédrale se remplissait de la foule ; que de vieux matelots à genoux, de jeunes femmes et des enfants lisaient, avec de petites bougies, dans leurs Heures ; que la multitude, au moment de la bénédiction, répétait en chœur le Tantum ergo, que dans l'intervalle de ces chants, les rafales de Noël frôlaient les vitraux de la basilique, ébranlaient les voûtes de cette nef que fit résonner la mâle poitrine de Jacques Cartier et de Duguay-Trouin, j'éprouvais un sentiment extraordinaire de religion. Je n'avais pas besoin que la Villeneuve me dît de joindre les mains pour invoquer Dieu par tous les noms que ma mère m'avait appris ; je voyais les cieux ouverts, les anges offrant notre encens et nos vœux ; je courbais mon front : il n'était point encore chargé de ces ennuis qui pèsent si horriblement sur nous, qu'on est tenté de ne plus relever la tête lorsqu'on l'a inclinée au pied des autels.

    Tel marin, au sortir de ces pompes, s'embarquerait tout fortifié contre la nuit, tandis que tel autre rentrait au port en se dirigeant sur le dôme éclairé de l'église : ainsi la religion et les périls étaient continuellement en présence, et leurs images se présentaient inséparables à ma pensée. À peine étais-je né, que j'ouïs parler de mourir : le soir, un homme allait avec une sonnette de rue en rue, avertissant les chrétiens de prier pour un de leurs frères décédé. Presque tous les ans, des vaisseaux se perdaient sous mes yeux, et, lorsque je m'ébattais le long des grèves, la mer roulait à mes pieds les cadavres d'hommes étrangers, expirés loin de leur patrie. Madame de Chateaubriand me disait comme sainte Monique disait à son fils : Nihil longe est a Deo : "Rien n'est loin de Dieu." On avait confié mon éducation à la Providence : elle ne m'épargnait pas ses leçons."


    (1)déjà l'intitulé est douteux : "littérature française". Cela pue le nationalisme à cent mètres. C'est nationaliste, putride et facho. La désormais si magique "littérature-monde", voilà la vérité des temps futurs...

    (2)Mais il y aura bien un de ces multiples génies de la critique moderne (et postmoderne), tendance structuro-lacano-marxiste pour nous expliquer que l'énoncé "Chateaubriand est un écrivain chrétien" est une pure invention du lobby papal...


    Photo : X

  • Vacance gouvernementale

     

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    N'est-ce pas ainsi qu'on nous avait vendu l'élection présidentielle : un double état d'urgence ? Urgence à se débarrasser d'un Sarkozy atteint de la danse de Saint-Guy ; urgence devant une crise financière mondiale qui menaçait de faire couler tout le continent et dont les gouvernants du moment ne prenaient pas la pleine mesure. Tout devait changer (mais on sait depuis les mots du comte Salinas, dans Le Guépard, qu'il faut que tout change pour que rien ne change...).

    Laissons de côté les considérations sur la nouvelle manière de la présidence, cette normalité tarte à la crème dans laquelle Hollande est en train de s'empêtrer. Appréhendons juste la question d'une situation explosive, française, européenne, mondiale... Un gouvernement, des ministres ont été nommés pour ce faire, et si l'on veut encore accorder qu'en toute logique le temps des législatives étaient un temps d'action tronqué, nous conviendrons que tout ce beau monde a pris fonction début juin. Pour partir se reposer une quinzaine en août. Ce qui, au ratio du durée effectuée/repos accordé est plutôt un bon rapport. Heureusement qu'il y avait urgence. À moins que cette coterie équilibrée des différents courants du PS n'ait qu'une utilité bien relative (et l'on pense à une Belgique fonctionnant sans gouvernement).

    La tonalité du paragraphe précédent est indéniablement populiste. C'est ainsi que le jugerait une certaine morale de gauche, tendance Libération ou Inrocks. Attaquer des ministres sur leur pause estivale est une mesquinerie relevant au moins d'un anti-parlementarisme larvé, d'un poujadisme rance, etc. Pourquoi pas ? Mais faire comme d'habitude, poser en préambule que durant l'été rien ne se passe, que le monde est en vacances, les crises en suspens, les conflits en trève, les inquiétudes entre parenthèses, la misère plus joyeuse, et ainsi de suite, induire qu'il en va, au moins depuis 1936, et l'instauration des congés payés, du temps français (et donc mondial, puisque la France, c'est le monde, chacun le sait) selon les rythmes du travail, cela est un peu fort. S'il y a changement quelque part, il ne se trouve pas dans la mesure lucide de cette urgence si souvent invoquée. Rien ne semble demander que les énergies gouvernementales préparent, se préparent, nous préparent. À quoi, sinon à une année 2013 difficile, très difficile, rigueur ou pas (certes le mot est tabou) ? Nul doute que les directeurs de cabinets, les conseillers divers et les administrations centrales ont assuré la continuité des affaires. Mais ils ne sont pas, dans l'ordre du symbolique, les figures qui ont été choisies, pas ceux qui, sur le devant de la scène, tirent les marrons du feu quand la fin de l'histoire est propice à un plan de carrière. Et n'en déplaise aux défenseurs d'une nouvelle gouvernance, un président en maillot de bain, détestant certes le people mais en manchettes des journaux poubelles, reste un président en maillot de bain. Il fallait indéniablement qu'il récupérât d'une campagne éprouvante. Grand bien lui fasse...

    Et in petto de penser à ces amis qui n'ont pas les faveurs de la République ; à un en particulier, qui, ayant commencé en avril 2011 dans son emploi actuel, sera en vacances à la fin de la semaine. Entre temps : huit jours de vacances en seize mois. Mais il est vrai qu'il n'est pas ministre et que cynisme pour cynisme, en ces heures de crise bien réelle, il devrait déjà se satisfaire d'avoir un travail...


    Photo : X


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  • Point, à la ligne...


    Si le symptôme regarde le futur, annonciateur d'une transformation, d'un désordre ou d'une entropie, il touche aussi au présent, et même au passé (proche). En lui est aussi la trace (l'indice) d'un phénomène déjà en cours. Ainsi la séméiologie médicale n'est-elle pas simplement l'histoire d'un diagnostic (en vue d'un pronostic), elle est aussi retour en arrière... C'est dans cette perspective que la sémiologie des faits sociaux peut aussi s'appréhender. Et sur ce plan, il n'y a pas d'événement qui vaille plus que d'autre, d'advenu plus noble ou plus sérieux
    , parce que tout est trace, lisible ou non, inscrite dans le champ plus général des affaires du monde.

    Prenons ainsi ce qui s'est passé la semaine dernière, pour inaugurer (à prendre dans son sens quasi religieux d'annonce) la finale de rugby entre la Nouvelle-Zélande et la France : le fameux haka, lequel est, pour les non avertis, un chant hérité des Maoris, accompagné d'une danse assez simple, et qui, sous ses apparences un peu rudes, n'a rien à voir avec une quelconque volonté de tuer.



    Nous sommes dans le rituel, intégré comme tel dans l'espace d'un terrain de jeu. Pour reprendre une distinction de Michel  Foucault,  une sorte d'hétérotopie dans l'hétérotopie, croirait-on : la suspension à double niveau de l'ordre du monde pour lui substituer un ordre plus restreint, plus intime en quelque sorte, où sont concernés au premier chef les joueurs des deux équipes. Avec du recul, on en vient à se dire que ce à quoi nous  sommes réduits ramène à un pur moment de voyeurisme. Devant l'écran ou au stade, nous sommes témoins d'une histoire qui peut certes nous émouvoir (le frisson du cri, des hommes en ordre de bataille, le noir contre le blanc, la suspension du temps, la connaissance du déjà-vu -et donc le plaisir de la retrouvaille) mais qui ne nous concerne pas. Plus que jamais (et comme il me semble, dans aucun autre sport, même au moment des hymnes nationaux (et pour être clair : surtout à ce moment-là)), nous sommes hors-jeu.

    Il faut dès lors considérer le moment du haka comme un temps soustrait à l'ordre, pour un rite quasi privé, auquel nous ne pouvons pas participer (1), parce que la communion n'est pas là où nous croyons qu'elle est : le haka n'est pas la réunion d'un camp (joueurs et supporters) mais l'union des deux équipes, des adversaires.

    C'est d'ailleurs en ce sens que les joueurs français l'ont très bien compris. Et cela en deux temps. En commençant d'abord par se disposer en V. Puis en avançant jusqu'à la ligne médiane. On pourra toujours mettre cette stratégie sur le compte de l'intimidation d'avant match, à la manière des déclarations intempestives qu'on trouve dans les journaux ou dans les conférences de presse. Il s'agit de ne pas se laisser impressionner, de se montrer, d'être présent. L'enjeu est à ce niveau, soit. Mais ce principe est repérable depuis longtemps, lorsque les équipes s'alignaient devant les All Blacks et les regardaient accomplir leur rituel, impassibles. Dans ce que font les Français, il y a comme un supplément d'âme, et plus encore. Il y a une réponse. La disposition classique consistant à écouter, raide comme un piquet, le chant maori laisse sa place à une action, c'est-à-dire à une parole, non pas au sens linguistique certes, à une adresse. À ceux qui leur parlent, ils répondent. Partir de son camp et s'avancer vers l'autre est une manière de lui signifier son existence et, très important, lui signifier la sienne. C'est établir l'échange dans ce qu'il a d'interpersonnel (quand bien même ils sont nombreux de chaque côté), dans ce qu'il abstrait le monde qui entoure les participants. Les Français prennent le haka pour ce qu'il est vraiment : un partage, un murmure au creux de l'oreille, une reconnaissance, un don (qui induit le guerredon).

    Mais l'histoire ne s'arrête pas là et prend une autre dimension lorsqu'on apprend le lendemain que l'International Rugby Board condamne, pour "contre-haka", l'équipe française à une amende de 2875 dollars. Pour l'essentiel, on leur reproche de ne pas être restés à leur place et d'avoir franchi la ligne médiane, d'être allés dans le camp adverse. Ils ont enfreint la loi. À ce niveau, ce ne sont évidemment pas des délinquants, moins encore des criminels, mais des contrevenants. Voilà qui ne manque pas de sel, puisqu'en allant à la rencontre de ceux qu'ils reconnaissaient comme tels, ramenant le jeu à son humanité, ils allaient à l'encontre de la loi. Peu importe que le président de la fédération néo-zélandaise ait jugé inutile la sanction, qu'aucun joueur all blacks n'ait trouvé à redire sur l'attitude tricolore, que les Français, ayant gagné le toss, eussent pu jouer en bleu et qu'ils préférèrent jouer en blanc pour laisser les néo-zélandais à leur mythique couleur ; peu importe les élégances, quand l'ordre, celui qui n'a pas à se justifier, est en danger.

    Franchir la ligne : tout est là. Afficher le désir collectif d'une communion qui met à mal l'autorité, telle est la visibilité de ces presque deux minutes où le cours des choses est entre parenthèses. Le faire ainsi au vu et au su du monde était insupportable à qui de droit. La sanction pourrait être considérée sur le seul plan sportif mais ce serait aller trop vite en besogne. C'est en ce sens qu'elle est un symptôme. Elle en dit long sur l'état du monde qui, sous couvert d'une plus grande liberté, s'ingénie à écraser toute velléité existentielle. Jouez, courez, trichez, soyez sanctionnés par l'arbitre, battez-vous... mais n'essayez pas d'être, d'exister, et surtout ne donnez pas au combat, à la lutte, à l'affrontement les limites de votre humanité. Un simple détail, sans doute... par lequel on reconnaît la coercition sournoise d'un ordre festif. Les figures mises en avant dans le moment de l'événement (une finale tout de même, et en chef de rébellion, celui qui sera désigné dans la foulée meilleur joueur du monde) ne sont rien, ne doivent rien avoir à penser, et surtout, elles ne doivent pas croire en l'existence de l'autre.

    Sous cet angle, et parce que cette histoire n'engage pas grand chose sinon une victoire sur un terrain (80 minutes et puis on passe au divertissement suivant), il y a de quoi désespérer profondément du monde qui nous entoure. Arrivé à ce point de terreur disciplinaire, il tombe dans l'absurde, et l'absurde, dans le réel, est mortifère.



    (1)À l'inverse des hymnes, que la foule peut reprendre en chœur, le haka se fait dans le silence. Il n'est pas question pour quiconque n'est revêtu du maillot (titulaires et remplaçants) de se l'approprier.