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Des auteurs - Page 4

  • Theatrum horrendi

    Ubu : ahh, ahha, aaaah, aah...

    Pousse-patins : Pourquoi ris-tu, Père Ubu ?

    Ubu : Je lis les nouvelles du monde et elles sont fort risibles, en effet !

    Pousse-patins : Qu'y a-t-il de si drôle ?

    Ubu : Écoute ! En Francheconnerie, on a appelé le peuple de gauche à voter pour Casquobol, le si grotesque Casquobol ! Aahh, aah, aaah ! Ce peuple de gauche !

    Pousse-patins : Tu veux dire, Père Ubu, ce bon peuple de gauche !

    Ubu : C'est vrai, j'oubliais l'adjectif. Je dirais même plus : ce trop bon !

    Pousse-patins : Oh, oui ! Trop bon !

    Ubu : Mais il ne faut pas s'étonner, par ma chandelle verte. Tout est possible, et surtout le pire. 

    Pousse-patins : Ils pourront toujours danser au bal des cocus.

    Ubu : Sûr qu'ils pourront danser, chanter et reprendre à tue-tête leur devise nationale

    Pousse-patins : Leur devise nationale ?

    Ubu : Oui, elle est très belle : usinoir, urinoir, isoloir ! Aaah, aaah, aah !

    Pousse-patins : Très parlant, je trouve.

    Ubu : Tout à fait. C'est pour cela qu'on peut en rire. Mais rien d'étonnant.

    Pousse-patins : Pourquoi ? Comment cette grande arnaque est-elle seulement possible ?

    Ubu : On appelle cela la démocratie libérale.

    Pousse-patins : Démocratie libérale ? Je n'entends guère ce que tu me dis là, Père Ubu. J'attends que ta chandelle verte m'éclaire.

    Ubu : Cornegidouille, voilà qui n'est pas difficile. Écoute bien, parce que je vais étymologiquement élucider le mystère

    Pousse-patins : Je suis toute ouïe.

    Ubu : Démocratie libérale est composé de deux mots. Libérale vient du grec et signifie "pompe à phynance". mocratie vient aussi du grec et signifie "pompe à merdre". Saisis-tu la correspondance ?

    Pousse-patins : Je ne la saisis que trop.

    Ubu : Adoncques le mécanisme est le suivant. Pour que la "pompe à phynance" puisse fonctionner au mieux pour ceux qui la tiennent, il faut mettre en branle la "pompe à merdre".

    Pousse-patins : Et comment s'enclenche ce sytème qui relie l'une et l'autre ?

    Ubu : Grâce à un instrument de papier qu'on appelle familièrement bulletin de vote mais que les spécialistes savent nommer de façon plus adéquate : le torche-cul.

    Pousse-patins : Nous y sommes.

    Ubu : Effectivement.

    Pousse-patins : Et cela explique-t-il la faveur faite à Casquobol ?

    Ubu : Certainement. Nul doute qu'avec lui la "pompe à phynance" fonctionnera plus, arrosera mieux, que veaux, vaches et cochons seront plus gras dans les couloirs du pouvoir ! (il soupire).

    Pousse-patins : Et les gens ne disent rien.

    Ubu : Ils se sentent d'importance avec leur torche-cul, les mains bien grasses, le dimanche. Ils appellent cela : maîtriser son destin. (Il soupire)

    Pousse-patins : Tu as l'air songeur, Père Ubu...

    Ubu : Je le suis, en effet

    Pousse-patins : Pourquoi est-ce ?

    Ubu : La nostalgie de mon crochet à nobles, mon pauvre Pousse-patins. Mon crochet à nobles. Que de grandes choses nous avons faites... T'en souviens-tu ?

    Pousse-patins : Chasse ta mélancolie, Père Ubu, parce que, de toute manière, tu n'es pas un Franchecon.

    Ubu : Certes. Tu as raison. Je ne suis pas un Franchecon. Qu'ils se démerdrent. Ou pas...

                               

                                                    Alfred Jarry, Ubu voyageur (posthume)

     

     

     

     

     

     

     

     

  • Le fonds du pays

    Durant l'été 94, à Espalion, devant une charcuterie dont on t'avait vanté la réputation, tu entendis deux hommes, la bonne cinquantaine, conclure leur palabre d'un "adieu" rocailleux et franc. Un adieu, là où toi-même tu aurais choisi un "au revoir" ou un "à bientôt".

    C'est l'usage de la région, appris-tu, un usage ancestral qui ne peut se comprendre si l'on ne récrit pas comme il se doit ce que l'on vient d'entendre : "à Dieu" et non "adieu", ainsi que Montaigne conclut son avis au lecteur qui inaugure ses si éblouissants Essais : "A Dieu donq. De Montaigne, ce premier de mars, mille cinq cens quattre vins." (1)

    L'archaïsme peut surprendre, mais ce n'est pas cette distance dans le temps qui a conservé en toi vivace ce si anodin souvenir. C'est la persistance propre d'une existence placée sous la figure de Dieu. Une telle puissance de la parole, ce marquage de la langue en dit long sur cet enracinement d'une histoire humaine, et proprement européenne, dans la lumière divine. La croyance, dans l'à Dieu, n'est pas seulement la nomenclature d'un ordre transcendant ; elle est la confiance en l'avenir et la douceur de s'en remettre à plus que soi. Se dire à Dieu, c'est alors espérer plus que de raison qu'on se retrouvera parce que la bienveillance et la miséricorde sont présentes.

    Si, pour la langue, on pense à un archaïsme, sur le plan de l'expérience humaine, il en va tout autrement. C'est la persistance, dans un espace rural, d'une longue tradition. Et, d'un coup, l'origine est prise pour une étrangeté, voire une faute, et la falsification pour la norme.

    Cette "remontée des âges", cette ferveur dont la langue porte la trace, la République maçonnique qui nous gouverne voudrait la réduire en cendres. Elle rêve que nous ne soyons de nulle part (belle singularité dans les termes), et que notre vie, déracinée et mondiale, puisse ne plus entendre cet "à Dieu" sinon dans son évidement lexical, comme le allô, symbole de la fonction phatique définie par Jakobson. Il est une gêne dans le révisionnisme historique en cours, qui veut nous imposer un passé s'arrêtant aux grandeurs de la Révolution (2).

    Cet "à Dieu" dont tu sais, dont tu sens, qu'il n'est pas une simple formule conclusive, une manière fortuite de se quitter, il n'a jamais quitté ta mémoire. Longtemps, tu ne lui prêtas qu'une dimension intellectuelle. C'était oublier l'essentiel. Un essentiel qui déjà t'émouvait en parcourant les travées de Vézelay, la simplicité de Santa Maria in Cosmedin, en contemplant les Scrovegni peints par Giotto, une madone du Corrège, en écoutant la moindre cantate de Bach...

    Il ne faut pas se leurrer, et même si la mélancolie est la plus constante de tes amitiés, l'heure des choix est venue, l'heure sans doute de se dire "à Dieu"...

     

    (1)On s'en doute : les éditions dites "modernisées" passent outre et font la faute... Mais le lecteur de ce blog sait ce que je pense de la "modernité" orthographique infligée à Montaigne (et à d'autres)...

    (2)Il suffit de revoir le clip de campagne de François Hollande, sur ce point très édifiant.

     

     

  • Romain

     

     

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    "Je suis Romain, parce que, n'était ma romanité tutélaire, la seconde invasion barbare, qui eut lieu au XVIe siècle, l’invasion protestante, aurait tiré de moi une espèce de Suisse.

    Je suis Romain dès que j'abonde en mon être historique, intellectuel et moral. Je suis Romain  parce que si je ne l’étais pas je n’aurais à peu près plus rien de français."

    Voilà ce qu'écrit Maurras dans Le Dilemme de Marc Sangnier.

    Maurras ! Quelle horreur ! Comment peut-on citer Maurras ! C'est vrai : comment peut-on citer Maurras ? Et pendant qu'on pousse des cris d'orfraie, qu'on se gausse d'une moralité de pacotille, on oublie que la vraie question est celle-ci : comment ne peut-on pas être romain ?

     

    Photo : Philippe Nauher

     

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  • La Queue, Roland Thévenet

     

     

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    Ce qui intéresse dans un roman n'est pas forcément l'histoire. J'entends : cette forme molle que l'on peut résumer en une phrase et qui cache l'essentiel. Ainsi La Queue, écrit par Roland Thévenet, serait-il le récit d'une vie, celle d'un homme, Félix Sy, lequel, après « bien des chocs et d'imprévus désastres », trouvera une fort encombrante notoriété. La Queue tient à la fois du bildungsroman et de la fresque désespérée. L'air du temps n'est pas à la rigolade et ceux qui lisent régulièrement l'auteur sur son blog ne s'en étonneront pas.

    Mais, dis-je, passons outre l'histoire même, sa linéarité vivante pour en venir à notre propre intérêt. C'est-à-dire ce qui nous a arrêté au delà de savoir si le Félix sus-nommé trouverait sa voie dans un monde si imparfait. De fait, c'est l'ombre de la satire qui plane sur le récit. Et doublement. On la repère aux coups de griffes récurrents d'un narrateur qui, parfois, ne sait pas tenir sa langue. Le désarroi, ou le dégoût, s'invite dans l'histoire et, d'une certaine manière, en justifie l'orientation. Il y a du procès dans l'air. Mais la réussite romanesque n'est pas là. Elle est dans un autre degré de la satire, dans la satura, soit : le mélange, cette hybride composition qui désarçonne le lecteur, parce qu'il ne sait pas vraiment sur quel pied danser. N'est-ce pas là, aussi, qu'est la misère de notre époque, dans cette mixture tragi-comique qu'on nous sert à grands renforts de bavasseries médiatiques ? C'est en nous interrogeant sur notre attente et notre capacité à prendre pour argent comptant ce qu'on nous dit que le roman de Roland Thévenet fait mouche.

    L'histoire commence d'abord sur une enchère quasi mémorielle de l'invention par quoi le sieur Sy a fait fortune. Il a inventé la queue postiche, que l'on porte en toute occasion et avec tous les accoutrements possibles. Les pages initiales autour de cette incongruïté sont drôles, certes, parce qu'on est obligé d'imaginer le monde (celui des grands et des modestes) attifé de cet appendice grotesque. Nul n'y échappe : des politiques aux rock-stars, de l'excentrique au discret. Cet amusant délire, cet excès imaginaire se déploie avec une telle facilité qu'on finit par s'en faire une représentation assez simple et ce qui prenait d'abord une forme grotesque et quasi carnavalesque, l'auteur, par son insistance, en donne une version toute classique. Et de penser que nous aussi, nous avons nos queues, nos soumissions rances à l'effet de mode. Certes, le personnage habille, si j'ose dire, son invention d'un semblant de justification philosophique, mais nous savons bien, nous lecteurs, que, justement, tout cela est pure habillage. Dans le fond, cette queue supplétive, l'auteur la ramène à une terrible équivoque, qui mine l'époque contemporaine : celle du concept. La queue est un concept, c'est-à-dire une plaisanterie à but lucratif, dont la formulation vaut pour autant qu'elle rapporte et qu'elle devient un événement mondain. Ce début de roman, dont je disais qu'il m'avait fait rire, est aussi l'exposition grinçante d'un univers à la Kossuth et à tous ceux qui l'ont suivi. Le talent, le style importent peu. Ce qui compte tient à une évaluation indexée sur une mise aux enchères. La réussite est dans le gimmick. La manière se substitue au sens. Et ce d'autant plus que le facétieux écrivain a choisi d'emballer le tout (l'expression est un peu leste certes) en faisant de l'appendice caudal la cible de la réussite. L'art de la queue, si l'on veut. Ou, pour un second degré avec un demi-sourire, le vernis libidinal pour justifier de la moindre imposture. Le ludique et le libidinal, comme le disait déjà Michel Clouscard dans Le Capitalisme de la Séduction. Les incessantes anecdotes sur la queue de tel ou tel (mais écrivons plutôt : de tel ou telle, puisqu'à partir du moment où la queue paraît, il n'y a plus, dans ce roman, ni homme ni femme, mais des quasi porte-manteaux...) sont autant de preuves que ce jeu sur la liberté d'être se couvre d'un vernis provocateur : puisque le sexe est au centre de la trouvaille, ladite trouvaille est forcément signifiante. Les premières pages du roman sont donc la remarquable exposition d'une escroquerie comme il en existe tant désormais. Le trait est à peine forcé.

    Dans l'histoire de Félix Sy, au milieu du roman, vient la rencontre majeure avec Jack Kerouac. Là encore, laissons l'intrigue de côté et regrettons seulement que cet épisode ne soit pas plus long, entre Paris et les States, mais ce n'est qu'un détail. Plus précieuse en revanche est la singularité donnée à cet homme dont on connaît le nom, dont on a lu le livre le plus connu, à défaut d'être le plus emblématique. On the road. Kerouac est l'exemple-type de la construction sauvage autour des mythes du voyage, de la rupture, de la marginalité. Le rebelle. Un Rimbaud américain, pour adolescent soixante-huitard qui ne veut pas sortir de cet état prétentieux et ridicule. Mais Roland Thévenet, plus lecteur de Kerouac que les paradeurs libertaires qui l'ont récupéré, s'en va, lui, de l'autre côté du poster. Son Kerouac est à la fois humain et démystifié, habité d'une inquiétude spirituelle qu'aucun dévoiement artificiel ne peut assouvir. Il emmène Félix avec lui, soit. Ils font un bout de chemin ensemble, mais l'Américain n'est pas le triomphant pourfendeur de l'ordre établi, ce que serait plutôt, dans le roman, Grégory Corso. C'est la tourmente religieuse qui guette, le rapport au frère mort et à la mère. Roland Thévenet ne fabrique pas un nouveau Kerouac. Il l'éclaire d'une lumière que la bonne parole des révoltés bourgeois a voulu occulter. La Queue fait aussi son chemin dans les ornières d'une imagerie d'Épinal née dans les années soixante et quand on suit l'épisode unissant le prétendu clochard céleste et Félix deux routes progressivement se tracent : celle d'un déjà-connu (mais en fait : de la bouillie et de la nourriture intellectuelle pré-mâchée) et celle d'une découverte à laquelle seul un détour par toute la littérature de Kerouac peut donner consistance. Ce roman est donc aussi une belle exploration, par contrepoint, de la culture construite, imposée et fausse produite par ce gauchisme libertaire issu de l'après-guerre. En ramenant l'écrivain américain à une complexité sans réponse assurée, baignée de religiosité, Roland Thévenet nous demande de déconstruire la terreur intellectuelle dans laquelle a été plongée le dernièr demi-siècle. Et cette déconstruction-là n'a évidemment rien à voir avec le délitement interprétatif de Derrida et consorts. Il s'agit d'en revenir aux textes. Il n'est pas question de dire que le Kerouac de La Queue est le vrai Kerouac, le seul Kerouac ; il s'agit de comprendre qu'en matière de doxa culturelle il est indispensable de faire un retour sur le passé récent.

    En repliant, en partie, l'odyssée de Kerouac du côté du spirituel religieux, et du catholicisme, le roman marque nettement la préoccupation de l'auteur devant un monde occultant son héritage chrétien. Or, et c'est le troisième point qui nous arrête, l'histoire de Félix Sy est frappée du signe de la religiosité puisque, orphelin, il est recueilli et éduqué par un prêtre. La mort frappe et le bon Guillaume survient. Cette douceur, parfois maladroite, d'une soutane est déjà une erreur stratégique (si l'on veut considérer le point de vue purement commercial) : La Queue ne crache pas sur la prière et l'encensoir. C'est péché sans doute, quand la vulgate contemporaine voit en l'église catholique le comble du Mal, l'ennemi intime de l'ultra-liberté libérale. Mais c'est un trompe l'œil car, sur ce point également, le roman est bien plus retors qu'il n'y paraît. La quête finale de Félix Sy, à la fois incertaine et désespérée, nous éloigne de ce que certains assimileraient à un roman catholique. Certes, l'interrogation sur la transcendance traverse tout le récit mais il semble loin le temps confiant d'un Péguy ou d'un Bernanos. Le héros revient aux sources et cherche un refuge, jusqu'à sombrer dans une forme d'oubli de soi. Dès lors, plutôt que de lire La Queue sous le jour d'un hommage à la foi salvatrice, par quoi l'homme d'église, Guillaume, et son fils « adoptif » et spirituel, Félix, se retrouvent in fine, choisissons de l'envisager à rebours : une œuvre où l'espoir transcendant est comme décomposé. La fuite de Félix, riche, reconnu, adulé, n'est pas la énième forme de la rédemption (ce qui trouve plutôt dans les scenarii américains, chez les protestants) mais le récit de son impossibilité. Ainsi serait-il un contresens de trouver La Queue outrancièrement militant du côté du catholicisme alors même que la trame amène à cette impasse d'un monde qui ne peut plus recevoir la voix discordante de l'homme dont la réussite est exemplaire. On repense alors à la fin de La Crypte des capucins de Joseph Roth, quand le héros, perdu, se retrouve devant les grilles fermées du sanctuaire. Decize, Paris, les Etat-Unis, Bruxelles et retour à Decize. Mais trop tard. Toujours trop tard. Et lorsque le livre s'achève, dans le silence et un certain effroi, on repense au début, à toute cette agitation autour du concept qui fit la fortune de Félix Sy. Le bruit y était fort, infernal, et le bruit emporte le silence, la mondanité la solitude, les pièces de collection l'intériorité d'un homme...

     

  • La politique en 140 signes

    Le désastre politique ne se mesure pas toujours à l'aune des déclarations idiotes, des approximations coupables, des veuleries de toutes sortes, et autres aveux d'impuissance. Il prend parfois la forme de la bonne volonté, d'un éclair de lucidité qui, par son surgissement tardif, ne peut même plus sauver celui qui en est l'auteur.

    C'est bien ainsi que l'on jugera la déclaration faite cette semaine par Philippe Martin. Certes, il n'est pas très connu du grand public. Il ne fut que le ministre de l'écologie de la présidence Hollande, et cette obscurité est une preuve supplémentaire de la dimension ectoplasmique du pouvoir présent. Il a été débarqué, en juin dernier, au nom des équilibres inutiles et d'une parité imbécile. Il est donc retourné vers la base (si l'on peut appeler base un député qui fut par ailleurs président de conseil général) et de cette expérience au milieu de la vraie vie, des vrais gens (et autres naiseries d'une certaine critique du système...), il en a tiré une leçon magistrale : il a fermé son compte twitter ! Fichtre !

    Il s'en explique via quelques tweets de fin (n'est-ce pas magique...) dont deux d'entre eux méritent citation : « prendre conscience qu'on prend plus de temps à réagir et commenter qu'à agir ou faire » pour le premier ; « se rappeler Bossuet : « il faut laisser le passé dans l'oubli et l'avenir à la Providence » pour le second.

    Voilà qui n'est pas rien : un homme politique qui prend conscience de l'inanité du tweet généralisé et du sens (ou plutôt du non-sens) qui en découle. Le vide comblé à la minute, la pulsion à défaut de la pensée, la dextérité du pouce plutôt que la fluidité de l'esprit. Je suis bien aise que le Martin ait renoncé, après avoir cédé aux injonctions de ses conseillers en communication, mais la fermeture de son compte en forme d'événement montre à quel point il n'a pas encore vraiment compris tout ce que ce cirque cachait de venin. Qu'il lui ait fallu d'être viré et un temps aussi long pour déplorer ce que les anti-modernes (ou ainsi désignés par les gens dans le vent, les anti-réacs dont le parti socialiste regorge...) dénonce depuis longtemps, c'est un peu triste. Sa découverte n'en est pas une et son appel à la mesure est trop tardif. Tout cela ne rend que plus clair le dépérissement de la pensée politique. Il faut aux histrions de la mascarade cheoir pour que les masques tombent et que cette belle démocratie de l'information prenne cette forme d'illusion permanente et de logorrhée hystérique pour que le sieur Martin en revienne à un peu de lucidité. Grand bien lui fasse, mais c'est, de mon point de vue, trop tard...

    Quant à citer l'aigle de Meaux, évidemment, on sourit. Un socialiste bon teint, baigné de cet anti-cléricalisme grotesque, allant chercher un moraliste du XVIIe siècle. Si toutefois les gens de sa secte pouvaient en faire plus ample lecture, nous n'aurions pas tout perdu. Mais il fait tenir l'ardent orateur en cent quarante signes, c'est trop peu. Voici qui sera plus profitable, extrait du Sermon pour le jour de Pâques :

     

    La vie humaine est semblable à un chemin dont l'issue est un précipice affreux. On nous en avertit dès le premier pas ; mais la loi est portée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arrière. Marche ! marche ! Un poids invincible, une force irrésistible nous entraîne. Il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route. Encore si je pouvais éviter ce précipice affreux ! Non, non, il faut marcher, il faut courir : telle est la rapidité des années. On se console pourtant parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait s'arrêter : Marche ! marche ! Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé ; fracas effroyable ! inévitable ruine ! On se console, parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir et quelques fruits qu'on perd en les goûtant : enchantement ! illusion ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux : déjà tout commence à s'effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires : tout se ternit, tout s'efface. L'ombre de la mort se présente ; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord. Encore un pas : déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent. Il faut marcher on voudrait retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé. 

  • Improvisé

    Parmi les récits d'écrivains exposant la naissance de leur vocation, celui du Néerlandais Peter Vandevelde ne manque pas de charme (1).

    À vingt-cinq ans, il vivote alors à Groningue et joue du piano dans un orchestre de jazz. C'est à cette époque qu'il rencontre Anna Korjwik. Peu après elle doit partir pour son travail à Ostende. Il l'accompagne. Elle tombe enceinte. Il fait quelques concerts. Ses revenus sont modestes et aléatoires. ils décident que pour les premiers mois, il s'occupera de l'enfant.

    "Je me suis retrouvé, raconte-t-il, dans une petite maison où il n'est plus question de jouer du piano. Il fallait du calme. C'était l'hiver. C'est Ostende. Je me suis mis à écrire. Cela ne faisait pas de bruit. Fairfax, ou les quatre premiers mois de ma fille Monica, dans le passage étrange d'un univers débordant de notes à un autre, de silence et de mots."

    (1) À lire : Fairfax, éditions du Septante, 1992 ; L'homme à la glace, éditions du Septante, 1997 ; Bunny Consuelo, Gallimard, 2002 ; S'attarder, Verticales, 2009

     

  • La Mare...

    Grenouilles et crapauds, verts et roses, ont joué leur partition ce week end. Il n'y avait, semble-t-il, rien d'autre à faire, tant la situation économique, sociale, politique et internationale est sereine. Cela entraîne une démission en bloc. L'autoritarisme niais à défaut de l'autorité.

    Inutile d'épiloguer. Retournons à notre Chateaubriand moquant, dans ses Mémoires, la monarchie de Juillet et "ce gouvernement prosterné qui chevrote la fierté des obéissances, la victoire des défaites et la gloire des humiliations de la patrie", alors que "l'État est devenu la proie des ministériels de profession et de cette classe qui voit la patrie dans son pot-au-feu, les affaires publiques dans son ménage."

    C'est sans doute là les promesses de la grandeur républicaine...

  • Jouer l'indignation

      

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    Le 2 août, la comique de droite Natacha Polony commettait un article dans Le Figaro au titre magnifique : ces paysages que l'on assassine, dans lequel elle s'alarmait et se lamentait (pour le moins) de la disparition des paysages français au profit (si l'on peut dire) d'une rentabilité obtuse à l'ère de la rationalité néo-libérale à laquelle elle collabore (sans quoi elle ne se répandrait pas dans ce journal et ne ferait pas l'exercice vulgaire d'être l'allier de l'histrionnesque Ruquier (1).)

    Elle découvre donc la France et la manière dont la modernité la massacre. Elle retarde un peu. On peut toujours lui conseiller de se retourner vers la mission de la DATAR des années 80, laquelle conviait des photographes à explorer la France (2). Elle peut aussi se replonger dans les œuvres de Pierre Bergounioux, Jean-Christophe Bailly et plus lointain, ce cher Giono. Évidemment, s'il faut aller dans le plus sulfureux, il y a de magnifiques pages sur la puissance du paysage chez Barrès, notamment dans Les Déracinés et plus encore dans ce voyage initiatique du père et du fils que sont Les Amitiés françaises (livre dans lequel on trouve déjà le lamento du paysage perdu...), quand, par exemple, il évoque le promontoire de Sion-Vaudémont : 

    « Le lendemain, vers les trois heures de l'après-midi, quand nous eûmes gravi les côtes qui dessinent le cours de la Moselle et que le promontoire de Sion-Vaudémont, brusquement, apparut sur la vaste plaine agricole, nous y marchâmes tout droit à travers les antiques villages.C'est ici le Xaintois, que César disait un grenier; c'est le comté de Vaudémont, petite province de la souveraineté des ducs, mais distincte de leur Lorraine et du Barrois. Depuis des siècles, sur cette terre, rien ne bouge, et ses cultures immuables commandent des mœurs auxquelles nul ne se dérobe, sinon par la fuite dans les villes. Je fais écouter par Philippe un silence qui jadis enveloppa ses pères. Nous laissons l'automobile au pied de la falaise historique, qui, presque à pic, se dresse de deux cents mètres. Nous gravissons à pied le sentier découvert, et c'est encore à pied que Philippe et moi, nous suivrons dans tout son développement la sainte colline, telle que nous l'embrassons maintenant : bizarre cirque herbacé, en forme de fer à cheval, qui surplombe un vaste horizon de villages, de prairies, de bosquets, de champs de blé surtout, et que cerclent des forêts. 

    À la pointe où nous sommes d'abord parvenus, il y a le clocher de Sion, et sur l'autre jointe. pour nous faire face, la ruine de Vaudémont. De ce témoin religieux à ce témoin féodal, en suivant la ligne de faîte, par le taillis de Playmont, le Point de Vue, les Ghambettes et la porte du Traître, c'est une course de deux petites heures. Je ne sais pas au monde un promenoir qui me contente davantage ».

    Ces quelques lignes ont sans doute, au goût de beaucoup, un accent trop français ; elles dissonnent dans le concert mondialisé de l'homogénéité terrible et de l'alignement froid. Mais, pour qui a vécu en zone frontalière, s'il y a bien des glissements et des influences, il est aussi de franches ruptures. La Flandre française n'est nullement la Belgique. On la reconnaît d'un coup d'œil. En fait, le démembrement du territoire français, son industrialisation, sa fermeture utilitaire pour en faire là une Z.I., ici un autoroute, ailleurs une étendue banlieusarde, encore : le règne de l'agriculture intensive ou un parc pour touristes désœuvrés, ce démembrement est le fruit entendu et rationalisé d'une vision dont le journal qui emploie la pauvre Polony est un défenseur zélé. On ne peut à la fois se chagriner que la campagne ne soit plus qu'une attraction récurée quand il fut de bon ton de moquer les régionalistes, les partisans d'une ruralité humaine. Car, si l'on veut bien ne pas s'en tenir à la déploration que l'on prend souvent pour une forme molle de la pensée : la nostalgie comme sclérose, il faut tirer de cette désagrégation du paysage un constat plus sombre. C'est bien là une manière de chasser l'Histoire. En défaisant ce qui est bien plus qu'un décor, un héritage, on cherche avec l'uniformisation la disparition de ce sens profond qu'est l'enracinement, dont une des formes les plus précises est justement la capacité des hommes à se reconnaître face et dans le paysage. Et cette reconnaissance est évidemment double : le repérage se mélange à l'identification. La question n'est donc pas seulement une affaire de développement ; elle a une portée civilisatrice. Polony peut nous faire le coup des papillons et des brochets qui disparaissent, agiter la corde sensible de l'enfance, faire la grincheuse devant les attentes de la FNSEA. Le problème est bien plus large et elle passe à côté.

    Son papier sent la BA, le décalé facile. Qu'attendre de plus, de toute manière ? Le parisianisme dont cette journaliste n'est qu'une énième incarnation, cet état d'esprit à la pointe de la modernité n'envisageant pas qu'il puisse y avoir une vie au delà du périphérique, dont le snobisme caricatural n'est que la redite des romans du XIXe siècle (en somme : des balzaciens sans talent...) a encore de belles années à vivre, hélas.

    (1)Natacha Polony est l'exemple-type de la pseudo-révoltée de service, de la réac à deux euros, dont la sphère médiatique a besoin (une sorte de Zemmour en tailleur...) pour nous faire croire que nous vivons en pays de tolérance (mais chacun sait, depuis Alphonse Allais, qu'il y a des maisons pour cela). Elle joue la contestation, un peu comme certaines adolescentes jouent la révolte : le même maquillage vulgaire et le verbe facile. On a juste envie de lui dire : rentre chez tes parents, on a passé l'âge, sinon qu'en matière de politique, c'est plus gênant.

    (2)Des photographes autrement plus puissants dans le regard que notre balayé Franck Provost du PAF, si l'on veut accorder quelque crédit à une personne comme Yann-Arthus Bertrand : ils ont nom, entre autres : Lewis Baltz, Raymond Depardon, Dominique Auerbacher, Sophie Ristelhueber ou Tom Drahos...

     

     Photo : Philippe Nauher

     

  • La Bruyère, lucide et intemporel

    Entendant nos politiques écorcher la langue et faire plier le sens à leur seule petite volonté (on se référera seulement à cet étrange balancement autour de la finance, selon le dictionnaire de Hollande ou de Sapin...), on pense à ces quelques lignes, brillantes, de La Bruyère, tirées des Caractères. C'est pourtant fort lointain, obsolète, classique diraient les tenants absurdes de la tabula rasa moderniste. N'empêche...

    "L’on voit des gens qui, dans les conversations ou dans le peu de commerce que l’on a avec eux, vous dégoûtent par leurs ridicules expressions, par la nouveauté, et j’ose dire par l’impropriété des termes dont ils se servent, comme par l’alliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et à qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs n’ont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison ni l’usage, mais leur bizarre génie, que l’envie de toujours plaisanter, et peut-être de briller, tourne insensiblement à un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiome naturel ; ils accompagnent un langage si extravagant d’un geste affecté et d’une prononciation qui est contrefaite. Tous sont contents d’eux-mêmes et de l’agrément de leur esprit, et l’on ne peut pas dire qu’ils en soient entièrement dénués ; mais on les plaint de ce peu qu’ils en ont ; et ce qui est pire, on en souffre."

    La Bruyère, Les Caractères, "De la société de la conversation", 6

  • 4-4-2

     

    Que n'auriez-vous échangé, en vos années de CM1-CM2, quelques notes magnifiques qui vous plaçaient au premier rang des compositions trimestrielles, contre un bond vertigineux dans la hiérarchie des élèves choisis pour constituer les deux équipes de foot, à la récré...

    Il y avait, c'était entendu, les deux champions, Sébastien et Jean-Damien, en capitaines respectifs, puis le rang de ceux qu'ils choisissaient à tour de rôle. Pierre, Paul, Jacques, François, Serge... avant que d'attaquer le menu fretin, dont vous étiez, qui savait à peine taper dans un ballon, et qu'on avait envie de se refiler, comme la grippe ou le mistigri. Être le remplaçant du remplaçant, misère ! Misère contre laquelle votre connaissance implacable de tous les affluents de la Seine, du Rhône, de la Loire n'était rien. Absolument rien.

    Il est donc des admirations qu'enfant vous avez mal vécues, des relégations cruelles et des admirations imparables. Jacques Réda en fait une délicieuse peinture dans un texte intitulé L'Homme des bois, lorsqu'il évoque "le portier de la féroce équipe de Sainte-Geneviève (Ginette comme on disait), un type taciturne et massif comme une cocotte-minute. On le sentait plein à éclater d'une force élastique prodigieuse qu'il comprimait, de sorte que toute atteinte à ses filets n'aurait pu mettre en cause sa valeur propre, mais l'Ordre qui veut que la trajectoire d'une sphère de cuir soit préméditée comme le reste au fond des astres"

    Et l'écrivain d'ajouter :

    "Au goal de Sainte-Geneviève, j'ai piqué principalement deux trucs, qui relèvent extérieurement de la seule pantomime magique, mais à travers lesquels j'assimilai une part occulte de ses vertus : celui du béret à visière, et (il avait l'air ensemble d'une danseuse étoile et d'un gros pneu) celui de la gigue sur place. Mais je n'ai jamais eu l'audace d'imiter un geste où d'ailleurs son autorité et, il faut le dire, son élégance me paraissaient inégalables, parce qu'il eût été sacrilège, et dès lors inopérant voire néfaste, de parodier un rituel lié au plus intime d'un être et de ses secrets. Chaque fois que la ligne d'avants adverse entamait un débordement portant la menace d'un tir, floup-floup, il expédiait dans ses mains en coquille deux glaviots parfaitement ronds, et s'en oignait les paumes comme d'un chrême, un baume capable d'émettre des effluves proctecteurs presque invincibles, ou de se transformer sous l'impact d'un cuir en une glu."