usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

littérature - Page 3

  • L'obstination

    Alors qu'il était ambassadeur à Rome, Chateaubriand envisagea un temps d'être inhumé dans cette ville, et plus précisément à Saint-Onuphre, là même où Le Tasse, après avoir si longtemps vécu dans le couvent adjacent, a sa sépulture. La proximité même de ce grand écrivain seyait à l'insigne mémorialiste.

    "Si j'ai le bonheur de finir mes jours ici, je me suis arrangé pour avoir à Saint-Onuphre un réduit joignant la chambre le Tasse expira. Aux moments perdus de mon ambassade, à la fenêtre de ma cellule, je continuerai mes Mémoires. Dans un des plus beaux sites de la terre, parmi les orangers et les chênes verts, Rome entière sous mes yeux, chaque matin, en me mettant à l'ouvrage, entre le lit de mort et la tombe du poète, j'invoquerai le génie de la gloire et du malheur."

    Le Tasse, dans une représentation très romantique, synthétise à la fois la grâce de la création et le malheur de l'artiste dans un monde qui le persécute. C'est un poncif des Mémoires. Il y a donc, en partie, une raison démesurée à cet attrait pour la tombe romaine, et spécialement dans cet endroit. Cela n'exclut pas une certaine sincérité du projet (ou du moins de l'imaginaire qu'il suscite).

    Mais, on le sait, Chateaubriand n'en fit rien, quoiqu'une plaque évoque ce désir. À la même époque, en effet, il commence les discussions avec les autorités de Saint-Malo, pour obtenir le droit d'être enterré sur sa terre natale. Elles aboutiront un peu plus tard et ce que nous connaissons aujourd'hui sera prêt en 1838, dix ans avant la disparition de l'écrivain.

    Il préfère donc le Grand Bé et le repos solitaire face aux remparts de Saint-Malo, ce qui ne diminue en rien son sens du spectaculaire et d'aucuns diront son orgueil et sa vanité.

    Si l'on veut bien se débarrasser de ces considérations morales sur la prétention de François-René, prétention somme toute relative quand on considère l'ego des médiocrités qui nous gouvernent et celui des nullités qui décryptent le monde dans les médias, si l'on s'en tient, au-delà du génie et du souffle des lieux, les pentes du Gianicolo et le promontoire maritime, à la radicale opposition du symbole, on ne peut qu'être touché par le choix de l'écrivain. Face à la double ostentation du mythe, celui de la Ville éternelle, de Rome comme berceau de ce que nous sommes, celui de l'écriture, de la parentèle littéraire où se mélangent admiration et rivalité, se dressent l'attachement indélébile à l'enfance, à l'habité, et le sens serein des racines. Après tant de vicissitudes et de voyages, après tant de bouleversements et d'aventures, le Grand Bé fixe pour l'éternité le grave témoignage de la profondeur d'un homme pour lequel l'histoire propre a croisé, sans jamais être défaite par elle, l'Histoire de son temps. Saint-Malo n'est pas qu'une péripétie de la naissance, ou le siège mythifié/mystifiant d'une mise en scène de soi (comme on sait si bien le faire aujourd'hui). Qu'on relise simplement le cinq premiers livres des Mémoires d'Outre-tombe. La ville natale demeure le port d'attache, et le chant de l'âme.

    Sur ce point, Chateaubriand est un enraciné, un voyageur sans oubli du point où il est parti, et où il a vécu. Son envie de connaître le monde, d'y tracer son chemin ne le font jamais abandonner ou renier son enfance. Pour être, d'une certaine manière, un cosmopolite, il demeure à jamais malouin. Ce lien est serein et ferme. Il n'a pas cette tournure qui désormais abîme le monde, cette revendication idiote et fantasmée qu'on entend si souvent, autour des origines familiales. Car l'origine comme fin n'a de sens que si on y a des souvenirs profonds et construits. Non lorsqu'on ne connaît ce lieu que par l'acte de naissance des parents, voire des grands-parents, ou comme villégiature d'une quinzaine l'an, l'été. Généalogie réelle pour une culture de pacotille, une revendication creuse. Glorification du lieu par le biais d'un maillot de foot. Langue à moitié connue sans y afférer l'art qui devrait s'y rattacher. Et pour le pire des cas, sépulture en une terre quasi inconnue. Le monde présent veut des citoyens du monde capables de détruire et de vilipender le lieu où ils sont nés, capables de jouer aveuglément avec une terre à demi étrangère. De tout cela naît des orphelins de la pensée, vindicatifs et affaiblis. On les nourrit de fantasmes dérisoires qui mettent à vif une frustration glaçante. Tout autant qu'on nous serine avec la citoyenneté du monde, on déracine doublement les individus. Ils n'ont rien là-bas. Ils ne construisent rien ici.

    Nul doute que Chateaubriand ait aimé Rome, se soit senti romain et que la tentation ait été forte de satisfaire sa grandeur littéraire. Mais il ne devait pas au Capitole et à Saint-Pierre ce qu'il avait reçu des douceurs de l'église Saint-Vincent et des déambulations sur les remparts. La tombe si particulière du Grand Bé peut offenser l'égalitarisme contemporain et la bouse républicaine. Ce n'est pas très important au regard de ce qu'elle signifie au profond : un retour modeste à la terre plutôt que la gloire aux yeux du monde, et la paradoxale humilité de s'en remettre à ce qui l'a précédé.

  • L'époque : de la disparition d'Yves Bonnefoy

    La disparition d'Yves Bonnefoy passera en silence. Les poètes ne sont rien. Déjà, au début de l'année, celle de Pierre Boulez ne valut rien d'autre qu'une annonce sommaire. Nul besoin d'épiloguer. Ainsi va le monde.  Il n'est pas ici question de gloire ou de reconnaissance mais de représentation. Le XIXe siècle bourgeois et ventripotent ne pouvait passer outre le verbe hugolien, jusque dans ses outrances, ses répétitions et ses facilités. Si le verbe n'était plus chair, il était encore dans le temps de l'incarnation. Le théâtre du monde se donnait encore le plaisir de s'émanciper dans des figures. Booz endormi parlait certes une langue lointaine mais que la modestie de chacun révérait, tenait à distance. La littérature est à ce prix : que l'on sache se tenir coi et respectueux devant ce qui n'est pas la voix de la tribu. Mais ce temps est révolu. La grâce démocratique n'a cure d'autrui, et plus encore d'un autrui dont le phrasé nous regarde comme une énigme. Ainsi en était-il de l'écriture de Bonnefoy... Elle mesurait cette infinie licence permise à qui se bat contre la langue, en s'appuyant sur elle. Combat à la fois ombrageux et insoluble, que réprouvent les temps contemporains d'une syntaxe simplifiée et d'un sens évident.

    Yves Bonnefoy meurt dans l'indifférence et ce n'est pas tant la dimension personnelle, la question de la reconnaissance, qui est en jeu, que l'obséquiosité des hommages faux, des métaphores creuses qui essaieront de combler le vide qui entoure de facto la littérature exigeante. L'hermétisme n'est bon désormais que pour les cénacles économiques qui nous chassent de la maison commune. Le poète est relégué au rayon des fantaisies. Yves Bonnefoy et son expérience de langue et de l'art sont des curiosités, au sens où l'on parlait des cabinets de curiosités au XVIIIe siècle : un fatras de singularités que l'on admire sans rien vraiment y comprendre.

    La médiocrité crasse du pays qui reste le mien se vérifiera dans les deux jours prochains, par le silence officielle que cette disparition suscitera. Le vélo et le foot sont bien plus précieux. Inutile d'en parler. Mais souvenons-nous que le Chili, ce pays secondaire qui devrait prendre exemple sur le phare hexagonal censé inspirer la planète entière, le Chili, dis-je, décréta trois jours de deuil national quand Claudio Arrau décéda. Il y a des jours où l'on se sent chilien...

     

  • Au plus simple

    Pour celle sans qui Dostoïeski serait encore une contrée énigmatique

     

    Tu ne liras pas tout. Loin s'en faut. Et tu n'en prends pas ombrage. Tu as même perdu la terrible angoisse de ce qu'on appelle les années de formation, quand tu croyais que la littérature, les livres, seraient un sésame vers un monde autre et une ouverture, sans que tu saches toujours très bien ce que serait cette ouverture. Tu as essayé d'aborder ce monde avec un certain systématisme et tu ne t'y es pas tenu. Il fallait trop de rigueur, trop d'abnégation et, sans doute, un esprit trop carriériste. La bibliothèque était gigantesque et un jour, tu ne t'es pas vu lire des œuvres médiocres mais utiles. Tu as eu peur, puis la peur a reflué, parce que tu as compris que tu n'étais que toi et que les rayonnages du monde n'étaient pas là pour t'écraser mais pour t'inciter à vivre, à vivre en prenant le temps, à commencer par ce temps nécessaire où exister ne peut s'éprouver qu'en se retranchant du monde.

    Un jour, tu n'as plus craint d'être celui qui devait dire non ou je ne sais pas. Il fallait reconnaître que les livres étaient par essence une contrée plus infinie que le monde, plus riche aussi. Et ce serait toujours, d'une certaine façon, une odyssée sans retour. C'est justement ce vagabondage qui, dans le fond, t'aura plus, ce cabotage entre les îles des œuvres, un peu comme dans le Faustroll de Jarry. N'être jamais rétif devant l'inconnu, être insoucieux d'une cartographie organisée des lectures. Aimer les classiques, fureter vers l'Enfer, se réjouir des relégués, s'éblouir des indifférents à la gloire : tel est le bonheur de la littérature. Une peuplade d'énergumènes, une pérégrination au milieu des paysages les plus insolites et les moins raccordés parfois. La seule politique qui ne puisse pas t'aigrir ou te mécontenter. Il suffit d'une page, de quelques lignes pour que la médiocrité passe au second plan. Un écrivain ne compte pas pour tout ce qu'il a écrit, mais pour ces particules élémentaires dont la durée en nous est infinie, à la fois étrangères à ce que nous sommes et révélatrices de ce que nous voulions chercher sans s'avouer qu'on le cherchait.

    Voilà pourquoi les livres, dans l'étendue océanique qu'ils représentent, ne peuvent t'effrayer dans la petitesse qu'ils imposent à ce que tu es. La gratitude que tu leur dois n'est pas dans l'infini territoire qu'ils bornent mais dans la profondeur, elle aussi infinie, qu'ils ouvrent en toi.

  • Sentinelle...

    Dans la précipitation technologique présente, qui nous alarme, au propre comme au figuré, jusqu'à nous rendre désireux de ce que nous n'avons pas sous la main, sous les yeux, à disposition, habitués que nous sommes à voir et à entendre, ad nauseam, sous le mode tactile des écrans, mode du lointain s'il en est, nous avons oublié combien peut être précieux le timbre de la voix qui nous manque, que l'inflexion première nous fait reconnaître, comme de toute éternité. Le téléphone n'est plus qu'un objet pénible et relatif, parce que la vérité est ailleurs, dans cet attachement viscéral qui lie la voix au corps, à la chair, à cette irréductible présence par quoi nous trouvons la paix et le réconfort.

    Dans une page magnifique du Côté de Guermantes, Proust, sans doute parce que l'époque en était encore aux balbutiements de la communication, creuse très bien le sillon trouble des sentiments devant cette facilité technique, dont on croit qu'elle comble nos désirs, alors qu'elle ne fait que les neutraliser. Dans l'extrait qui suit, le narrateur parle pour la première fois à sa grand-mère au téléphone. C'est un mélange poignant d'envie et de perte, d'attention et de sensibilité. C'est une autre personne que le personnage entend, et une autre histoire aussi. Le timbre, les intonations ne sont pas nouveaux, mais leur matière prend d'autres nuances, que l'on voudrait conserver à jamais. Et cette étreinte de la voix, nous pouvons aussi en faire l'expérience quand, dans une direction toute différente, nous essayons de garder dans notre mémoire, dans cette oreille secrète de notre histoire intime, la voix de celui qui est à l'autre bout du fil, qu'on a si souvent entendu et dont on sait qu'il va bientôt mourir.

    "Ce jour-là, hélas, à Doncières, le miracle n'eut pas lieu. Quand j'arrivai au bureau de poste, ma grand'mère m'avait déjà demandé ; j'entrai dans la cabine, la ligne était prise, quelqu'un causait qui ne savait pas sans doute qu'il n'y avait personne pour lui répondre car, quand j'amenai à moi le récepteur, ce morceau de bois se mit à parler comme Polichinelle ; je le fis taire, ainsi qu'au guignol, en le remettant à sa place, mais, comme Polichinelle, dès que je le ramenais près de moi, il recommençait son bavardage. Je finis, en désespoir de cause, en raccrochant définitivement le récepteur, par étouffer les convulsions de ce tronçon sonore qui jacassa jusqu'à la dernière seconde et j'allai chercher l'employé qui me dit d'attendre un instant ; puis je parlai, et après quelques instants de silence, tout d'un coup j'entendis cette voix que je croyais à tort connaître si bien, car jusque-là, chaque fois que ma grand'mère avait causé avec moi, ce qu'elle me disait, je l'avais toujours suivi sur la partition ouverte de son visage où les yeux tenaient beaucoup de place ; mais sa voix elle-même, je l'écoutais aujourd'hui pour la première fois. Et parce que cette voix m'apparaissait changée dans ses proportions dès l'instant qu'elle était un tout, et m'arrivait ainsi seule et sans l'accompagnement des traits de la figure, je découvris combien cette voix était douce ; peut-être d'ailleurs ne l'avait-elle jamais été à ce point, car ma grand'mère, me sentant loin et malheureux, croyait pouvoir s'abandonner à l'effusion d'une tendresse que, par « principes » d'éducatrice, elle contenait et cachait d'habitude. Elle était douce, mais aussi comme elle était triste, d'abord à cause de sa douceur même presque décantée, plus que peu de voix humaines ont jamais dû l'être, de toute dureté, de tout élément de résistance aux autres, de tout égoïsme ; fragile à force de délicatesse, elle semblait à tout moment prête à se briser, à expirer en un pur flot de larmes, puis l'ayant seule près de moi, vue sans le masque du visage, j'y remarquais, pour la première fois, les chagrins qui l'avaient fêlée au cours de la vie."

  • Bis repetita...

    Il faut croire que l'engeance qui opère dans le journalisme n'a rien d'autre à faire que de se mettre au diapason du crétinisme lycéen, lequel a de beaux jours devant lui tant l'outrecuidance des ignares et autres analphabètes qui se pavaneront en néo-bacheliers est infinie. Cette presse de torche-cul s'est empressée de relayer les éructations simiesques (le lecteur aura reconnu l'allusion) des candidats déroutés (mais ont-ils jamais su quelle était leur voie...) par les sujets de l'épreuve anticipée de français...

    Il y a deux ans déjà, le pauvre Victor Hugo et son Crépuscule eurent droit à la vindicte inculte et abrutie du lambda adolescent moyen (et plus que moyen, il faut le dire...). Le poète fut traîné dans la boue de l'ignorance crasse, tant il est vrai que le lycéen primaire ne peut guère déchiffrer que ses sms truffés de fautes. En clair, le chantre de la liberté républicaine était voué aux gémonies par la horde jeune et démocratique, ce qui devrait faire réfléchir les gauchistes qui nous gouvernent quand ils nous assènent un révisionnisme historique qui fait commencer le roman nationale au sinistre (si j'ose dire) 1789. Les preuves scolaires tendraient à réduire leur magique propagande à une balzacienne peau de chagrin : en clair, tout le monde se regarde le nombril et la culture, c'est bon pour les chiottes...

    Le châtié de l'année s'appelle Anatole France, un dreyfusard de la première heure, dont certains croyaient qu'il était une station de métro. Soit. Pire : d'autres ont compris, mais un peu tard, qu'il s'agissait d'un homme. Entendons par là que France, cela sonne comme une fille. Sauf qu'il y a un prénom devant et qu'en toute bonne logique (je veux dire : celle que nos grands-parents qui n'allaient pas au-delà d'une scolarité à quatorze ans étaient capables, et sans problème, d'appréhender), si Anatole était un prénom, France ne pouvait être qu'un nom ! Quand on en est à des distinctions aussi simples, on ne peut plus pavoiser sur le niveau qui monte (d'ailleurs cette thématique est une fumisterie car la question de volume masque tout et d'une fosse d'aisance quand elle se remplit on peut effectivement dire que son niveau monte...).

    Il est vrai que s'appeler France, dans un pays où le dégoût national est une forme suprême de modernité et d'ouverture, cela relève de la provocation. La presse, sous le couvert d'un humour potache, relaie cette forme de mépris massif des jeunes générations devant ce qui n'est pas elles. Le pire de l'idiotie tient à sa transformation en une sorte d'identité gracieuse et démocratique. Mais en refusant ce qui n'est pas soi, en avilissant ce qui a précédé, on devient soi-même un piètre individu, l'expression larvaire d'une négligence historique qui à terme se résoudra dans le sang et la soumission.

    Le mépris outrancier et exacerbé de l'imbécile adolescent n'est pas tant une preuve de futilité que l'expression d'un droit radical à tout contester et l'affirmation nombriliste d'une tabula rasa qui nous prépare des temps fort sombres. Prurit fascisant et abruti, il est la matière molle et putrescible des heures misérables où plus rien ne comptera, sinon de se rassurer d'être uniformément vide, et de suivre le troupeau...

  • L'écoute...

    "Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l'homme libre. Si l'homme tourne décidément à l'automate, s'il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d'un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront : il se laissera manier l'esprit par un système de visions parlantes ; la couleur le rythme, le relief, mille moyens de remplacer l'effort et l'attention morte, de combler le vide ou la paresse de la recherche et de l'imagination particulière ; tout y sera, moins l'esprit. Cette loi est celle du troupeau. Le livre aura toujours des fidèles, les derniers hommes qui ne seront pas faits en série par la machine sociale." 

    Voilà ce qu'écrit André Suarès dans L'Art du Livre, en 1920. Ce n'est pas très aimable pour l'époque contemporaine perdue dans sa course consumériste consacrant l'amour de soi. Mais il est vrai qu'on ne peut pas tout faire en même temps. On ne peut guère se tourner vers autrui, vers une parole étrangère, singulière et réclamer son dû de "moi, je" n'ayant pas dépassé le stade du miroir. 

    Parce qu'un livre, c'est aussi une écoute : celle d'un chant qui vient d'ailleurs, par définition, et souvent, pour ses plus belles inflexions, de loin. Si la lecture peut encore perdurer, comme acte technique de déchiffrage (et même les plus ignares savent décrypter leurs sms laconiques), le livre est lui amené à n'être plus qu'une relique en des temps sombres. La démocratie ne peut survivre sans le triomphe de la bêtise. Elles sont consubstantielles. Que faut-il entendre par là ? La démocratie n'a de fonction que dans un cadre libéral. Elle est l'excuse politique du triomphe économique. Ce n'est pas le pouvoir pour tous, mais l'accès pour le plus grand nombre au marché, selon une logique marketing de plus en plus fine et terrible. Le livre n'y a pas sa place, sinon comme répertoire de cuisine, de bricolage ou d'aménagement d'intérieur. Le livre, le vrai : ce que la littérature donne à méditer et à vivre, n'a plus sa place. Il faut être de son temps, c'est-à-dire disponible et la lecture est triplement anti-démocratique. Elle se pratique seul ; elle attend le silence : elle est un "addendum à la création" (Julien Gracq), quand la puissance post-moderniste suppose que tout est là et maintenant. L'intelligence algorithmique est l'ultime borne des temps contemporains, quand la littérature ressemble plutôt à un espace. On n'y vient pas buter contre plus fort que soi, comme ces pauvres joueurs d'échecs et de go qui ont découvert, dans leur défaite contre la machine, qu'ils n'étaient que de sombres idiots calculateurs (1) ; on y vient pour y trouver un esprit, pour se battre, pacifiquement et spirituellement, contre une âme. C'est, on s'en doute, plus périlleux et plus déroutant. La littérature ne rassure pas ; elle est un chemin de traverses, un écho, un mélange de peur (parce qu'on y découvre un territoire inconnu) et de jouissance (parce qu'à la fréquenter avec fermeté, on s'y installe et on y forge son pays).

    La grandeur des propos de Suarès résulte aussi de cette compréhension aiguë du combat qui s'est engagé, à partir de la révolution industrielle, entre la pensée qu'on dira spéculative et la raison pratique (merci Kant...). L'ardeur est dans le gain et les techniques d'accroissement du gain, quand la littérature est une perte, à commencer par une insupportable perte de temps (2). L'homo festivus de Philippe Muray ne peut pas être un lecteur. La lecture, ce sont de grands blancs dans un agenda, des "vides", quand le moindre pékin se gargarise d'avoir rempli toutes les cases horaires de chaque jour.

    Je ne crois pas au hasard quand les deux grandes œuvres de la littérature française, celle, autobiographique, de Chateaubriand, celle, romanesque, de Proust s'acharnent avec le temps, à le creuser, à contourner le présent pour mieux le saisir. Chez ces deux écrivains, la remembrance n'est pas un exercice technique de la mémoire : elle est le dénombrement de la disparition. Chez l'un et l'autre, une inquiétude et une forme mélancolique de la recollection. Comment cela pourrait-il entrer dans l'esprit du quidam hyper-contemporain, névrosé d'être soi constamment, parce que soi, c'est être le monde ? (3)

     Parfois, la révolte se fait une place, mais le plus souvent je n'espère plus qu'une chose : que l'enfer advienne le plus tard possible et que je n'ai pas le temps de voir les bibliothèques brûler, le monde réduit aux borborygmes acheteurs, à une vie d'écrans et de mots tronqués. Pour cela, il faut une dose assez forte d'optimisme, que je ne trouve qu'en reversant mon effroi dans l'univers de Julien Sorel, de Charles Swann, du prince Mychkine, ou dans les pièces de Shakespeare...

    Doublement sauvé par la littérature.

     

    (1)Et sur ce plan nul doute que la machine finira toujours par gagner. La rapidité des circuits imprimés et des puces signe la mort de l'homme comme machine.

    (2)Pour cette raison, le lecteur assidu est une figure assez singulière de l'oisif, voire du fainéant depuis longtemps. Mais son vrai péché est ailleurs : il est en retrait

    (3)Mais on pourrait aller se promener aussi du côté de chez Joyce, où la concentration temporelle, une journée pour un livre infini, prend le problème à l'inverse, avec tout autant de brio et de beauté. 

     

     

  • La belle affaire...

    Dans un texte écrit en 1733, une Lettre à un premier commis, lequel commis n'est pas un gratte-papier mais un important de ce qu'on ne peut pas encore appeler le corps des fonctionnaires, Voltaire énumère les raisons majeures qui doivent présider à la suppression de la censure pour les livres. C'est un texte que les voltairiens aiment à citer pour rappeler combien cet écrivain représente une figure éminente de la pensée libre et libérée. Ils y voient un esprit très français, une sorte de spiritualité toute hexagonale qui fonde, en partie, l'idée que les Lumières de ce pays forment le sommet de notre pensée. Référence discutable dont on peut ne pas se réclamer...

    Ce texte, donc, contre la censure. Et parmi les objections, le passage qui suit :

    "Les pensées des hommes sont devenues un objet important de commerce. Les libraires hollandais gagnent un million par an, parce que les Français ont eu de l'esprit. Un roman médiocre est, je le sais bien, parmi les livres, ce qu'est dans le monde un sot qui veut avoir de l'imagination. On s'en moque mais on le souffre. Ce roman fait vivre et l'auteur qui l'a composé, et le libraire qui le débite, et le fondeur, et l'imprimeur, et le papetier, et le relieur, et le colporteur, et le marchand de mauvais vin, à qui tous ceux-là portent leur argent. L'ouvrage amuse encore deux ou trois heures quelques femmes avec lesquelles il faut de la nouveauté en livres, comme en tout le reste. Ainsi, tout méprisable qu'il est, il a produit deux choses importantes : du profit et du plaisir."

    Ce qui frappe aussitôt tient à l'abandon de toute considération proprement littéraire ou, nonobstant l'anachronisme du terme, culturelle. Ici, il est question d'affaires, de revenus, de commerce, d'économie pour le dire en simplifiant. C'est le Voltaire anglais qui transpire dans cette analyse, celui qui voit dans le libéralisme et les lois du commerce un moyen d'émancipation. À voir... Ne s'agit-il pas surtout de brasser de l'argent, de s'intégrer dans une logique de concurrence, de considérer les livres comme une marchandise qui "produit deux choses importantes : du profit et du plaisir". L'ordre n'est pas indifférent, je crois, surtout quand le plaisir  fait écho à ces "deux ou trois heures" pendant lesquelles "l'ouvrage amuse (...) quelques femmes".

    La littérature ainsi conçue n'a plus rien à voir avec les Belles Lettres. Elle n'a pas pour objet d'élever l'esprit mais d'entrer dans le cycle vertueux de la comptabilité et des échanges commerciaux. On est loin alors du commerce des esprits tel qu'on l'envisageait encore au XVIIe siècle et que des âmes nostalgiques évoqueront encore dans les temps suivants. Avec Voltaire, nous sommes pleinement dans l'esprit du XVIIIe, lequel fut moins spirituel (1)  que sinistrement hanté par l'omnipotence de la raison, une raison qui n'avait plus rien à voir avec l'usage que voulait en faire, par exemple, un Descartes, dans l'équilibre qu'elle trouve avec le mystère de la foi. Avec Voltaire, on plonge dans l'ordre d'une rigueur utilitariste et mercantile : sa raison est, quand on y regarde bien, celle qui préside aujourd'hui à la grandeur du marché, à l'intelligence marketing, à la gouvernance indexée sur les équations économiques.

    C'est cette raison-là que l'on nous vend depuis la Révolution et la propagande républicano-maçonnique en a fait une de ses œuvres majeures. Certainement, la libre expression, la fin de la censure sont de bien belles choses. Encore faudrait-il que ces dernières ne soient pas des leurres et que les étais culturels de notre histoire n'aient pas été à ce point minés, si l'on veut bien considérer en ce début de XXIe siècle l'extension phénoménale de la bêtise et de l'ignorance...

     

    (1)Particulièrement en France où l'anti-cléricalisme trouva dans les horreurs révolutionnaires de quoi fonder un discours politique dont le bourgeon funeste est la laïcité actuelle, laquelle se prévaut d'une haine anti-chrétienne délirante et d'une collaboration avec l'islamisme radical.

  • Chateaubriand ou la puissance de la terre

    Année au crépuscule. Sordide et vulgaire. Comment la finir ?

    L'incesssante tentation de Saint-Malo, et paradoxe, revient la page qui suit, d'un Chateaubriand s'en allant aux Amériques. Pas avec l'ardeur de ces conquérants contemporains en quête de fortune et de folie, mais avec l'art nuancé de l'attachement indéfectible du breton perdu dans un monde qui s'effondre. Lire Chateaubriand est un bonheur rare, partagé par peu désormais, puisqu'il est désuet, anachronique et dérisoirement français. Nous dirons, nous : terriblement français.

     

     

    "Mes regards restaient attachés sur Saint-Malo.

    Je venais d'y laisser ma mère tout en larmes. J'apercevais les clochers et les dômes des églises où j'avais prié avec Lucile, les murs, les remparts, les forts, les tours, les grèves où j'avais passé mon enfance avec Gesril et mes camarades de jeux ; j'abandonnais ma patrie déchirée, lorsqu'elle perdait un homme que rien ne pouvait remplacer. Je m'éloignais également incertain des destinées de mon pays et des miennes : qui périrait de la France ou de moi ? Reverrai-je jamais cette France et ma famille ?
    Le calme nous arrêta avec la nuit au débouquement de la rade ; les feux de la ville et les phares s'allumèrent : ces lumières qui tremblaient sous mon toit paternel semblaient à la fois me sourire et me dire adieu, en m'éclairant parmi les rochers, les ténèbres de la nuit et l'obscurité des flots.
    Je n'emportais que ma jeunesse et mes illusions ; je désertais un monde dont j'avais foulé la poussière et compté les étoiles, pour un monde de qui la terre et le ciel m'étaient inconnus. Que devait-il m'arriver si j'atteignais le but de mon voyage ? Égaré sur les rives hyperboréennes, les années de discorde qui ont écrasé tant de générations avec tant de bruit seraient tombées en silence sur ma tête ; la société eût renouvelé sa face, moi absent. Il est probable que je n'aurais jamais eu le malheur d'écrire ; mon nom serait demeuré ignoré, ou il ne s'y fût attaché qu'une de ces renommées paisibles au-dessous de la gloire, dédaignées de l'envie et laissées au bonheur. Qui sait si j'eusse repassé l'Atlantique, si je ne me serais point fixé dans les solitudes, à mes risques et périls explorées et découvertes, comme un conquérant au milieu de ses conquêtes !
    Mais non ! je devais rentrer dans ma patrie pour y changer de misères, pour y être toute autre chose que ce que j'avais été.

    Cette mer, au giron de laquelle j'étais né, allait devenir le berceau de ma seconde vie : j'étais porté par elle, dans mon premier voyage, comme dans le sein de ma nourrice, dans les bras de la confidente de mes premiers pleurs et de mes premiers plaisirs.
    Le jusant, au défaut de la brise, nous entraîna au large, les lumières du rivage diminuèrent peu à peu et disparurent. Épuisé de réflexions, de regrets vagues, d'espérances plus vagues encore, je descendis à ma cabine : je me couchai, balancé dans mon hamac au bruit de la lame qui caressait le flanc du vaisseau. Le vent se leva ; les voiles déferlées qui coiffaient les mâts s'enflèrent, et quand je montai sur le tillac le lendemain matin, on ne voyait plus la terre de France.
    Ici changent mes destinées : «Encore à la mer ! Again to sea !» (Byron.)"

  • Le pédagauchisme et la littérature

    Jean-Paul Brighelli raconte dans son dernier article du Point la tyrannie institutionnelle mise en place pour éviter toute contestation par les premiers intéressés de la réforme des collèges. Mais la sévérité du propos n'exclut pas, surtout en de si ubuesques contrées, le rire. La farce semble d'ailleurs le propre de ce quinquennat en général, et du ministère Valaud-Belkacem (1) en particulier.. Ainsi évoque-t-il la mise en place des EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires). Et de nous dégoter un bijou de transversalité proposé le 10 novembre dernier par un énergumène de l'académie de Lyon, afin de lier littérature et SVT. Voici l'intitulé :

    Madame Bovary mangeait-elle équilibré ? Vous analyserez le menu proposé à son mariage, en expliquant en quoi ce sommet de la gastronomie normande ne satisfait pas les exigences d'une alimentation saine et respectueuse de l'environnement.

    La réalité dépasse encore une fois la fiction et l'histoire ne dit pas si l'idée vient du dissecteur de grenouille ou du misérable lettré. Il faut dire que la question est d'importance et pour s'en persuader, relisons Flaubert illico :

    "C'était sous le hangar de la charretterie que la table était dressée. Il y a avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots et, au milieu, un joli cochon de lait, rôti, flanqué de quatre andouilles à l'oseille. Aux angles, se dressait l'eau-de-vie, dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons et tous les verres, d'avance, avaient été remplis de vin jusqu'au bord. De grands plats de crème jaune, qui flottaient d'eux-mêmes au moindre choc de la table, présentaient, dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille. On avait été chercher un pâtissier à Yvetot, pour les tourtes et les nougats. Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les choses; et il apporta, lui-même, au dessert, une pièce montée qui fit pousser des cris. A la base, d'abord c'était un carré de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour, dans des niches constellées d'étoiles en papier doré; puis se tenait au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angélique, amandes, raisins secs, quartiers d'oranges ; et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confitures et des bateaux en éclats de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturelle, en guise de boules, au sommet.
    Jusqu'au soir on mangea."

    Nul doute que l'esprit nutritionniste trouvera matière, évidemment grasse, devant cette avalanche de victuailles. Que le dessein de Flaubert soit fondé sur un détournement ironique de la description et un art consommé de l'allusion graveleuse est secondaire. Mieux vaut s'en tenir à la seule mesure calorique du repas. On aura compris que cette question pratique est l'unique raison de la littérature : celle-ci n'est rien d'autre qu'un moyen pédagogique (et sans nul doute républicain, puisque le républicain est désormais notre ligne d'horizon, notre terre promise hors de laquelle il n'est point de salut) pour former les masses à la bonne éducation. Et l'éducation, on le sait depuis longtemps, ce n'est pas l'instruction. Cela finira même par être son contraire : du dressage pour économie libérale plutôt qu'une émancipation par la culture.

    Mais revenons à cette pauvre Emma qui, après avoir subi les foudres du procureur en 1857, en raison de son hystérie perverse, devient en 2015 le symbole de la malbouffe, du gras, et de l'inconséquence alimentaire. Attaquée par les messieurs Prudhomme du XIXe siècle, elle subit la dégradation des pédagauchistes du XXIe siècle. C'était une salope ; maintenant, c'est une grosse. Le mauvais esprit et la vulgarité ambiante réuniront aisément les deux adjectifs substantivés. La boucle est bouclée. Il n'y a plus rien qui relève de l'art. Tout est soumis à la raison instrumentale et à l'exemplarité comportementale. L'écriture comme appui des analyses béhavioristes. Misère...

    Et l'on rêve deux minutes à d'autres usages culinaires de la littérature, entre le niais et l'insipide. Quelques propositions :

    -reprenez la description du repas de noces dans L'Assommoir de Zola et transposez-le chez le redneck texan (EPI lettres-anglais)

    -Reprenez le repas noir, ci-dessous, dans A Rebours de Joris-Karl Huysmans et donnez-en une version verte, rouge et rose. (EPI lettres-Arts plastiques)

    "On avait mangé dans des assiettes bordées de noir, des soupes à la tortue, des pains de seigle russe, des olives mûres de Turquie, du caviar, des poutargues de mulets, des boudins fumés de Francfort, des gibiers aux sauces couleur de jus de réglisse et de cirage, des coulis de truffes, des crèmes ambrées au chocolat, des poudings, des brugnons, des raisinés, des mûres et des guignes , bu, dans des verres sombres, les vins de la Limagne et du Roussillon, des Ténédos, des Val de Penas et des Porto ; savouré après le café et le brou de noix, des kwas, des porters, des stout."

    -Reprenez le menu prévu par Madame Deume dans Belle du Seigneur d'Albert Cohen et calculez pour un mangeur moyen les calories accumulées (EPI lettres-SVT-mathématiques)

    On comprendra aisément qu'en matière de débilité, l'infini est devant nous. Mais, sur ce plan, les pédagauchistes ont de la ressource...

     

     

    (1)Tout en sachant que la farce peut être tragique, pour parodier Zizek.

  • Pour ne jamais en finir...

    Ce matin, je me suis installé en terrasse avec une amie et son bébé. Nous avons discuté, entre autres, de ce qui était arrivé dans la nuit, et je regardais les clients autour de nous, certains sérieux, d'autres à rire. Je me demandais dans quelle partie de leur mémoire ils avaient placé ces morts qui leur ressemblent terriblement. Mais, peut-être se posaient-ils la même question à mon encontre. Les discussions étaient discrètes. C'était étrange. Je ne sentais pas la même consternation appliquée et facile de l'"après Charlie". Et cette amie de me dire : y a-t-il des manifs en perspective ? Les gens iront-ils encore, maintenant qu'ils savent qu'il ne suffit pas d'être dessinateur ou journaliste pour prendre de sang-froid une balle dans la tête ?

    C'est là que commence le courage, le vrai. Pas celui qui consiste à faire sa b-a, en se voulant citoyen du monde, caricaturiste du dimanche et amnésique politique. Or, il semble bien que l'État qui ne sait pas, ou ne veut pas, nous protéger et poser les questions qui sont au cœur de ces événements terribles, il semble bien que cet État ait voulu couper court à toute réflexion sur le sujet puisque les rassemblements en lieu public sont interdits. Voilà qui a le mérite d'être clair.

    Il ne nous reste pour l'heure qu'à revenir encore une fois sur le fond, sur ces hypocrisies mortifères qu'ici, comme sur d'autres canaux, d'autres blogs, nous avons dénoncées. Ces terroristes sont-ils, pour reprendre la phraséologie de ces dernières années, des "loups solitaires" ? Ou, pour citer ce grand penseur qui se croit premier ministre, des "enfants perdus de la République" ? Et du côté du CFCM, va-t-on, pour se dédouaner et faire ses ablutions en toute tranquillité, nous resservir la soupe classique qui commence par : "ceux qui ont fait cela ne sont pas des musulmans. Cela n'a rien à voir avec l'islam" (1) ? Aura-t-on droit à l'expert es-Lybie BHL (maintenant que Glucksmann n'est plus de ce monde) pour venir nous dire la voie à suivre ?

    Plutôt que de bavasser comme ils savent si bien le faire, plutôt que d'être, pour beaucoup, et notamment à gauche, les complices de l'islamisme rampant (mais qui rampe de moins en moins tant on lui permet de se tenir droit), les politiques devraient savoir que des âmes fortes sont mortes pour avoir, elles, affrontées la réalité. Mais l'affaire n'est pas gagné ; et de repenser à l'attribution du Goncourt à Enard qui nous fait de l'orientalisme conciliant quand Boualem Sansal fixe l'hydre en face. Ce n'était pas la peine, Pivot, d'aller à Tunis annoncer la liste sélectionnée et de nous faire croire à un symbole quand on se couche ainsi pour, je suppose, ne pas déplaire à la gérontocratie algérienne. Bel exemple de décomposition qu'il faut combattre autant que les grenades et les explosifs, car c'est ici et maintenant que nous saurons savoir être vivants.

    Je regardais la terrasse, les tasses de café et les apéritifs ; j'entendais les murmures et je me souvenais de Tahar Djaout, assassiné par les islamistes en 1993 : "avec ces gens-là/Si tu parles, Tu meurs/Si tu te tais, Tu meurs/Alors parle et meurs"...

     

    (1) à peine ai-je publié ce billet que je tombe sur la déclaration d'Anouar Kbibech, président du Conseil Français du Culte Musulman, lequel conclut son propos ainsi : les auteurs des attentats qui ont frappé Paris «ne peuvent se réclamer d'aucune religion ni d'aucune cause». Cela s'appelle la démonstration par l'exemple...