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off-shore - Page 32

  • Froome et la Sky : un Tour de com'

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    La matière, entendons : l'objet, d'une manipulation est secondaire. Le plus intéressant reste le principe qui opère et la réussite systémique du "plan de com".

    Ainsi en a-t-il été ce week end dans la fameuse étape menant les coureurs du Tour à l'Alpe-d'Huez. Je n'ai trouvé nulle part l'embryon de l'analyse qui suit. il faut croire que la ficelle était tellement grosse qu'il n'était pas nécessaire de s'y apesantir. C'était pourtant édifiant.

    Le Tour 2015, malgré les exploits, les faits d'armes, les malheurs, les souffrances, a baigné dans un malaise constant autour des performances de son vainqueur, Chris Froome. Soupçon de dopage ou de manipulation technique, au choix. 

    Froome court l'équipe Sky. Sky est une chaîne tv. La com', elle connaît. Devant les attaques dont son coureur a fait l'objet, le staff a d'abord opté pour le mépris et la dénégation. C'était évidemment contre-productif en terme d'image. Premier échec. On est ensuite passé au sacro-saint jeu de la transparence. Un toubib a déboulé en salle de presse pour expliquer que tout était normal. Chiffres à l'appui : fréquences de pédalage, poids, rythme cardiaque et j'en passe. Cela n'a pas mieux fonctionné. Les chiffres, on leur fait dire ce qu'on veut, et quand on vient avec les siens, sans contradictions, c'est un peu facile. Les politiques le savent depuis longtemps. On détruit, une part de la logique de véridicité qui justifiait la démonstration. Comme quoi : plus c'est clair, plus c'est troublant. 

    Que fallait-il faire alors ?

    Réponse ce samedi, donc, dans l'ascension de l'Alpe-d'Huez. Quintana, le dauphin de Froome, attaque et l'Anglais ne répond pas. S'élabore aussitôt, par le biais de commentateurs idiots la possible déroute de l'invincible leader. Le mythe radical de la défaillance. Pendant une demi-heure, du storytelling live. De la broderie qui assure l'audimat, d'autant plus que le vainqueur de l'étape sera français. Que du bonheur ! L'exaltation franchouillarde (1) et la dramatisation à outrance sur une hypothétique chute du roi. On compte les secondes, on scrute le visage, on glose sur le coupe de pédale et les mètres perdus. Pas de doute : Froome est redevenu humain. Il a, dit-il, "souffert mille morts". Il en réchappe de justesse. Il n'est peut-être pas celui qu'on dénonce. 

    Bien joli tout cela, mais c'est du flan ! Sky a trouvé là le moyen de noyer le poisson. Froome gagne le Tour avec une petite marge et ses détracteurs en sont pour leurs frais. Il n'écrase personne. Il a même failli perdre. 

    Balivernes ! Il a laissé partir Quintana, a géré la différence, n'a subi aucune défaillance. La preuve ? Si l'on considère le temps de la montée sèche de l'Alpe-d'Huez, que découvre-t-on ? Que Quintana a été le plus rapide. Et ensuite ? Que le deuxième plus rapide s'appelle Froome (avec Valverde) et qu'il a, tout défaillant et au bord du précipice qu'il était, repris 45 secondes à un Pinot survolté qui franchit la ligne en vainqueur. Froome, le presque mort, met deux minutes à Contador et Nibali, entre autres. Appeler cela une défaillance et monter en épingles cette mise en scène relèvent de l'idiotie complète. On se reportera à ce que purent être les coups de moins bien d'un Merckx face à Ocana, en 1971 : huit minutes dans la vue. Idem pour Fignon dans un chrono sur le Ventoux, et le Hinault de 1984 prend près de quatre minutes dans les chaussettes sur ces mêmes pentes de l'Alpe. Pas de doute : Froome est un grand comédien et rien que pour cela, il n'a pas volé sa victoire...

    Dès lors, on comprend la stratégie millimétrée d'un faux suspens qui permet de faire taire, ou pour le moins d'amoindrir les critiques. La raison n'est pas le moteur de la com' mais l'émotion. On ne tire pas sur un homme qui peine et on oublie aussitôt l'étrangeté de sa performance. Au fond, c'est un peu comme en politique. Il suffit que Juppé ait appris à sourire pour que les Français l'apprécient et oublient et sa morgue, et sa médiocrité...

     

    (1)Que pas un couillon de gauche ne dénonce d'ailleurs. Le sport est le dernier lieu où le terrorisme anti-national met sur pause...

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Sémaphores

    Elle est dans le vrai, celle qui écrit que « la nostalgie, c’est ce qui fait rentrer chez soi, quitte à y trouver le temps qui passe, la mort et, pire, la vieillesse, plutôt que l’immortalité ». Mille fois raison. Et qu’on ne fait pas retour pour ce qui nous a manqué mais pour aller bien au-delà du chemin parcouru. Il ne s’agit pas de retrouver les empreintes de nos anciennes pérégrinations, loin s’en faut. Plutôt : prendre la traverse, le fossé, charger dans le taillis et passer les murets. On ne revient jamais pour le même. On gravite autour du mystère qu’on a laissé et qui ne peut être mystère que parce qu’on l’a laissé mystère, et qu’on ne peut le savoir être là que parce que l’indicible nous manque.

    Vous découvrez Séville, ou Ely, ou le Bosphore. Figures étrangères. , c’est d’une envergure plus nette, et plus grave. Cet autre endroit vers lequel vous voulez revenir, vous en savez assez, et donc trop peu, pour espérer le redécouvrir. Une expérience différente, parce que différée. Le d’une musique intérieure qui ne vous a jamais quitté, alors que tous les nuages de tous les ciels sont en cohue dans votre mémoire…

     

  • De l'un à l'autre

     

    Qu’en sera-t-il de lui, de lui comme autre, quand l’enfant, encore réduit aux pleurs et aux vocalises de la nécessité ou de l’inconfort, l’appellera de son nom,

    de son nom qui fait lien :

    être le père ?

    Il lève les yeux de son livre et, à côté de lui, lui dort.

    Il ne se souviendra de rien. Ni de ses premier sourires, ni des premiers pas, ni de ses premiers mots.

    Dehors, l’orage carillonne. Il est dix-neuf heures. Il dort et n’a peur de rien. Le visage encore serein, dans l’inconnaissance des nuages lourds et chauds. Il n’a rien anticipé du tonnerre.

    Il ne reprend pas son livre. Il guette. L’orage s’enfuit : après longtemps, l’enfant ouvre les yeux et, croit-il, le regarde, et l’apaise.

  • Orientation d'un inculte

    La semaine passée, sur I-télé, le hasard (s'il existe) m'offre l'occasion d'écouter un débat "d'éditorialistes". Une sorte d'affrontement gauche-droite, aussi factice dans le milieu des journaleux qu'il l'est dans le milieu politique (1). Et le hasard se combinait avec la chance puisque l'un des deux artistes était Laurent Joffrin. Celui-ci sévit dans le paysage médiatique français depuis trente ans. Il en est un des représentants les plus superfétatoires. Baudruche gauchiste dans le sociétal et libéral éclairé au niveau économique. Rien que du classique.

    Comme tous les gauchos patentés, sa signature, à défaut de l'intelligence, est l'indignation. Signature qui, au passage, est une exclusive : un homme de droite, ou pire : d'extrême-droite, en est sui generis privé. L'indignation est le point de Godwin de ces gens-là, leur structuration mentale par quoi tout passe, en bouillie ou en purée. Pour le coup, Joffrin était indigné. La question portait sur l'appel de Denis Tillinac concernant la préservation des églises françaises, appel paru dans Valeurs actuelles. Pour les lecteurs de ce blog qui ne seraient pas au courant, voici l'affaire.

    Il y a quelques semaines, le président du CFCM, le si modéré (?) Dalil Boubakeur, accessoirement recteur de la mosquée de Paris, proposait de récupérer les églises abandonnées pour combler le déficit de mosquées. En clair, ce qu'on appellera non une transformation mais une conversion du lieu. Celui-ci, devant un certain nombre d'indignations, a rectifié le tir en disant qu'il s'était mal exprimé. On ne glosera pas plus avant sur cet essai malicieux pour tâter le terrain d'une possible islamisation du territoire à travers ses lieux symboliques, lesquels ont donné à la France une identité architecturale, intellectuelle et morale que les islamo-gauchistes et les francs-maçons s'ingénient à nier, selon une démarche révisionniste ahurissante.

    Devant cette inquiétante tentative de radicalisation (2), l'écrivain Denis Tillinac a donc lancé son appel. Et Joffrin évidemment de crier à l'intox, au faux débat, au détournement. Tout cela .organisé par des hommes (et des femmes) d'extrême-droite : il suffit de nommer l'écrivain Jean Raspail pour que le tour soit joué. Ce ramassis de réac fachos n'ont rien compris et ils épousent, peu ou prou, la ligne incarnée par une lepénisation des esprits. Denis Tillinac, dont j'avais déjà défendu la position sur ce blog, est encore une fois cloué au pilori. La parole de Boubakeur n'est pas à prendre au premier degré ; celle de Tillinac si. Le propos de Joffrin n'aurait rien de particulier et ne mériterait pas qu'on s'y arrête si cet idiot, ivre de sa bêtise, ne se donnait pas le droit d'être spirituel. Il explique alors que beaucoup des églises sont dans un axe est-ouest, tournées vers l'Orient, vers Jérusalem. Dès lors, Jérusalem ou La Mecque, c'est un peu la même chose. Sublime, forcément sublime, pour plagier la bonne Marguerite Duras...

    Ces considérations sont du même tonneau que celles de Boubakeur, pour qui l'islam et le christianisme sont des cultes voisins ! Balancées avec la présomption de l'inculte (nul sur le plateau ne rectifie), elles procèdent par amalgame (mot à la mode) et sont le fruit d'une ignorance crasse. Si le petit Joffrin avait un tant soit peu de culture, il saurait

    -que l'orientation (qui vient effectivement du mot orient) est-ouest est un classique architecturale ; que sa pratique se retrouve dans d'innombrables civilisations. Cela établit le rapport très ancien de l'homme à la nature, et notamment au soleil. Le porche du Temple de Salomon était déjà tourné vers l'est, ainsi que le précise Ezéchiel. La question de Jérusalem, qui n'est d'ailleurs pas l'est universel, selon la latitude où nous nous trouvons, est ridicule. Elle ne fonde pas l'édification des églises occidentales.

    -que la thématique de la lumière organise effectivement l'orientation des édifices chrétiens répond aussi à une symbolique déterminée par la figure même du Christ, "soleil de justice". Il est "la lumière du monde", ainsi que l'écrit Jean. L'architecture est donc le relais d'un discours spirituel et théologique spécifique à la chrétienté.

    De cela, Joffrin, en bon renégat de la culture millénaire qui a bâti l'Europe, fait des raccourcis à seule fin de nier une réalité historique et intellectuelle à laquelle ses accointances islamo-gauchistes voue une haine sans bornes.

    Peut-être n'aurais-je pas signé l'appel de Denis Tillinac (la pétition n'est pas mon fort), mais la bêtise mortifère de Joffrin ajoutée aux souvenirs littéraires des inquiétudes, il y a un siècle, de Proust et de Barrès, devant la ruine des églises, m'ont incité à le faire...

    (1)Si l'on veut comprendre rapidement cette identité sous la fausse garde des débats dits contradictoires, il suffit de regarder quelquefois les deux chaînes d'infos en  continu : BFM et I-télé. La première est vaguement de droite, l'autre vaguement de gauche. Mais dans les limites très étroites d'une doxa européenne et libérale qui les fait se ressembler comme des sœurs jumelles. Ceux qui y voient des différences imaginent donc que Ruth Elkrief et Laurence Ferrari pensent. Fichtre !

    (2)Radicalisation, en effet, parce que le sieur Boubakeur est fort silencieux quand il s'agit de défendre les chrétiens d'orient, et plus encore les chrétiens d'Algérie, lesquels sont persécutés au milieu d'un silence condamnable.

    (3)Il dirige Libération. Que dire de plus ?

     

     

     

  • Il y a si longtemps, Dan Ar Bras

    L'excellent guitariste Dan Ar Bras commit en 1977 un magnifique premier album Douar nevez, composé d'instrumentaux inspirés de la légendaire ville d'Ys. Petit label et succès confidentiel.

    Après, il a glissé dans le commercial, comme beaucoup, et exploité la vague bretonnante tout juste bonne à relancer Nolwenn Leroy et à rendre tendance le festival interceltique de Lorient. Il faut bien vivre et être mondialisé (1)...

    Pour revenir à Douar nevez, le morceau qui suit est l'antépénultième composition de l'album. L'orchestration en est datée (la mise en avant de la batterie de Michel Santangelli par exemple) mais l'envolée est belle...


     

     

    (1)Seul à sauver la face aujourd'hui, Denez Prigent, et sa voix rauque de finistérien qu'on peut aussi écouter ici



     

  • Mille feuilles

     ...à peine une narration ;

    plutôt ce qui serait une manière d'ouvrir les tiroirs ou de ranger les papiers laissés en vrac sur la console ou éparpillés sur le bureau ;

    mais un bureau de tous les temps accumulés, comme une sédimentation active, ou un feuilletage des époques, dont les pièces souvent sont à peine visibles, que tu tires doucement pour découvrir, c'est selon : un trois fois rien, une écriture si indéchiffrables que tu t'y acharnes, ou les marbrures d'un lieu dans une fenêtre photographique.

  • Monacal

    Au milieu du barnum florentin, l'un des seuls endroits qui réserve encore des élans de grâce est le couvent San Marco, jadis occupé par les dominicains, et notamment par Savonarole. L'austérité conventuelle et la moindre concession au spectaculaire (à l'inverse du Duomo, si on veut faire court) expliquent sans doute cet intérêt mineur du voyageur.

    L'œil et l'esprit y trouvent pourtant un réconfort certain puisque Fra Angelico y a œuvré avec puissance et sobriété. Outre L'Annonciation qui vous accueille en haut de l'escalier, les cellules, à l'étage, abritent des fresques merveilleuses, à commencer par le très célèbre Noli me tangere. Comme toujours Il Beato allie la simplicité de l'art à une profondeur quasi mystique (il était dans les ordres...). Ce qui semblera, à l'aune des maîtrises techniques de la Renaissance, une expression religieuse naïve (un peu comme Giotto) est en fait l'admirable traduction d'une foi qui subsume la peinture comme art de la Révélation (ce qu'on a fini par concéder au diktat esthétique, pur produit des Lumières, comme rationalisation de la peinture en tant que marché). Ainsi imagine-t-on que les cénobites ne furent pas dissipés par ces fresques mais affermis dans leur lien avec Dieu.

     

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    Et de se demander d'ailleurs ce qu'est une cellule monacale ? Une chambre, si l'on veut formaliser son usage le plus simple... Certes mais comment en saisir la pleine vérité qu'occulte cette détermination technique ? Car, hier comme aujourd'hui, la cellule monastique est un lieu singulier. Elle est définitivement le reculé du reculé, le retranché du retranché. L'enceinte religieuse marque la première fermeture et, selon les ordres, règnent le silence complet ou la parole mesurée. Dehors le babil ; à l'intérieur la prière et la méditation. Alors, le profane s'interroger sur ce que peut être la solitude quand on a déjà été seul une partie du jour, ce qu'est le silence absolu quand on a à peine parlé. La chambre du commun, elle, accueille le repos d'un esprit agité par le monde. Elle est une rupture (1). Mais la cellule de San Marco est un approfondissement, la continuité de ce "hors-de" si radical qu'il devient un sujet de terreur (2). Comment se taire davantage ? Comment revenir plus avant encore à soi, tout en étant en lien avec l'Autre par excellence ?

    Plus qu'une chambre classique, la cellule monastique est l'endroit de celui qui l'habite, et le dénuement du lieu n'y est pas pour rien, paradoxalement. Nul besoin de signature, du bibelot au poster, du meuble au papier peint, puisque la spartialité et l'exiguïté sont les preuves même que le précieux est invisible. Il ne se montre vraiment que dans l'ordonnancement intérieur d'un esprit justement habité. La cellule n'est pas un havre ; sa finalité n'est pas le sommeil, moins encore l'oubli. Elle est incompréhensible en ce siècle qui accélère sa course vers l'amnésie.

    C'est donc avec trouble que l'on pénètre dans ces retraits de San Marco, et notre étonnement devant ce vide qui n'en est pas un est infiniment plus redoutable que notre ignorance théologique devant une des œuvres de Fra Angelico. Le mystère n'est pas toujours où l'on l'attend...

    (1)Mais faut-il encore l'écrire ainsi ? Comme tout le reste (l'univers ultra-moderne est totalitaire), elle concède au terrorisme technologique ; on y trouve maintenant la télé, la chaîne hi-fi, l'ordinateur, et le portable veille sur la table de chevet. Il n'y a plus de monde révoqué ; ce n'est plus possible. L'homme contemporain est à demeure dans le siècle, attachant son devenir à ses prothèses communicationnelles.

    (2)Je me souviens du témoignage de parents effondrés devant le désir carmélite de leur fille. Elle eût été porno star que leur affliction n'eût pas été pire.

  • Fin de séries

    La disparition de Patrick Macnee, à l'âge vénérable de 93 ans, ne nous rajeunit certes pas. Elle nous ramène à ce que fut notre enfance télévisuelle et à ce qui a survécu, soit : pas grand chose. Mais la série dont il était le héros en fait partie.

    Chapeau melon et bottes de cuir illustre ce que put être une scénarisation kitsch, avec des relents de guerre froide, et un tournage studio à deux francs six sous. Cela sent l'amateur, pour le délire technologique présent, avide d'effets visuels dévastateurs (il s'agit de bluffer le pékin...).

    Cette série a connu de multiples formules, et dans la dernière version, le duo était un trio : tout s'était aligné sur l'ennuyeux besoin d'action. Purdey (la fille) avait la sensualité d'une tanche, avec ses cheveux courts et sa franche bien british. Elle avait un côté masculin qui convenait à ses acrobaties de femme d'action. Elle était l'alter ego du sieur Gambit, substitut pâle d'un John Steed en demi-retraite. Cela sentait le réchauffé et le conformisme.

    On est bien loin du noir et blanc qui nous fit rêver, quand le sus-nommé Steed, toujours impeccable, distingué, voire guindé, s'amusait avec Emma Peel, puis Tara King (mais c'est déjà moins bien avec cette dernière.). Il y avait entre ces deux-là plus qu'une complicité : un implicite sulfureux avec lequel on pouvait fantasmer. Fantasme que le titre français avait assez bien identifié, à l'inverse de l'original anglais (The Avengers) : le cuir et la cuirasse, la bonne éducation et le transgressif. Et sur ce point, il n'y a pas à discuter. C'est Emma Peel qui demeure la seule compagne idéale de Steed, celle avec laquelle le désir inavouable, ou caché, est le plus ardent. Lorsque dans un épisode, Emma Peel est transformée en reine du péché, l'équivoque est quasiment levé. Mais le générique lui-même tendait à la révélation que, dans cette histoire, le défi n'était pas tant dans l'adversaire dont on déjouait  les plans que dans cette étrange alliance d'un mondain et d'une femme plutôt moderne. Il serait illusoire d'y voir une variation sur le désormais éculé principe des héros antagonistes (mais complémentaires), du type : le bon flic et le mauvais flic. Ce n'est pas la manière dont ils s'associaient qui intriguait mais celle par quoi on sentait un ailleurs jamais dit, un hors-champ redoutable.

    Dans le fond, cette série était, à sa façon, hitchcockienne : l'érotisme était enveloppé d'un chic capable de sublimer les attentes communes du spectateur. Le contemporain trouvera cette manière un peu surannée, trop "habillée", et pour tout dire : décevante, quand désormais on a le cul de n'importe quelle actrice sous toutes les coutures. Mais c'est justement cette étrangeté (comme de n'avoir jamais vu Liz Taylor ou Ava Gardner nues...) qui en faisait le prix.


     

  • En pensant à Jacques Réda

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    Je n'y ai pas immédiatement pensé, en le faisant. Je n'ai même pas réfléchi que c'était une façon de voir le monde et de se dérober. Ou pour être plus exact, de sentir qu'il y avait à la fois un intérêt pour ce que je regardais et une forme de retranchement. La vitre. Le double vitrage du train. La paroi froide qui éloigne plus encore le monde. La fenêtre d'un train n'est pas une fenêtre comme les autres. Il ne s'agit pas de s'accouder pour regarder les passants, être dans le point fixe et contempler le théâtre. Il y a bien quelque chose qui défile mais nous défilons tout autant que lui. Nous n'avons pas le temps de nous arrêter, et ce qui nous arrête (dans l'esprit, j'entends, le détail ou le moment de vie que l'on capte) n'est déjà plus là. Nous sommes ailleurs. Tout est ailleurs. Vaste monde et perte infinie.

    Prendre des photographies à partir d'un train (à partir, dis-je, par la force des mots puisque le train est en fait déjà parti. Il est loin, toujours plus loin), c'est adopter une position (peut-être une posture) que jamais plus je ne retrouverai. Plus que tout : sentir le furtif. Et en même temps, ce furtif se fixe, et je suis comme à l'arrêt. Ainsi, pensè-je à Jacques Réda qui, dans L'Herbe des talus, rêve avec la légèreté grave qu'on lui connaît sur ces ouvertures presque intrusives d'un train au ralenti sur des pièces éclairées en bord de voie, sur ces vies qu'on ne reverra pas et qui s'offrent, d'une certaine façon.

     

    Sur cette photographie, il y a les fils, les voies, des sortes de hangars, des voitures garées. Il y a surtout ce bâtiment, en retrait, et ces fenêtres. Rien qui soit misérable ou dégradé. On peut même imaginer que la construction en est assez récente. Mais je pense alors à ces vies rythmées par l'échéancier ferroviaire et la tentation, peut-être, de se perdre, à l'une de ces fenêtres, dans le décompte, sur vingt minutes, une heure, deux heures, des convois qui filent. De ces lucarnes, la vue est laide, le panorama triste. Il n'y a alors que les trains, eux-mêmes pas toujours reluisants, qui animent un après-midi de retraite ou d'ennui. La ritournelle des sifflets et du claquement métallique. Et la vitesse, massive et rude, qui m'emporte, loin de cet endroit dont je ne connais pas le nom...

    Photo : Philippe Nauher

  • Jouer

     

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    L'échappée berlinoise de Valls est déjà oubliée. Peut-être ne l'est-elle pas de de l'un ou l'autre d'entre nous mais cela importe peu. Notre volonté de garder en mémoire un fait aussi symbolique relève pour le flot médiatique (1) d'une aspiration réifiée à la pesanteur. Ce que j'écrivais, et qui, me semble-t-il, n'était pas d'une grande originalité, mais considérait simplement un acte à tout le moins ridicule de "papa omnipotent pour fifils hors sol", je n'en ai trouvé nulle trace dans les divers journaux que j'ai lus ou écoutés (2).

    En revanche, et comme un contrepoint tragique, une question lancinante : sera-ce son Fouquet's à lui, cette tâche indélébile du quinquennat sarkozyen ? Cette interrogation, en forme de comparaison, ou de parallèle, c'est selon, ne vaut pas tant par sa justesse que par les présupposés qui la rendent possible dans le monde journalistique. 

    Le premier présupposé concerne le fait en lui-même. Ce voyage à Berlin n'a pas de réalité concernant l'homme tel qu'il est. Son arrogance, sa morgue, son jeu ridicule d'homme de la banlieue soucieux de la France alors qu'il pue le blairisme (sans le dire vraiment, bien sûr) n'ont rien à voir avec cette liberté prise avec l'argent du contribuable. Ce voyage ne compte que dans son effet médiatique. Ce qui veut dire, en clair : si faute il y a, c'est d'abord comme un effet de perception, une malencontreuse subjectivité dont l'opinion pourrait faire un usage plus ou moins vindicatif à l'égard du sieur Valls. Le peuple aura-t-il de la mémoire ou non ? Le peuple sera-t-il rancunier ou non ? Le peuple sera-t-il indulgent ou non ? Le peuple sanctionnera-t-il ou non ? En déplaçant le curseur du côté de la population, on produit aussi une étrange modification du fait. On minimise celui-ci pour considérer les possibles délitements d'une réaction outrancière, alors qu'il faudrait, nous dit-on, juger le politique sur ses actes concrets. La complaisance médiatique commence dans ces eaux troubles, quand, devant l'énergumène indélicat, on se retourne vers ses juges symboliques pour voir s'ils vont rester dans la mesure ou non. Petit travail subreptice de culpabilisation pour les uns que l'on mâtine d'un peu d'humanité pour celui qui se dévoue à la chose publique. Se demander si Valls va le payer, c'est se demander si les parents vont sanctionner le gamin. Là aussi, il y a une psychologisation masquée et débile du rapport entre la sphère politique et ceux qu'elle représente (3). La question est là : pardonne-t-on à l'aîné parce qu'il a fait le mur pour retrouver ses potes ? 

    Le deuxième présupposé tient à la place médiatique assignée à Valls en substitut potentiel d'un Hollande défaillant. L'inquiétude autour de cette "bourde" (dixit le Catalan...) est aussi le produit d'une construction en forme de casting pour les années à venir. L'univers informationnel a besoin d'une distribution suffisamment fourni pour fabriquer son théâtre artificiel. Dans l'état actuel l'ectoplasme corrézien n'est pas en mesure de tenir son rang. Il faut donc un candidat de substitution pour que le soap opera de 2017 tienne le couillon en haleine. L'inquiétude autour des effets berlinois est donc le reflet d'une préoccupation marketing propre au monde de l'information dont il faut répéter à l'envi qu'il est désormais (4) un système marchand soumis aux impératifs de la concurrence et qu'il doit produire, par ses propres moyens, la matière qui le fait vivre. Dès lors, la question autour des retombées berlinoises renvoie à deux paramètres à la fois contradictoires et complémentaires. Créer une interrogation pour susciter l'intérêt, voire l'émoi ; neutraliser l'interrogation légitime pour pouvoir conserver dans sa globalité l'équilibre d'un vase clos par quoi le profit et la pérennité du système sont validés. 

    On retrouve là deux modélisations faciles et factices : faire peur et rassurer. Comme au cinéma. Les mêmes ficelles. Créer l'événement, jouer avec l'événement, puis le vider de son contenu.  Sur ce plan, il faut reconnaître que la place prise aujourd'hui par les chaînes d'infos en continu a accéléré le mouvement. Plus de présence donc plus d'intensité. Plus d'intensité donc plus de névrose. Plus de névrose donc plus d'artifice. La mort de la démocratie est à ce prix. Et nous le payons un peu plus chaque jour...

    (1)Et sans doute, aussi, pour le militant de base, ce crétin complotiste qui ne voit pour son poulain chéri dans ceux qui demandent des comptes que langues vilaines et esprits retors.

    (2)Effort conséquent, il faut le signaler, que de lire la mauvaise prose d'une engeance journaleuse à mille lieues de ce que furent mes lectures de jeunesse...

    (3)Ne nous en étonnons pas tellement. Quand, par voie sondagière, on apprend que les Français ont de la tendresse pour Jacques Chirac, on se dit que tout est possible et la médiocrité des représentants n'est qu'un effet de la bêtise de la masse. Bêtise qui commence par une faculté remarquable d'oubli, un art de l'amnésie qui fait rêver...

    (4)Mais a-t-il jamais été autre chose ? Le modèle imposé par de Girardin au XIXe siècle tend à montrer que l'évolution contemporaine n'est que l'exacerbation d'un modèle structuré sui generis pour produire de la plus-value.

     

    Photo : Philippe Nauher