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off-shore - Page 33

  • Suite

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    La lourdeur -plafond bas, quand, dehors, la pluie a cessé- est palpable. Mais c'est le vent que l'on redoute, sa bravoure à gondoler les palissades, et faire claquer les drapeaux. Il est trois heures de l'après-midi mais il faut y regarder à deux fois. Rien ne se sera levé, rien n'aura pris, pas même l'envie de faire quelque chose de sa journée.

    On aurait aimé que ce soit dimanche, de ne pas avoir à sortir (il ne restait qu'un quignon de pain rassis), mais il pleut en semaine et les horaires du quotidien accommodent à leur sauce le cuir de mes chaussures neuves et mon lourd manteau

     

    Photo : Raymond Depardon

  • Valls ou la régression infantile

    Les esprits comptables qui voient dans les frasques berlinoises de Manuel Valls une énième preuve de la fracture, voire de la rupture, entre les élites et le peuple, et un énième épisode des libertés budgétaires de ceux qui nous demandent de la rigueur, ces esprits-là n'ont pas tort, évidemment, mais ils manquent ce supplément de consternation propre à cette échappée germano-footballistique.

    D'une certaine manière, j'eusse,à titre personnel, préféré que le sieur en question se fît la belle pour rejoindre sa maîtresse à Lisbonne ou à Palerme. Je n'y aurais vu qu'une liberté adulte dans un emploi du temps étouffant, nonobstant les considérations financières bien sûr. Ce n'était pas plus justifié sur le plan politique que ce qui va nous occuper mais, pour le moins, on aurait le sentiment d'être gouverné par quelqu'un qui, au delà de la fonction, cherche à trouver dans son hyper-activité un moment pour souffler. En l'espèce, nous sommes loin du compte et c'est l'arrière-plan symbolique qui, dans le fond, est choquant, et cela, à deux niveaux.

    Valls s'en va du congrès de son parti (1) pour aller voir un match. Un match phare de la saison, certes, mais qui vaut surtout pour lui, parce que l'une des équipes, le FC Barcelone, est le club de son enfance. Plus encore, le club de ses origines. Ce n'est pas seulement la référence à un quelconque attachement sportif (2) mais la revendication d'un lien que le premier ministre ne veut en aucune façon couper (ce qui peut sur le plan humain se comprendre), et cela, en passant outre le cheminement de sa propre histoire qui l'a fait devenir, et par sa volonté, français en 1982. Cet acte est en somme le premier signe de la régression. En quittant la France pour l'Allemagne, c'est-à-dire en abandonnant sa situation politique hexagonale (premier ministre au cœur d'un débat important concernant le parti au pouvoir), Vals fait un autre trajet qui le ramène en Catalogne, à cette Espagne des origines dont il possède encore la nationalité. La faute de jugement, ou ce que lui-même veut présenter désormais comme telle, n'en est pas une. Bien au contraire. Cet acte est le signe en creux de ce qu'il est : un narcissique infantile dont le désir d'être passe outre toutes les considérations proprement politiques. Il ne faut pas s'y méprendre. Réduire ce voyage au bon plaisir du puissant est une erreur. Ces quelques heures berlinoises dévoilent le politique sous son angle le plus fulgurant : un jeu d'enfant où, le pouvoir réel n'existant plus, le bonheur se trouve dans l'accomplissement de ses rêves d'enfantVals n'est pas allé à Berlin pour voir un match de football ; il y est allé pour joindre son désir profond (et passé) à sa puissance présente.

    Certains s'étonnent, notamment dans l'entourage présidentiel, qu'il ait pu commettre une telle erreur. Raisonnement doublement ridicule. D'abord parce qu'en matière d'infantilisme, Hollande n'a de leçon à donner à personne. Ses amours en scooter, comme un adolescent qui passerait par la fenêtre pour retrouver son premier flirt, sont du même tonneau. Ensuite, parce que la lucidité politique est de facto oblitérée par le pouvoir politique, quand celui-ci se met au service d'un désir aussi fervent. Il ne pouvait pas faire autrement. L'écœurement vient de là, dans ce que cette impossibilité à résister souligne de déréliction au niveau du pouvoir. L'immaturité soudain au vu et au su de tous. Cette hispanité régressive de Vals est bien pire que le passe-droit financier sur lequel on met l'accent. Bien pire, en effet : il est premier ministre du gouvernement français, et comme tel, il se devrait à une certaine réserve. Que dans sa salle à manger, il revêt le maillot blaugranes, grand bien lui fasse ; qu'il file à l'étranger pour changer symboliquement de passeport, voilà qui est bien plus gênant. Et de se demander si, dans l'affaire, la marche consciente vers le pouvoir ne se double pas d'une autre, inconsciente, pour ne jamais abandonner l'origine. Le quidam s'interroge alors : qu'en aurait-il été, au profond ministériel, si la finale avait opposé le FC Barcelone au PSG ? Nul doute qu'on aurait sorti la langue de bois sur la beauté du sport, le meilleur qui gagne, l'importance du beau jeu, etc., etc., etc..

    Cette observation eût été discutable s'il n'y avait pas eu une deuxième articulation dans la régression, et celle-là plus imparable encore. Vals, dans son retour au bercail, a emmené ses fils. On passera sur la parade qui ne résout rien : ils adorent le foot. On s'en fiche. On mettra de côté le coût tant la grandeur de cette République exemplaire est une foutaise. Que reste-t-il alors de si terrible ? Rien moins qu'un père (mais l'air du temps et le psychologisme qui règne dirait : un papa (3)) qui se fait plaisir, fait plaisir à ses garçons, et concrétisant sans aucun doute une promesse, leur montre ce qu'il est capable de faire en faisant le détour par d'où il vient. Cet aller-retour met totalement de côté le caractère public de la représentation politique. Il n'est qu'une histoire privée, une histoire de mecs, de démonstration masculine, par quoi le pouvoir, c'est en avoir, s'en servir au delà de ce qui est admissible. Berlin, pour Vals et ses fils, tient à la fois du pèlerinage (le passé catalan) et de la négation (du présent français). Ce qu'il vient regarder est indissociable du pouvoir qu'il a de donner à regarder. On imagine le souvenir inoubliable pour la progéniture, où se mêlent le goût de la victoire, l'union familiale et l'étalage du pouvoir paternel, comme aux temps très anciens où nous croyions que notre père était capable de tout et qu'il nous protégerait de tout.

    Valls, dans cet épisode qui risque de lui coller à la peau, est dans la monstration et la démonstration. Il est dans le plein désir, et pour ce faire, confond ce qu'il est, comme adulte, avec ce qu'il a été, comme enfant. Et ces enfants, sans qu'il s'en rende compte peut-être, sont le miroir nécessaire à sa volonté de jouissance sans fin. Pas la peine d'être grand clerc pour se dire que le retour à Poitiers a dû le consterner, parce qu'il s'agissait de revenir vers ce pour quoi il a été choisi alors même qu'il venait d'en nier la réalité. Ce n'est pas très rassurant quant à l'avenir...

    Mais l'avenir commun, Valls n'en a cure. On sait désormais qu'il est capable de tout pour satisfaire son désir et nous ignorer. Les Grecs appelaient cela l'hybris. La démesure... Mais les Grecs, comme les Latins, sont des inutiles. Et Valls en sait quelque chose, lui qui soutient la réforme de Valaud-Belkacem...

     

     

    (1)Preuve s'il en est du peu de considération qu'il faut avoir pour ce parti. Pas la peine de jouer la mauvaise foi, ces idiots donnent les arguments pour qu'on puisse en conscience les mépriser.

    (2)Et nous connaissons tous untel qui aime Paris, Marseille, Munich ou la Fiorentina, sans être ni parisien, ni marseillais, ni munichois, ni florentin. C'est un attachement sportif, dont on peut sourire, mais qui n'est pas fondé sur l'attachement au sol, que par ailleurs beaucoup condamnent, notamment ches les socialistes.

    (3)"Le papa", "la maman" : symptôme de l'époque, dans la bouche des psychologues miteux, des enseignants débiles, des journalistes qui cherchent à émouvoir, et des politiques qui veulent être proches...

     

  • La confusion des plans, Lewis Baltz

    Au jeu idiot des œuvres que l'on voudrait emporter sur une île déserte, outre le nu magnifique de Boubat, il y aurait aussi celle qui suit, de l'immense Lewis Baltz, disparu en novembre dernier.

     

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    Construction Detail, East Wall, Xerox, 1821 Dyer Road, Santa Ana (1974), from “The new Industrial Parks near Irvine, California." 

    En 1974, le photographe américain, figure majeure du mouvement New Topographics, vient explorer avec son objectif une zone industrielle californienne et, plutôt que de sonder, à la manière des Becher, dont il est proche, l'architecture complexe des espaces, il s'attache justement à ce qui, à première vue (1), n'accroche pas : les surfaces, les panneaux, la raideur métallique, l'étendue uniforme. C'est un peu comme s'il voulait abandonner le pittoresque en ce qu'il suppose une aspérité, un défaut, une variation pour l'intransigeante inquiétude de ce qu'on ne regarde jamais vraiment, puisque c'est toujours la même chose, sans relief.

    Le livre publié par Baltz est une des plus grandes merveilles qu'il soit donné de voir (2). Il y dévoile une intransigeance formelle fascinante. Alors que tant de clichés cherchent à faire entrer le bruit et l'agitation comme signe de la modernité ambiante, le photographe américain en creuse la singularité à travers le silence induit par la froideur des matières et des textures, comme le montrent assez clairement, je pense, les deux exemples suivants.

     

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    Mais, paradoxalement, l'œuvre la plus singulière de ce projet touche à la construction du mur est de Xerox. Les murs sont encore entre l'enduit et la peinture, une peinture qui semble avoir été étalée de manière anarchique. Les teintes ne sont pas unies. Outre ce désordre des surfaces et des chromatismes, on trouve un certain nombre d'éléments disparates : une porte, une échelle métallique, des bouts de bois, des parpaings. S'ajoute une avancée architecturale dont on détermine mal encore l'utilité. Il n'y a donc rien de bien extraordinaire. Ce n'est pas le sujet qui en impose mais son traitement. Le choix d'une posture frontale, avec une certaine distance qui aplatit la profondeur et use de la bordure noire inférieure pour, en quelque sorte, encadrer l'ensemble, tout cela donne à cette photo une allure de tableau, comme si ce qui avait pris par la lumière n'était en fait qu'une construction picturale. C'est en cela que je trouve ce cliché admirable. Il explore d'une manière tout à fait insolite la fameuse opposition entre la photo et la peinture. Non pas selon le mode ancien des pictorialistes de la fin du XIXe siècle, en essayant de "rattraper" le trop de vérité de la photo par un trucage tirant l'œuvre vers le tableau, mais en réussissant à composer un espace réel, avec son inévitable profondeur en une surface à deux plans, ce qui définit, selon Clement Greenberg, le modernisme en peinture...

    Dans cette photo convergent, d'une part, l'écrasement des volumes et la quasi neutralisation des objets en formes filant vers l'abstraction idéale (comme s'ils étaient "décharnés"), dans le sens où ils ne sont plus des fonctionnalités mais des expériences plastiques, et, d'autre part, la métamorphose du fond, du mur, en une toile imaginaire. Le travail inachevé, dans la réalité, devient une expérience abstraite. Laquelle expérience rappelle étrangement les peintures de l'expressionnisme abstrait américain, de Rauschenberg à Johns, en passant par de Kooning. Cet écho n'a rien de surprenant quand on sait que la première exposition de Baltz en 1971 est assurée par Leo Castelli, le même Castelli qui lança par la grâce d'un hasard à peine croyable, Jasper Johns en 1958.

    Ainsi, dans cette œuvre, le photographe ne singe pas, ne rattrape pas l'art pictural. Il ne trafique pas. Il prend le réel, dans toute sa brutalité et son inachèvement, le monde en chantier, pour le sublimer par la seule réflexion (au double sens du terme) de la distance à prendre face à lui. Plus que la technique, et Baltz n'en manque pas, c'est l'œil de l'artiste qui sidère. la grandeur d'un art tient certes à l'inattendu qui le sous-tend, mais plus encore à un inattendu ne procédant pas (ou le moins possible) d'une posture esthétique flagrante. La frontalité de la prise n'est pas pour rien dans la magie de ce cliché. Le point de vue cherche tellement l'impression de la neutralité qu'on est dérouté devant ce dépouillement, comme si l'objet photographique (l'instrument, l'appareil) s'absentait et qu'à la place notre regard se trouvait contrait de regarder ce qu'il ne peut pas voir. Non pas un art en soi, donné ou voulu comme tel (3), mais une construction qui détourne la banalité en tableau, l'inertie en drame (au sens grec de drama, une action). Cette confusion multiple (de la réalité à l'artistique, de l'inachevé en achevé -puisque l'œuvre est achevée, du désordre à l'ordonnancement, du tridimensionnel au bi-dimensionnel), tout photographe, je crois, aimerait un jour la rencontrer. Il ne s'agirait de copier Baltz. Plutôt d'être soi-même pris au piège de son illusion...  

     

    (1)Mais la photographie n'est pas la vue. Elle est une vue, une certaine vue. Une vue de la vue. Il y a toujours une distance supplémentaire puisque, contrairement à notre œil mobile, le cadre est fixe. C'est un cadrage...

    (2)Comme le sont, en faisant fi des questions de style, Paris la nuit de Brassaï, Americain Photographs de Walker Evans, Twentysix Gasoline Stations de Ed Ruscha ou Places d'Aaron Siskind...

    (3)Pour faire simple : ce mur barbouillé n'est pas du street art. Voilà pourquoi il prend un sens bien supérieur.

  • Anti-républicain

    Souvenez-vous... C'était il y a dix ans. Le non à la constitution ultra-libéral des collabos gaucho-centro-verts gagnait avec près de 55 % des voix. En vain.

    Parce que cette même alliance déconfite passait outre et, en congrès, c'est-à-dire en catimini, selon des procédures de république bananière, s'arrogeait de s'asseoir sur ce que nous avions choisi.

    Le débat sur le droit ou non des sarko-traîtres de s'appeler  Républicains m'indiffère et l'acharnement de ses opposants à vouloir lutter contre cette confiscation (ou hégémonie, c'est selon) me fait doucement rire. Je ne suis pas républicain, plus républicain parce que je ne mange pas avec le diable, même avec une grande cuillère. Je conchie la république, purement et simplement. Et tout le battage qui est fait par ses sous-traitants, de droite comme de gauche, de Mélenchon à Juppé, des socio-démocrates aux frondeurs roses (1) est d'un ridicule consommé.

    On comprend fort bien que depuis 2005 toute cette engeance fait du mot "république" son sésame pour dire qui est bon et qui est mauvais. Il s'agit à la fois de masquer le vide démocratique qui la constitue et de mettre au ban ceux et celles qui en contestent ou en dénient la valeur. Être anti-républicain, c'est être fasciste (et pire encore, sans doute, selon l'achèvement de toute discussion au point de Godwin). Il n'y a pas à revenir sur le sujet.

    Et pourtant si ! Je suis anti-républicain puisque cette république depuis dix ans est un coup d'État effectif, un vol démocratique qui a ouvert à cette magnifique prospérité-sécurité-fraternité qu'on nous avait vendue comme un miracle constitutionnel. Être anti-républicain, c'est revendiquer le droit d'exister politiquement et ne pas s'en remettre au temps pour dire que ce qui est passé est passé. On me dira qu'il faut savoir faire avec, aller au delà. Certes, cela pourrait s'envisager si cette même république, cette même claque bouffonne ne remettait sur le tapis le passé de mon pays, sur un mode culpabilisant, dans une langue que l'on doit policer à l'extrême sous peine de procès. Alors, si d'aucuns ont le droit de remonter aux calendes grecques pour demander des comptes à mon pays, il n'est pas interdit de vouloir en demander à ceux qui, toujours en place, nous ont politiquement bafoués.

    Le vote piétiné, le droit de ne rien dire (ou presque) : on aurait compris qu'en d'autres époques cela suffisait pour être anti-fasciste. Être anti-républicain, c'est être un anti-fasciste actuel. Ni plus ni moins. Cela n'a rien à voir avec une quelconque filiation avec l'extrême-droite ou des partis dits radicaux. La question du vote n'a rien à voir avec la présente situation. Le problème tient à ce qu'on ne peut accepter pour du droit ce qui est éthiquement condamnable. Ils n'ont que le droit qu'ils ont su manipuler. Nous avons la légitimité, légitimité suspendue par un procédé inique (mais prévu).

    La souveraineté, disait il y a plus de vingt ans Philippe Séguin, ne se discute pas, ne s'affaiblit pas. Elle est, ou elle n'est pas. Mon anti-républicanisme vient de cette rupture brutale que représente le vote en Congrès, en 2007, du traité de Lisbonne. Et ils y étaient tous, ces gras et gros, ces ventripotents, ces omnipotents qui battent la campagne en nous faisant croire qu'ils s'écharpent, qu'ils se détestent, que la gauche et la droite, ce n'est pas la même chose.

    Mais l'Histoire prouve le contraire, et sans doute cela justifie-t-il que l'on travaille à l'amnésie populaire...

    (1)Lesquels sont les exemples caricaturaux de cette république qu'on veut nous vendre. Rien dans le ventre, rien dans la tête. Mais un art savant de se faire mousser et de jouer à "retenez-moi ou je fais un malheur", art grotesque à quoi se réduit la démocratie formelle de ce monde-là... Les sieurs Paul ou Guedj sont, d'une certaine façon, pires que Valls. Ce sont des faussaires moraux.

     

  • L'impitoyable liberté de la lecture

    "Un jour, j'ai lu un livre, et toute ma vie en a été changée. Dès les premières pages, j'éprouvai si fortement la puissance du livre que je sentis mon corps écarté de ma chaise et de la table devant laquelle j'étais assis. Pourtant, tout en ayant l'impression que mon corps s'éloignait de moi, tout mon être demeurait plus que jamais assis sur ma chaise, devant ma table, et le livre manifestait tout son pouvoir non seulement sur mon âme, mais sur tout ce qui faisait mon identité. Une influence tellement forte que je crus que la lumière qui se dégageait des pages me sautait au visage : son éclat aveuglait toute mon intelligence, mais en même temps, la rendait plus étincelante. Je crus que, grâce à cette lumière, je me referais moi-même, que je quitterais les chemins battus. Je devinai les ombres d'une vie que j'avais encore à connaître et à adopter. J'étais assis devant ma table ; dans un coin de ma tête, je savais que j'étais assis là, je tournais les pages et toute ma vie changeait alors que je lisais des mots nouveaux, des pages nouvelles ; je me sentais si peu préparé pour tout ce qui allait arriver, si désarmé qu'au bout d'un moment j'en détournai les yeux, comme pour me protéger de la force qui jaillissait des pages. Je remarquai alors avec terreur que le monde autour de moi était entièrement transformé et je fus envahi par un sentiment de solitude inconnu jusque-là. A croire que je me retrouvais tout seul, dans un pays dont j'ignorais la langue, les coutumes et la géographie."

    Cette édifiante page d'Orhan Pamuk, tirée de La Vie nouvelle, est bien plus qu'un plaidoyer pour la lecture. Elle donne la mesure de ce qui, en elle et par elle, est irréductible au monde fonctionnel, pratique et fermé auquel une idéologie technicienne et rentabiliste veut nous assujettir. La solitude évoquée par l'écrivain turc est effectivement l'insoutenable liberté prise par le lecteur devant l'agitation du monde. Plus qu'une porte de sortie, une ligne de fuite, ou une ouverture, c'est un droit au retrait, le non possumus devant l'inclusion forcée à être du grand cirque contemporain. 

    Dans le fond, le lecteur est le pire ennemi de la vie présente (laquelle est d'abord absente, puisqu'elle veut supprimer le socle de la présence à soi-même). Il est le résistant par excellence. Non pas du fait d'une quelconque puissance idéologique de la littérature, ce que le vernis gaucho-marxiste appelle son engagement. Rien de plus morte que la littérature engagée... Mais parce que la lecture est l'expérience de l'individu sans l'individualisation, c'est l'histoire de soi sans le narcissisme. Je lis : je ne pense pas à moi, dans l'intérêt de mon souci nombriliste. Je lis : je suis loin, ne devant plus rien qu'à l'histoire à laquelle je me voue, qu'à la pensée que j'écoute et à ses articulations. Vous pouvez être là, à quelques encablures mais la distance est d'un autre ordre. La lecture ne me libère pas. Elle me soustrait. Et cette opération, depuis longtemps insupportable aux régimes totalitaires, l'est devenue tout autant des régimes dits démocratiques. Les premiers brûlaient les livres. Les seconds veulent en faire une simple manne financière, d'où la médiocrité contemporaine. Et pour que cette médiocrité progresse, ils détruisent la langue, et la langue si belle de la plus haute littérature devient incompréhensible, élitiste, obsolète, que sais-je encore. On avait modernisé Montaigne. Une misère. Désormais on étend la littérature de gare, celle qui peut se lire sans que vous ne soyez un être oublieux de ce qui l'entoure, qui n'en feriez qu'un décor futile et grotesque, on étend cette littérature à tout, des collèges (et sa fameuse littérature de jeunesse) aux épanchements des stars, dans des pseudo émissions faites pour vendre des bouquins

    Le lecteur, d'une certaine manière, est l'ennemi suprême de la démocratie ultra-libérale et du progressisme de gauche esclave du marché. Il est le barbare ultime pour le pouvoir parce qu'il a en lui la haine intime du pouvoir intrusif qui aujourd'hui se met en place. Il n'est pas l'inutile, il est le danger. Non pas à la manière dont l'exécrable Voltaire le voyait, lui qui est un des piliers de notre proche disparition, mais selon le principe fatal que le pire ennemi n'est pas celui qui vous hait mais celui qui n'a pas besoin de vous...

     

  • La fin d'une escroquerie

    Najat Vallaud Belkacem n'est pas grand chose mais cela ne l'empêche pas d'être un signe. Un symptôme même ; celui d'un bouleversement radical des équilibres de la pensée en France. La réforme qui doit porter son nom (1) est odieuse et dangereuse. Elle consacre l'allégeance de la gauche à une volonté destructrice de la civilisation judéo-chrétienne dont le terreau se trouve dans les grandeurs antiques. il s'agit avant tout de récrire le passé ; c'est un révisionnisme historique funeste activé par une haine de soi, une haine de la nation (2), une indexation de la pensée sur le paradigme mondialiste, et l'exaltation de la culpabilité post-coloniale réinvestie dans l'islamo-gauchisme.

    C'est pour tout cela que Vallaud Belkacem est un symptôme. En moquant les "pseudo intellectuels", elle ne s'est pas seulement ridiculisée. Elle va au delà. Qu'une poupée à la langue de bois caricaturale vienne décréter qui pense et qui ne pense pas, qui a le droit de parler et qui a le devoir de se taire, quand il s'agit, par exemple, d'un esprit aussi brillant que Marc Fumaroli, c'est à se tordre de rire (quoique non : le sujet est trop grave). La vanité n'est pas qu'une dérision ; elle est parfois une arme pour pouvoir masquer sa vacuité. Vallaud Belkacem est, sur ce point, infinie ; elle caquette sans se rendre compte de ce qu'elle dévoile.

    Il aura donc fallu attendre, pour moi, un demi siècle avant d'entendre une ministre de gauche (3) se lancer dans un discours anti-intellectuel, dans les ornières de ce que l'on disait réservé, il y a encore peu, à la bêtise fascisante et au réductionnisme frontiste. La gauche s'était en partie (pour ne pas dire exclusivement) construite sur la revendication intellectuelle face au simplisme et au pragmatisme étroit d'une "pensée" de droite (4) sclérosée, passéiste et conservatrice. Et lorsqu'elle combattait pour ses idées, elle brandissait haut et fort ses prétentions en matière d'analyse et de pensée. En attaquant ses détracteurs sous l'appellation de  "pseudo intellectuels", c'est-à-dire en définissant comme tels des penseurs reconnus et qui, pour beaucoup, ne cherchent pas à se faire une place au soleil du tout venant médiatique, Vallaud Belkacem dévoile le retournement profond qu'a engagé la gauche de gouvernement quand elle a cédé aux sirènes de l'économie ultra-libérale. Elle ne s'est pas simplement convertie au marché ; elle n'a pas seulement renoncé à une analyse critique du monde ; elle s'est engagée à un éloge de la bêtise, à un combat contre la pensée.

    On comprend mieux le désert intellectuel de la réflexion à gauche. Mitterrand était un opportuniste et sa progéniture des thuriféraires encastés dans la haute administration. Hollande, Valls, Vallaud Belkacem n'ont jamais rien pensé ; ce sont des gratte-papier gouvernementaux, des ronds-de-cuir balzaciens (ou flaubertiens...), des sous-fifres incultes. Et ceux qui les soutiennent ne valent pas mieux. La migration progressive d'intellectuels de gauche vers la réaction (pour parler socialiste...) est irréductible à une réification de ces individus, l'âge aidant, dans une nostalgie pesante. Tout est déjà écrit dans la volonté de nivellement intellectuel qui résume les quarante dernières années françaises. En attaquant des intellectuels comme espèce, en dépit du sérieux de ce qu'ils sont, en usant des mêmes moyens rhétoriques qu'un Jean-Marie Le Pen, la ministre met à jour ce populisme de gauche dont on veut taire l'ignominie culturelle.

    La coquille se vide pourtant. Au désastre pédagogiste des ratés à la Meyrieu a succédé l'allégement criminel des savoirs fondamentaux au profit d'un "savoir-être", et autres psychologismes de comptoir (5). Vient désormais le temps où la pensée contradictoire, le droit kantien de dire non, en somme, tourne au délit (6). Le procès fait à des intellectuels a eu beaucoup de succès au XXe siècle, de Staline à Pinochet, en passant par Castro, Mao ou les oligarchies islamiques. Nous n'irons pas jusqu'à écrire que Vallaud Belkacem leur emboîte le pas. Remarquons pourtant que son approximation dans l'attaque emprunte des chemins hasardeux.

    Néanmoins, cette saillie absurde et radicale n'est pas le fruit du hasard. Elle résulte d'une évolution qui mène ce qu'on appelle la gauche de gouvernement à sa disparition comme force contestataire. Pour simplifier (et le mot est faible) : si la droite avait les valeurs du passé et s'accrochait à l'histoire, à la filiation, à l'héritage (7), la gauche œuvrait pour la réforme, le progrès, l'égalité, soit : le futur. Encore fallait-il que le futur ne soit pas un abaissement aux règles pures du marché. Et les intellectuels servaient, quand la gauche faisait semblant de résister, à cette imposture, dans la division des figures symboliques. Maintenant que l'affaire est entendue, qu'il n'y a plus qu'un "marché de droit divin", pour reprendre le titre de Thomas Frank, une Macron-économie en perspective, les masques tombent. La défense du prolétariat est aux oubliettes, la notion de classe une vieille lune, tout l'arsenal d'une pensée contestataire a pris la poussière. Seul compte l'impact médiatique ; seul demeure la raison opérationnelle pour un monde ouvert absolument et donc nécessairement idiot.

    Le consommateur nouvelle formule est l'ennemi de la pensée. Il est dans le compulsif, dans la confusion de ses désirs. Le grec, le latin, l'histoire chrétienne hexagonale sont autant de freins à cette émancipation décervelée. Vallaud Belkacem définit en fait l'avenir d'un pays en conformité avec les nouvelles lois du marché fou. N'être rien d'autre qu'un vaste hypermarché. Dès lors, l'intellectuel est un ennemi qu'il faut circonscrire à un espace factice et artificiel. Tous les coups sont permis, toutes les audaces verbales aussi. L'insulte de Vallaud Belkacem à l'intelligence n'en est que le début d'un processus inévitable.

    Mais il faut aussi considérer la situation sous un autre angle : celui d'une possible reconquête par les mouvements dits réactionnaires d'un espace intellectuel à même de réorienter le politique. Le terrorisme sartrien et post sartrien est miné. Ceux qui, jusqu'alors, se sentaient une certaine culpabilité d'être de droite (mais qu'est-ce qu'être de droite ?), souverainistes, nationalistes, chrétiens, anti-européens (8), n'ont plus de raison de se sentir en état d'infériorité. Si l'aura des figures d'après-guerre dont la réalité était fondée sur une mystification historique autour d'une résistance contre le nazisme confisquée à leur seule gloire, si les délires soixante-huitards ont pu dévoyer la pensée française jusqu'au procès perpétuel de ce que nous étions (9), il n'est pas impossible de redresser la barre. Vallaud Belkacem et les idéologues de Terra Nova n'ont pas d'envergure. En revanche, et le travail est à ce niveau, ils ont choisi dans leur fuite en avant le coup d'État permanent et un radicalisme dans l'action précipitée. Ils veulent aller vite pour que le  point de non-retour soit atteint.

    La bêtise n'est jamais aussi dangereuse que dans ses formes désespérées, parce qu'elle se sent une toute puissance assassine. La ministre de l'Éducation veut soumettre la réalité en dépit de la pensée réactive qui l'agite. D'une certaine manière, elle concentre le politique à sa part opérationnelle, quand cette part opérationnelle, immédiate, amnésique, uniformisante, refuse la durée, concrétion, l'histoire. Vallaud Belkacem est une anti-intellectuelle de gauche, à l'ascendance islamo-gauchiste, ce qui est la pire des figures. À l'escroquerie morale s'adjoint le rêve de la tabula rasa. 

    La gauche a déserté la pensée politique en se convertissant au rêve libéral. Elle use de l'État non plus comme un levier pour réduire les écarts ou adoucir la violence. Elle en fait l'instrument d'une délocalisation du sujet pour qu'il ne soit plus qu'un migrant potentiel et perpétuel du vaste marché. Pour ce faire, tous les moyens sont bons : jouer Debbouze (connu, démago, vain, minoritaire visible) contre Fumaroli (discret, réfléchi, affreusement classique). Si la catastrophe arrive, les idiots qui ferment les yeux ne pourront pas dire qu'ils ne savaient pas...

     

     (1)Prouvant au passage que le désastre politique n'a rien à voir avec la sexuation de celui/celle qui en est l'agent. La politique au féminin n'est pas mieux que la politique au masculin. Certains diraient sans doute que c'est pire. Laissons ce genre d'appréciation de côté. Ce serait du machisme aussi ridicule que le féminisme qui nous a amenés là.

    (2)Laquelle nation ne peut être qu'une entité honnie dans sa constitution exclusive (par nature) quand on est ministre et qu'on a une double nationalité. Imagine-t-on un ministre de la défense ou un chef de la diplomatie franco-américain, ou franco-russe ?

    (3)Je sais ce qu'il y a de grotesque dans une telle formulation mais il faut faire avec les caricatures et la doxa de ses opposants.

    (4)Plutôt tort avec Sartre que raison avec Aron ...

    (5)Et le profit est la clé de tout. Il s'agit bien de créer un système efficace pour le maximiser. L'école de Chicago est une doctrine qui excède de loin le champ économique.

    (6)Une preuve supplémentaire ? Valls qui joue les gros bras devant Emmanuel Todd (qui, par ailleurs, est très approximatif dans son analyse. On l'a connu plus pertinent).

    (7)Tout ce que les gauchos au pouvoir disent honnir et attaquer, avec selon les cas, une certaine hypocrisie. S'ils mettent la filiation sur le marché (avec le mariage gay), ils font semblant de s'en prendre à l'héritage (avec le cache-misère de l'ISF).

    (8)Entendons par anti-européens : ceux qui ne veulent pas du salmigondis libéral dans lequel se reconnaissent la gauche de gouvernement, le centrisme de droite et les verts de salon...

    (9)En ce sens, pas de différence fondamentale entre Deleuze et BHL, sinon dans l'imprégnation médiatique et son traitement. Pour une littérature mineure est le pendant de L'Ideologie française. Mais il n'est pas indifférent que si  Aron fracassa le roi du brushing et du col ouvert, il se tint coi devant l'illuminé de Nanterre. 

     

  • V.O.S.T.

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  • L'enfance, ou l'esprit consommateur

    Le magazine Clés se veut, nous dit-on, une "parole différente" faisant "un pari sur l'intelligence du lecteur". C'est déjà tout un programme que d'afficher une telle prétention... Je veux dire : d'en faire une sorte d'outil marketing. Passons : il faut bien que la mare journaleuse se rassure comme elle peut (1).

    Puisqu'il faut être décalé, novateur et un tantinet iconoclaste, la dernière livraison de ce torche-cul est en soi une merveille dans son seul titre : Pourquoi devenir adulte ? Si un tel titre ne relève pas de la flatterie doucereuse autour du complexe de Peter Pan, dont on fait aujourd'hui le fondement même de l'intelligence : soyons d'éternels enfants car en cet esprit jeune et vif est la vérité d'une vie riche et merveilleuse ; renonçons au sérieux et cherchons à nous amuser ; faisons les choses à l'instinct ; crachons ensemble sur la moindre trace de rationalité ; célébrons ensemble (tout doit se faire ensemble) la foire au ressenti, au fun et au feeling..., oui, si ce titre n'est pas du racolage, je n'y entends mie à l'époque.

    Pourquoi devenir adulte ? La question mérite-t-elle d'être posée ? L'accroche du magazine sur son site internet est éclairant :

    "Responsabilités, chômage, autorité… l’adulte n’est-il qu’un rabat-joie rongé par les soucis ? Ou, au contraire, celui qui peut enfin réaliser ses rêves, décider de sa vie ? CLES a enquêté dans “le monde des grands” et l’assure : personne n’est jamais vraiment adulte."

    J'aime particulièrement ce "monde des grands", dont on doit, logiquement (j'entends : si on fait un tant soit peu d'analyse sémantique), exclure les auteurs de la revue. Terrible régression infantile, incroyable niaiserie pour aboutir à ce Graal psycho-sociologique : "personne n'est jamais vraiment adulte". On s'en doutait ! Mais le problème n'est pas là.

    La question posée renvoie en fait à deux problématiques. La première, qui la rend vaine, correspond à une réalité inscrite dans la loi de la nature et de l'organisation sociale. Le devenir adulte n'est pas un désir (ou un refus) mais un principe auquel je ne peux me soustraire. À moins de considérer que l'adulte est en soi une tare. Pourquoi pas ? Il faut alors se poser une question fondamentale sur l'"être-humain" : notre évolution individuelle n'a aucune finalité dans l'ordre de la maturité. Notre transformation est un aléatoire que l'on peut récuser sans autre forme de procès. On comprend aisément la faiblesse (la débilité, étymologiquement) du raisonnement. Nous devenons adultes, que nous le voulions ou pas.

    Mais si ce magazine en vient à poser la question, c'est-à-dire à (faire) croire qu'il y a là matière à discussion, c'est que (deuxième problématique) les dérives post-modernes et ultra-libérales (l'une ne va pas sans l'autre) produisent, mieux : appellent cette évolution qui fait de l'adulte un sujet de discussion et, d'une certaine manière, un repoussoir. L'"être-enfant" n'est plus, dans notre contemporanéité, une situation transitoire, un stade premier de l'évolution, mais une finalité. L'enfant est une invention sans cesse redéfinie, de plus en plus décomposée : petit enfant, enfant, pré-adolescent, adolescent, post-adolescent, adulescent,..., selon des lois qui n'ont rien à voir avec la composition intellectuelle du sujet mais selon des normes marketing, dans un cadre qui a très vite considéré l'enfant comme une cible économique et comme un prescripteur efficace et fidèle. Consommateur (enfant) un jour, consommateur toujours.

    Dès lors, la bêtise (au premier degré) du magazine Clés peut aussi s'interpréter comme un indice (ou un symptôme) de ce qui se trame dans les structures profondes de la sociabilité actuelle. Poser la question "Pourquoi devenir adulte ?" signe l'attaque incessante qui est faite à la raison, face à un univers qui promeut, sous toutes ses formes, l'exaltation sensible et le credo égocentré du sentiment. Derrière l'absurde premier se terre la charge contre les résistances à cette ouverture permanente à la nouveauté, à l'innovation et à l'émerveillement consensuel, multi-culturel et consumériste indispensable au bon fonctionnement de cette terrifiante actualité du sujet dans son rôle principal de soumis au(x) marché(s).

    C'est sous cet angle que la bêtise de Clés nous incite à relire ces pages fracassantes de Michel Clouscard qui, en 1981, au moment où la gauche accède au pouvoir écrit Le Capitalisme de la séduction, pages dont je tire ce court extrait (2):

    "De l'enfance à l'adolescence, de celle-ci à l'âge adulte.

    L'enfant doit être un pseudo-adulte. L'adolescent infantile. Et l'adulte un éternel adolescent. Tel est le processus de l'infantilisation d'une société : faire de l'immaturité un adulte irresponsable. Par la médiation de l'adolescence, d'une contestation qui n'est que voie d'accès à la consommation mondaine. Pour cela, produire un enfant à la coule, un usager averti et difficile. Écarter de l'éducation les conduites d'apprentissage du procès de production. Ainsi que toutes les valeurs qui s'y rattachent. Ne proposer que les conduites de consommation ludique et marginale, libidinale.

    Pour que l'adolescent reconduise cet univers ludique dans la société adulte. En tant qu'immaturation devenue irresponsabilité civique. Mais, nous l'avons vu, irresponsabilité prise en charge par le système : irresponsabilité programmée du consommateur, lequel ne fait qu'accomplir le plan du néo-capitalisme qui conquiert ainsi un immense et nouveau marché."

    Vu ainsi, on se dit que l'évolution contemporaine est une apocalypse majeure, et Clouscard une intelligence analytique autrement plus saisissante qu'Ariel Wizman dont Clés demande les lumières et qui pontifie en ces termes :

    "J’avoue que je me sens coupable d’être adulte. 

    L’adulte est celui qui se préoccupe du lendemain. Cela alourdit tout et il est obligé de l’assumer : gagner de l’argent, payer son loyer, ses impôts… un tas de choses qui le tirent vers le bas. L’enfant est plus proche de la source originelle, il est habité par une formidable énergie, qui le pousse vers l’avant quoi qu’il arrive."

    On a là un bel exemple du crétinisme glorieux dont l'esprit Canal Plus est le sommet. C'est, me semble-t-il, une raison pour ne pas acheter ce magazine ou si c'est déjà fait, lecteur, de s'en servir pour emballer les épluchures...  

     

    (1)Il est vrai que les directeurs de la publication sont Jean-Louis et Perla Servan-Schreiber. C'est dans les vieux pots qu'on fait le meilleur brouet, et on doit à la famille Servan-Schreiber des aigles de la pensée politique et médiatique (j'accole les deux adjectifs mais c'est redondant tout cela). Il n'est donc pas surprenant que cela sente le recuit, le faussement impertinent et la discutaillerie. 

    (2)Ouvrage dont le sous-titre est lui aussi éclairant et prémonitoire : critique de la social-démocratie libertaire, préfigurant, entre autres, les attaques de Jean-Claude Michéa.

     

  • Romain

     

     

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    "Je suis Romain, parce que, n'était ma romanité tutélaire, la seconde invasion barbare, qui eut lieu au XVIe siècle, l’invasion protestante, aurait tiré de moi une espèce de Suisse.

    Je suis Romain dès que j'abonde en mon être historique, intellectuel et moral. Je suis Romain  parce que si je ne l’étais pas je n’aurais à peu près plus rien de français."

    Voilà ce qu'écrit Maurras dans Le Dilemme de Marc Sangnier.

    Maurras ! Quelle horreur ! Comment peut-on citer Maurras ! C'est vrai : comment peut-on citer Maurras ? Et pendant qu'on pousse des cris d'orfraie, qu'on se gausse d'une moralité de pacotille, on oublie que la vraie question est celle-ci : comment ne peut-on pas être romain ?

     

    Photo : Philippe Nauher

     

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