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off-shore - Page 91

  • Florence, boutiquière...

     

               Giotto, Enterrement de Saint-François, Chapelle Bardi, Santa Croce, Florence, 1320-1325.

     

     

    Il fut un temps où, aux étudiants à peine argentés, plus d'un quart de siècle déjà, Florence offrait sa part de désintéressement qui présiderait, dit-on, au bonheur de l'art. La déambulation improvisée menant de palais en palais, de places en places, kaléidoscopie de façades majestueuses en témoignage d'un passé politique fastueux, cette déambulation dans la rigueur d'un pouvoir conscient de lui-même comme il y en eut peu, tirait sa puissance du bonheur qui attendait les rêveurs des merveilles cachées derrière les portes des édifices. L'éclat de la place Santa Croce, accompli dans le marbre tricolore de l'église et le salut respectueux au visage sévère du Dante, était une première joie que l'entrée dans le petit Panthéon florentin (Michel-Ange, Machiavel, Rossini, Galilée ou Vasari y reposent) multipliait d'un mystérieux besoin de se taire, et d'écouter les œuvres, le prestige de la ville. L'envers de l'histoire. Non pas l'envers, sa continuation.

    Le bonheur pouvait ainsi se répéter au Duomo, à Santa Maria Novella, à San Lorenzo, aux Ognissanti, à San Miniato, à Santa Maria del Carmine... : multiples stations de l'histoire florentin accédant à l'universalité, que nous pouvions faire nôtre sans autre devoir que la décence et la mesure de la solennité spirituelle qu'avaient pour certains ces lieux de culte. La moindre église italienne est à la fois une offrande à Dieu, à la peinture et à la sculpture. Florence le savait plus que quiconque.

    Mais les temps ont changé et ceux qui, toujours modestes, sont venus jusque là, découvrent une ville convertie comme nulle autre, plus encore qu'au tourisme, lequel sévit depuis des décennies, à ce qu'il faut bien appeler l'économie artistique. On sait combien l'art a cédé à la logique du marché et aux considérations spéculatives. La gestion fort libérale du patrimoine, la place accrue des structures commerciales (1) ne sont pas des nouveautés. Ce qui l'est davantage réside dans le progressif glissement du monde religieux dans les techniques du mercantilisme le plus éhonté. On me rétorquera que l'affaire n'est pas nouvelle là encore : les pèlerinages en sont un flagrant exemple, et passer une fois à Lourdes vous guérit, si j'ose dire, de la tentation d'y remettre un jour les pieds. Soit, c'est là affaire de foi et cette question, dans ma position d'athée, ne m'intéresse guère. En revanche, ce que je vois à Florence m'irrite au plus haut point. Ainsi les églises de cette ville se sont-elles dotées de véritables péages, dont sont exempts les autochtones, et auxquels l'étranger doit se soumettre s'il veut admirer Giotto, Cimabue ou della Robbia. Encore pourrait-on admettre le procédé (2) si la somme exigée était symbolique, mais il n'en est rien. La catholicité (3) florentine voit le monde de haut. Elle a la condescendance des bien nourris. Elle a, en période estivale, car en hiver la libre circulation de l'intrus et de l'esthète reprend ses droits, des allures de maquerelle ou de mafieux : c'est le pizzo ecclésiastique (4).

    Une telle pratique heurte à plus d'un titre. Celui qui eut le droit au temps béni d'une contemplation sereine (parce que plus que la gratuité, il se souvient de n'être pas entré dans une église comme client) peut toujours vivre avec ses souvenirs, aussi imprécis soient-ils, et refuser le diktat. Sans doute n'est-ce pas d'ailleurs le choix dont il se sentira le moins heureux : il accepte les défauts de sa mémoire en compensation des impressions vives qui lui restent. Mais pour le néophyte désargenté, ayant rêvé d'une longue promenade en Renaissance et Baroque, le goût sera amer. Renouvelée à Pise et à Sienne, à San Gimignano, la confrontation avec les boutiquiers finira par lasser. L'injustice et le mépris dans l'endroit de la miséricorde ! Un comble. N'est-ce pas, d'ailleurs, évoquer une aberration plus magistrale encore, que de ne pouvoir prier son dieu parce que des marchands du temple en soutanes et cornettes y ont établi leur quartier d'été...

    Si mon athéisme m'épargne ce désarroi, mon sens du sacré, fruit d'un long chemin entre les piliers romans, gothiques, classiques ou baroques exaltant une indéniable spiritualité, s'indigne que soit de fait trahi le droit à la Présence, que soit bafouée l'originalité d'une culture ayant à ce point exalté la puissance des images. L'exemple florentin est non seulement crapuleux ; il est funeste. Il marque, de la part des autorités de l'Église, une allégeance à l'ordre libéral, un renoncement à l'Histoire, une capitulation matérialiste. Dès lors, qu'elles ne s'étonnent pas du vide pendant les offices, des appréciations sévères à leur encontre. Et ce ne sont pas les happenings papaux aux JMJ qui peuvent sauver du déclin...

    Florence est boutiquière et prétentieuse, jusque dans sa religiosité. Nefs et chapelles ne sont que des enseignes de plus. Les églises ont leurs saisons, basse, haute, c'est selon, et leur temps de soldes. Il n'y a rien à acheter. Tout est vendu, l'âme comprise. Inutile d'y revenir...

     

     

    (1)Puisque l'on est à Florence, remarquons qu'au sortir de la Galerie des Offices, les nouveaux aménagements permettent de repartir avec des livres (normal), des posters (soit), mais aussi des friandises ou du vin toscans. Petit bonheur sans doute, mais d'une grand imbécillité, que de passer en quelques pas de Raphaël à l'épicerie, dans un même endroit.

    (2)Évidemment, il n'en est rien. C'est ici affaire de principe

    (3)Rappelons au passage que catholique signifie universel. On en est loin.

    (4)Le pizzo est l'impôt mafieux. Sa pratique s'est d'abord développée en Sicile.

     

     

     

     

     

  • Subversion/soumission

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  • Sans idéologie (groupe prépositionnel)

    Le communisme de type stalinien et le nazisme, outre les horreurs dont ils sont directement responsables, nous ont laissé un héritage politique qui a mis à un certain pour éclore mais dont la puissance a en quelque sorte procédé du temps qu'il a pris pour accoucher. Il aurait sans doute été catastrophique que la Révolution russe échouât rapidement dans les premiers revers de la NEP et que Marx pût demeurer un auteur dissociable du goulag. Heureusement Joseph le Géorgien a mise les petits plats dans les grands et la liquidation fut sanglante à souhait. Comme, en plus, il eut le bon goût de s'allier ouvertement avec Hitler (ce qui est, cynisme pour cynisme, un courage qu'on doit lui reconnaître : celui de ne pas avoir fait semblant, comme tant d'autres, Anglais et Américains en tête, lesquels savaient depuis longtemps le sort qu'on réservait aux Juifs, aux Tziganes, sans plus d'émotion), il permit de faire un trait d'union entre les deux horreurs et de faire de Marx, mort en 1883, la statue du Commandeur des désastres sibériens, et cela n'est pas sans conséquence (1).

    Je ne suis pas marxiste. Pas en tout cas sur le modèle crispé et douteux d'un Badiou, par exemple. Mais il me semble que le travail d'effacement qui concerne certaines de ses analyses quant aux antinomies radicales et violentes d'une société en mode libéral est suspect, pour le moins... Les antagonismes qu'il mettait en lumière entre la classe dirigeante et la classe ouvrière (inutile d'entrer dans le détail d'une société qui avait créé suffisamment de strates intermédiaires pour consolider le système) n'ont pas, me semble-t-il, disparu. Mais il est clair que l'histoire du XXe siècle peut aussi se concevoir comme celle d'une lente acceptation de l'ordre libéral sous couvert d'une liturgie du progrès (sur laquelle on reviendra sous peu parce que W. Benjamin a écrit de fort intéressantes choses sur ce point). Tout le monde constatant que sa situation s'améliorait, ou pouvait s'améliorer, ce qui n'est pas tout à fait identique, chacun a déduit que l'humanité allait dans le bon sens (et il y aurait à gloser sur la polysémie de cette expression, parce qu'elle permet de plaquer sur la flèche de l'histoire une morale donnée comme une quasi évidence...).


    L'effondrement du communisme, la chute du Mur de Berlin, le discrédit jeté sur l'analyse marxiste ont pris du temps et cette lenteur a permis que le  libéralisme nouveau visage puisse prendre l'allure de l'évidence et de s'interpréter, dans une hypocrisie qu'il faut dire remarquable, non seulement comme l'inversion radicale de l'interventionnisme étatique, mais aussi comme une idéologie en négatif, celle qui, plutôt que de forcer la nature (et du monde, et des hommes) se ralliait à l'évidence des faits. L'idéologie a ainsi pris la forme du pragmatisme. Pas n'importe quel pragmatisme, bien sûr ! Celui d'une approche comptable et inégalitaire (sur ce plan, on a avec subtilité substitué l'équité à l'égalité...) qui impose aux individus de s'en remettre à une lecture imparable du monde. C'est ainsi que toutes les réformes allant dans le sens du libéralisme radical, depuis plus de vingt ans, ont été faites selon le principe d'un nécessité impérieuse, presque la mort dans l'âme pour ceux qui s'en chargeaient, comme s'il ne pouvait en être autrement. Telle est la teneur du sans idéologie dont on nous rebat les oreilles désormais pour réformer les retraites, le code du travail, le système social et hospitalier, les indemnisations chômage, le système scolaire, la fiscalité des entreprises, etc., etc., etc.. Il faut avoir entendu nos hommes politiques de gauche comme de droite masquer leur soumission aux marchés (la crise des subprimes et les problèmes de la dette en sont des exemples flagrants) derrière le souci d'un traitement efficace (pour qui ?) des difficultés de la société contemporaine pour se convaincre que leur pragmatisme est d'abord un discours contre l'égalité.

    Prétendre que les choix qui ont été faits depuis le déclin soviétique (n'oublions pas que la résistance afghane, dont les talibans, furent largement financés par l'Occident, les Américains qui voyaient là une occasion d'amener les communistes au cimetière...) relève d'une logique de bon sens, d'une gestion quasi domestique des problèmes est une belle escroquerie (et l'on a ressorti avec bonheur que l'économie (2) venait étymologiquement de l'oikos, de la maison, et d'une façon pourtant fort brutale, la gestion domestique est devenue une référence : être responsable, c'est penser en père de famille entreprenant).  Encore fallait-il, pour que l'escroquerie marchât, que l'idéologie, comme mot, fût discréditée et que son identification à la terreur la plus noire fût sûre... Les plus staliniens ne sont pas forcément ceux qu'on croit.

    L'analyse structuraliste aura au moins eu le mérite de poser comme principe que l'absence n'était pas rien, qu'elle pouvait être signifiante, qu'elle prenait place et sens dans un cadre défini. Si l'on accepte ce principe, le sans idéologie est un avatar discursif de l'idéologie. L'évolution des modèles européens en porte la trace. Il y eut dans le milieu des années 90 une majorité de gauche parmi les dirigeants politiques des pays concernés. Cela ne changea pas grand chose (pensons à Blair. et à Jospin...). Et si la prochaine élection présidentielle française a un sens, dans la mesure même où ses deux finalistes présumés (Sarkozy et Hollande) se veulent des pragmatiques, c'est celui d'un choix libéral plus ou moins nuancé (et plutôt moins). Ce n'est plus une opposition droite-gauche mais, selon les anciennes distinctions, un choix droite-droite. Il est certain que l'électeur, à ce titre, peut aller voter sans idéologie. D'ailleurs, depuis le référendum sur la Constitution, on aura compris qu'on ne lui demande plus vraiment son avis...

     

    (1)Il est maintenant de bon ton de railleur le pauvre Karl. Mais on est toujours d'une indulgence nauséabonde avec le père Heiddegger. Il est vrai que pour certains de ses défenseurs, ils ont un passé qui plaide en faveur de leur bêtise radicale.

    (2)L'économie a aujourd'hui, pourrait-on dire, deux sens antagonistes. Dans une visée mondialisée, dans une vision globale et anonymé (comme quand on dit : l'économie française, ou chinoise, ou américaine, va bien) c'est l'expansion à outrance. Pour le quidam, à un niveau microcosmique,  c'est subir l'économie, lui apprendre à faire des économies (non pour qu'il en est réellement mais pour que les coûts de production diminuent à ses dépens).

     

     

  • Pas de porte

     

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    C'est la fin du printemps. Non loin, dans la courbe d'une rue, il est sur le pas de sa porte, d'une demeure dont tu ne connais nulle fenêtre. (peut-être de l'autre côté, invisible, une hypothétique cour intérieure). Il a la sécheresse des vieux et dans le regard une présence vivide, contraste qui t'a étonné la première fois qu'il t'a dit bonjour, sur le pas de  sa porte. Depuis, tu es repassé et le jeu (en est-ce, vraiment...) a recommencé. Bonjour, monsieur. Tu as d'abord répondu courtoisement. Puis un jour, tu as devancé son œil, comme si tu l'avais, cette fois, attendu, toi, et que tu voulais avoir le premier mot. Bonjour monsieur. Il est arrivé que tu l'aperçoives échanger quelques mots avec le quidam (à moins que ce ne soit une dame du quartier, tu ne sais...). Sa vie t'est inconnue, et le restera. Tu devines simplement une solitude contrecarrée par les premiers jours sans nuages. Il n'est pas sûr qu'il lui faille combler un vide (pourquoi penser à la misère...) mais continuer à nouer le fil du monde. Tu sens très nettement qu'il n'a pas le souci d'engager la conversation. Il ne quémande rien, comme le font parfois certains vieux à la caisse du supermarché, ou à l'arrêt de bus. Telle est sa singulière façon d'apparaître dans ta vie, sans attente mais contournant le silence, le silence qui, s'il l'avait maintenu, aurait signifié qu'en ce lieu (le lieu dont vos deux amabilités, aussi brèves soient-elles, prennent possession par le seul fait de marquer vos destins croisés), il n'y eut rien (pas rien, dans l'absolu, mais autre chose qui eût couru le monde sans vous).

    C'est l'été. Sa implicité et ses yeux te poignent. Tu penses à ce temps futur où aux mêmes bénéfices d'une humeur bleutée et ensoleillée, sa porte sera cette fois close. Il sera mort (ou comme si...) et de cet inconnu, dans l'imprécision même de ce semblant de dialogue, simple socialité perdue, tu auras perdu la trace. Tu repasseras devant le pas de sa porte, guettant l'ouverture et ne la voyant pas venir, par la force de cette répétition muette tu envisageras l'imparable.

    Tu penses à lui alors qu'un train t'emmène. Peut-être est-ce la peur d'avoir un jour comme destin le pas d'une porte qui te ramène à ces quelques semaines où vous avez été à la croisée de vos chemins... Il y a dans l'existence des personnes auxquelles on ne voudrait pas ressembler parce qu'on a pour elle un mépris radical, parce qu'elles incarnent une acceptation ou une parole répugnantes, parce qu'elles sont, parfois, la trace de ce qui en nous fait notre humiliation (en secret, face au miroir). Lui n'est rien de tout cela. Tu ne voudrais pas être un jour lui : chemin décharné qui mène à la mélancolie, à cette mélancolie-là. Ne pas être lui, sans que tu éprouves le moindre mépris ou que tu n'ailles t'imaginer le plus sombre des destins.Tu ne t'en fais pas les pires images. Ce n'est pas de la pitié (à son endroit) ou de l'apitoiement (sur toi) mais une grande désillusion : sur la vie, sur les heures, sur cette main de poussière avec laquelle nous croyons tenir le monde...

    Il y aurait beaucoup à réfléchir sur notre perméabilité. Ébranlés du quotidien pendant que les images du guerre défilent entre les publicités, compatissants humanitaires d'un jour pour nier la misère proche. Telle est la géométrie variable de nos accommodements. Il est dix-neuf heures trente. Dans le train, tout le monde mange ; la machine glisse sur les rails, balancement à peine sensible. Le soleil commence à renoncer. Le dehors est comme réfrigéré par la clim. Il n'existe pas, il s'efface. Nous ne sommes que des passants...

     

    La photographie est extraite du blog très singulier Midi à sa porte de Thomas P.

  • Quelques indices...

     

     

     

    carte d'identité 1 73 06 33 373 228 clé 14 ; tatung7979@hotmail.fr ; carte de photocopies 412 ; carte bancaire 555 56 354 892 656 ; code d'entrée d'immeuble 47A01 ; professionnel autoritaire (test printanier Le Nouvel Obs) ; place de parking -554 ; carte abonnement bibliothèque 054859238430999E ; code accès comptes bancaires HHU666, mot de passe **** ; contrat téléphonique ZOZI2390989 ; carte Smiles sncf 99478 ; police d'assurance habitation 2002938374 ; licence fédération française de badmington 494903 ; carte grise SV2341HA ; amoureux réservé (test estival Elle) ;  carte Flying Blue DON646H7H ; browneyes_h2@gmail.com ; 00100 1000001 1111 010101 0010 0010 1010 (quelque part dans un fichier qu'il ne connaît pas) ; lkdklfleaifnflmfefailkfonnnfa ; brun, type caucasien, yeux gris ; métrosexuel (test Biba) ; plus sucré que salé (test Cuisine aujourd'hui) ; Facebook n°32865445 ; carte abonnement bus 09853998 ; Tolstoi, Kierkegaard, Morand ; pointure 41 ; rhésus B+ ; numéro fiscal 14 78 969 213 101 V ;  (en cours)...

  • Rhétorique française : Fillon.

     

    http://www.biladi.fr/sites/default/files/Eva-Joly-2011.jpg

    Concernant le premier ministre François Fillon, il est toujours possible de remarquer que son parcours intellectuel ne plaide guère en sa faveur. D'abord fidèle par les fidèles du seul homme politique intelligent de ces trente dernières années, Philippe Séguin, il est devenu le fantoche de Sarkozy, lequel ne brille pas, c'est le moins qu'on puisse dire, par ses hauteurs de vue en matière de politique. Il y a dans sa trajectoire un dépérissement qualitatif certain. Néanmoins, il n'avait pas encore cédé à la bêtise facile, jusqu'à l'affaire Joly début juillet.

    La stupidité est paradoxalement plus criante lorsqu'elle prend un bouc émissaire, plus voyante encore lorsque celui-ci n'a pas a priori vos faveurs et que tout à coup vous avez envie de le défendre. Ainsi Éva Joly... Sa désignation comme candidate des Verts me la rend peu sympathique (politiquement parlant s'entend, parce que, pour ce qui est de sa personne, je n'ai rien à en dire...). Cette madame Joly a donc eu l'occasion de dire tout le mal qu'elle pensait de l'étalage militariste et incidemment belliciste dont la République française s'enorgueillissait le jour de la fête nationale. Ce jugement, même si on ne le partage pas, n'a rien en soi d'excessif. Ce qui l'est plus tient dans la comparaison maladroite avec la Corée du Nord. Disons qu'il y a là un effet de rhétorique plutôt grotesque. Pas de quoi fouetter un chat. Il m'a paru bien plus ridicule de nous resservir le énième assaisonnement citoyen pour compenser l'abandon du défilé de l'X et de la Légion étrangère.

    Et puisque l'on parle d'étranger, revenons donc au sieur Fillon, lequel, dans un de ces élans patriotiques dont la classe politique se gargarise (et ce, d'autant plus qu'elle abandonne, tous bords confondus, les principes républicains), s'est fendu d'un commentaire afin de remettre la petite Éva à sa place.  L'argumentaire du chef du gouvernement tient en deux affirmations assez lapidaires. Madame Joly méconnaît la tradition française. Elle la méconnaît d'autant plus qu'elle n'a pas derrière elle une histoire qui puisse la lui faire comprendre. Entendons plus clairement : elle est norvégienne et sa nationalité hexagonale est fraîche, trop fraîche pour qu'elle puisse comprendre l'essence de l'âme française.

    En l'espèce, il faut bien admettre que le sieur Fillon s'inspire d'une vraie tradition. Il puise dans le meilleur de la puanteur fin de siècle (le XIXe, précisons-le), de la logorrhée nationaliste et xénophobe, et à l'entendre ainsi éructer je retourne feuilleter Scènes et doctrines du nationalisme de Barrès, dans lequel je lis les lignes suivantes (alors que l'affaire Dreyfus fait rage) :

    "Qu'est-ce qu'Émile Zola ? Je le regarde à ses racines : cet homme n'est pas un Français"

    (s'adressant à Zola) : "il y a une frontière entre vous et moi. Quelle frontière ? Les Alpes"

    "Nous ne tenons pas nos idées et nos raisonnements de la nationalité que nous adoptons et quand je me ferais naturaliser Chioix en me conformant scrupuleusement aux prescriptions de la légalité chinoise, je ne cesserais pas d'élaborer des idées française et de les associer en Francais."


    Voilà qui a au moins le mérite de la clarté. Le procès de Fillon relève de la même dialectique : c'est la mise en scène d'une défense nationale devant des paroles ou des comportements qui seraient ceux de l'anti-France. Pour ce faire, il est juste de rappeler à celui (ici, à celle) qui a commis un impair sa position d'étrangère. Or, attaquer Éva Joly sur le plan d'un mépris de la chose publique française est une absurdité absolue. Car n'est-ce pas le souci de faire vivre une démocratie mise à mal par les partis au pouvoir (y compris celui auquel appartient le premier ministre) qui l'a mise au cœur des affaires qu'elle eut à traiter lorsqu'elle instruisait au sein du pôle financier du tribunal de Paris. En quoi ses origines norvégiennes la rendraient-elles moins capables de porter un jugement sur le pays dans lequel elle vit depuis si longtemps et pour lequel elle a œuvré, bien plus que tant de bons Français, dans le sens d'une remise en cause des comportements délictueux et féodaux ? Dès lors, contester sa position sur le 14 juillet est tout à fait légitime si l'on veut bien assumer sa dimension militaire, si on en revendique la nécessité, si on pose comme principe que la guerre (et la capacité de la faire) est inhérent à l'établissement ou la préservation de la démocratie. On peut moquer l'angélisme politique de madame Joly et sa vision pleine d'optimisme sur l'état du monde. Encore faut-il lui opposer une dialectique qui ne sente pas l'égout...

    Aller chercher l'argument généalogique pour discréditer une parole est une absurdité consternante. Rappelons alors au sieur Fillon que cette assimilation de l'esprit français à son inscription intemporelle dans l'espace était une des antiennes du pétainisme : "La terre ne ment pas". Faut-il ajouter que l'histoire de la résistance à l'occupant ne permettrait pas de dresser une séparation nette entre les Français et les étrangers, qu'il eut des Dupont héroïques, qu'il y en eut des couards (et pire encore), qu'il y eut des étrangers héroïques qui se firent défenseurs de mon pays sans qu'ils s'interrogeassent sur le nombre de quartiers de leur francité (et sans que ceux avec qui ils luttaient s'en inquiétassent). C'est une piètre rhétorique que de vouloir nous faire croire qu'il existe une génétique de l'esprit français. On comprend bien qu'une telle intervention prend son sens dans une recherche électoraliste visant le vivier du Front national. Triste avilissement de l'esprit que de procéder ainsi. : ce n'est pas une chasse au métèque mais cela y ressemble. D'autant plus triste que le sieur Fillon est marié à une Anglaise et il serait fort mesquin de lui demander ce qu'il pense de l'intégration intellectuelle et culturelle de son épouse. De même qu'il serait absurde de lui demander ce qu'il en est de travailler pour un homme qui est génétiquement plus Hongrois que Français. Certes, on peut ironiser mais on entre alors sur un terrain miné... Il vaut mieux le savoir.

    Il y a un an, j'avais réouvert Off-shore sur les déclarations estivales d'un ministre qui tenait des propos allant dans le même sens : une connaissance claire de "l'être-français" et une sur-détermination de l'origine. Il semble bien que ce qui pouvait à la limite passer pour un excès de langage ou une bêtise individuelle soit devenu un fonds idéologique pour la droite qui se dit encore républicaine...

     

     

  • Nils Petter Molvaer, langueur sereine

     

    À la fin de l'année dernière, j'avais mis sur le blog un extrait de ce jazzman mais le lien  "youtube" avait été rompu pour des questionds de droit. Je l'ai retrouvé hier. On dira qu'en six mois rien ne s'est passé...

    Le très bel album Khmer date de 1997 (et non 1998 comme il est indiqué sur la vidéo). Encore une perle d'ECM. Le morceau On Stream est d'une légèreté avec laquelle on a envie de s'éveiller sans avoir rien à dire (ou de regarder le soir s'installer, dans le même goût du silence). Le guitariste soliste s'appelle  Morten Mølster.