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  • 9-Le Serpent

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

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    Ainsi est-ce difficile à croire, quand la rue cairote est un grand parloir à ciel ouvert, une glossolalie de tous les négoces, palabres et invectives, bouillantes salives qui mettent de l'huile sur le feu des instants, babil de fritures et condiments, à midi, parler, manger, tout un, ainsi difficile de les imaginer, comme tétanisés, en uniforme, atomes isolés dans leur pause ; mais abattus, je sais, qu'un des leurs ait été retrouvé, dans une ruelle adjacente, il y a trois jours, égorgé, et que nul témoignage ne leur donne espoir d'un coupable quelconque ; Le Caire, où tout devrait se savoir, complote avec les assassins. Hier encore, en colère et agglutinés, ils avaient une âme d'essaim furieux ; je les voyais dans leur animosité bravache ; aujourd'hui, mouches de peu, je voudrais les écraser un à un et lire la peur urticante dans les yeux de celui qui sera ma dernière victime.

     

    Photo : Un balcon à Garden-City, quartier du Caire. La fumée à droite vient d'un étal préparant de la bouillie aux fèves distribuée, ici, aux policiers  de rue, tous les matins vers 9 heures.
    Texte "À l'aveugle" : Approches...

  • masculin-féminin : toute une histoire

    Le mépris, ce n'est pas la méprise. La méprise n'étant pas elle-même toujours méprise. Quand mépriser est éloigner, se mépriser n'est peut-être rien d'autre que de s'imposer à soi comme bourreau. Dans la méprise, il y a l'erreur. L'erreur de ne pas vouloir admettre que morts, nous ne serons rien ; que morts, nous aurons rendu les armes, à commencer par celles grâce auxquelles nous nous sentions sinon libres, du moins protégés. Mais nous nous sommes mépris, et ainsi, avons coupé le pont pour qui venait vers nous. Et nous parions de tout cet arbitraire du sentiment social, ce dans quoi nous fondons notre ignorance de la vie, de l'autre, de soi. Le mépris, c'est ne pas savoir perdre, avoir peur de perdre. Et tirer sa révérence à l'inconnu ; ne pas accepter de croire (hors de toute divinité). Alors qu'il faut croire pour la beauté du geste, croire pour le potentiel défié face à la défaite. Croire, tendrement, totalement, tragiquement. Ce que Jean-Luc Godard filme comme personne, parce que son nom est personne, soit : celui (ou celle) dont l'identité ne m'est pas encore connue, ou que je connais déjà, et dont je voudrais qu'il (ou elle) ne fût pas, et qui restera en moi, jusqu'à la mort, mais que, pire encore, j'aurais pu ne jamais connaître, et qui m'aurait manqué, comme il (ou elle) me manque, infiniment.



  • Feux sacrés

     

    La Nuit de l'iguane, avant d'être du Huston, c'est du Tennessee Williams, une arme sulfureuse, une tension moite. Les personnages sont à la limite de l'acceptable social, sans jamais tomber dans le glauque. Ils sont furieux : en clair, habités de désir. Richard Burton joue un prêtre banni pour fornication et reconverti en guide touristique. Ava Gardner tient un hôtel. Lui a déjà ce qui ne le quittera plus : le regard abîmé, d'un bleu fascinant, l'œil toujours au-delà de ce qui est en train de se dérouler, comme en attente de la catastrophe. Elle a quarante-deux ans. Elle n'a plus sa grâce glacée. Elle a déjà bien vécu, hors et devant l'écran. Elle ne triche pas. On la contemple, on l'écoute jouer la violence de celle qui ne renonce pas. Elle est belle, belle, très belle. Une actrice très belle, à la fois l'œil, la voix, le corps. Dans le film, sa rivale symbolique s'appelle Sue Lyon, la petite Lolita du très surévalué Kubrick, rejouant un peu le même air pathétique ; et dans un curieux dédoublement, le spectateur se dit que la réalité rejoint la fiction. Il n'y a pas photo. La lycéenne, pour autant qu'elle parvienne à ses fins, peut retourner dans sa cour de récréation car, plus que dans ses films antérieurs où sa plastique masquait  encore ce qu'elle était, Ava Gardner est sans rivale, parce que la vie, celle qui assume d'être la vie, est sans rivale...

  • Requiem pour un non-anniversaire

    Que reste-t-il de ce moment, quand, à 20 heures, eut lieu l'épiphanie socialiste dont nous étions si émus ? Qu'en reste-t-il trente ans après ?  Rien ou presque. Sinon un détail amusant, que l'on trouve dans la vidéo qui suit. Cela arrive entre 0: 47 et 0: 50...


     

     

    L'annonce du résultat puis ces deux secondes de blanc à l'antenne, ce silence des thuriféraires du giscardisme désormais sur le départ (1), ce dont je me réjouissais, ce blanc qui était leur, je sens qu'il est désormais le mien.  Ce  blanc contemporain (si j'ose dire), c'est celui qui s'impose quand on entend discourir les rejetons de la Mitterrandie, élevés qu'ils ont été, dans l'arrogance et le mépris des classes laborieuses, en réalistes  et convertis zélés du nouvel ordre mondial. Ce blanc devenu mien est, plus généralement, cette trace mi-mélancolique, mi-cynique par laquelle on sait que l'on a abandonné sa part d'illusion politique. Ce blanc, c'est 2012,  la vraisemblable victoire de DSK (2), et il ne durera pas que deux secondes...

     

    (1)Ce qui était bien naïf, quand on sait ce que sont devenus sous tous les gouvernements depuis trente ans, et Elkabbach, et Mougeotte...

    (2)À moins que, comme savait le clamer Léon Zitrone, dans la dernière ligne droite, Sarkzy ne revienne du diable vauvert ! Mais c'est de peu d'importance...

  • Femme en bleu (IV) : Vermeer

      Vermeer, Femme en bleu lisant une lettre, 1664,  Rijkmuseum Amsterdam

    Son âme et son cœur semblent aussi lointains que l'est à distance le regard du spectateur. Son profil ne permet pas de juger de sa beauté et le bleu de sa robe, comme un ciel envoilé de gaze, se découpe dans le jaune et le blanc lui-même un peu bleuté du fond. Les plis de la robe ont une raideur que normalement nous associerions à une morale un peu sèche, ou à la retenue d'un triomphe bourgeois, comme si l'habit disait, selon l'habitude, l'être. Mais, dans ce tableau, on sent une telle suspension du temps (ce temps de plus en plus assigné à l'ordonnance de l'avoir) que cette raideur semble plutôt suggérer la tension interne du corps qui en fait son armure.

    La peinture figurative fixe un moment. Certes, on peut, à partir d'indices, remonter le fil de l'histoire, envisager sa suite, mais en suivant un processus qui incline vers la linéarité du temps, comme si tout ce que nous vivions, nous ne le vivions qu'une seule fois, comme si notre existence était structurée par le motif de l'unicité. La peinture tend vers le point. Nous savons qu'il n'en est rien, dans nos vies. Mais nous raisonnons souvent devant un tableau en nous interdisant de penser la répétition ; et cette œuvre de Vermeer donne soudain l'occasion de s'engoufrer dans la brèche.

    Vermeer est un peintre secret ; il est aussi un peintre du secret. Ses personnages ne sont pourtant jamais surpris dans une situation incongrue, bien au contraire. La banalité est peut-être son maître-mot. Il n'y a pourtant pas plus intriguant que ce mystère du quotidien à travers lequel nous nous sentons saisis d'une absence indéchiffrable du sujet, de son retrait du monde. Vermeer impose une blancheur à son contemplateur. Les gestes ne sont jamais achevés. On reste dans l'expectative, parce que les personnages eux-mêmes semblent se soustraire à l'attention et au cours des choses.

    Par exemple, cette femme en bleu lisant une lettre. Il est bien difficile d'appréhender les sentiments du personnage. Chagrin, inquiétude, bonheur ? On pourrait travailler les traits, les postures : l'infime parole que secrètent une ombre, le jeu des distances. Je me suis souvent demandé vers quelle interprétation il fallait s'orienter : en clair, comprendre au mieux la boussole du visible. Et tant que cette question portait tout le sens de mon regard, ce tableau est demeuré une pièce de musée, vu, il y a longtemps, au Rijk, quelque chose de beau, très beau même, avec un point attendrissant dans la clôture de l'espace, sans la fenêtre à moitié ouverte (et donc à moitié fermée) que l'on trouve si fréquemment chez ce peintre. Cette fermeture, ce repli de l'être vers le coin semblaient en contradiction avec la centralité du sujet, son ampleur, jusque dans la robe qui s'étend, comme une mer (si bien qu'on se demande si elle ne serait pas enceinte). Elle lit. Il fait silence autour d'elle. L'extérieur est congédié et l'intérieur est impensable. Elle lit, et si l'on en reste à cette limite du fait unique, le visage peut en effet offrir tous les interprétations possibles et même le plus fort des désarrois n'atteint pas la profondeur de vie que la supposition suivante, évidemment absurde quand on prend un tableau pour un point défini dans le temps, à savoir que la représentation de Vermeer est effectivement une re-présentation.

    Mais si elle a déjà lu la lettre... Une fois, dix fois, vingt fois. Ailleurs, dans une autre pièce, dans une autre maison. Quelle importance... La clôture du lieu, cet encerclement des sièges qui la rend d'une certaine manière inatteignable pourraient être vus comme le dessein du sujet à vouloir jouir, seul, dans la répétition de ce qui touche (en bien comme en mal) et dont il est impossible de se détacher. Ce sont ses mains qui cristallisent le sens : leur tenue, leur fermeté. Elles tiennent la lettre comme son âme tient à l'encre qu'on y a déposé. Nous connaissons cela, tous : ces morceaux de papier, ces messages, ces billets, dont nous usons (ou avons usé) la matière physique tant la matière affective nous y ramène, partagés entre l'envie et la nécessité (1). Ce sont ses mains qui démentent l'unicité. Elles ont la puissance des poings. Ce tableau se développe comme un refuge, raconte une attente (que toute la maisonnée soit partie), le battement du cœur, le tremblement des lèvres, et les yeux qui ne lisent plus vraiment, puisqu'ils connaissent entièrement le fond de la missive. Ses mains concentrent toute sa volonté de revenir à la lettre.

    Cette femme en bleu est ainsi indissociable d'une sensibilité dont la force est telle qu'elle ne prend toute sa signification que dans l'itération. Y revenir, sans cesse, pour autant que le monde, la vie nous en laissent le choix. Ce tableau devient, dans cette perspective, l'un des plus émouvants que l'on puisse contempler, sans que cette émotion en détruise la parfaite harmonie. Sa grandeur est là : dans l'équilibre improbable entre une effervescence palpable et une pesanteur imposée par l'ordre social et moral. Cette œuvre parle de ce que nous ne pouvons pas dire, de ce que nous devons taire, parfois, souvent, toujours... Il y a, hors de toute identification qui nous abstrairait de nous-mêmes,  une part de nous-mêmes dans cette femme en bleu, qui ne dit rien, qui ne bouge pas, qui nous ignore...

     

    (1)Faut-il se résoudre à considérer qu'il en est de même des mails ?

     

     

  • 8-Samedi après-midi, au MP3

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

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    ... encore un coup...



     

    ...Fernando et Jaime ne viendront pas. Ils sont partis voir Rafael à Valence. Pour trois jours. J'aurais bien voulu venir mais je suis à court. Plus un centime. J'ai téléphoné à Firmin et Angelica parce que sérieusement je ne me vois pas ramer quatre heures ici, et c'est pourtant ici qu'on est le mieux, ou le moins mal, à glander, oui, glander bien sûr, mais au frais de l'air conditionné, dans les boutiques, quand on sent le souffle qui vous transit, et même si on raconte qu'il y a des risques dans les écarts de température ; vrai d'ailleurs : le frère de Jaime a attrapé une pneumonie à Madrid l'été dernier en travaillant dans l'approvisionnement frigorifique, il a failli y passer, mais ici on a de la marge, juste une clim ; il fait frais, juste frais, quand dehors, on crève de chaud, presque la mort, quarante et plus, l'été à Séville, si bien que même assis sur un banc, à l'ombre de la Giralda, tu crèves, à vouloir boire sans cesse du granizado de limon, parce qu'à en boire trop, c'est chaud-froid, et les intestins qui prennent, ce qui fait qu'on n'a pas le choix, quand on ne veut pas rester à la maison, le père, la mère, les deux frangines, insupportables, il reste la galerie marchande, l'ancienne gare transformée en galerie marchande, une ancienne gare, là où on pouvait traîner, déjà, avant, comme toutes les cloches qui traînent autour des gares, j'en ai vu, de toutes les gares, un nid à cloches, pour une pièce ou une cigarette, et moi, un peu pareil en somme, des fois à taxer une clope, sauf que, évidemment, je ne suis pas une cloche, et je ne veux pas, seulement un gars qui attend Firmin et Angelica, en espérant qu'ils viennent, pour faire le tour des magasins, et ne rien acheter mais faire semblant de pouvoir, quoique les vendeurs, pas idiots, et traîner, encore, des fois qu'il y aurait une jolie nana, un peu comme Nati, déjà six mois, Nati, même si alors, une fille, j'ai besoin de fric pour qu'on aille ailleurs, hors d'ici, je veux dire, parce qu'ailleurs ne peut pas être si loin d'ici, à la galerie marchande, qu'on n'y revienne pas de tout l'été pour s'y embrasser, appuyés à la rambarde, et c'est pour ça que Nati est partie, quand elle a compris que je n'avais pas les moyens, les moyens, et pourtant elle disait que ce n'était pas grave, mais pour moi, grave, une embrouille, mon orgueil, elle est avec un autre, je les ai croisés, devant chez Suarez, éclairage bleu et orange au coin de mon œil gauche, j'y pense souvent, à Nati, surtout quand je suis avec Firmin et Angelica, qui se sont rencontrés là, devant chez SuperStarzzz, sur une affaire de chemises à carreaux, elle avait un petit boulot, en clair : il a emballé la vendeuse, et l'affaire fonctionne, et moi je traîne, comme chaque samedi après-midi, avec pour la énième fois pas le choix : ou tu regardes en marchant lentement, lentement, les fringues, les pochettes CD, le packaging des jeux vidéos, les gens buvant une bière fraîche ; ou tu t'appuies contre la rambarde et tu espères qu'une fille passera, jeune, jolie, douce, mais ça arrive une fois l'an, et parfois l'histoire dure, comme Firmin et Angelica qui n'arrivent toujours pas, ce qui n'est pas plus mal, en fait, parce qu'ils vont à peine regarder les vitrines, à peine me parler surtout, et s'embrasser à longueur de temps, pendant que je serai là, à tenir la chandelle, sans qu'on ait grand chose à se dire, et tout compte fait, autant se tenir contre la rambarde, ne rien faire, penser à la chaleur dure de Séville, se convaincre qu'on est bien, là, mieux qu'ailleurs, prendre l'habitude, garder l'habitude d'attendre, prier que Firmin me téléphone pour dire non, attendre, et croire : ce n'est que pour un temps. Et je remets du son,





    pour que ça passe, pour que tout passe...

     Photo : Séville, une ancienne gare transformée en galerie marchande
    Texte "À l'aveugle" : La Rambarde

     

  • Woody Allen, provincial

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    Michael Murphy, Diane Keaton, Woody Allen et Mariel Hemingway

     

    Manhattan. Je l'ai vu une première fois il y a un peu plus de vingt-cinq ans. Je me souviens que j'avais ri, trouvé si spirituelle la débauche verbale, le caractère intello-vaudevillesque centré sur un personnage si peu charismatique. Peut-être était-ce un effet de jeunesse mais la maladresse dérisoire du héros me semblait attachante. Pris (mais pas trop...) entre la tentation d'une trentenaire sarcastique qui désarmorce à la minute sa tendance nombriliste et sa liaison avec une demoiselle de dix-sept ans, dont il savoure le caractère un peu sauvage (ce qui s'applique autant à la liaison qu'à la demoiselle), où se mêlent l'angoisse de l'interdit et l'exaltation narcissique, le héros de Manhattan développait une dialectique tout en trompe l'œil, dans laquelle la parole, sans cesse réactualisée, se démentait jusqu'à dévoiler la dimension aporétique de toutes ses postures.  J'y avais alors vu une distance critique, un second degré que symbolisait, en quelque sorte, le début même du film : les multiples réécritures pour introduire New York, les tentatives pour esquisser la singularité. Cela sonnait comme un avertissement sur la sincérité du langage. Manhattan, dans sa déambulation en vase clos, ses discussions interminables, tatillonnes et vaines, semblait la quintessence du spirituel (dans l'ordre du wit, de ce qui peut prendre la forme de l'humour juif, quoique pas seulement). Woody Allen, son visage lunaire, son regard toujours en alerte, son corps malingre, sa gestuelle maladroite, son débit hâché, donnait une vigueur nouvelle au anti-héros. Il avait tout pour plaire, un je-ne-sais-quoi de littéraire.

    J'ai revu le film (deux fois) il y a une douzaine d'années. Une part de la magie, et de l'esprit qui s'y rattachait, avait disparu. Demeurait un charme, par intermittence : la frimousse de Mariel Hemingway, la mélancolie de quelques discussions entre Allen et Diane Keaton, des plans sur la ville, le noir et blanc (dont on voudrait croire en même temps qu'il ne fût pas un cache-misère esthétique). Les dialogues n'avaient pas tant vieilli dans leur fond que dans leur forme : la cacophonie énervée où étaient plongés les personnages sentait le surjoué. L'intention était repérable. Manhattan, cousu de fil blanc. Il faut dire que dans l'intervalle je m'étais familiarisé avec l'entreprise Woody Allen Ltd : blagues, nombril et looser. Demandez le dépliant. Il avait, avec la constance survitaminée d'un boutiquier qui prend de l'importance, produit annuellement. Une seule collection. Toujours la même. Et Manhattan apparaissait tout à coup comme l'œuvre fondatrice contenant toutes celles qui suivraient, et Woody Allen devenait un styliste ayant eu un jour une idée (mais bonne, l'idée !) dont il déclinerait les versions les plus convenues. J'éprouvais, à revoir ce film, un étrange sentiment de déjà-vu (à prononcer à l'anglaise...), une prévisibilité épuisée : ritournelle et sclérose...

    Déjà vu, déjà filmé. Reproche un peu facile, si l'on considère que certains cinéastes, et non des moindres, ont partie liée avec la répétition (à des titres divers : Bergmann, Tarkovski, Rohmer, Godard, Tati, Fellini, Antonioni...). Mais il y a une différence fondamentale : Woody Allen est le sujet de ses films ; l'univers de ses films correspond à son univers. Et c'est en revoyant Manhattan, une dernière fois, dernièrement, vision incomplète, faut-il l'avouer, tant l'ennui et l'agacement m'avaient gagné, que l'indulgence post-adolescente a définitivement rendu les armes. Plus rien à entendre qu'un verbiage boursouflé ; plus rien à voir qu'une série de clichés dans lesquels le cinéaste joue assez sérieusement en fait l'intellectuel. Intellectuel nourri et jouissant de ses certitudes, incapable d'appréhender l'altérité car il se croit l'absolu de l'altérité. Et de me souvenir alors d'un commentaire à la hache de Marguerite Duras paru dans Les Cahiers du cinéma, en juin 1980, repris en 2006 dans Les Yeux verts. Elle vient de voir Annie Hall et son article compare Chaplin et Allen :

    "À côté de (Chaplin), Woody Allen est avare, c'est un épargnant. Il est dans une série de numéros, de scènes plus ou moins réussies, dans toute une série de gags très très joués, très calculés, très locaux, très "pris sur le vif", et en fait très élaborés. C'est, de la même façon que l'on parle de "parisianisme", le "new yorkisme" de nos années-ci. Je n'ai pas retrouvé New York Dans Annie Hall [...] Woody Allen est parfaitement bien à New York. Je ne reconnais pas en lui cette espèce de dimension illimitée, égarée, propre aux juifs [...] Woody Allen, c'est des pièces, des morceaux avec des coutures entre eux."

    Et elle a raison, à plus d'un titre. Tout n'est chez lui qu'astuces scéniques, frivolité, phrases/phrasé. La drôlerie n'est plus qu'une estampille. On reconnaît la  triple patte du scénariste-réalisateur-acteur : ses tics et ses pratiques. Sur ce point, l'univers de Woody Allen sent le renfermé. Son "new yorkisme", comme l'écrit si bien Duras, est un "parisianisme", c'est-à-dire l'inverse d'une ouverture : un repli identitaire avant la lettre. Mais de celui-là, il n'est pas question de médire. C'est que nous sommes dans Greenwich, sur la Cinquième, (comme on est au Rostand, au Luxembourg, ou à Saint-André-des-Arts...) ! Cela change tout. Pourtant, il n'en est rien. Manhattan pue le provincialisme chic. La ville n'est qu'un arrière-plan, un produit d'appel trompeur. Elle prend des allures de petit village branché. La violence, l'angoisse, l'underground, le clair-obscur, l'inattendu n'apparaissent pas. Une sorte de gated community du bon goût au milieu de laquelle trône le sieur Allen. Manhattan a perdu sa tendresse (et donc son sens) parce que j'avais pris, juvénile et naïf, le style de ce cinéaste pour une manière inédite de refaire/défaire le monde en ironisant sur les fragilités de l'homme. Je me suis trompé, et lourdement.  C'est un film muet, ou pour être plus juste : aphasique, comme l'est l'œuvre d'Allen. Cela aurait pu prendre des dimensions tragiques et peut-être toucher en profondeur. Mais le tragique suppose que l'on renonce à la maîtrise. Et de cela, il n'en est pas question. C'est en ce sens que je n'ai pas pu regarder ce film  plus longtemps : il y avait dans les images qui défilaient une confiance en soi du réalisateur telle que j'ai fini par me dire qu'il était profondément américain, ce garçon, oui, profondément américain, un peu comme un péquenot du Montana. Mais c'est très méchant de dire cela : il est new yorkais, vous comprenez : new-yor-kais ! Voilà le drame : il ne sait pas que le monde existe...

  • Ernesto Sabato, combatif

    Ernesto Sabato est mort il y a deux jours. Il allait avoir cent ans. Sa disparition prend donc place entre le wedding cake  d'une monarchie qui tolère les déguisements nazis d'un petit-fils et l'élimination incertaine de Ben Laden. Autant dire qu'il meurt dans la parfaite indifférence d'un monde absurde. Et sur l'absurdité violente, désastreuse de l'existence, il en savait un rayon, Ernesto Sabato. Homme de trois romans (Le Tunnel, 1948 ; Alejandra, 1961 ; L'Ange des ténèbres, 1976), économe de sa plume, quand la mode est au volume annuel, il avait compris ce que l'univers social et politique pouvait porter de destruction. En particulier, dans le dernier opus de ce triptyque, à la fois lui-même et personnage de lui-même, il était capable d'explorer comme peu l'ont fait, l'angoisse d'une écriture nécessaire qui se débat entre la connaissance des pires exactions (la torture en Argentine) et le masque d'une sociabilité capable de discourir sur les sujets les plus légers. Sabato, ce n'est pas l'éructation contre le mal (à la manière d'un Maurice G. Dantec), mais l'exploration profonde d'une interrogation sur notre place face à ce mal et à la responsabilité qui nous incombe.
    Sur ce point, lire ce papier de Juan Asensio, publié sur Stalker. Et plus que tout lire (ou relire) cet écrivain...



  • Packaging

    En ce jour de Fête du Travail, laquelle est d'ailleurs moins, historiquement parlant, la célébration du travail que la reconnaissance du droit des travailleurs, ceux-ci compris alors comme cette masse exploitée et sans illusions devant le rouleau compresseur du management et des ressources humaines, en ce jour donc qui associe la douceur printanière à l'odeur du muguet, je pense tout à coup que dans un an ce sera le Guignol's band élyséen et puisque il faut alors penser en termes de publicité, je me creuse les méninges pour, moi aussi, croire que je suis aussi intelligent et rusé que Séguéla (sauf que je n'ai pas de Rolex et qu'il me reste peu de temps avant d'avoir raté ma vie...). Je choisis le plus facile.

    Prenons cet homme, cette photo, un peu glamour, tout en séduction

     

    Dominique Strauss-Kahn

     

     

     

     

    Pensons à l'imitation d'une signature. Ce n'est pas très difficile. DSK peut se décliner en référence à ce qui suit


     

    Calvin-Klein-Logo

     

     

     

     

    Du coup, c'est l'idée d'un certain luxe qui domine et les fragrances qu'on y associe ne sont pas celles, fort convenues et prolétaires du muguet, mais celles plus complexes d'un produit design. Pensons à l'emballage. Quelque chose d'un peu brut comme ce qui suit (oui, une forme qui rappellerait qu'il va être le boss...) ferait l'affaire : sobriété, discrétion, efficacité...

    hugo-boss-hugo-1001 Parfums
     

     

     

     

    Mais si nous voulons pour la campagne confondre une affiche avec une pub, pensons à donner un nom au produit. Usons pour cela de l'idée banale : le mélange du proche et du lointain, avec la connotation du retour sur la terre-patrie, comme un sauveur. Et nous voilà comblés :

    NEW YORK # PARIS

     

     

     

     

     

    Ne reste plus qu'à trouver le slogan,  l'inscription, en bas, vers la gauche, sa force tranquille à lui. Mais sur ce point, il n'y a pas beaucoup à se creuser...

      

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

          DSK UN VRAI PARFUM DE DROITE