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off-shore - Page 70

  • Si d'aventure

    J'aimerais bien que l'on se dise des choses, murmure-t-il, des choses... Des choses sans importance, comme des bouts de ficelle qui serviraient à lacer nos chaussures. Pas vraiment pour qu'on aille plus loin, ou plus vite : on peut s'en tenir là, rester sur place et convenir que, par le seul fait de la voix sussurée, on fasse défiler les paysages. Mais pour ce faire, il faut des choses dans la bouche, une nourriture qu'on ne suspectera pas d'être intentionnelle, et de ne jamais tirer les ficelles de ce que tu me diras, de ce que je te dirai, des choses que nous avons vues, toi et moi, ou pas vues, ou cru voir, ou espéré de ne pas avoir vu, des choses, dans un tiroir qui referme mal : les tiroirs de nous-mêmes, les macchabées à tiroirs que nous sommes en passe d'être. Mais pour ce faire, il faut de la matière, où qu'on la prenne, dans le feuillage qui suinte au-dessus de nos têtes, dans l'arrivage du vent qui soulève la poussière, dans l'effacement des signes de la stèle ornant la place, ou bien dans ces choses que je ne saurai jamais autrement que parce que tu me les auras dites, et que je te croirai sur paroles, parce qu'il n'y a aucune raison pour que tu ne m'aies pas menti, je dis bien ce que je dis : parce que je parie plus sur ton mensonge que sur ta sincérité de mauvaise maille, forcément mauvaise puisque tu l'invoques à la moindre incartade dans ce que tu espères que les autres penseront de toi. Donc se dire des choses, avec tout le mensonge qui sied, sans quoi, tout cela ne vaudra pas tripette, pas plus qu'un pavé mal damé, tu m'entends. Ce sont les choses sans importance, les tiennes, les miennes, combinées dans leur effilochage (tu prends deux morceaux de tissus et c'est un texte nouveau...), qui me serviront de viatique.

     

  • Très loin après la virgule

     

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    Ce sont de vieux souvenirs d'école, du temps des maîtres qui sentaient encore le hussard républicain, du temps de l'encrier, du buvard, de l'ardoise, de la petite éponge qui finissait par puer horriblement, des contrôles redoutés de calcul mental et des divisions après la virgule, quand on posait six, qu'il y allait quatre, qu'on retenait trois et qu'il fallait donner le résultat au dixième, voire au centième supérieur. Maintenant, les choses sont tout de même plus simples : la calculatrice, qui vous épargne toutes ces souffrances.

    Ce que nous avons conservé de ces exercices fastidieux nous sert parfois, rarement, mais parfois. Par exemple : vous êtes à une terrasse et vous lisez dans un journal que la décision des Sages du Conseil constitutionnel, de retoquer la taxation à 75 %, sauve le football professionnel français d'un exode terrible. Ter-ri-ble ! Puisqu'on vous le dit ! Parmi les 1500 qui se seraient mangés l'impôt confiscatoire, 100 footballeurs ! La Ligue 1, passionnante, brillante et survitaminée au qatari et aux investisseurs avides de la baballe, a failli tomber dans une médiocrité désolante, faute d'avoir les cadors dignes d'un pays comme le nôtre ! On ne remerciera jamais assez Jean-Louis Debré, Michel Charasse et leurs acolytes. Alleluia !

    À votre terrasse, vous prenez votre note (un allongé et un jus d'abricot) et au verso, avec votre éternel stylo plume, vous rappelant, à trois fois rien près, que la population active française, c'est 27 millions d'hurluberlus comme vous, vous vous lancez dans des calculs proprement eisteiniens.

    Lesquels vous apprennent que 30 footeux par clubs de Ligue 1 x 20 clubs, cela nous fait environ 600 gugusses... De là, il ressort que 100 divisé par 1500 = 6,6 %. 6,6 % des menacés fiscaux sont des footeux. Ces footeux représentent 600 divisé par 27 millions = 0,003 % de la population active.

    6,6 % d'un côté, 0,003 % de l'autre. Je ne sais pas si les chiffres parlent d'eux-mêmes, vraiment pas, mais devant ce ratio de 1 à 2000 calculé à la louche, on regrette d'avoir des restes d'école primaire et on se commande un martini blanc, sans glaçon, histoire de ne pas désespérer, tout en se disant que si les Français, à commencer par les classes populaires, acceptent cela, en justifiant que les footeux ont une carrière très courte, les mêmes Français qui traquent le profiteur d'un demi-euro, le resquilleur du bus, et jugent avec sévérité les prétendus privilèges (fantasmés souvent) de leur voisin, on n'est pas sorti de l'auberge.


    Photo : Charles Platiau/Reuters

  • Vide amateur

    Sans doute n'a-t-il pas compris immédiatement, mais je n'en saurai rien... Ce fut soudain un bruit, immense, un grondement qui décrochait du haut des montagnes, une effervescence blanche et massive, pas une vague, les bouillonnantes sur la platitude de l'océan : un lit à pic, ou presque, de terreur.

    Il était peut-être arrêté à reprendre son souffle, à moins qu'il n'ait senti dans son dos la cavalcade. Elle était là, face à lui, très lointaine et pourtant si proche. Il a planté ses bâtons, sorti son portable et filmé.

    Tout était blanc d'abord, et c'est demeuré ainsi plusieurs secondes. Blanc et presque inoffensif. Puis le blanc a commencé à manger le soleil, il a viré à la grisaille, une grisaille de plus en plus intense, avant que tout ne cède au noir.

    Quand les sauveteurs l'ont retrouvé, il avait, malgré la force de l'avalanche, contre son ventre sa main tenant son portable. Et tu te demandais un temps s'il fallait voir dans son geste du courage, de la lucidité ou du désespoir. Futile débat de morale... Plus tard, tu as pensé à autre chose : à ce désir quasi morbide de filmer sa mort, d'être là, encore et toujours, de s'arracher, même pour rien, à la vaine existence, de se prolonger, coûte que coûte, de préférer fixer l'écran, pour te faire pleurer, peut-être, plutôt que de chercher à fuir. Plus tard, encore, tu t'es dit qu'il avait dû croire en l'objet qu'il tenait, y croire, c'était cela, comme en un dieu quelconque, avec un œil inquisiteur qui finirait sur une plateforme vidéo. Plus tard, encore plus tard, tu as balayé ces images, absurdes et vindicatives, de ta mémoire, ta mémoire, la seule à laquelle tu tiennes, sans retouches ni pixels, et tu as continué de vivre...

  • Randy Newman, ironique

    Randy Newman est un compositeur peu prolixe. Cinq albums depuis 1979. Seul Donald Fagen (c'est pour un prochain billet) a fait mieux en la matière. Il appartient, ce cher Newman, a une époque qui sent encore la musique faussement easy listening, quand les arrangements et le choix des musiciens signifient encore quelque chose de proprement américain (1). Newman, en fait, ce n'est pas de la pop (concept très anglais) mais une construction qui va de pair avec les espaces urbains informels, les motels, les grosses voitures roulant lentement, des films où on parlerait peu (mais évidemment pas dans le genre intello de Tarkovsky ou Sokourov...) parce que le décor, les constructions sont en soi le mobile du déroulement de la pellicule.

    Ironique, dis-je, le petit père Newman, et pas rien qu'un peu. Prenez ce que vous allez écouter. Le titre est  déjà tout un programme : Short people. S'agit-il des nains ? Admettons. Et d'enchaîner avec délectation. Short people have no reason to live. Bordel ! Que fait la ligue de combat des différences et même qu'il faut plus déconner et se moquer parce que sinon on va vous envoyer les juges et les flics (que par ailleurs on déteste, parce qu'on n'aime pas la répression, c'est bien connu). Il se moque des nains ! Salaud ! Par les armes et vite. 

    Le problème de l'ironie, c'est qu'il faut un minimum d'intelligence et que l'intelligence, depuis que les bonnes sœurs gauchistes (masculin et féminin, pour le coup) ont décrété qu'elle (ils) étaient l'incarnation de la bonne parole, cette intelligence a singulièrement régressé (2). Revenons à Randy Newman qui se moque apparemment des nains. Il est méprisable : il mesure 1m83 ! Voilà qui classe son homme ! Que sa chanson puisse être entendue au second degré, cela échappa à certains. Encore étions-nous en 1977, à un époque où le bucher du politiquement correct n'avait pas été érigé. Que ces short people fussent des gens à courte vue, des  crétins à la vision étriquée, ne frappa pas certains esprits. Soyons raisonnables en diable et cartésiens de surcroît pour se rappeler que "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent : mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien." (Discours de la méthode, 1637).

    Il y a évidemment un certain snobisme à vouloir glisser dans le même billet Randy Newman et René Descartes, une sorte d'exercice, facile, dans le mariage de la carpe et du lapin. Aucun doute là dessus et donc, inutile de s'agacer (je connais certains lecteurs...), c'est fait pour...

    En attendant, bonne écoute.

     


     


    (1)Sur l'album où paraît Short people, Little Criminals, on trouve les noms de Ry Cooder, Don  Henley ou Jim Keltner. Les amateurs apprécieront.

    (1)Car il n'échappera à personne que le moralisme gauchiste prend des allures de catéchèse, la rhétorique et l'allégorie en moins. De toute manière, les niaiseries ne peuvent guère prétendre aux quatre niveaux de lecture dégagés par Aristote : le littéral,  l'allégorique, le tropologique et l'anagogique. Il y a tromperie sur la marchandise mais il ne faut rien en dire. Ils s'en tiennent au littéral, le seul qu'ils veulent exploiter tant ils méprisent les gens qu'ils disent représenter. Ils appellent populisme ce qui n'est pas eux.

  • L'amour, en toutes lettres

    Un soir, en 1978, parce qu'il était venu dans la ville où je vivais, Alain Cavalier passa aux actualités régionales, ce qui nous changeait évidemment de la rubrique "bouses, vaches, noix de saint-jacques et maïs" qui donnait le si peu de consistance à ces informations censées nous concerner. De Cavalier, je ne connaissais rien, mais l'extrait que l'on passa me saisit tellement, dans sa fureur presque anodine que je voulus voir ce film, absolument. Il s'agissait de Martin et Léa. Martin, c'est Xavier Saint-Macary, juste, mesuré, sur le fil ; Léa, c'est Isabelle Ho, insaisissable et magique. Ils vivent en couple, dans la vraie vie. Lui, je l'ai revu vingt-cinq ans plus tard, dans un film antérieur de Cavalier, Plein de super. Elle, plus jamais (aucun souvenir d'elle dans Mortelle randonnée...). Lui est mort dix après ce film, d'une crise cardiaque. Elle, trois ans après lui, du sida.

    Ce film est un éblouissement dans l'approche de ce que peut être la complexité amoureuse. Au dessus, et dans un genre beaucoup plus marivaldien, il y a Rohmer... Cavalier, lui, prend l'histoire sans plus de fioritures, au ras d'un quotidien qui désarçonne. Parce que la vie n'est pas toujours à l'image qu'on se fait de ceux qu'on rencontre. Martin et Léa partagent un lien sans immédiateté. Ce n'est pas un jeu mais un risque qui se déploie sans cesse. Avec des failles dans lesquelles ils se sentent parfois prendre corps, paradoxalement.

    Dans l'extrait qui suit, hélas trop court, celui-là même à qui je dois d'être aller les voir, ces deux-là, Martin décide de rompre. Il écrit une lettre...

     


     

    La séquence est incomplète. Il manque quelques secondes. Les plus extraordinaires. Son remords le pousse à mettre le feu à la boîte aux lettres. Brûler sa lettre, les lettres, brûler d'amour. De quoi vous émouvoir pour une éternité.

  • Facile, trop facile...

     

    Nous en étions restés à cette idée peut-être simpliste que les responsabilités vous endurcissent, ou, pour le moins, qu'elles vous obligent parfois, la mort dans l'âme (mais ce n'est qu'une métaphore...), à faire ce que vous n'auriez pas voulu faire.

    Et de se dire qu'inéluctablement, assumer une fonction revient à se retirer en partie de soi-même, à se conformer à cette affiche un peu statufiée qu'on définit comme la représentation. D'une certaine manière, cela s'appelle la dignité. Cette dignité doit avoir, parfois, les allures du masque. C'est ainsi que le théâtre, le vrai, tragique et terriblement humain, prend son sens, dans ce qui est caché, retenu, aboli de l'être qui parle et qui agit..

    Mais, dans ce qu'il faut bien appeler une mise à disposition publique de tous les signes de l'humanité, les larmes ont pris une place de choix et l'homme dont on dit qu'il est le plus puissant du monde (si l'on veut admettre que la politique nucléaire état-unisien n'est pas, par exemple, un pouvoir sans conséquences...) n'aura pas ménagé ses effets durant ces deux derniers mois.

    1)

     

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    Nous sommes dans le Wisconsin, début novembre. C'est son dernier meeting. Il est crevé, épuisé d'aller à coups de millions de dollars aux quatre coins du pays pour mettre une rouste au mormon. Il a les nerfs à vif sans doute, le corps qui rend l'âme et l'impression que l'affaire est bien partie. Mais c'est ainsi : une sorte de post coitum animal triste. Il va remettre le couvert et la bonne surprise de 2008 devient une confirmation. Il pleure. Sur ses efforts ? Sur l'improbable ? Sur ceux qu'il a déçus et qui rendront sa victoire moins large ? Sur sa gloire qui va prendre du galon ?

    2)

     

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    Nous sommes à son QG, début novembre. Il est avec son équipe. Il est le capitaine triomphant qui vient rendre hommage au cercle restreint de ceux qui n'ont pas dormi, qui ont donné corps et âme. Il leur doit une fière chandelle. Il a l'air d'un lycéen, nouvellement bachelier, dont le destin l'emmène loin de sa famille, des amis, de ses potes, de son quartier. Il boucle une aventure : le côté boy-scout, c'est fini. Lundi, c'est retour au  bureau. Moins excitant, moins d'adréaline. À en avoir des frissons dans le dos.


    3)

     

    le-president-obama-tres-emu-pendant-son-allocutaion-apres-le-drame-photo-afp.jpg

    Il est à la Maison Blanche. Nous sommes à la mi-décembre. 26 morts à Newtown, soit, en une fois, la moyenne journalière américaine des morts par arme à feu. Une sorte de packaging instantané, en somme. Il évoque des mômes abattus sèchement qui auraient fait de bons petit(e)s américain(e)s. Pour eux, c'est fini : ni corps, ni âme. Il pleure. Il est père. Il imagine. Il est humain. Il est président et comme il l'a dit pendant la campagne, en réponse à une question qui lui était posée, qu'il croyait au deuxième amendement autorisant chacun à être armé. Mais ce n'est rien. Il est ému. Ça se voit, ça doit se voir.

    Ces émotions répétées, dans des contextes et pour des raisons fort divers, ont quelque chose de grotesque. Elles mélangent la fébrilité d'une réussite conditionnée par l'argent (la campagne d'Obama, c'est un milliard de dollars), l'émotivité du sportif qui décroche la timbale, le pathos facile de l'impuissance politique, la compassion qui vous dédouane de tout. On aimerait qu'il ait les larmes aussi abondantes sur la misère que répand la politique américaine à travers le monde, sur les horreurs économiques dont usent les grands groupes de son pays pour satisfaire des actionnaires encore plus voraces, qu'il sorte son Kleenex à chaque bombe explosant à Bagdad ou ailleurs. Mais à ce train-là, je crains qu'il ne puisse pas beaucoup travailler et que la déshydratation le guette.

    Certains diront qu'il est humain, que ce n'est pas Bush, lui. Bien sûr... Ce n'est que "l'obscénité démocratique" que dénonce Régis Debray dans un court essai (1) ainsi intitulé et qui parut en 2007 et dont j'extrais les phrases suivantes :

    "Obscène, en termes techniques, est le forum dont la dramaturgie se met à obéir à la télécratie. Ou qui passe, plus précisément, du plan large au gros plan qui vient fouiller le visage, la larme au coin de l'œil, le baiser sur la bouche et le petit dernier -au cours d'un cérémonial officiel". 



    Régis Debray, L'obscénité démocratique, Flammarion, "Café Voltaire", 2007.

  • OWNI, la fin ou pas...

     

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    Pendant que la planète se demandait si les Mayas savaient compter ou pas, et qu'on buzzait, twittait, chattait sur une ridicule fin du monde, le 21 décembre, le site d'open data OWNI était mis en redressement judiciaire. Misère que cette disparition, que la fin d'une aventure qui aura été une source d'informations et de réflexions tout à fait prolifique. La logique du creative commons est une voie majeure pour l'extension (peut-être illusoire), sans barrière, de l'info pour tous (oui, l'info pour tous...), en marge des canaux officiels et convenus. Il faut le rappeler et s'inquiéter des entraves, notamment économiques, pour que ne puissent se pérenniser de telles entreprises.

    Malgré cette cessation d'activité, les articles et les enquêtes restent accessibles. Malgré cette disparition, OWNI doit rester vivant, reste vivant. Il suffit de cliquer sur ce lien pour le constater et de faire passer le mot :

    http://owni.fr/

  • Cette social-démocratie qui nous enterre...

     

     

    Il y a quelques jours, sur le blog de l'ami Solko (que je cite décidément beaucoup en cette fin d'année), lequel se gaussait des cris d'orfraie poussés par ceux vouant Depardieu au pilori de la bonne morale patriotique (ce patriotisme qu'habituellement la gauche trouve rance, fascisante, xénophobe, etc.), un remarquable socialiste, le sieur Blachier, s'insurgeait. Je ne commente plus les blogs (1) mais pour le coup je ne pus m'empêcher de réagir pour rappeler à cet esprit encarté que :

    1-l'histrion n'avait fait qu'appliquer les règles de l'espace Schengen et qu'il avait fort raison d'invoquer lors qu'il était européen. Et plutôt deux fois qu'une. Il est dommage qu'on lui en fasse grief de son arrangement avec les frontières quand on n'a rien fait (et les socialistes en premier que l'Europe qu'ils nous ont imposé est notre avenir) pour développer une vraie Europe sociale et fiscale. Depardieu va en Belgique. Il ne s'exile pas dans un paradis des Antilles.

    2-la construction européenne et sa conformation à une logique ultra-libérale est le fruit d'une pensée où les socio-démocrates ont été à la pointe. On se souviendra que dans les années 90, ils étaient majoritaires sur le Vieux Continent. Ils n'ont rien fait qui puisse contrer les délires du marché.

    3-la gauche socialiste française peut se targuer d'avoir ces vingt-cinq dernières fourni une escouade de choc du libéralisme triomphant. Qu'on en juge par la liste suivante :
    1-Jacques Delors, dirigeant la commission européenne (Maastricht and co)
    2-Jacques Attali, dirigeant la BERD
    3-Pascal Lamy, dirigeant l'OMC
    4-Strauss-Khan, dirigeant le FMI.

    En période de crise, il est remarquable de voir à quel point ce parti et cette famille politique hexagonale auront réussi à trouver des boulots en vue à leurs cadres éminents. Au fond, quand il s'agit de saper une certaine idée de la France au profit d'un commerce internationalisé et morbide, rien de mieux qu'un homme du PS.

    Pour développer ce point, cette convergence troublante entre social-démocratie et libéralisme échevelé, je vous invite à vous rendre sur le lien suivant, fort instructif.

    http://www.atlantico.fr/decryptage/grand-paradoxe-exces-europe-neo-liberale-sont-nes-generation-leaders-venus-social-democratie-mathieu-vieira-fabien-escalona-jean-578001.html

     


    (1)Sinon, et c'est fort rare, le très désopilant et subtil Jamais de la vie commis par Depluloin.


  • Béraud, à vif

     

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    À l'heure, si proche, où le Fils apparaît, une pensée pour le père. Non pas celui qui est aux Cieux, à la fois terrible et miséricordieux, et dont l'existence est un pari (parfois grandiose, souvent assassin) mais le commun, le mien, le vôtre, celui de chacun, avec lequel nous avons eu, qu'il fut présent ou absent, vivant ou mort, vivant puis mort, à partager, malgré nous, malgré lui. Celui dont nous héritons, comme nous héritons de nos mères.

    Pour y penser, laissons Rousseau, Proust, Gide ou Sartre... Prenons Béraud. Il fait partie de cet enfer littéraire qu'il faut pourtant connaître. Je n'en suis pas un spécialiste. L'ami Solko est en la matière intarissable : c'est donc que le lecteur présent ira assouvir sa curiosité. (1)

    Béraud écrit Qu'as-tu fait de ta jeunesse en 1941. L'ouvrage est commencé durant une nuit qu'il ne veut pas perdre à Rome (ce qui le rend plus cher encore). Ecrit de circonstances, peut-être, mais qui va se poursuivre.La plume se délie et ce sera l'enfance, l'adolescence et la jeunesse, jusqu'à la veille du conflit de 14. Le style est une délectation. Les portraits vifs sont dignes de Daumier. Le moindre figurant d'une vie qui file a droit à son trait, à sa marque. Beraud ne s'attarde pas. Il ne veut entrer dans le détail. Il a entrepris de nous donner moins le sens des faits que leur évanescence et leur fluidité dans une course qui croise Albert Londres ou Charles Dullin, entre autres.

    Puis il y a le père. Boulanger de la presqu'île lyonnaise, qui voit son marmot vouloir échapper à toutes les conditions, sans jamais le désavouer tout à fait. Le père, qui s'amuse des hésitations plus qu'il ne réprimande. Le fils, parmi toutes ses tergiversations, devient plumitif, assumant "la chronique du Tout-Lyon, organe des mondanités lyonnaises" et pour "cinquante francs par mois", assurant aux Sports, "hebdomadaires des footballers (sic) du Sud-Est, les Dimanches sportifs de M. Bergeret". Voici ce qui suit, dont la dernière réplique, réelle ou fictive, est si magnifique qu'elle se passe de tout commentaire :

     

    "Ce fut mon père encore qui vint à moi. Cette fois comme les autres, il fait ce que bien des pères autrement instruits n'eussent point fait. Une fois de plus, je connus la simple grande de son amitié. Il revint un jour avec un journal, mit ses besicles et lut avec attention le récit que j'avais fait de la mort d'un pauvre peintre, dont j'avais suivi le convoi depuis l'hôpital jusqu'à la fosse commune. Il plia le journal et le mit dans sa poche sans un mot.

    Le lendemain je trouvai dans ma chambre une table, un encrier, des plumes et trois mains de papier. Dans la pièce voisine, j'entendais le pas égal de mon père. Il entra :

    -Voici l'établi, dit-il en posant la main sur la table. Nous verrons l'ouvrier à l'œuvre.

    De ses yeux clairs, il me regardait bien en face. Que dire ? Comment le remercier ? Il coupe court à l'émotion, selon sa manière, en mettant d'une boutade les choses au point :

    -Si tu décides de te faire évêque ou astronome, il faudra me prévenir quelques jours à l'avance afin que je puisse te procurer le matériel".

     

     

     

     

    (1)Je reviendrai sur le sujet de sa condamnation à mort au sortir de la guerre et sur ce qui fonde son bannissement radical. Mais ce n'est pas le sujet ici.

  • Faux-semblants

    Marina+Abramovic+MoMA+Celebrates+Marina+Abramovic+LA35ZvWEDm6l.jpg

     

    Alors même que le volcan islandais clouait le voyage au sol, en avril 2010, le voyageur pénétrait dans l'antre du MoMA pour se retrouver, entre autres, dans une grande salle bruissant des interrogations visiteuses parce qu'en son centre une dame, avec des allures de prêtresse sanglante, assise, immuable, attendait que se succèdent les quidams qui viendraient fixement, silencieusement, la défier du regard.

    Autour il y avait tout un appareillage technique, parce qu'on filmait ce qu'on appelle une performance. Les inconnus qui se prêtaient au jeu renonçaient à leur droit à l'image : ils participaient à une œuvre d'art, a work in progress. Dès lors, l'opportunité d'une petite éternité valait bien cet abandon. 

    Vous pouviez ainsi contempler cette plaisanterie pour autant que vous eussiez la patience et le ridicule de croire qu'il se passait, , quelque chose sous prétexte qu'une institution en avait ainsi décidé. Et la première de ces institutions était l'artiste elle-même. 

    Elle s'appelle Marina Abramovic et elle n'en est pas à son coup d'essai en matière de provocation et d'apparent questionnement sur l'état et le devenir du monde. Il faut dire que ce genre de posture est devenu, dans le tournant de l'art (toujours en état d'être) contemporain, courant. C'est l'histoire du concept, dans le fond : une escroquerie à coup de "tu peux croire mon affaire obscure et confuse mais elle te dira plein de choses sur toi et ce qui t'entoure"... Pour cette expérience new yorkaise, elle avait intitulé cela "The artist is present". Pour le coup, elle ne mentait pas. Elle payait de sa personne : il n'est pas facile de rester ainsi immobile dans un monde qui a érigé la bougeotte en mode existentiel majeur. Sa rigidité de statue mérite le respect, cette mise en danger dans une confrontation avec l'inconnu force l'admiration. Souvent, on reproche à l'artiste d'être dans sa tour d'ivoire, de contempler le commun à distance, d'être élitiste. Dans cette expérience Marina Abramovic revient sur terre. On pourrait, de cette façon, enfiler les perles et ratiociner sur la profondeur de l'engagement. Seulement, la casuistique, comme toujours, a ses limites.

    En fait, ce qui trouble tient d'abord au titre : "The artist is present". On aurait compris que cela s'intitulât "The woman is present", "The people is present", "we are present" (1). Point du tout : The artist is present. Titre où se mélangent le constat, c'est clair, et l'affirmation, pour ne pas dire la revendication. Nous sommes à la fois dans l'évidence et ce qui est censé la dépasser. Et de nous demander si, alors, il ne s'agit pas d'une épiphanie, une expérience quasi mystique. Ce fut une apparition... On connaît la suite : l'ironie y gagne ses galons d'art littéraire. Pour l'heure, au MoMA, nous en sommes loin. La phrase cingle d'abord comme une extension maximale d'un ego démesuré. Nous avions connu l'œuvre sans signature, l'œuvre signée (le tournant renaissant, quand Vasari se permet des biographies), l'œuvre pensée mais pas faite (le conceptuel). Nous en arrivons à l'artiste comme finalité et preuve de sa propre détermination. Plus rien à faire que d'être un nom. C'est bien au delà que n'importe quel happening. C'est le moi qui couvre toute la surface et devant lequel nous ne sommes que des supplétifs.

    On méditera sur cette évolution narcissique et médiatique qui permet désormais à l'artiste (ou prétendu tel) d'être sa totalité servie sur un plateau  (ou dans un film). Alpha et oméga du monde, il est là effectivement. Tout discours est superflu. Il nous donne à penser. Il est une incarnation de la pensée. En ces temps de scepticisme (au moins pour l'espace culturel occidental), cela laisse rêveur, que l'on puisse ainsi adhérer à une telle escroquerie car la présence de Marina Abramovic ferait rigoler les réelles présences de Georges Steiner. Il en va de ce monde qui substitue l'introspection et la pensée sur la longueur pour une immédiateté qui peut durer (et un quart d'heure devant le travail d'Abramovic semble une éternité).

    Cette présence (fausse, artificielle) fait penser à son contraire : à un jeu sur l'absence possible dont Piero Manzoni, dans une autre époque, gratifia ses contemporains. En 1961, il proposa des boîtes de conserve contenant de la Merde d'artiste.

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    Il appartenait au mouvement de l'Arte Povera. Faire quelque chose avec peu. Et ici, il n'allait pas chercher bien loin. Il recyclait et proposait une part de lui-même. C'était aussi une question de présence. Fallait-il ouvrir la boîte pour vérifier l'annonce (et découvrir que ce n'était qu'un effet d'annonce...), ce qui revenait à détruire l'œuvre ? Fallait-il n'en rien faire et prendre acte, ce qui revenait à dire que dans ce cas-là l'artiste était en partie absent, puisque invisible ?

    Ce genre d'interrogations est fort drôle, quand on en discute un soir, après avoir un peu bu, quand on cherche des solutions, un concept, pour atteindre la notoriété... Très drôle, parce qu'on peut avancer les solutions les plus farfelues. Mais au petit matin, après avoir cuvé, l'individu sérieux, et honnête, que n'agite pas l'illusion de la pompe à phynance (d'où peut surgir la merdre, dirait Jarry), en rigole et passe à autre chose. Il a mieux à faire que de se ridiculiser, comme Marina Abramovic.


    (1)Et j'aurais eu envie de fredonner, par dérision, "we are the world"...