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  • Donald Fagen, avec style...

    La discographie solo (1) de Donald Fagen est fort réduite. The Nightfly (1982), Kamakiriad (1993), Morph The Cat (2006) et le récent Sunken Condos (2012). Quatre albums en trente ans, c'est pour le moins un rythme peu soutenu, quand on considère la logique du tiroir-caisse qui fait fonctionner l'industrie de la pop.

    Quatre fois le même bonheur d'une musique développée avec mesure. Les arrangements sont d'un raffinement sans égal, les cuivres et les voix placés avec grâce. Pop-jazz urbaine, américaines en diable, les compositions de Fagen portent en elles le lumineux fantasme d'une West Coast ensoleillée (mais sans excès), lancé que nous sommes dans une promenade en décapotable, pare-choc chromés, peinture rutilante, vitesse lente, Ray-Ban en guise d'identité, accompagné d'une belle qui contemple avec une négligence affectée le paysage (une belle pulpeuse comme les derniers soleils hollywoodiens des années 50, pas le toc du présent). Fagen, c'est un glamour feutré et sophistiqué, l'éclat d'une vision cinémascope, sur le plan musical (lequel contraste avec les textes de plus en plus graves). C'est une rêverie courant sa brise, en front de mer.

    Les morceaux ont été enregistrés ailleurs, dans divers studios new yorkais (de Power Station à Sear, d'Avatar à  Stratosphere) sur la Côte Est. Sans doute faisait-il froid. On est là pour travailler. Mais notre humeur, à l'écoute de cette musique, nous porte à des milliers de kilomètres, Et peu importe que nous y soyons ou non allés...

    Quatre morceaux, un par album...

    Maxine (extrait de The Nightfly)

     


     

    On the Dunes  (extrait de Kamakiriad)

     


     

    Security Joan (extrait de Morph The Cat)

     


     

    Slinky Thing (extrait de Sunken Condos)

     


     

    (1)Nous laisson de côté sa collaboration ancienne avec Walter Becker au sein de Steely Dan

  • XX

     

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    Que les petits provinciaux, les misérables de l'outre-périphérique ne l'oublient jamais : Paris est éternel, Paris sera toujours Paris, avec un temps (que dis-je : une éternité) d'avance. Elle était la capitale du XIXe pour reprendre les mots de Walter Benjamin. Son étoile ayant légèrement pâli, elle reste le phare hexagonale. Elle ouvre la voie.

    Pour l'heure, elle nous susurre, dans une parodie toute malrucienne, que le XXIe siècle municipale sera féminin ou ne sera pas. Et nous, perdus en nos communes, nos hameaux ou nos lieux-dits, n'aurons pas le bonheur parisien de voir des femmes, des femmes, et des femmes, descendre dans l'arêne politique pour nous offrir le meilleur. 

    Qu'on fasse un temps l'estimation de ce qui attend l'électorat capital : Anne Hidalgo, Nathalie Kosciusko-Morizet, Rachida Dati, en attendant la sémillante Cécile Duflot. Autant dire un florilège d'intelligence, de réflexion et de grandeur. Il manque Roselyne Bachelot (ou Marie-Goerges Buffet, ou Marielle de Sarnez) pour que nous puissions parler d'un cinq de départ éblouissante, comme dans une équipe de basket.

    Pourquoi parler d'équipe, quand nous évoquons, logiquement, des adversaires, des rivales sans pitié et sans merci ? Parce que leurs différences sont si ténues qu'on se demande ce qui justifie un tel affrontement ? On dirait un défilé pour bobos de gauche. C'est à ce point risible qu'on en vient à penser que c'est le silence devant ce risible qui intrigue et qui donne à l'événément tout son piquant.

    Cette effervescence d'ardeur politique féminine éblouit les donneurs de leçon en matière de démocratie. J'entends : les mesureurs de santé publique et politique à l'aune de la terreur gender studies. Le dynamisme est femme ; la respiration démocratique se mesure au tailleur et au rimmel, qu'on se le dise une fois pour toute. Françoise Giroud avait ce mot savoureux : "l'égalité, c'est quand on nommera une femme pour son incompétence" (1). Vu sous cet angle, on peut légitimement penser qu'on avance à pas de géants. Ce sont pour le coup des enjambées à la Rabelais ou à la Swift.

    Se moquer de cette bataille en jupons (ou en jeans : l'affaire est encore en discussion. Tout dépendra de l'engagement de Cécile Duflot. Soit le classique, un peu guindé -mais pas trop- sans elle ; soit le destructuré revival hippie, avec elle) est d'un mauvais goût certain. Je suis de mauvais goût. Passablement sexiste, machiste, rétrograde. Si on veut : je prends tout. Au bout d'un moment, cela n'a plus d'importance. Néanmoins, il est raisonnable de se poser une question plus sérieuse.

    Lorsque l'ordre des représentations ne fait qu'inverser un état antérieur, ne tombe-t-on pas dans le grotesque ? Entendons par grotesque cette forme de représentation théâtrale que les Anglais connaissaient avec Shakespeare et que les romantiques, Hugo en tête, ont exploité au XIXe siècle. Grotesque, en ce que le mélange des genres, l'excès communicationnel, le va-et-vient entre la volonté de discours sérieux et l'impossibilité de ne pas jouer un numéro de charme, tout cela nous fait penser à la pesanteur des gros gâteaux du romantisme boursoufflé. La manière dont ces dames ont commencé à débattre relève plus crépage de chignons que de la dialectique idéologique. Les quelques échos que j'en ai eus faisaient penser à une querelle de lavandières. Et sur ce plan, pas moyen de faire mieux que Goldoni.

    Pourquoi ainsi parler de théâtre ? Pourquoi ne pas se gausser avec la même vigueur de l'affrontement fratricide -deux clônes, imaginez- entre Fillon et Copé ? Sexisme masqué ? Indulgence masculine ? Esprit de corps, en quelque sorte ? Nullement. Il est simplement normal, sain et raisonnable d'évaluer la nouveauté, le changement, l'évolution, pour tout dire : le progrès, qu'on nous a promis et vanté. Cet inévitable progrès, sans quoi il n'y aurait pas de marche vers des temps meilleurs.

    Depuis 68, on nous bassine avec ces espérances de la féminité, féminité posée comme une sorte de synthèse de l'humanité bienveillante et douce ; depuis 68, on confond l'émancipation des femmes (et tant mieux, il n'y a rien à redire là-dessus) et une lecture génétiquement douteuse de la féminité bouclier contre la prédation masculine. Les hommes ont fait l'Histoire, la violence, les massacres et tout le tintouin. D'accord. Est-ce une raison pour croire que le bouleversement des sexes induit un changement radical des comportements, des idéologies politiques et réduit la noirceur phallique dans une sorte de candeur vaginale ?

    Le ridicule de cet éblouissement féminin avait commencé dans les années 70-80 quand on faisait se tordre rire l'étudiant de lettres que j'étais avec l'aporie de l'écriture féminine, laquelle reste, d'un point de vue stylistique, une énigme : j'attends encore une lecture à l'aveugle d'extraits pour m'expliquer la détermination sexuée des pages soumises à la lecture. Certain qu'on arrivera à la même escroquerie que dans le domaine de l'œnologie. Ici, ce n'est pas le flacon qui fait l'ivresse, mais l'étiquette. Après la littérature (2), la politique. Et de nous servir le plat d'une différence dont on attend toujours les effets. Les femmes, ou une manière différente de faire de la politique. Vaste escroquerie...

    Glosons un temps sur le concept de différence avant de revenir à nos parisiennes. Celle-ci, qui procède en partie d'une analyse structuraliste du monde (la pertinence, de Saussure et Jakobson), est un pis-aller en la matière. On confond le sexe avec une philosophie essentialiste dans laquelle la différence, c'est toujours le mieux, le plus. On oublie au passage que la différence est devenue au fil du temps une ressource communicationnelle, un gimmick pour agence de pub (3), un credo pour représentants de commerce.

    Alors, la différence des femmes ? Plus d'opportunisme ? Plus de stratégie ? Plus de reniements ? Plus de compromissions ? Plus de violences verbales ? (4)

    Nos parisiennes, nos parisiennes... Des dents à rayer le parquet pour toutes, jusqu'à la caricature en ce qui concerne Hidalgo et Dati. Chez Duflot, aussi, mais avec ce petit air "dites les filles, vous avez, ministre, je suis, les filles" qu'elle pousse à l'extrême. C'est, de très loin, la plus ridicule du quatuor. Reste NKM. Réduction à l'acronyme. Un équivalent en jupons de DSK, ou bien une marque, comme BMW, NHK ou KTM. Ça claque, ça sonne. Éventuellement porteur...

    Sa médiocrité ministérielle fut grandiose, sa nullité électorale plus grandiose encore (5), pendant une présidentielle où elle avala coulœuvre sur coulœuvre... Mais, dira-t-on, ce n'était pas elle. Elle n'était pas vraiment libre de ses mouvements. Alors, regardons faire cette différence féminine-là, dans sa conquête de la mairie de Paris. Ayant compris qu'il n'y aurait en ce lieu nulle victoire sans être gay friendly (selon les commentaires de sa copine Bachelot qui s'inquiétait de ce que la bonne et sérieuse Nathalie allait décider quant à son vote sur le mariage pour tous), elle a choisi de s'abstenir. Oui, s'abstenir, au motif qu'elle est pour mais contre la MPA et la GPA. Comme si l'un ne pouvait pas immanquablement procéder de l'autre. En clair : ne pas aller dans le camp d'en face, pour ne pas choquer son électorat de base ; ne pas rester dans une opposition radicale, pour qu'on ne lui rétorque pas le moment venu qu'elle n'était pas assez ouverte... L'abstention donc. Ce qui, sur un sujet aussi crucial, relève de la bêtise absolue. Ab-so-lue et méprisable. Pour le coup, j'ai infiniment plus de respect pour Benoït Apparu qui a choisi de voter le texte. NKM, c'est le cynisme au rouleau compresseur. Mais c'est une femme : il faut y voir une subtilité dialectique là où, pour un homme, on ne verrait qu'intérêt politicien (6)...

    NKM a fait preuve, en quelques jours, pour un projet qui ne concernait qu'elle, devenir maire de Paris, pour une perspective qui ne mettait en jeu que son ego, d'une fourberie dont je ne dirai jamais qu'elle est féminine, parce que je ne dirai pas non plus qu'elle est masculine. L'ambition et l'art du louvoiement n'ont pas de sexe, comme la médiocrité. Tel est l'enseignement de ce jeu d'hypocrites auquel les parisiens seront conviés.

    Entre hommes ou entre femmes, la belle affaire. Un leurre de plus dans l'arêne politique ; une distraction de plus dans la marre médiatique. Cela servira seulement à faire vendre de la feuille, à faire bavasser les politologues et les sociologues qui y verront un signe indubitablement de changement, d'évolution, de maturité, de renouveau, de grandeur, d'apaisement, de conformité avec l'espace du réel, d'adéquation avec la vitalité sociale, d'écoute nouvelle, de mutation sociologique, de bouleversement dans les instances décisionnaires,... Bref : à vous d'imaginer.

    Qui n'a pas compris la beauté de la chose est un être obtus, diront ceux qui nous vendent ce nouveau féminisme comme une porte de sortie à la catastrophe ambiante. Force est pourtant de constater que la seule vertu de la parité gouvernementale, et nous en sommes redevables à la présidence Hollande, est d'avoir démasqué ce mythe de la femme politique, cette aporie de la différence. Le nombre aurait fait apparaître une médiocrité (de Delaunay à Bertinotti), une prétention (Filipetti) et une arrogance (Vallaud-Belkacem) qui n'est ni plus ni moins le reflet d'un comportement politique que nous connaissions du temps où l'État était une affaire d'hommes.

    Il n'est pas interdit de continuité dans cette voie. Je n'y trouve nul inconvénient, étant donné que le problème est ailleurs. Non pas dans la détermination des genres mais dans l'élaboration des politiques. Or, la féminisation de la politique correspond étrangement au triomphe de l'ultra-libéralisme et à la vacuité décisionnaire de ceux qui prétendent nous gouverner. De fait, les femmes qui sont aujourd'hui au pouvoir non seulement ne changent rien à la politique mais participent (dans le sens où elles sont le symptôme) d'un désastre plus grand : celui de la mort du politique. Il n'est pas question de prôner le retour à un ordre ancien, à une sorte d'archaïsme patriarcal qui sonnerait comme le signe des temps heureux. Ce billet ne défend pas l'homme, comme il n'attaque pas la femme. Il signifie seulement que le discours autour des sexes et de la politique est une fumisterie, qu'elle est un écran de plus pour ne pas aborder les questions de fond : quelle politique ? quelle société ? quelle misère ? quelles solidarités ? quels partages ?

    Pour l'heure, la parité politique et ses effets accompagnent fort bien la décomposition sociale et l'accentuation de la paupérisation. Je ne suis pas sûr que les femmes d'en haut s'en préoccupent beaucoup, trop occupées qu'elles sont à leur plan de carrière.

    Certainement : sur la question des femmes en politique comme une nouvelle ère, je resterai obtus et dédie ce petit billet à Laurence Parisot.


    (1)Ce que prouve la récente nomination de Ségolène Royal comme vice-présidente de la BPI par l'ami socialiste Jean-PIerre Jouyet, copain de promo à l'ENA de l'homme normal. Bel exemple de république bananière...

    (2)Précisons qu'il en est des femmes-écrivains comme du reste : du pire et du génial. Au choix, Katherine Pancol et Amélie Nothomb pour la catastrophe, Marguerite Yourcenar ou Virginia Woolf (mais il est vrai que la sublime Virginia avait par avance cloué le bec aux bavardes qui nous faisaient la leçon. Il suffit de lire Une Chambre à soi, où elle place d'abord la question sur le plan économique, c'est-à-dire dans un cadre qui n'a rien d'abstrait et pseudo-philosophique).

    (3)"France-Inter : écoutez la différence", il y a quelques années.

    (4)Subversité de la langue. Le "plus" compris, selon l'envie, comme une négation ou une exagération.

    (5)Sans esprit partisan : on se demande comment Sarkozy a pu penser un seul instant faire campagne avec un porte-parole aussi insipide...

    (6)C'est sans doute en fonction de ce même paramètre que l'on est si indulgent avec Marisol Touraine, ministre de la santé, qui fut inexistante et silencieuse dans le désastreux épisode des pillules des troisième et quatrième générations. Elle était beaucoup plus en verve quand il s'agissait de se placer dès l'automne dans la course à la succession de Jean-Marc Ayrault...


    Photo : Renaud Allirand

  • C'était moins une...

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    Les aiguilles. La trotteuse. Le gardien de l'entrée. La porte. La pointeuse. L'horloge. Le clic. Le clac. Le cadran. L'horaire. L'encadrement. L'horreur.



    Photo : X

  • Henri Michaux, pour de vrai


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    Autre lutte, autre chant, pas moins vital que celui de Char, Michaux. À la pointe de ce qui se défait dans la langue, se délie et se délite, pour que ce soit à nous, en lecteur attentif, de rassembler les morceaux, d'établir les correspondances, de refaire du sens. On croit que c'est un jeu, et c'en est un, sérieux, très sérieux, et jubilatoire...


    LE GRAND COMBAT

    Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
    Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
    Il le pratèle et le libuque et lui baruffle les ouillais ;
    Il le tocarde et le marmine,
    Le manage rape à ri et ripe à ra.
    Enfin il l'écorcobalisse.
    L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
    C'en sera bientôt fini de lui ;
    Il se reprise et s'emmargine... mais en vain
    Le cerceau tombe qui a tant roulé.
    Abrah ! Abrah ! Abrah !
    Le pied a failli !
    Le bras a cassé !
    Le sang a coulé !
    Fouille, fouille, fouille
    Dans la marmite de son ventre est un grand secret
    Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
    On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
    Et vous regarde,
    On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.

    Qui je fus, 1927

  • Depluloin (qu'on s'en souvienne)

    Dominique Chaussois est mort. Son personnage, Depluloin, nous reste seul, et l'adresse de son blog, Jamais de la vie, est le dernier pied de nez qu'il nous envoie.

    Nous ne nous sommes jamais vus, jamais parlés. Tout juste avons-nous échangé quelques mails et plutôt que de broder, voici : à un remerciement d'avoir évoqué son si délicieux univers, je lui avais répondu ceci, le 27 décembre dernier : 

    Cher Dominique Chaussois,

    J'ai fait référence à votre blog parce que j'y trouve un "angle" sur le monde une "singularité" qui n'a rien à voir avec le commun "décalé" dont on nous rebat les oreilles. 
    Vous avez un sens de l'"anecdote" que je n'aurai jamais (c'est ainsi) et j'entends par "anecdote" le sens qu'il avait au XVIIe, d'"histoire secrète". Il y a dans vos billets un secret qui file son chemin. On croit que l'on va rire un peu (ou beaucoup), et il m'arrive de rire beaucoup, mais ce n'est pas le plus important. Le plus important est dans la simplicité d'exposition de ce qui ne va pas vraiment tout en ayant l'air d'aller. Et votre modestie dût-elle en souffrir, monsieur Depluloin (déjà ça, il fallait oser), je ne trouve que chez vous cette égratignure du presque-rien.

    Bien à vous.


    Dominique Chaussois avait un monde et une voix, comme on en croise très très peu dans la blogosphère. Ce n'est pas sa disparition qui me saisit (laissons à ses intimes ce chagrin qu'il ne faut pas galvauder...) mais la soudaine et étrange conscience que dorénavant ce territoire qui était le sien ne viendra plus marquer son encoche dans mon éphéméride, que son esprit subtil et facétieux n'ajoutera plus rien à ce qui est déjà.

    C'est aussi cela, le monde : une histoire de phrasé, de chemin de traverses, de détours. Un style. Des petits cailloux (ou des billes de verre) au fond de la poche, inestimables...

  • Parmi d'autres...

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    Il y avait, pour lui, une certaine sérénité à s'être rendu compte, au regard de cette contemporaine lubie de l'amour à tout prix, des sentiments en étendard, qu'il devait une belle part, et peut-être le meilleur de ce qui l'avait forgé, à ceux avec lesquels il n'avait eu que des liens raisonnés, raisonnables, institutionnels, un peu froids même, ou passagers, furtifs, comme des parenthèses.

    Ce n'était pas des figures qui l'étreignaient. Il en parlait peu, voire jamais. Elles n'avaient pas l'éclat des amantes ou les passions, vécues, parfois phantasmées en d'autres temps, enserrées dans une mythologie puérile. Les amours, les amitiés à la vie à la mort, les affections, électives ou non... Certes. Mais quid de celui qui, dans sa blouse grise, lui avait appris à lire et à écrire, de celui qui avait dit non,  posément, devant ses pensées échevelées, à l'emporte-pièce, de celui qui le laissa harassé d'une nuit de discussion dans un train (il est descendu en urgence et n'est plus qu'un prénom), de la vieille libraire qui, beauté du hasard, avait pensé à lui ce matin-là, en recevant le dernier Fuentes, de ceux qui ne lui avaient rien confié qu'un certain sourire ironique, dans un musée, devant la énième obscénité de Balthus (et ils voguèrent de salle en salle, sans rien dire ni se revoir), de cet autre qui jubilait en cépages, terroirs, robes, métaphores (tous les sens convoqués), lui donnant le goût du vin, du médecin de famille qui traitait si vite son allergie pour batailler une demi-heure sur la grandeur de Napoléon (Cette fois-là, il revenait juste de Sainte-Hélène), du vieux qui s'était assis sur le banc, à côté de lui, devant Santa Maria del Carmine, et lui avait dit, dans un phrasé cahotique (il comprenait un mot sur deux), l'histoire du bâtiment, sa propre histoire en fait, sa vie (sans outrepasser sa figure de paroissien. Était-il marié, veuf, célibataire ? Il parlait de Dieu.)...

    Quid de tous ceux dont nous croyions n'attendre rien de décisif et qui nous ont laissé, par le plus curieux des cheminements, parfois, ce que nous sommes...

    Photo : X

  • d'Outre-tombe, justement...

     

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    Considérant la nécessaire et urgente éradication de cette suprême hérésie libertaire qu'est le catholicisme, il faudrait toute affaire cessante que les Femen et leurs affidés gaucho-socialistes entrent dans les librairies hexagonales, aillent au rayon littérature française (1), se saisissent des exemplaires (tous, tous, absolument tous !) des Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. On y trouve en effet des pages écœurantes, d'une religiosité qui dépasse l'entendement. Une prose quasi apostolique qui révulse. 

    Ainsi les lignes qui suivent où l'affreux malouin évoque la flèche de l'église Saint-Vincent comme d'un phare dans la tempête. Devant une telle absurdité, l'autodafé s'impose, et vite. En attendant que l'on dresse des bûchers et que Chateaubriand ne finisse en cendres, place au génie chrétien de François-René (2)



    "Durant les jours de fête que je viens de rappeler, j'étais conduit en station avec mes sœurs aux divers sanctuaires de la ville, à la chapelle de Saint-Aaron, au couvent de la Victoire ; mon oreille était frappée de la douce voix de quelques femmes invisibles : l'harmonie de leurs cantiques se mêlait aux mugissements des flots. Lorsque, dans l'hiver, à l'heure du salut, la cathédrale se remplissait de la foule ; que de vieux matelots à genoux, de jeunes femmes et des enfants lisaient, avec de petites bougies, dans leurs Heures ; que la multitude, au moment de la bénédiction, répétait en chœur le Tantum ergo, que dans l'intervalle de ces chants, les rafales de Noël frôlaient les vitraux de la basilique, ébranlaient les voûtes de cette nef que fit résonner la mâle poitrine de Jacques Cartier et de Duguay-Trouin, j'éprouvais un sentiment extraordinaire de religion. Je n'avais pas besoin que la Villeneuve me dît de joindre les mains pour invoquer Dieu par tous les noms que ma mère m'avait appris ; je voyais les cieux ouverts, les anges offrant notre encens et nos vœux ; je courbais mon front : il n'était point encore chargé de ces ennuis qui pèsent si horriblement sur nous, qu'on est tenté de ne plus relever la tête lorsqu'on l'a inclinée au pied des autels.

    Tel marin, au sortir de ces pompes, s'embarquerait tout fortifié contre la nuit, tandis que tel autre rentrait au port en se dirigeant sur le dôme éclairé de l'église : ainsi la religion et les périls étaient continuellement en présence, et leurs images se présentaient inséparables à ma pensée. À peine étais-je né, que j'ouïs parler de mourir : le soir, un homme allait avec une sonnette de rue en rue, avertissant les chrétiens de prier pour un de leurs frères décédé. Presque tous les ans, des vaisseaux se perdaient sous mes yeux, et, lorsque je m'ébattais le long des grèves, la mer roulait à mes pieds les cadavres d'hommes étrangers, expirés loin de leur patrie. Madame de Chateaubriand me disait comme sainte Monique disait à son fils : Nihil longe est a Deo : "Rien n'est loin de Dieu." On avait confié mon éducation à la Providence : elle ne m'épargnait pas ses leçons."


    (1)déjà l'intitulé est douteux : "littérature française". Cela pue le nationalisme à cent mètres. C'est nationaliste, putride et facho. La désormais si magique "littérature-monde", voilà la vérité des temps futurs...

    (2)Mais il y aura bien un de ces multiples génies de la critique moderne (et postmoderne), tendance structuro-lacano-marxiste pour nous expliquer que l'énoncé "Chateaubriand est un écrivain chrétien" est une pure invention du lobby papal...


    Photo : X

  • Mozart, en ferveur...

    En matière de chant choral, je ne connais rien approchant ce qui suit, plus encore dans la version proposée. C'est Mozart, l'Introitus et le Kyrie du Requiem, ainsi que Karl Böhm et le Philarmonique de Vienne le magnifient. Quand d'autres y vont au galop (à la manière du si vanté Harnoncourt), Bohm délie avec mesure toute la grandeur spirituelle de cette musique. Le délicat Dominique Autié invoquait au sujet de cette version "la nécessité de la lenteur". Pour être pénétré de ce qui nous dépasse, croyant ou pas. Et se taire...


  • Le bon plaisir des uns...

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    Il y a quelque sublimité à voir les progressistes de gauche (pléonasme...) se tourner vers les conservateurs anglais pour justifier du bien fondé de leur loi du «mariage pour tous»... Il est très drôle (mais l'ironie n'est pas tant grinçante que funeste) de prendre modèle sur la modernité britannique en matière de mœurs, de contempler le Royaume-Uni comme la voie royale d'un progrès sociétal à même de rendre heureux les si multiples segments de la société. La paupérisation des classes laborieuses, l'horreur social si souvent rappelé par Ken Loach, le thatchérisme étendu au New Labour, le communautarisme terrifiant, cela donne envie, en effet, qu'on appelle Cameron et sa clique à la rescousse... Sauf à vouloir activer davantage la décomposition du monde, je ne vois pas...

    Car c'est bien là l'escroquerie ultime du mariage pour tous : il n'est qu'un élément supplémentaire d'une théorie marketing de la segmentation. La victoire apparente de la liberté à accorder à l'infini des droits, qui sont autant de possibilités de se soustraire à l'horizon commun, cette victoire n'est qu'un enterrement de première classe. En démultipliant les cellules de légitimité, en reconnaissant à l'infini ce droit d'être-soi, on délite la pensée sociale au profit (et l'expression est plus que jamais approprié) d'un nombrilisme qui veut à la fois démolir les institutions et les mots (1), qui veut se vivre soi, en dehors de toute allégeance, à l'exclusion de toute volonté dont il ne serait pas l'unique détenteur. C'est le bon plaisir du roi, l'accession, à l'ère pseudo-démocratique, d'une souveraineté individuelle qui ressemble à un rêve aristocratique.

    Il n'est pas étonnant que cette évolution soit portée par ceux, de droite et de gauche, placés sur l'échiquier politique selon les opportunités et les calculs stratégiques, qui n'ont in fine que les lois du marché comme référence. Dès lors, David Cameron devient, au nom de cette apparente défense des libertés, un homme dont on peut invoquer le courage et l'ouverture. Puisse-t-il se libérer rapidement pour venir battre le pavé parisien avec la tripotée de bobos gauchistes, de seins nus barbouillés des femen, de trotskos survivants et de libéraux open-mind. Je veux une photo : ce sera collector, comme on dit...

    Rappelons ce qu'écrivait Simondon, dans L'Individuation psychique et collective :

    «Une société dont le sens se perd parce que son action est impossible devient une communauté, et par conséquent se ferme, élabore des stéréotypes ; une société est une communauté en expansion, tandis qu'une communauté est une société devenue statique ; les communautés utilisent une pensée qui procède par inclusions et exclusions, genres et espèces ; une société utilise une pensée analogique au sens véritable du terme, et ne connaît pas seulement deux valeurs, mais une infinité continue de degrés de valeur, depuis le néant jusqu'au parfait, sans qu'il y ait opposition des catégories du bien et du mal, et des êtres bons et mauvais [...]»

    Il ne peut échapper que c'est bien ce glissement communautaire qu'on est en train de nous vendre, lequel glissement finira par être, en droit, le fer de lance de ceux qui n'ont pas la démocratie en héritage, ou qui voudrait en finir avec elle. Que l'on s'extasie tout à coup, à gauche, du miracle anglais (2), est une preuve supplémentaire que l'enjeu du mariage pour tous est d'une importance capitale. Cette loi est une bascule. Une bascule définitive dans l'horreur libérale. C'est bien pour cela, et les gauchistes n'en sont pas tous conscients (3), que l'invective est de mise, que la haine et l'outrecuidance des défenseurs de la loi sont portées à ce niveau, jusqu'à une cécité qui glace. Que les propos ahurissants d'un Pierre Bergé aient laissé de marbre les féministes (ou tout simplement les femmes) et les âmes bien nées de ceux qui sont évidemment de gauche (4) en dit long sur le terrorisme ambiant. Aller au bout, coûte que coûte... En appeler à la clairvoyance de Cameron, s'il le faut, à la retenue de Rajoy, à la démocratie argentine, fustiger le moindre catholique qui passe, se prendre pour un dreyfusard de la cause différentialiste face à d'obscènes réacs.

    Traiter l'opposant d'homophobe, de salaud d'homophobe, surtout, le nier, vouloir l'effacer du paysage, le reléguer... Et porter un tee-shirt avec la photo de Cameron, pourquoi pas ?

      

    (1)La dernière absurdité d'une élue socialiste en pointe sur l'affaire du mariage pour tous, de vouloir rebaptiser l'école maternelle, en est une preuve supplémentaire. Après la LTI dont parlait Viktor Klemperer, les errances de Nicolas Marr, les analyse de la LQR d'Eric Hazan, on continue : destructurer la langue, miner la sémantique, ruiner l'histoire...

    (2)Car on reluque aussi, en matière d'économie, vers la City et le gouvernement actuel se lance, avec le plus de discrétion possible, dans une politique de droite faisant singulièrement pâlir le conservatisme sarkozyen

    (3)Mais leur libertarisme bourgeois les y prépare pourtant. Il est «interdit d'interdire». Encore et toujours. 

    (4)Ou quand l'adverbe supposerait un excellence génétique cachée... Mais imaginons une seconde que ces propos eussent été tenus par un affreux réac et nous eussions eu des bataillons de révolutionnaires pour hurler au loup. Seulement, à ce point de décervelage, les femmes qui défendent le mariage pour tous ne sont même plus capables de relever l'insulte qu'on leur fait. Être gay friendly à tout prix, quitte à abandonner tout esprit critique...

     

  • La littérature dans le siècle (III) : extérieur

    faulkner-statue-on-the-square_flickr-user-stephen_from_1971.jpg

    -C'est qui ?

    -Je sais pas ?

    -Une célébrité du coin, à coup sûr...

    -On doit pouvoir trouver sur ton Smartphone.

    -Ben ouais. Je mets quoi ?

    -Heu... Oxford, Mississippi, stat... Pas la peine, c'est écrit ?

    -Faulkner, William Faulkner. Un écrivain. Jamais lu...

    -Il devait aimer les bancs...

    -Et fumer la pipe...