À mesure qu'on sophistiquait la violence, on affinait la diplomatie qui la rendait possible, joignant au mieux la parole et les actes.
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À mesure qu'on sophistiquait la violence, on affinait la diplomatie qui la rendait possible, joignant au mieux la parole et les actes.
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Places est un des plus beaux opus de Mehldau accompagné de Jorge Rossy et Larry Grenadier. Peut-être est-ce le fait d'avoir construit cet album autour d'une thématique à la fois unificatrice -transposer sur la portée l'esprit des lieux- et ouverte, tant la diversité des endroits évoqués est grande... Car il s'agit bien d'un imaginaire aléatoire qui peut réunir des lieux aussi étrangers les uns des autres que le sont Los Angeles, Madrid, Perugia ou Schloss Elmau, en Bavière.
Mais il y a chez ce pianiste une faculté à toucher ce qui lui est intime (d'une manière ou d'une autre, puisque tel ou tel endroit est choisi parmi les innombrables qu'il a pu connaître) tout en nous emportant dans une rêverie collective. Sur ce plan, la composition consacrée à Paris est saisissante. Le cheminement mélancolique, quasi début de siècle (le XXe, évidemment), est celui d'un matin silencieux, le lever du jour après une nuit blanche. Un hommage à Debussy, une traîne douce, et plus lointaine, de Chopin sans doute aussi. Il faut attendre que tout, dans le cœur, se remette en place. Les cafés un peu chic sont fermés ou presque. Reste une grande terrasse vide, où l'on sert un Armagnac qui vous servira de soleil, pendant que les nuages s'étirent. On s'amuse du va-et-vient qui papote crescendo. Un ami passe. Il surprend votre engourdissement, s'installe et vous raconte sa folle odyssée chez Marianne qui est complètement folle, mais si belle, si rousse, et elle vit, comme dans les romans, dans une chambre sous les toits, et même s'il a fallu déguerpir en quatrième vitesse, parce que son mec revient dans la matinée, et qu'elle redevenait sérieuse, il a ri, ri, en dévalant quatre à quatre les escaliers de la rue des Canettes, il en rit encore et vous riez avec lui...
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Est-il jamais allé, Ponge, comme vous, selon les bontés du temps, aux derniers jours d'août, ou début septembre, au recueil des mûres ?
Il en a fait de beaux encriers, de ces fruits, buissons typographiques, taches où il pointe sa plume de tous les mots décomposés. C'est la beauté spectrale du cheminement sémantique et tu aimerais le savourer, mais il y aurait à te délester des heures répétées à leur faire la chasse, à ces notes inégales sur la portée des ronces dont tu faisais ta manne, dans le sac plastique, gonflant trésor d'où tu dérobais, de ci de là, quelques pépites qui te salissaient les mains. Sa gourmandise ne peut être masquée : la mûre vous dénonce de son identité d'empreinte sanguine...
Les plus orgueilleuses se tenaient en hauteur, un peu loin du fossé, comme derrière un grillage. Les oiseaux leur feraient la fête, disais-tu.
Chacun se faisait honneur de revenir chargé, d'être une mule.
Il fallait les trier, voir, quand les contributions successives s'étalaient dans la bassine, s'il n'y avait pas quelque intrus, une pourriture subreptice. Tu apercevais alors des perles encore rouges, d'acidité immature. Il t'arrivait d'en manger une ou deux pendant la marche. Elles te faisaient grimacer. Puis c'était l'heure du chaudron d'émail jaune, aux deux oreilles enchiffonnées pour qu'on ne se brûlât pas. Et les fruits abandonnaient leur existence aux borborygmes de la cuisson. On pensait au quotidien d'un volcan, islandais ou indonésien, inoffensif pourtant.
Mais ce qui, par dessus tout, te fascinait allait venir. Elle avait tapissé la grande passoire d'un linge de coton fin. Elle en avait pour le jour cinq ou six, qu'elle jetterait ensuite. Elle versait deux ou trois louches, refermait le linge comme une bourse ancienne, le serrait, le tordait. Le sang, noir ou violacé presque, selon la clarté de la pièce, pissait dans la grande jatte, fuyait doucement. Puis elle recommençait, et son honneur était là : qu'on ne trouvât jamais le moindre grain croquant sous la dent, petit gravier qui aurait dénaturé la gelée.
Quand, ainsi, elle avait fait la provision des bonheurs d'hiver, pots datés qui ne pouvaient guère être de garde tant nous aimions ce reliquat d'acidité après le sucre qu'ils contenaient, nous pouvions repartir sur les chemins et nos cueillettes s'arrêtaient aux nécessités d'une tarte, d'un saladier de fromage blanc, d'une rigolade entre copains et, parfois, d'une délicatesse simple pour le sourire d'une fille. On ne prenait pas alors de la graine à raison, comme l'écrit Ponge : on sortait juste de l'enfance sans le savoir...
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J'aime la forme inexacte, à l'heure où se retire le soleil, du lac. Il n'a plus d'horizon, ne laisse plus l'illusion de la moindre rive. Pas un bateau pour en rayer le vernis, surtout de mon côté.
Les plantes aquatiques font de la marquetterie imprécise et les nuages sur la nappe qui reflète sont en partie brisés, mais ils passent.
J'attends. Je soigne de toute ma rigueur les ricochets qui ploquent.
Le lac s'enfonce, et s'il n'y avait, lointaine, très lointaine, à peine audible, la gorge enchantée de la cascade, je finirais par croire qu'ici tout s'est durci et n'est plus que goudron.
Et cette impression me donne dans les narines l'odeur du calfat que j'aimais tant, de ces navires aventureux, affairés et cordés, dont j'aurais voulu faire ma vie, mais c'est ainsi ; j'attendrai, je dors peu, que le jour revienne lentement et que le lac reprenne ses contours exacts.
Photo : Graciela Iturbide
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Marc Salet dessine. La couverture de cet opus donne une idée de son talent. C'est un ami. Grand est le plaisir d'avoir travaillé avec lui, malgré les aléas et la distance, parfois. L'enthousiasme de Roymodus a fait le reste. Le Crime de Lord Arthur Savile paraîtra à l'automne...
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"Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant" (Proust, Du côté de chez Swann)
Photo : Vincent Coutard
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Il s'est approché du micro. Il avait les yeux rougis par le chagrin. Il venait de perdre un ami de longue date. Il était effondré ; il s'y attendait mais ce n'est pas exactement attendre que cette chose immonde forcément triomphante. Alors le journaliste lui a demandé si l'heure n'était pas à se souvenir des bons moments. Il a eu l'air ahuri devant une telle ineptie. Que voulez-vous que je vous dise ? Par la réponse en forme de question, il bottait en touche. Il fuyait avec le tact nécessaire la grossièreté de l'interlocuteur et la profondeur de sa misère. Ainsi restait-il dans le jeu lissé que les médias organisent au décès d'une célébrité. Poser la question absurde : lui-même savait qu'il aurait pu être à sa place, de l'autre côté du micro. Il ne fait que son travail. Si c'en est un...
Photo : X...
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Ségolène Royal, que l'intelligence n'étouffe guère, et qui ignore, avec une souveraineté sidérante, la common decency, vient, dans l'épisode vaudevillesque des territoires charentais, d'ajouter une note supplémentaire au ridicule. On savait, depuis l'affaire des primaires socialistes, qu'elle était capable de toutes les manipulations. La plus grande d'entre elles consistait, défaite reconnue, à jouer la pauvre femme. Alors les larmes lui coulèrent, comme une de ces vierges magiques que la crédulité religieuse admire : battue, archi-battue, elle voulait alors que l'expression démocratique tournât à l'injustice majeure. Et pour cela, elle usa de ce subterfuge honteux de la féminité bafouée, de cet atour qui serait propre aux femmes : la sensibilité. Aux hommes la dureté impitoyable, aux femmes la délicatesse outragée. Peu importe que cela passât à la trappe la réalité historique et que ce fût une insulte aux femmes, si nombreuses, ne se reconnaissant pas dans ce stéréotype larmoyant. Il lui fallait bien cela pour masquer l'inanité de son discours.
Ses 6 % socialistes n'ont pas entamé sa vanité ni son insolence. Battue dans le pré rose, elle a eu l'ambition du perchoir, montrant par là même qu'en certains milieux la défaite ne comptait pas, qu'elle n'était pas qu'anecdote. Hélas un médiocre charentais, de son camp, vient de lui faire mordre la poussière. Plus cruel : la compagne de son ex la poignarde dans le dos. Elle qui a tant magouillé pour maintenir sa médiocrité à flot se voit reléguer dans la charette des has been.
Dès lors, comme à son habitude, il ne lui reste plus que la posture de l'indignation, et comme rien n'est pas jamais trop gros dans ce domaine, elle invoque non pas son statut politique mais sa situation particulière de mère. "Je demande le respect par rapport à une mère de famille dont les enfants entendent ce qui se dit..." déclare-t-elle le 14 juin. On cherche alors ce qu'il y a eu d'indécent dans les derniers jours, ce qui pourrait entacher l'honneur de la Vierge Marie-Ségolène. A-t-elle été attaquée dans ses mœurs, dans son honnêteté, dans son engagement ? On cherche et on ne trouve rien, sinon que le gueux Forlani a décidé de ne pas plier devant sa Majesté et que la nouvelle ne fait pas de cadeau à l'ancienne. Rien de quoi fouetter un chat, rien de quoi alarmer les féministes en chef ou les ligues de vertu...
Rien qui puisse donner le droit d'invoquer la préservation des enfants, de leur honneur. Rien qui puisse nécessiter qu'ils soient préserver...
surtout quand cette mère la vertu, moraliste et nombriliste, n'hésitait pas il y a vingt ans à faire la une de Paris-Match (quelle ironie...) à peine sa maternité accomplie...
En femme moderne, sans doute, efficace, les dents rayant le parquet, et ne se souciant guère du droit à l'image et à la discrétion d'un enfant qui, il est vrai, n'était pas capable de comprendre, instrument passif qu'il était, ce qu'il venait faire dans cette histoire.
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J'évoquais dimanche le mépris d'une certaine classe politique, celle qui, visible et outrecuidante de sa notoriété, se croyait le droit de tout. J'avais alors illustré ce que pouvait être, en l'espèce, la lâcheté d'un Juppé ou d'une Vallaud-Belkacem. J'avais moqué la faiblesse des sans-grade de la députation qui servaient de godillots à une nomenklatura parisienne et ministérielle.
La situation née de cette opposition radicale, entre une base que l'on traître comme des chiens (et à travers eux l'électorat à qui on demande surtout d'obéir plutôt que de voter en conscience) et une élite électorale se croyant tout permis, est magnifiquement illustrée par l'épisode rochelo-rhétais, dans lequel Ségolène Royal, parachutée méprisante et narcissique, se retrouve, pour un deuxième tour fratricide, face à un socialiste local. Il n'est pas question ici de se bercer d'illusions sur la force de l'inconnu qui, tout à coup, brave le pouvoir, de sonder les reins pour cerner ce qu'il y a là de courage politique ou de rancœur personnelle. Il ne s'agit pas de savoir s'il faut ou non éjecter tel ou tel du jeu politique. Ségolène Royal ne mérite pas en soi autant d'intérêt.
En revanche, la dialectique du national face au local s'y exprime en toute clarté. C'est d'ailleurs, entre parenthèses, ce qui explique l'échec prévisible et souhaitable du burlesque Mélenchon en territoire minier (1). Il faut en effet se demander quel sens ont les parachutages prétentieux, quand on nous vante la décentralisation, l'ouverture vers les solutions de terrain, et la connaissance des gens (les gens... quelle belle dénomination) pour pouvoir répondre à leurs problèmes et à leurs angoisses. Il est clair que les charentais n'ont pas voulu répondre au diktat parisien. Ils voulaient qu'un homme (ou une femme...) ayant un passé avec eux les représente. Ségolène Royal en doublant son déracinement opportuniste d'une ambition à la présidence de l'Assemblée Nationale (2) a aiguisé un désir certain. Non pas le désir d'avenir creux d'une nombriliste, mais le désir de reconnaissance d'un homme qui essaie d'œuvrer pour le pays (j'entends pays au sens local) dont il est issu. Sans qu'il y paraisse, le choix du second tour renvoie à une problématique bien plus large que le rejet ou non d'un ténor par un petit candidat. Il met en évidence l'aveuglement socialiste devant une inquiétude territorialisée, laquelle inquiétude nécessite, au-delà d'une projection nationale, une écoute locale dont rien ne garantit qu'elle puisse exister avec quelqu'un qui ne rêve que des ors les plus visibles de la République. Dans le fond, le sieur Falorni rappelle à sa manière qu'il ne peut y avoir de démocratie vivante (ou disons un peu moins asphyxiée) sans une inscription des élus dans tous les coins du territoire. Mais il est vrai que les chantres de la décentralisation, depuis Gaston Deferre, ont d'abord usé de ce discours pour établir des baronnies capables de satisfaire (ou calmer) des appétits locaux. N'empêche : on ne peut envisager une respiration démocratique véritable sans respect des anonymes...
On comprend l'embarras du parti socialiste. Que celle à qui on voulait offrir le perchoir soit effacée de la vie politique, cela fait désordre. Mais il y a plus : c'est clairement la question du rapport au territoire, de l'identité politique qui est posée. Faut-il alors penser qu'il y ait dans ce modeste du lieu un fond de souche que déteste tant le cosmopolitisme de gauche ? L'électeur de La Rochelle ou de l'île de Ré, en se refusant à Royal, rappelle, pour une fois, que la vanité ne peut servir de programme. Il apparaît trop souvent que les ambitions de quelques privilégiés de la mascarade politique n'ont nul frein et peuvent abaisser les humbles, qu'ils soient engagés ou simples votants, à n'être que soumis. Mais il arrive aussi (trop rarement) que la ficelle soit trop grosse, le mépris trop affiché, l'incohérence trop insupportable.
Si Ségolène Royal doit servir à quelque chose (et cela avant qu'elle ne se retire à l'île de Ré, par exemple, avec Jospin : ils pourront bavarder en faisant du vélo.), c'est bien de servir d'exemple. Elle peut être utile, c'est certain, car son élimination serait une manière, très réduite, je le concède, de revivifier la culture politique, même si je ne suis pas dupe, puisque Juppé, pour le citer à nouveau, est un Phénix magnifique : elle aura envie de revenir. Mais, au moins aura-t-elle été battue par quelqu'un de son camp, ce qui n'est pas rien. Si Ségolène Royal a encore une utilité (ce qui supposerait qu'elle en ait eu une), c'est de nous faire croire encore un peu que la politique n'est pas un jeu sans conséquences. Peu importe, pour le coup, et jusqu'à l'heure de son élection, que le sieur Falorni soit ce qu'il est. Dans le principe du respect de l'électeur, il faut le rappeler, tout ne se réduit pas à un choix entre la peste et le choléra...
(1)Petit prétentieux qui se targuait, devant des journalistes le 15 mars, de pouvoir être appelé dans 120 circonscriptions, et qui choisit, comme fait du prince, de défier Marion Le Pen, parce que cela aurait pu redorer son blason de présidentiel battu à plates coutures. Médiocre comme il est, il n'aura pas résisté à un quidam socialiste, ce qui n'est pas peu dire quand on connaît l'incurie de ce parti en ces terres populaires. Et de savoir que c'est un illustre inconnu qui fera mordre la poussière à la grande blonde n'est pas sans saveur, pour qui connaît, comme moi, la région. Les péquenots chtis, ceux que les fachos du PSG et les adorateurs de Danny Boon aiment tant moquer, n'ont pas voulu d'un sénateur révolutionnaire de pacotilles. Ils n'ont pas besoin de Zorro pour exister et c'est tout à leur honneur...
(2)Fruit d'un deal avec son ex, pour afficher son soutien au deuxième tour des primaires...
Photo : Justynne
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C'est en découvrant l'irrésistible et plaisant engouement de Solko pour la reine d'Angleterre que l'idée de ce billet m'est venu. Ou pour être plus exact : la surprise de trouver sur son blog une séquence consacrée à Paul MacCartney chantant Let it be. Mon esprit, sans doute un peu étroit, ne l'imaginait guère se délectant des accords simples (mais non dénués de douceur) de celui que cette chère Elisabeth a annobli.
Il fallait donc que ce cher Solko payât son tribut à l'une des deux figures majeures du groupe pop le plus fameux. Laissons de côté le débat pour savoir qui de Paul ou de John... pour un détour vers celui qui fut un temps l'adversaire de ces deux-là.
Un an avant Sergent Pepper's, Les Beach Boys de Brian Wilson commettaient Pet Sounds, et croyaient avoir une fois pour toutes pris le pouvoir. Peine perdue et Brian Wilson en fit une dépression sévère dont il se remit difficilement (1). Est-ce alors, pour panser une plaie ainsi béante, que sir Paul déclara un jour que God only knows était la plus belle chanson jamais écrite ? La ligne mélodique, l'orchestration et le jeu des chœurs lui donnent raison. Simple et imparable.
Peut-être n'y a-t-il pas plus belle preuve de cet état de fait que celle donnée par David Bowie en 1984, au milieu d'un album confondant de médiocrité intitulé Tonight. Tout est à jeter, sauf cette reprise, presque en crooner, avec des chœurs plus accentués encore dans le glamour. Autant le dire : un des meilleurs titres de sa carrière...
(1)Le magazine anglais Rolling Stones dans son classement des meilleurs albums de l'histoire de la pop les place respectivement premier et deuxième. MacCartney et Lennon ont gagné. Brian Wilson a-t-il pedu pour autant ?
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