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libéralisme - Page 4

  • L'Être au miroir

     

    Caravage, Narcisse, 1595, Palais Barberini, Rome

    Nous devons à Roger Lembrechet la mise au point (faut-il dire l'invention ?) du miroir moderne. Remercions-le, plus encore aujourd'hui qu'hier, puisque ce présent monde est absorbé à sa propre contemplation ; qu'il n'est de centre ville dévolu au commerce, aux boutiques qui ne soit une succession de miroirs, de glaces, de vitrines suffisamment belles pour que nous y contemplions notre finitude.

    Il est certain que c'est bien là un instrument de notre désir d'être et de reconnaissance (face aux autres et face à soi-même, mais en pensant d'abord que les autres ne sont que les figurants dans un espace central où nous nous tenons, en improbable existence). Nous avons donc fait de lui un élément dépassant largement le stade du miroir, et nous nous promenons désormais avec lui, et s'il n'est pas là (il reste malgré tout des murs, des surfaces qui ne nous réfléchissent pas), nous sommes en attente de lui, dans l'impatience d'une vérification rassurante. Nous voilà à l'ère du narcissisme outrancier, celle dont Christopher Lasch a si bien pourfendu la vanité (et la vanité, double, de ceux qui s'y soumettent désormais dans l'intégralité de l'être sans devenir).

    Et la glace (ou le miroir : usons, par commodité, indifféremment l'un et l'autre) a trouvé au XXe siècle son accomplissement dans cet endroit magique qu'est la salle de bain, oui, cet endroit où l'on a le droit, plus qu'ailleurs, de s'enfermer, et d'être à soi seul. Délectation princière du lieu par lequel débute maintenant l'artifice et la comédie. Nous nous y apprêtons, oubliant, ou faisant mine d'oublier, que cet isolement n'est que la coulisse d'un jeu épuisant, celui de notre apparition. Il aurait pu en être autrement si nous avions gardé en mémoire les leçons antiques du theatrum mundi, si nous (re)lisions Montaigne, lorsqu'il rappelle que «nos vacations sont farcesques» et que «du masque et de l’apparence il n’en faut pas faire une essence réelle, ny de l’étranger le propre». Avant que de se gausser, avec la même rigueur, de ceux «qui se prélatent jusques en leur garde-robe». Il eût été possible, plutôt que dans la divine recherche d'une perfection exposable (à réfléchir longuement sur notre corps et sur notre mise), de se voir justement dans les limites de cette corporalité qui n'est ni magie, ni indécence. Se regarder nu(e) ; non pas avec l'interrogation sur ce que sera l'après, lorsque nous nous serons vêtus et de nos habits, et de nos mimiques, et de nos stratégies, mis en vitrine, d'une certaine manière, mais avec la pleine conscience d'être un homme ou une femme, tout simplement.

    La glace aurait donc pu être ce compagnon de modestie grâce auquel, sans se mépriser, nous nous serions retrouvés avec notre humanité. Mais l'aspiration démocratique, doublée de l'idéologie libérale d'une estime aiguë de soi pour pouvoir faire son chemin, nous a convaincus qu'elle était une arme dont nous saurions nous servir pour être, enfin, tels qu'en nous-mêmes. Ainsi les progrès hygiéniques et les aménagements spatiaux de l'intimité vont-ils, par une suprême ironie, à contre-courant d'un possible approfondissement de la connaissance que les individus auraient d'eux-mêmes, connaissance qui commence, raisonnablement, par notre insignifiance dans le temps et dans l'espace. Ce choix qui n'a pas été fait, qui ne pouvait sans doute pas être fait collectivement, il est pourtant nécessaire de le faire individuellement, pour ne pas encourir la désillusion d'une décrépitude du corps ou le désastre d'une éviction de la scène sociale (mais l'une ne serait que la préfiguration de l'autre). Car, derrière tout cela, il y a effectivement le risque, à long terme, d'une socialité exsangue et d'un désarroi individuel. Il n'est d'ailleurs pas sûr que ce phénomène ne soit pas déjà engagé...

    Nous ne pouvons pas à la fois fustiger la prétention rageuse de pouvoirs politico-médiatiques (quand il nous faut mettre dans la même engeance ridicule les gouvernants et les people) et croire nous-mêmes que le monde ne pourrait pas se passer de nous regarder, qu'il est même indispensable qu'il nous regarde, nous, oui, nous, qui nous regardons si complaisamment (et complaisance il y a jusque dans les reproches que nous nous adressons, parce qu'il s'agit bien de rattraper l'affaire, reproches que nous nous faisons par orgueil, de ne pas plaire, peut-être) le matin, devant la glace.

  • La guerre plutôt que la guerilla

    Ainsi l'heure est-elle grave ! Depuis le début de la semaine, tout irait à vau l'eau si les autorités gouvernementales (1) ne veillaient au grain, faisant montre d'un sang-froid et d'une détermination dont il est bien sûr le premier à faire la publicité, rejoint par les gens de bonne foi. Il faut reconnaître que le système discursif des instances dirigeantes est particulièrement rôdé. Pendant que les ministes et autres caciques de l'UMP dénoncent avec une certaine retenue les exactions pour souligner qu'il n'est pas dans ses intentions de faire l'amalgame entre la jeunesse lycéenne dans son ensemble et de petites bandes organisées s'infiltrant pour casser et piller, les relais médiatiques, à coup d'images spectaculaires et de commentaires hyperboliques, nous suggèrent que les débordements sont d'une extrême violence, qu'ils transforment Nanterre (un peu) et le centre de Lyon (surtout... Pour une fois le provincial pique la vedette au parisien...) en zone de quasi non-droit. Ce ne sont plus des agitations bon enfant, des frictions, mais une guerilla urbaine se développant dans un climat insurrectionnel.

    Des journalistes assument donc un rôle que je qualifierai de « maternel » : ils chargent la barque affective d'un surplus d'inquiétude où semble se jouer l'avenir de la nation. L'oikos est péril, la maison en feu. À ce titre on ne dira jamais assez combien les brumes lacrymogènes sur la place Bellecour ont dû affoler la bien-pensance de gauche comme de droite qui nourrit facilement son fantasme du chaos comme elle le fait en se délectant des émissions de plus en plus nombreuses sur les tueurs (en série ou non). Le monde n'est plus sûr. La lacrymo n'est que le signe précurseur d'un territoire promis à la destruction si l'on n'y prend pas garde.

    Ce point est d'autant plus terrifiant que pour la plupart les meneurs viennent de la banlieue honnie, de ce no man's land politique que la droite n'a jamais considéré autrement qu'en nid d'agités incultes, que la gauche a flatté pour des visées électoralistes sans jamais avoir su/voulu mener une vraie réforme structurelle (2). Il s'agit bien de territorialiser l'affrontement pour qu'il produise un maximum d'effet. Effet à double détente : d'abord mettre l'honnête citoyen, le quidam centre ville dans une posture de victime innocente (3) et lui faire sentir que l'État est un besoin, l'État policier, capable de quadriller un secteur avec efficacité et intelligence ; ensuite, laisser entendre, par l'origine banlieusarde des anti-républicains qui font du jet de poubelles et du fracas d'Abribus un mode d'expression, ceux-ci, il suffit de les repousser dans leurs territoires de relégation pour que tout revienne dans l'ordre. C'est dans le fond adapter à l'organisation civile la pensée la plus ultra-libérale qui juge de l'intérêt moral de la pauvreté comme un garde-fou aux relâches des efforts nécessaires au bon fonctionnement de la société. L'État, c'est ici le Père, la Loi du Père. On saisit assez bien le mouvement de balancier : l'État, via les médias inféodés, annonce la montée des eaux et suggère immédiatement après le temps de la décrue. Il n'y a plus qu'à attendre.

    Pour cette fois, nulle besoin d'émeutes répétées en divers points de la nation. La place Bellecour (il est vrai la plus grande place fermée d'Europe. Prestige provincial...) aura été le catalyseur d'une analyse politique réduite à des montages scéniques assez minables. Unité de lieu, unité de temps, unité d'action. Les topoï du tragique. Et c'est en effet tragique et sinistre de nous faire croire que notre démocratie pourrait s'effondrer sous les coups de trois cents jeunes masqués (je sais que ce sont les minorités qui font l'histoire, mais là, c'est risible).

    Face à la répression, certains rêvent que d'un tel mouvement sorte une révolution, que des poubelles brûlées et des vitrines brisées naissent un ordre nouveau. On entend quelques voix, toujours les mêmes, nous promettant le grand soir. Ils ont la mémoire courte et oublient que de mai 68 est sortie la chambre la plus à droite qui fût sous la Ve République ; que les mouvements les plus radicaux de cette époque-là (de la Fraction Armée Rouge allemande aux Brigades rouges italiennes) commencèrent petitement certes (Andréas Baader débuta par brûler un supermarché) mais leurs actions furent des moyens de manipulations (et d'eux-mêmes et de l'opinion) par les autorités arguant de la sécurité nationale (4) ; que les pensées les plus rétrogrades et les plus fascisantes attendent de rafler la mise.

    Alors, guerilla ? Cela sent bon la nostalgie guevariste. À défaut d'idéologie construite on pourra en faire des tee-shirts. En attendant la jeunesse devrait se remettre à bosser parce que comme l'a dit l'UMP Bernard Debré on s'étonne qu'ils perdent leur temps à jouer au chat et à la souris avec les forces de police, quand leurs congénères du monde entier prennent leur part dans, je cite, «la guerre économique» mondiale.

    Oui, la guerre ! Pas la guerilla, la guerre ! Celle qui est légitime, qui est le fondement même de notre développement, celle qui ne casse rien, ne brise rien, n'écrase personne. Sauf, peut-être, les travailleurs du monde entier qu'on exploite : le Chinois, l'Indien, l'Argentin ruiné par le FMI, le Roumain, le Français à qui on propose de se délocaliser en Tchékie ou aux Philippines... Bref, des gens de peu.

     

    (1)On pourra trouver une certaine redondance dans l'expression et ce n'est pas faux. Mais l'effet stylistique aussi médiocre soit-il se voudrait l'écho linguistique de l'objet tout aussi médiocre qu'il désigne.

    (2)Il est vrai que défendre les pauvres, les déclassés, les émigrés, n'implique pas qu'on partage leur quotidien. Jack Lang, qui aime tant la jeunesse de la grande couronne, vit place des Vosges...

    (3)Cette formule, elle, n'est pas de mon fait. Elle refleurit à tous les micros de ceux qui ont choisi le pathos comme seule catégorisation intellectuelle. N'étant jamais sûrs que leur message passera, il préfère assurer leurs arrières.

    (4)L'exemple canonique étant en la matière l'affaire Aldo Moro en 1978 (voir Leonardo Sciascia, L'Affaire Moro)

                                     

     



     

  • L'État privatisé

    Pour comprendre la catastrophe dans laquelle nous ont mis les institutions bancaires et la faiblesse politique des gouvernants, les vingt premières minutes de l'interview de Jacques Généreux dans Parlons Net suffisent. Il définit avec beaucoup de clarté comment les dirigeants des états ont permis aux financiers et aux spéculateurs de jouer sans risques et de gagner toujours.

     


  • Pauvre Belgique

    Ainsi les Belges se résolvent-ils lentement à voir disparaître leur pays... Cela ne nous concernerait guère en l'espèce, sinon que devant autant de bêtise, on n'a moins de scrupules à relire le Baudelaire de La Belgique déshabillée où l'on trouve de tant de méchancetés. Méchancetés qui, à un siècle et demi de distance, sonnent joliment comme des vérités contemporaines. «Il n'y a pas de peuple Belge [sic] proprement dit. Il y a des races ennemies et des villes ennemies. Voyez Anvers. La Belgique, arlequin diplomatique». C'est peut-être dur mais ces observations reflètent d'une certaine manière l'artificialité constitutive du pays.

    Ceci étant, il reste que le temps n'aura donc pas fait son office et que ce pays n'aura jamais su trouver sa place à l'intérieur même du territoire qui lui fut dévolu. Il n'aura servi, depuis quelques décennies, qu'à symboliser, à travers une métonymique capitale (Bruxelles pour désigner l'Union Européenne, la politique de Bruxelles -ce qui est fort drôle quand l'autorité belge elle-même se délitait), un pouvoir européen, une technocratie liberticide qui a justement comme objectif secret de décomposer les États, d'abolir les frontières, parce qu'ils sont des freins aux lois du marché.

    Le plus singulier est de voir que cette lente déréliction politique trouve aujourd'hui son arme efficace dans un nationalisme flamand qui n'est pas sans rappeler les velléités séparatistes de la Ligue du Nord italienne. Du côté flamand, on agite les revendications identitaires et les prérogatives linguistiques pour demander son émancipation. Il est vrai que cette partie du territoire belge brille particulièrement par son aura culturel ! Il ne faut pas s'y tromper. Ce sont des impératifs économiques, des refus de mise en commun, qui motivent une telle aspiration. La richesse flamande ne veut plus payer pour la pauvreté wallonne, de même que les Milanais ou les Florentins (du moins certains d'entre eux) ne veulent plus des prétendus fainéants Siciliens ou Calabrais... Cela ressemble fort à du séparatisme fiscal.

    Il y a donc une inflexion sensible d'une certaine orientation nationaliste vers des intérêts qui font le jeu des doctrines ultra-libérales. Loin de se penser en pays, en territoire, en communauté sur lesquels ils pourraient vouloir imprimer leur marque, une frange nationalo-économique aspire à l'indépendance selon le principe étriqué et en soi peu politique d'une évaluation des coûts et des profits. On se doutait bien de cette évolution, lorsqu'on examinait les choix fort libéraux du Front National en France. Le paradoxe est là : des nationalistes qui n'aiment pas leur pays, l'histoire de leur pays, mais eux-mêmes, rien qu'eux-mêmes, dans une sorte de projection narcissique délirante.

    Le plus inquiétant est évidemment que ce phénomène prenne de l'ampleur, qu'il ne soit pas facilité par l'idéologie différentialiste. Il n'y a peut-être pas si loin d'un slogan comme La Flandre aux Flamands (mais vous pouvez remplacer ces deux mots par quantité d'autres) à celui-ci : La richesse aux plus riches.




     

  • Produits dérivés (groupe nominal)

    Commençons par préciser qu'il ne faut pas entendre ces termes autrement que dans un sens «clos», se suffisant à eux-mêmes (et non selon un principe qui nécessiterait un complément : le gasoil est un produit dérivé du pétrole brut, par exemple). Or, ceux-ci se trouvent dans deux domaines différents et pourtant complémentaires, en signes-reflets de l'époque actuelle.

    Produit dérivé 1 : dans la finance, il s'agit à l'origine d'un système de couverture, pour garantir les risques sur des opérations précises (notamment commerciales). Ce principe s'est fort complexifié durant les années 1980 et il n'est pas facile d'en comprendre tous les mécanismes. L'essentiel n'est d'ailleurs pas là. Ce qu'il faut retenir, c'est que, dans cette logique de sécurisation des mises et de pari sur les profits à venir, le produit dérivé est, d'une certaine manière, l'élément symbolique d'une explosion de la posture spéculative, c'est-à-dire l'avènement de cette autre économie, virtuelle, qui, devant l'ampleur qu'elle prenait et les dégâts qu'elle allait engendrer (on en voit l'effet avec les subprimes, etc.), a fait dire à certains, y compris des politiques, qu'une partie des opérations financières étaient déconnectées de l'économie réelle (il suffit de voir l'effondrement de l'Islande pour s'en convaincre).

    Produit dérivé 2 : dans le commerce, et en particulier, dans ce qui touche ce qu'on appelle aujourd'hui les industries culturelles et le sport, les années 80 ont vu exploser la production de biens que l'on pouvait rattache à un film, à une série, à un club : figurines, jeux vidéos, livres, maillots, etc. Il est même devenu clair que c'était là un moyen de rentabiliser les affaires, de créer des consommateurs captifs (à commencer par les enfants). Ces produits dérivés sont renouvelés autant que faire ce peut afin de garantir un flux commercial et financier, avec des gains non négligeables (C'est pour cela, par exemple, que les clubs changent, même si cela tient parfois au détail, le design de leur maillot. Vous n'avez plus qu'à l'acheter pour ne pas passer pour un has-been...).


    Ces deux nominations, aussi éloignées soient-elles dans l'objet qu'elles définissent, renvoient néanmoins à un principe commun caractéristique de notre société. Il n'est rien dont on ne puisse faire de l'argent : que ce soit du virtuel ou du jeu (mais le jeu tourne de plus en plus au virtuel). Plus rien n'est gratuit, tout se paie, tout est monnayable. Quand, évidemment, nous nous en tenons à un simple écho sémantique, nous ne pouvons pas ne pas entendre la dérive, derrière tout cela, le glissement progressif vers un abîme, un inconnu déshumanisé et comptable. Ce n'est même plus la main invisible d'Adam Smith mais l'ouverture vers un infini dans lequel les besoins vitaux des individus sont engloutis par les paris monstrueux et les illusions d'une appartenance fictive et monétarisée. Cette dérive-là a un coût : celle d'une misère proche (la précarité nouvelle des travailleurs, la misère des SDF, etc.) et lointaine (les demi-esclaves de l'industrie textile, les citoyens vivant avec un dollar par jour dans un pays dont la manne pétrolière est colossale, etc.). Le libéralisme est effectivement une dérive, soit : une mise à mort du plus grand nombre et l'illusion provisoire pour ceux qui s'en sortent.

     

  • Brett Easton Ellis, violence majeure

     

    En 1991, Brett Easton Ellis répond favorablement à une commande éditoriale pour un roman qui aura comme figure centrale un psychopathe tueur en série. L'écrivain américain bénéficie d'un à valoir non négligeable. Personne ne doute qu'il offrira une œuvre sensationnelle et sulfureuse, dans la lignée du célèbre et décapant Moins que zéro. Le manuscrit qui en résulte sidère, mais d'une manière si inattendue que l'éditeur, Simon et Schuster, renonce à la publication sans pour autant revenir sur les termes financiers du contrat. Le roman sera finalement publié par Knopf et provoque le scandale.

    Les raisons de cette étrange aventure ne tiennent pas seulement dans les pages sanglantes développant par le menu les pratiques du héros. Celles-là sont certes parfois pénibles à lire (et ne constituent nullement le tour de force de l'œuvre) mais au pays des films gore, de Massacre à la tronçonneuse ou La Nuit des morts-vivants, l'argumentaire construit autour des scènes de torture ne convainc pas. Plus crédible serait la fixation sur certains passages sexuels (parce que d'érotisme, dans ces pages, il n'y faut pas compter) en pleine révolution conservatrice. Il est certain que le puritanisme s'accommode mal de la vie dissolue du héros. Pourtant, là encore, la vigueur des réactions, dans un pays produisant du porno en quantité industrielle, ne peut trouver là sa seule raison d'être.

    American Psycho porte la menace ailleurs et l'écrivain, comme rarement, centre la fiction, d'une façon oblique (ce qui le dégage des pénibles démonstrations de la littérature engagée) mais décisive, sur les valeurs hissées en porte-drapeau d'un modèle qui aurait vocation à l'universalité.

    Première bombe : le héros s'appelle Patrick Bateman. Presque Batman. On y pense, forcément. L'homme chauve-souris, redresseur de torts. Mais ce Bat(e)man n'a pas la fibre philanthropique. C'est un yuppie de la finance ; il travaille à Wall Street, au cœur même du système que les Américains vénèrent, dussent-ils en occulter tous les errements et les catastrophes. Bateman est l'homme emblématique de la réussite intégrée dans le système. Il est le système. Ellis a choisi la conformité sociale en arrière-plan fictionnel pour travailler sur l'absolu du mal individuel : la psychopathologie criminelle (1). Alors même que la société, qui ne peut ignorer cette réalité, désire la cantonner à la marginalité (sociale, politique, voire ethnique), borne rassurante des destins immaculés, Ellis lui impose de se tourner vers l'invisible du conforme, le dissimulé du brillant. Bateman n'est peut-être pas un homme comme les autres, mais en attendant il a les apparences pour lui. Plus encore : il est ce que le modèle américain promeut. Il est ce qu'outre-Atlantique on regarde, on veut regarder, on veut imiter. Cette tentation mimétique est le nœud le plus inquiétant de l'organisation puisqu'elle se fixe sur une métastase, pour métaphoriser, qui alerte sur la santé même du corps social en son entier.

    Deuxième bombe : la structuration de l'appareil fictionnel. Il faudra attendre longtemps avant que de voir le héros en action, et que la violence n'apparaisse au grand jour. Auparavant, Ellis va, comme on dit, camper le personnage, nous en donner l'architecture mentale. Non pas en cultivant les signes très visibles annonciateurs d'un désordre effrayant mais en poussant à son paroxysme la tension maniaque d'une intégration des valeurs établies comme soubassement d'une politique de l'individu américain. Patrick Bateman est, dans son genre, un perfectionniste, habité par l'impératif hygiéniste d'une société aseptisée. C'est donc dans le quotidien, dans les interstices d'un polissage du monde qu'il faut pressentir le chaos. La pourriture et le déchet ne sont pas au rendez-vous, ni le glauque ou l'incertain, mais le pur effroi de la netteté. Les descriptions de l'intérieur batemanien, le souci de soi, avec l'interminable et fascinante étude de la toilette du matin, comme un protocole immuable, ou les questions d'habillement, sont une sorte de discours de la méthode qui, effet d'accumulation oblige, oppresse le lecteur. Celui-ci est contraint de regarder cette mythologie irréductible, à ce point, au seul contentement égocentrique. Ellis passe en revue l'intimité froide d'un esprit-scalpel devant lequel, avant même de comprendre que le personnage maîtrise effectivement un certain art de la découpe, il reste pétrifié. Sa manie d'appréhender chaque altérité à travers les signes économiques de la représentation (c'est la litanie des marques : non pas une veste, mais une Armani, non pas une chemise, mais une Ralph Lauren, non pas une cravate mais une Versace), de la détailler dans une logique quasi médicale en est l'exemple le plus symbolique. À l'unité de l'individu, c'est-à-dire : ce qui n'est pas divisé/divisable, Ellis substitue le démembrable assuré par l'œil inquisiteur. L'auteur ne fait là qu'anticiper (le livre a déjà près de vingt ans) la cruauté contemporaine de l'homme réduit à l'indiciel économique.

    Troisième bombe : si on revient au choix initial de l'auteur : le héros socialement conforme, instance exemplaire de la réussite, cette détermination est à mettre en corrélation avec la double singularité de son destin criminel. Il est invisible et impuni. L'invisibilité ne répond pas seulement à une nécessité romanesque (ménager le suspense, faire durer...). Elle est l'occasion de mesurer que les traits de violence contenue qui traversent Bateman ne peuvent être vus par son entourage. Ses proches, bien que le mot ne convienne guère, sont eux-mêmes si imprégnés de l'ordre établi, si reconnaissants d'un société fixée sur le curseur de la lutte individuelle que nul pressentiment n'est possible. Et ceux qui serviront de victimes en seront comme étonnés. Mais, nous, lecteurs, ne pouvons jamais tomber dans la compassion parce qu'Ellis prend soin de ne pas altérer leur soif de pouvoir et leur avidité de plaisir. On en vient progressivement à penser que Bateman n'est pas pas une exception. Il est la forme ultime, la forme optimisée d'une aspiration destructrice. Dès lors, son impunité n'est pas une pirouette pour éviter le topos très américain du coupable châtié ; elle signe l'aveuglement collectif ouvert sur une apocalypse articulée autour d'un modèle sociétal.

    A ce niveau, le roman de Brett Easton Ellis, nonobstant son essoufflement dramatique, ses longueurs, ses répétitions, est une grande œuvre, politique, à mille lieues du livre de genre.


    Brett Easton Ellis, American Psycho, (1991, en français 1992)


    (1)Car l'absolu du mal collectif est évidemment d'une autre nature.


     

  • Times Square, disneyfication

    Pulsion scopique maximale. Pulvérisation de couleurs et de signes qui courent sur toutes les surfaces. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le voir, oui. Y être allé, oui. Mais n'en être jamais. Jamais.

     

  • Exilé (substantif)

    Au début, lorsqu'on rencontre ce mot sur le site du Monde, on croit à un effet de style, voire à une marque idéologique, une manière de protestation ironique. Mais quand on le retrouve sur celui du Figaro, il n'est plus possible de s'en tenir à cette seule explication et il faut admettre que l'on vient de découvrir une nouvelle acception d'un mot qui, jusqu'alors, vous semblait assez clair. On ne sait pas quand il est apparu, ni qui en est en quelque sorte l'origine. Le monde des affaires ? L'administration ? Peu importe. L'essentiel est qu'il soit là, désormais, dans le paysage.

    Cette semaine, j'ai donc appris que le nombre d'exilés fiscaux s'était accru en 2008. Exilés. Il y a bien des années, il était courant de parle d'évasion fiscale, en fustigeant ceux qui, hors de toutes considérations communes, décidaient de préserver leur capital dans des endroits plus appropriés. L'expression certes criminalisait l'action, quand bien même la modicité des contrôles et la limite des moyens alloués aux autorités compétentes laissaient planer le doute sur la volonté politique de juguler le phénomène. Et ce n'est pas l'évolution vers une Europe axée sur la fluidité des transferts monétaires qui allait arranger la situation.

    C'est sans doute cette criminalisation de l'acte qui devait heurter. En ces temps d'euphémisation linguistique, il fallait assouplir les dénominations et si les femmes de ménage sont devenues des techniciennes de surface, les aveugles des non-voyants, il était logique que la finance bénéficiât elle aussi d'une compensation, en l'état : une indulgence sémantique. Certes, les présupposés de l'expression évasion fiscale renvoyaient à la représentation du territoire national, et incidemment de l'entité politique qui s'y rattache, comme prison, ce qui n'était guère flatteur. Nous apprenions ainsi qu'il y avait des raisons de fuir au regard d'un système entravant les libertés. Cependant, comme tout évadé, l'évadé fiscal pouvait aussi assumer une part de culpabilité, car, c'est bien connu, celui qui s'évade est d'abord un incarcéré et tout incarcéré doit avoir quelque part une chose à se reprocher. L'histoire classique de la fumée et du feu...

    Néanmoins, la dénomination présente oblige à inverser la tendance et ce, sous deux rapports. De l'évasion fiscale à l'exilé fiscal, on glisse du fait à l'agent, c'est-à-dire qu'on humanise la réalité. Ce qui n'était alors qu'une valise passée en douce, un trafic d'écritures, devient un être de chair, avec une vie, des sentiments, une famille etc. Plus encore : l'exil est un acte subi et peu importe qu'il procède d'une volonté propre ou d'une contrainte. Ne s'exile que celui qui ne pouvait pas faire autrement. Les raisons peuvent être objectives ou subjectives : tout cela est secondaire. Prime la souffrance sourde de l'être coupé de son monde. Apprendre que la France produit (?) de l'exilé fiscal revient à en faire une terre liberticide, à poser l'impôt comme une injustice (1). Ainsi des milliers de Français partent-ils, à l'aventure (?), faire fructifier ailleurs leurs intérêts, trouvant des cieux plus cléments. Je me souviens pourtant d'une étude plaçant la France parmi les pays les attrayants. Ce n'est pas suffisant. Il y a des gens qui souffrent que nous ne soyons pas dans la même veine que la tradition libérale dure où chacun se débrouille en conservant pour soi le maximum des fruis de son travail. Voilà les causes de l'exil. Des individus abandonnant une patrie qui les a financièrement trahis. Exilés en Suisse, en Angleterre, en Belgique ou ailleurs. Exilés comme des Cubains fuyant Castro ? Il est sinistrement comique que cette annonce se fasse alors même que le pouvoir a axé sa politique sur une reprise en main de la fiscalité en faveur du capital, sinistrement comique que l'on continue à fuir au temps du bouclier fiscal (2).

    Tout à ma mesquinerie sémantique, j'en étais resté à une conception plus classique. L'exilé était un individu qui avait fui une oppression objective, ou bien un relégué qu'un pouvoir violent avait renié. Cela remontait à loin, si l'on pense à Ovide envoyé au bord de la Mer Noire, ce qui nous vaudra de lire Les Tristes. Je pense à Voltaire, à Hugo, à Zola, à Joseph Roth, à Zweig, à Kadaré, Gao Xingjian. La liste est infinie. À ceux qui penseraient que j'ergote, je réponds simplement que l'on choisit ses héros, ses références, ses modèles à l'aune des valeurs que l'on veut promouvoir (3).

    (1)Ne parle-t-on pas de la pression fiscale ?

    (2)L'expression guerrière et défensive en dit long sur la nécessité qu'il y a de protéger les hauts revenus. On comprend que la vie est un combat...

    (3)Question subsidiaire : ces exilés continuent-ils de voter ?

     

  • Historique (adjectif)

     

    Le problèmes de l'Histoire tient à ce que, par définition, elle considère le passé au détriment du présent. Cela revient à instituer une instance complémentaire à ce présent. La société bourgeoise, dès le XVIIe siècle, par les prémices de l'archéologie et de la logique muséale a beaucoup œuvré pour cette inscription des temps anciens dans la mémoire collective. Ce n'était pas seulement, d'aileurs, à des seules fins de délectation esthétique ; il y avait aussi, par ce biais, l'établissement définitif de la nouvelle classe dominante et une démarche de différenciation (la fameuse distinction bourdieusienne et les futurs effets du capital culturel).

    Ce rapport au passé a perduré tant que demeuraient dans le capitalisme relativement ordonné et contraint la nécessité des cadres nationaux et le besoin, notamment face au danger communiste, d'un ancrage culturel relativement stable. Mais ce temps est révolu. Il faut désormais faire autrement, s'affranchir des contraintes territoriales. Tel est l'enjeu secret auquel s'attaquent les think tanks de toute espèces : de la Trilatérale aux Bilderbergers. Abolir les nations, les frontières.

    Or, l'évolution des questions territoriales a une incidence sur la représentation du temps. Les principes du libéralisme (néo ou pas) ne sont nullement en contradiction avec les transformations mentales nées de ce qu'on appelle le postmodernisme, et notamment sa composante narcissique, ainsi que l'ont analysée des auteurs comme Christopher Lasch (La Culture du narcissisme - La vie américaine à un âge de déclin des espérances, ou Le moi assiégé) et Fredric Jameson (Le postmodernisme ou la loigique du capitalisme tardif). Et celle-ci est indéniablement réfractaire à l'Histoire.

    Il suffit pour s'en convaincre d'observer la manière dont on a attaqué l'enseignement de cette matière, les découpages hasardeux et incohérents permettant de rendre incompréhensibles toute vision globale du passé. Les résultats sont assez magnifiques si l'on considère l'inculture abyssale de la jeunesse française. Celle-ci a mise en pratique une logique de la tabula rasa assez magistrale (façon de parler). Le vieux, l'ancien commence à ce qui dépasse sa petite existence. Ce n'est là qu'un des effets d'une volonté politique et d'une évolution culturelle qui ont été mainte fois et brillamment analysées. On relira des auteurs aussi différents que les membres de l'École de Francfort, Hannah Arendt, les situationnistes ou Marc Fumaroli (ce qui, au passage, recouvre un éventail politique assez éclectique, pour le moins).

    Je m'en tiendrai très humblement à commenter l'adjectif historique. Dans une première acception : ce qui relève de l'Histoire. Mais, dans un sens amoindri : ce qui est marquant, ce qui fait date. Et nul ne peut ignorer que nous vivons dans une époque où cette seconde lecture a pris une place phénoménale. Tout moment, tout événement devient historique. Ainsi entend-on que le dollar atteint son plancher historique de l'année, que la gauche, pour telle élection, fait un gain historique (qui sera balayé dans les quatre, cinq ou six ans qui suivent). Le postmodernisme invente donc l'immédiateté historique (bel oxymore) à l'aune d'une société de l'information privilégiant l'instantané, le direct, le vécu. Car derrière cette dérive se cache la volonté d'animer nos existences figées par des décisions de plus en plus obscures d'un semblant d'agitation. Une sorte de théâtralisation du monde pour combler l'ennui et la fatigue de soi (pour citer le remarquable livre d'Alain Erhenberg) qui nous habitent. Il faut nous distraire et créer l'événement, nous faire croire que l'aventure est à chaque coin de l'écran, car l'historique est essentiellement une catégorie médiatique. Il est la mise en scène d'une Histoire où, spectateurs, on transforme pour nous le moindre fait en émotion. Parce que, évidemment, l'historique ne recouvre plus une catégorisation intellectuelle : il est instantané et live. Il est avant tout une notion compensatoire, l'effet placebo d'une déréliction insondable.

    C'est pour cette raison que son aire de prédilection est le sport, puisque celui-ci, dont la diffusion occupe un volume horaire de plus en plus important, est une sorte de baromètre de la sociabilité, la borne sans cesse réactualisable d'une jouissance promise. Pas une médaille, pas une victoire qui ne deviennent un instant à vivre, un opium neutralisant les incertitudes et les angoisses. Pas une aventure physique qui ne soit une forme d'accomplissement collectif, reléguant la nouvelle de la veille à sa propre inanité. Les commentateurs sportifs (on ne peut quand même pas leur affubler le masque du journalisme, lui-même déjà bien ridicule) manient l'hyperbole avec une maestria qui tourne à la caricature. Ils veulent nous faire vivre, puisque beaucoup vivent si peu (confinés dans une stratégie de procuration ou écrasés par sa violence). Peut-on alors trouver meilleure illustration de cette confusion des temps, de cet écrasement des mondes vers le rien que cette image projetée, le soir de la victoire française en Coupe du Monde, de Zidane sur l'Arc de Triomphe, comme s'il fallait en effacer la matérialité, la monumentalité... Abolition absolue de notre Histoire devant l'icône dérisoire d'une liesse sans lendemain possible.

     

  • Otage (substantif)

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    Nous sommes une société sans guerre, du moins sur notre territoire (quant à ce que nous faisons ailleurs, c'est une autre histoire). Il en est d'ailleurs de même dans les espaces où le capitalisme a compris qu'il lui serait préjudiciable qu'il en soit ainsi. À cela s'ajoute l'effrondrement significatif des ennemis extérieurs. Le déclin et la chute de la sphère communiste ont amoindri les mouvements terroristes que l'Occident avait connus dans les années 70. L'activisme prôné par La bande à Baader, les Brigades Rouges ou Action directe, outre qu'ils furent parfois l'objet de manipulations (dont l'une des plus significatives fut l'affaire Aldo Moro), est devenu un mode de contestation caduc. Le champ est libre pour une victoire à plates coutures du libéralisme.

    Il faut bien que le capital reprenne aux gueux ce qu'il leur a concédé, peur des Rouges oblige, comme acquis sociaux. Mais il n'est plus possible, pour des questions de coûts et d'images, de procéder avec la même violence que naguère. La répression, telle qu'elle fut pratiquée contre certaines grèves d'après-guerre, aussi bien que la stratégie du pourrissement, telle que Margaret Thatcher en usa lors du conflit avec les mineurs au début des années 80, ne sont plus de mise. Il faut désormais concevoir une politique qui fonctionne selon les règles d'un asservissement volontaire, conditionner l'individu pour que sa propre liberté soit un miroir déformé cachant des desseins bien noirs.

    Il s'agit donc de déporter la problématique de la contestation, au delà du droit et de la légitimité (puisqu'il y a droits légaux et dûment reconnus), vers celle d'un droit qui n'est pas clairement spécifié : celui de l'usager, pour les services publics, celui du client, pour ce qui concerne le secteur privé. C'est-à-dire vers cet individu auquel je peux m'identifier, puisqu'à un moment ou à un autre, je suis l'usager ou le client, et dont la caractéristique première, dans une dialectique d'opposition, est d'épouser le rôle du faible, du démuni. Ainsi fut érigée, alors même que disparaissaient du paysage les actions terroristes, la figure de l'otage. La grève des enseignants, des postiers, des cheminots, des routiers, des employés de Total, etc. est devenue un coup de force et la contestation (pourtant légale) une violence symbolique apparentant la parole de refus à une rébellion face à un système posé comme fonctionnant à merveille. Celui que l'on atteint n'est donc plus le thuriféraire de la puissance économique régnante (lequel place ses enfants dans des institutions sûres et n'a guère l'occasion de prendre le métro) mais le petit, le Français moyen, notre voisin, notre frère. La contestation devient une injustice faite au pauvre, à celui qui travaille dur (pour pas grand chose). La théorie de l'otage, c'est en retour la logique du sabotage, et le gréviste, public ou privé, pourvu qu'il touche un secteur sensible, est cet indésirable frappant le rayonnement de la France et entamant les chances de celle-ci à pouvoir rester au sommet dans le concert des nations. Il devient mutatis mutandis le hors-la-loi des temps de guerre.

    Mais, comme l'État n'a pas intérêt à se montrer ouvertement belliqueux, il fait endosser son discours latent par la doxa populaire, à grands coups de micro-trottoirs et de reportages bidons les jours de manifestations : oui, il y a bien à se plaindre de ceux qui, par leur position privilégiée, prennent le quidam en otage. On y retrouve alors le ferment éminemment populiste et la France unanime (du moins veut-on nous le faire croire) crie à l'injustice, fustige les pourris, ceux qui, parce qu'elle aura, cette France, à se lever une heure plus tôt, sont des traîtres à la Patrie en difficulté.

    L'otage est donc une figure-clé de l'idéologie victimaire développée par le capitalisme, nous faisant croire que toute atteinte à notre liberté de consommer est une atteinte à notre intégrité. Nous ne sommes plus un corps politique. Nous ne sommes plus que des corps consommateurs.